Je me suis levée avec dans la tête une vieille chanson que mon père chantait et dont il m’avait écrit les paroles. Cette chanson a pour titre Le plus joli rêve. La veille, quelqu’un avait publié sur Facebook une photo du « Band » que quelques jeunes, dont mon frère Fernand, avaient formé au début des années 60. J’ai donc feuilleté encore une fois ces albums dans lesquels mon petit frère avait conservé les photos de sa belle jeunesse… et qui représentaient sans doute les rêves qui l’habitaient alors! Je vous fais remarquer que Fernand n’est pas toujours présent sur les photos. La raison en est que la plupart du temps, c’était lui le photographe! Il me semble le revoir… il attendait que chacun ait pris la pose voulue pour prendre enfin la photo. Il pouvait être très patient; c’était quelqu’un de méticuleux, qui ne laissait rien au hasard.
En repassant ces images, dont la majorité est en noir et blanc, je me suis fait la remarque que Fernand aurait pu être metteur en scène. Qu’il s’agisse des photos de combats entre « bons pionniers » et « méchants Indiens », ou des scènes où même notre chien Bruno posait pour le photographe, Fernand nous embarquait tous dans ses histoires. Les plus jeunes de la famille et mon cousin Luc ne se faisaient jamais prier pour embarquer dans le jeu. Sur une photo, on voit maman, un fichu sur les cheveux, tenant dans ses mains un des vieux toutous de mon frérot… elle jouait le rôle de la vieille pionnière, même si elle n’avait à l’époque qu’une quarantaine d’années.
On y a tous passé! Les animaux étaient aussi de la partie. Notre chien Bruno a été photographié je ne sais combien de fois, avec des toutous ou les animaux en plastique du petit frère. Je dois ajouter que sur la plupart des photos, en plus de la date, les personnages sont nommés, telle celle-ci – prise par quelqu’un d’autre – où l’on voit Fernand, avec Roger et Luc, et qui a pour titre : « Geronimo, Ours Brun et Pied Agile ». Évidemment, Fernand jouait le rôle du héros, Geronimo!
Sur une autre photo, on voit une vache qui ne semble pas du tout impressionnée par la caméra, cette photo est intitulée « L’ennemi approche »… Fernand avait un sens de l’humour très particulier! Mon frère voulait que toute la famille participe, il a donc pris aussi une photo de papa, devant la maison, avec ses fameuses fleurs jaunes, dont on n’a jamais su le nom. La photo ne porte pas d’autre titre que « Papa dans les fleurs jaunes ». C’était de longues fleurs qui étaient très résistantes. Il le fallait, car au besoin, elles pouvaient être utilisées comme cachettes dans les combats contre « les Sioux »!
Une des dernières photos, prise en 1960, montre Fernand à la roue d’un bateau. Cet instantané a pour titre « Sur le Charlie S. ». Quelques autres photos datées du même jour ont été prises avec mon grand frère Jacques, sur ce bateau. Fernand avait 16 ans… Il rêvait de devenir pilote de bateau. Il a étudié à l’Institut de Marine à Rimouski; c’était un brillant élève. Il a navigué quelque temps sur ce qu’on appelait des « bateaux de mer », pour les distinguer des barges de lac, sur lesquelles la plupart des marins d’ici travaillaient. Puis, comme dans la chanson Quand les bateaux s’en vont, un jour, il est resté au quai! Peut-être y a-t-il des rêves qui, une fois devenus réalité, déçoivent. Allez savoir! Fernand a travaillé, il a voyagé, il a vécu sa vie. Toujours vivant, mais il n’est plus là, dans sa tête… Heureusement, il nous reste ses photos, qui parlent pour lui.
© Madeleine Genest Bouillé, 28 septembre 2016