Du temps où on se baignait au fleuve

Dans ma lointaine jeunesse, parmi nos loisirs d’été, la baignade au fleuve était certes l’amusement que nous préférions entre tous. Au village, il y avait des endroits précis où les baigneurs profitaient de l’incomparable cours d’eau qui borde le Chemin du Roy qui portait alors le nom de « route nationale 2 ». À Deschambault, cette route très fréquentée, ne quitte le bord du Saint-Laurent que dans les hauteurs du cap Lauzon, pour revenir longer la rive, dans le haut du village.

À l’époque dont je vous parle, si à marée basse certains endroits étaient assez sablonneux, devant le cap Lauzon par contre, de nombreuses roches de toutes dimensions décourageaient souvent les nageurs. Un escalier rudimentaire, situé un peu à l’ouest de l’escalier actuel, permettait de descendre sur la grève. Il fallait quand même connaître le fond de l’eau pour s’y baigner. Surtout qu’on avait à compter sur le fort  courant du Rapide Richelieu. Mais quand même, cet endroit avait ses adeptes, lesquels n’étaient pas peureux! Même aujourd’hui, malgré les consignes de sécurité et de salubrité, certains nageurs plus aventureux ne résistent pas à l’envie de « piquer une plonge » devant le cap!

Dans le temps, les gens du village avaient plutôt coutume d’aller se baigner en bas de la rue Saint-Joseph, qu’on appelait « la petite route ». C’était l’endroit le plus fréquenté. On y trouvait une plage de sable qui était plus ou moins spacieuse, dépendamment de la marée. La descente se faisait assez bien, à partir d’un petit sentier dans la côte en face de la maison des Delisle. Un des fils Delisle, Robert, qu’on appelait Tobert, était pêcheur et il avait installé des coffres à poisson, à mi-côte, lesquels profitaient de l’eau d’une source jaillissant à cet endroit; le poisson était donc toujours frais. Nous étions jeunes alors et Tobert nous intimidait… sans doute parce qu’il était plus âgé, mais surtout timide et pas jasant, sauf quand on lui parlait de pêche, alors là, il devenait volubile! Un jour de grand vent et de pluie torrentielle, cet homme qui passait la plus grande partie de sa vie sur le fleuve qu’il connaissait comme le fond de sa poche, disparut avec sa chaloupe… Quelques jours après, on l’a retrouvé noyé, ses grandes bottes remplies d’eau l’ayant retenu au fond du fleuve. C’était sans doute ce qu’il aurait souhaité pour son grand voyage.

Le quai de Deschambault, dans les années 50 (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Mais revenons plutôt aux plaisirs que nous procurait notre « Saint-Laurent si grand, si grand », comme le disait une jolie chanson interprétée par Lucille Dumont en 1957.

Quand nous étions jeunes, notre endroit de prédilection pour la baignade était le petit bout de grève qu’on appelait « les trois roches ». Située juste en bas du champ où paissait jadis la vache de mon grand-père, à l’ouest du quai, notre plage à nous s’étalait au pied de la côte où s’élève depuis plus d’un siècle la maison de la famille Petit, maison qui est toujours habitée par ma tante Rollande, la dernière de la famille.

Sur ce bout de grève il y avait trois grosses roches, s’avançant à la queue leu leu dans le fleuve. L’une d’elles avait à peu près la forme d’un bateau. Avec les années, ces roches comme toutes les autres, ont été déplacées par les grosses marées et les glaces qui viennent s’échouer au printemps, mais elles sont toujours là. Les trois roches! Durant les vacances de papa, nous y faisions souvent un pique-nique après la baignade. Quels merveilleux moments! Sans contredit, les plus beaux de notre été! Quelques années plus tard, mes jeunes frères aidés de leurs amis, ont décidé de décorer ces rochers.  Aujourd’hui encore, on peut voir des restes de couleur et des écritures à demi-effacées, mais qu’importe, ce sont nos fresques à nous!

Roches peintes, près du quai de Deschambault, 1986.

En terminant, je vous emmène dans le haut du village, là où le fleuve longe la route de plus près; souvent après une grosse journée de travail, les gens d’autrefois avaient l’habitude de « faire une saucette » pour se rafraîchir. Quoi de plus facile! À cet endroit, on n’a qu’à traverser la route, la côte n’a jamais plus que quelques dizaines de pieds, et on est rendu!  De plus, ici le fleuve s’est permit une particularité; à marée basse, quelques ilots – qu’ici on appelle des « ilettes » – font surface et accueillent les différents oiseaux de mer qui prennent leurs vacances chez nous… « Mon Saint-Laurent si grand, si grand… tu es toujours aussi accueillant! »  Que dire de plus?

© Madeleine Genest Bouillé, 30 juillet 2020

Mes Jeux Olympiques à moi

Non, je n’ai jamais assisté aux Jeux Olympiques! Dans ma jeunesse, ces jeux se tenaient toujours très loin, de « l’autre bord », comme on disait, jusqu’en 1976, où nous avons eu les Jeux d’été à Montréal. On se souvient que la reine de ces jeux était la jeune Nadia Comaneci, gymnaste roumaine. Nous avions attiré l’attention sur Montréal avec l’Expo universelle en 1967, il fallait bien que ça continue! Mais depuis les Jeux de 1976, on dirait que les grands manitous de l’olympisme boudent le Québec.  Pourtant, il me semble que nous avons tout ce qu’il faut pour la tenue des Jeux d’hiver! Pour ce qui est des Jeux tenus ailleurs au Canada, en 1988, Calgary recevait les Jeux d’hiver; j’ai justement une photo, prise en début décembre 1987, du porteur de la flamme Olympique qui passait devant chez nous, courant tranquillement vers l’ouest! Les dernier Jeux d’hiver tenus dans notre pays sont les Jeux de Vancouver en 2010; on se souvient surtout de la dernière présentation de la patineuse, Joannie Rochette, qui a remporté la médaille de bronze, alors que sa mère était décédée le matin même.

Nos voisins américains ont été plus chanceux que nous. Si on regarde la liste des Jeux olympiques, on constate qu’ils ont été gâtés nos voisins! Pour ce qui est des Jeux d’été, les premiers Jeux ont été tenus à St-Louis en1904, tandis que Los Angeles a été la ville hôte en 1984 et Atlanta, en 1986. Les premiers Jeux d’hiver aux USA furent tenus à Lake Placid en 1932. Squaw Valley a été l’hôte de ces mêmes Jeux en 1960, on a fait un retour à Lake Placid en 1980 et les derniers Jeux à être tenus en sol américain se sont déroulés à Salt Lake City, en 2002.

Mais voilà, comme j’en ai l’habitude, je retourne dans mes jeunes années. Comme nous n’avions pas encore la télévision, quand il y avait des Jeux olympiques quelque part, on n’en savait que ce que les journaux et magazines nous montraient. Pour dire le vrai, ce n’était pas grand-chose : des articles et parfois quelques photos, en noir et blanc! On s’y intéressait surtout lorsqu’il y avait des champions canadiens; il y avait alors plus de photos et on en parlait à la radio. Je me souviens que mon père qui aimait beaucoup le patinage artistique, nous parlait de la championne olympique canadienne, Barbara Ann Scott, médaillée d’or aux Jeux d’hiver de 1948, à Saint-Moritz, en Suisse. C’était notre championne! Je me rappelle qu’il y avait des poupées et aussi des cahiers à découper à l’effigie de Barbara Ann. Quelques années plus tard à mon anniversaire, j’ai justement reçu un de ces cahiers à découper. C’était l’un de mes jouets préférés, alors vous imaginez, quel beau cadeau c’était!

Mes Jeux olympiques à moi, ce furent les spectacles des Ice Capades et des Ice Follies auxquels j’ai assisté au Forum de Montréal, avec ma sœur et mon beau-frère, Odilon.  Une fois, je me souviens que papa nous accompagnait. C’était en 1960, avant son accident. Les Ice Capades avaient lieu en novembre, tandis que les Ice Follies étaient toujours tenus en février. Plus tard, ces spectacles ont été présentés au Colisée de Québec.

J’ai conservé le programme des Ice Follies de 1963. Je travaillais au Central du téléphone et j’avais pris ma fin de semaine de congé pour « monter » à Montréal. Le spectacle avait lieu le samedi soir, 8 février. Le livret, dont je vous fais voir quelques photos, coûtait 50 cents. Je ne me souviens pas du coût du billet et ce n’est évidemment pas inscrit sur le programme.  On indique cependant qu’on en était à la 27e édition des Ice Follies, intitulé « Le Spectacle des Champions ». Plusieurs médaillés des Jeux olympiques de 1960 participaient au spectacle, où évoluaient plus d’une centaine de patineuses et patineurs professionnels. Évidemment, tous les numéros étaient accompagnés de musique et il y en avait pour tous les goûts; des valses de Strauss aux airs de Cha-Cha ou de Rock’n’Roll! Il y a de cela 55 ans, et j’en garde encore un merveilleux souvenir!

Je suis retournée une dernière fois voir les Ice Follies, en 1965. Je n’oublierai jamais ce voyage; mon frère, André, m’accompagnait et comme d’habitude, nous avions pris l’autobus de la Provincial Transport pour nous rendre à Montréal. J’ajoute que j’étais enceinte de sept mois. Il n’y avait pas d’autoroute, l’autobus faisait donc « la run de lait », comme on dit parfois. Et à ce temps de l’année la route était passablement cahoteuse. Je m’en souviens comme si c’était hier; à chaque cahot, André, bien calmement me demandait : « Vas-tu accoucher? » Je lui répondais : « Non, ça va. » Nous nous sommes rendus, sains et saufs; le spectacle devait être magnifique, comme toujours!  Au fil des années, j’ai égaré le programme… mes petits gars l’ont peut-être trop regardé, avec leurs menottes pas toujours très délicates! Peu importe, quelque part dans ma mémoire, je conserve ces belles images de mes Olympiques à moi!

© Madeleine Genest Bouillé, 24 février 2018

Des paysages qui ont bien changé

La côte du quai, avant 1937.

La plupart de ceux qui qui voient cette photo ont de la difficulté à visualiser l’endroit d’où elle a été prise. Il faut donc commencer par expliquer que le tracé de la route 138 (autrefois, la 2) ne passait pas aussi près de la côte, étant donné que la route était l’actuelle rue Johnson. Il est donc permis de supposer que la personne qui a photographié la route du quai devait être placée à côté de la maison Vézina – qui appartenait alors à son constructeur, Alfred Petit. On constate qu’il y avait déjà quelques chalets. C’était du temps où par beau temps, le quai était un lieu de promenade très fréquenté! Et il y avait aussi le navire l’Étoile qui accostait régulièrement au quai, comme dans plusieurs autres villages du bord du fleuve.

La rue Johnson en 1958.

J’ai déjà parlé de notre vieille route qui était autrefois bordée de maison seulement du côté nord, sauf en haut de la côte, où la dernière maison construite par Alfred Petit semble prise dans un coin, entre deux routes; et en bas de la côte où l’on voit la maison de Ch.-Auguste Bouillé, aujourd’hui la maison J.Yves Vézina et sa voisine où résidaient les demoiselles Neilson. Cette maison avait été construite par un Proulx, qui je crois était apparenté aux Neilson. La côte appartenait aux enfants! L’hiver on glissait, sur tout ce qui nous tombait sous la main, traîne, traîne-fesse, ou si on manquait de traîneaux, de grands cartons faisaient aussi l’affaire. Je vous ai parlé aussi de nos jeux d’été dans la côte, surtout ce jeu très animé qu’on appelait « En bas de la ville ». Le seul arbre qui trônait sur le coin de la côte était ce magnifique orme, un géant qui devait être pour le moins centenaire. Sur la photo, notre chien Bruno a l’air perdu… c’est qu’il attendait le photographe, mon frère Fernand.

La Caisse Populaire en 1970.

Vous ne l’auriez sans doute pas reconnue! Elle venait d’être construite. Les plans, audacieux pour l’époque, avaient été acceptés par les administrateurs de la Caisse, qui n’étaient quand même pas des jeunots! Cet édifice a été remanié quelques fois avant qu’on lui donne son aspect actuel. Il faut se rappeler qu’à cette époque, on construisait très peu de maisons de style québécois traditionnel. On avait vécu longtemps dans nos vieilles demeures et on voulait du moderne! Les propriétaires de maisons anciennes changeaient leurs fenêtres à six carreaux… le bardeau de cèdre n’avait plus la cote. On voulait du neuf qui avait l’air nouveau. Et l’édifice de la Caisse Populaire en était le meilleur exemple!

Mes petits gars à la patinoire, en 1973!

C’était peut-être un samedi… et papa avait emmené ses deux aînés patiner alors que la glace était déserte. Jean-Marc avait pas loin de 8 ans et Patrick approchait de ses 6 ans. Le petit Éric n’avait que 3 ans ½, il était resté à la maison avec maman. Eh oui, on est sur la patinoire du village, derrière l’école! N’est-ce pas que le paysage a changé? On dit qu’une image vaut mille mots.  C’est le cas pour cette photo!

Cabanes à pêche au quai de Deschambault en 1977.

Certainement prise en janvier, cette image témoigne que par chez nous, la pêche aux petits poissons des chenaux n’avait pas encore perdu sa popularité. Une bonne dizaine de cabanes, ça fait pas mal de « monde à la messe », comme on dit! Je peux vous affirmer que ça mordait car j’y suis allée quelques fois. Je crois que la photo a été prise du côté est du quai… mais je peux me tromper et le photographe n’est plus en mesure de me renseigner.  Enfin, cette image prouve qu’on ne s’ennuyait pas l’hiver à Deschambault!

L’Hôtel de la Ferme en 1978.

Cet édifice construit sur les fondations du manoir seigneurial des Fleury d’Eschambault, sieurs de La Gorgendière, s’appelait l’Hôtel de la Ferme, à la belle époque de la Ferme-École provinciale, et plus tard, la Station de Recherches. La photo a été prise en 1978, année où l’on célébrait le 60e anniversaire de la Station. Cette maison était située au bout de la grande allée, du côté est de la route, pas loin du fleuve. On y logeait surtout les travailleurs et aussi occasionnellement les visiteurs, agronomes ou autres personnalités. Il y avait aussi un logement familial, à l’étage. On remarque sur cette photo les magnifiques fleurs des jardins qui faisaient la fierté des dirigeants de la Station, surtout en cette année de Jubilé. La vie à « La Ferme » était très animée; il y avait une école de rang; plusieurs édifices à logements étaient occupés par des familles, alors, des enfants, il y en avait!  Les gens s’entraidaient; côté loisirs, il y avait un court de tennis, on avait une équipe de balle molle en été et de ballon-balai en hiver. C’était en somme, un petit village dont les liens étaient tissés serrés. Parlez-en aux « anciens » qui ont vécu leur jeunesse à la Ferme… ils vous raconteront bien mieux que je ne saurais le faire.

Le Moulin à scie Paquin en 1980.

Si vous êtes de ces bons marcheurs qui empruntent la raboteuse rue du Moulin, autrefois appelée « la route à Bouillé », et si vous vous rendez de l’autre côté du pont de la rivière Belle-Isle, ne cherchez pas le moulin… il n’existe plus depuis 1985. Sur les deux photos jointes à ce texte, vous pouvez voir, à gauche, le moulin à scie, qui autrefois était un moulin à carde et qui devint en 1854, la fonderie Damase Naud, dont les poêles à bois sont devenus célèbres. L’autre photo a été prise à l’arrière de la maison, dont les derniers occupants furent les membres de la famille de M. Rolland Paquin. Lors de la construction de l’autoroute 40, la fermeture de la route du Moulin, pas assez importante pour qu’on y fasse un viaduc, a sûrement pesé fort dans la balance pour ce qui est du sort du moulin à scie!  L’histoire est ainsi faite de ces petits détails…

Le cap Lauzon en 1986.

Qu’est-ce qui manque? Mais oui, l’escalier! L’escalier du cap Lauzon a été construit en 1995. Auparavant il y a toujours eu des gens qui descendaient et remontaient la falaise à cet endroit… à leurs risques et périls! Quand on revient au temps où les Religieuses du Couvent avaient des élèves pensionnaires, il existait un escalier rudimentaire que les jeunes empruntaient pour aller sur la grève. Mais avec le temps, les marches ont disparu, pour ne laisser que les traces d’un sentier plus ou moins effacé.  Cette photo a été prise le 21 juin 1986, lors d’une promenade en chaloupe en avant-midi. Pourquoi je m’en rappelle? Parce que ce jour-là, la cloche du Couvent qui avait été vendue depuis quelques années, a été replacée dans son clocher, pour la Fête du 125e anniversaire de cette vénérable bâtisse, qui a eu lieu en septembre de cette même année.

Voilà!  C’était une petite virée à Deschambault des années 30 aux années 80!

© Madeleine Genest Bouillé, 7 septembre 2017

J’aimais les dimanches…

J’ai retrouvé les paroles d’une chanson de Félix Leclerc qui a pour titre Les dimanches. Je ne sais pas de quand date cette chanson. Certainement du temps où le dimanche était jour de repos, fait pour la messe, les visites, les promenades… et les fréquentations sérieuses!

« Ceux qui disent que les dimanches
Sont jours d’ennui, d’espoir qui flanche
N’ont donc jamais mal dans le dos
Pour n’avoir pas besoin de repos. »

J’aimais les dimanches, du temps où les commerces étaient fermés, sauf le Magasin Général, qui ouvrait une heure avant la messe et une heure après, pour accommoder les gens qui venaient de loin. On avait plaisir à s’endimancher. En été surtout, quelle joie c’était de porter une jolie robe, avec un chapeau assorti. Les mères de famille aussi s’endimanchaient, mais au retour de la messe, elles s’empressaient de remettre leur tablier, leur journée n’étant pas finie, loin de là! Les messieurs se distinguaient par leur bel habit « du dimanche », chapeau de feutre bien brossé et chaussures fraîchement cirées, sans oublier la cravate! Comme disait ma mère : « Un bon cheval porte son attelage : les hommes doivent endurer leur cravate, et les femmes leur chapeau! » Ces hommes qui toute la semaine étaient vêtus « d’overalls », avec sur la tête, une vieille casquette aplatie, avaient fière allure le dimanche, rasés de près, les cheveux lissés au « brylcream ». Le dimanche, tout le monde « se mettait sur son 36 »!

« Mais c’est dimanche que s’arrêtent
Ceux qui ont pain et amitié
Ceux qui n’ont rien regardent couler
Le son des cloches sur les toits. »

J’aimais les dimanches, c’était jour de famille, de parenté. Dans notre enfance, c’était dimanche que l’oncle Maurice nous arrivait dans la vieille guimbarde où s’entassaient six ou sept enfants, avec tante Yvette, toujours pimpante! Des années plus tard, les beaux dimanches nous rassemblaient, frères et sœur, avec chacun notre marmaille pour souper « chez grand-maman ». Ma mère craignait toujours de ne pas avoir assez de nourriture pour tout le monde, invariablement vers la fin du repas elle disait: « Allez-vous réchapper votre vie? » Quand  pour une raison ou une autre, on « sautait » un dimanche, maman téléphonait lundi ou mardi au plus tard, pour s’informer s’il y avait quelqu’un de malade…

« Mais c’est dimanche que Ti-Jean
Va voir Marie, sa souveraine
En complet bleu, c’est le seul temps
Qu’il tourne le dos à la semaine »

J’aimais les dimanches au temps de nos « fréquentations pour le bon motif », de préférence bien sûr, quand je ne travaillais pas. Que voulez-vous! Le Central du téléphone, ça fonctionnait jour et nuit, sept jours par semaine! Alors il arrivait que je doive être au poste, de jour ou de soir; mais j’avais le droit de recevoir mon prétendant! Ce jeune homme patient s’asseyait sur le divan, tandis que moi, sur ma chaise haute, face au standard téléphonique qu’on appelait « switchboard », je répondais aux clients, entre deux  compliments. J’avoue que ce n’était pas l’idéal pour se conter fleurette… mais c’était dimanche, journée à ne pas gaspiller!

« Mais c’est dimanche qu’on s’arrête
Comme dans le creux vert d’une baie
Et qu’on enlève son collier
Pour oublier qu’on est des bêtes »

J’aimais les dimanches du temps où les enfants étaient encore à la maison.  Ce n’était pas jour de ménage, ni de lavage, ni non plus de repassage. C’était encore moins jour d’épicerie, de boucherie, de pharmacie… Si on sortait, c’était pour aller voir la parenté ou pour se promener, tout bonnement! En été, au cours de nos balades, on s’arrêtait pour manger une crème glacée, petits et grands étaient contents! Les soirs d’hiver on regardait la télévision, c’était nos « Beaux Dimanches » à nous. Après souper, quand on avait de la visite, il nous arrivait de jouer tous ensemble à des jeux de cartes ou de société, tel le jeu de « pichenottes » ou le Crible… sans oublier la Correspondance!

Oui vraiment, j’aimais et j’aime encore  les dimanches!  Et comme je ne suis pas la seule à les aimer, il nous arrive de temps à autre en famille, de « s’arrêter pour le pain et l’amitié »,  alors,  je bénis ces moments de bonheur!

© Madeleine Genest Bouillé, 3 août 2017

Ah! Les framboises!

Ce soir, après le souper, mon époux est allé bravement cueillir des framboises dans le champ près de la rivière. Des vraies framboises sauvages, comme on en ramassait quand on était enfants et que papa nous emmenait avec lui dans le bois sur la côte, de l’autre côté de la voie ferrée du CN. Ça nous semblait loin; on montait dans le champ derrière notre vieille maison de pierre, on traversait le ruisseau Gignac sur le pont de bois et on continuait… Un peu plus haut dans le champ, il y avait un petit bosquet où il poussait toutes sortes d’arbres, cenelliers, trembles, cerisiers sauvages, amélanchiers – qu’on appelait « arbres à petites poires ». Et enfin, on arrivait à la « track », comme on disait. Parfois, on avait la chance de voir passer un train; on comptait les « cages », jusqu’à ce qu’enfin arrive la dernière, « la cage du Père Noël ». La petite gare était peut-être encore utilisée, mais je n’en suis pas certaine.

Le combat fait rage dans le champ! À l’arrière-scène, on voit la petite gare d’autrefois… (photo: Fernand Genest, coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Nous n’avions plus qu’à monter la côte, qui n’était pas bien raide, mais il fallait attendre les plus jeunes qui allaient à la vitesse à laquelle leurs petites jambes leur permettaient d’aller. Georges ne voulait pas passer pour un bébé; il se dépêchait et marchait à grandes enjambées, comme un homme! Roger, plus jeune d’une année, faisait de son mieux, mais son petit seau attaché à sa ceinture lui battait les jambes et il nous criait de l’attendre. Pauvre petit bonhomme! Parfois, il fallait rattacher son soulier, ou encore il perdait son chapeau, c’était toujours une aventure! Il nous ralentissait, mais jamais notre père ne réprimandait  les petits… ni même les plus grands!

Mes frères! (Coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Nous ne devions pas trop nous éloigner les uns des autres, même si le bois n’était pas très épais. Florent était le champion ramasseur de framboises! Il cueillait les fruits consciencieusement comme tout ce qu’il faisait et remplissait son contenant avant tout le monde. Heureusement! Car André et moi n’arrêtions pas de parler et de s’inventer des histoires. Nous étions des espions à la poursuite de redoutables bandits; les vaches qui paissaient au pied de la côte n’ont jamais su qu’elles faisaient partie de notre scénario. Sans s’en douter, ces pauvres bêtes jouaient le rôle des méchants! Il existait à cette époque un illustré qui avait pour titre, l’Agent X-13, et André dévorait ces petites revues. Alors on jouait aux détectives et on prenait notre rôle tellement à cœur qu’on en oubliait évidemment de ramasser les framboises. Florent nous disputait bien un peu, mais il finissait de remplir nos seaux! Il n’était pas question de revenir à la maison avec un contenant vide.

Les dangereux ennemis de nos aventures champêtres! (photo: Fernand Genest, coll. privée Madeleine Genest Bouillé)

Papa qui travaillait à Montréal, dans une fonderie, était tellement heureux quand il se retrouvait dans la nature. Il profitait de ces moments pour nous enseigner les noms des arbres, des fleurs et des fruits. Il semblait connaître tout ce qui poussait dans le bois. Quand il trouvait une « talle » de « quatre-temps » ou de « catherines », il nous les faisait goûter, tout en nous prévenant de ne goûter que les fruits qu’il nous indiquait. Je n’ai jamais trouvé le vrai nom des « catherines », petit fruit qui ressemblait aux framboises, et qui n’était peut-être qu’une variété de cette espèce. Par contre, je sais maintenant que le quatre-temps est le fruit du cornouiller. Ces petits fruits ronds d’un beau rouge orangé, sont groupés par quatre. Au printemps, les cornouillers forment un beau tapis de fleurs blanches. Papa nommait aussi les différents oiseaux qui nous égayaient de leurs chants. Nous aimions particulièrement l’oiseau des bois qu’on appelait « Frédéric » et qui a pour nom le bruand chanteur. Quand on l’entendait, on lui répondait sur le même ton: « Cache tes fesses, Frédéric, Frédéric! » Un des garçons s’amusait à siffler comme l’oiseau, si bien qu’on les prenait souvent l’un pour l’autre. Comme je marche maintenant de préférence sur les surfaces planes et solides, je n’entends plus que rarement le chant de « Frédéric ».

Mes parents, Julien Genest et Jeanne Petit (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Ah! les framboises! J’ai déjà dit que c’était le fruit préféré de ma mère. Je ne crois pas que c’était seulement à cause de sa saveur et de son parfum. Le temps des framboises, voyez-vous, c’était aussi le temps des vacances de notre père… des vacances qui passaient hélas, bien trop vite! Ce petit fruit si fragile, qui, quand on le cueille, se tasse dans le contenant, si bien qu’il baisse de moitié, c’était le symbole même de notre été, si court qu’on aurait toujours voulu le remplir à ras bord. Malgré tout, aujourd’hui encore, quand on arrive à la fin de l’été, on a toujours l’impression qu’il nous en manque un bout! Mais quand même, quel beau temps que celui des framboises!

© Madeleine Genest Bouillé, 26 juillet 2017

« À quoi qu’on joue? »

Comme si c’était hier… je revois les amis de mes jeunes frères arriver chez nous, vers midi et demie, les beaux jours de vacances, et même les jours moins beaux. Je me rappelle surtout de Jean-Claude, qui demandait toujours : « À quoi qu’on joue? »

Vendredi dernier, à l’occasion de la Journée Mondiale du Livre et du droit d’auteur, la Biblio du Bord de l’eau recevait un collectionneur de jouets anciens, Jean Bouchard, originaire du Lac Saint-Jean. Monsieur Bouchard avait apporté une quantité de jouets de toutes sortes, datant de 1939 à 1969.  Il a d’ailleurs publié un livre abondamment illustré où il parle de tous ces jouets. Quelle soirée intéressante! Le bonheur de retomber en enfance!

Tel un magicien sortant un lapin de son chapeau, notre invité commence à exhiber ses trésors. Voici une poupée « avec pas de cheveux » : « J’en ai eu une pareille! » Et  apparaissent la corde à danser, la balle en caoutchouc bleu-blanc-rouge, une toupie musicale, des autos en plastique et en métal, un petit poêle avec un four; chaque jouet est ponctué de  « Oh! J’en avais un comme ça » ou « Ah oui! Je m’en rappelle ! » ou « Si j’ai joué avec ça! » Et voilà que le magicien nous présente un catalogue de Noël. La nostalgie envahit l’assistance… qui parmi nous n’a pas choisi ses cadeaux de Noël dans le catalogue chez Simpson’s ou chez Eaton, à moins que ce soit chez Dupuis & Frères.

C’est maintenant le tour des jouets d’hiver. Monsieur Bouchard exhibe un « traîne-fesses », c’est le nom le plus poli qu’on peut utiliser pour identifier cet engin. L’objet en question est fait d’un ski coupé, sur lequel on a fixé une bûche, écorcée ou non et, sur la bûche est clouée une planche qui sert de siège. Les hommes d’un certain âge présents  semblent tous avoir connu ce véhicule, si on peut appeler cela ainsi. Mes frères glissaient avec ce jouet casse-cou dans la côte en face de chez nous. J’ai essayé ça moi aussi… on prenait de méchantes culbutes! Pour faire suite, de vieux bâtons de hockey, des patins à deux lames qui ont sûrement été chaussés par plusieurs petits joueurs, et un magnifique chandail en vraie laine rouge, à l’effigie du Canadien de Montréal, nous ramènent au temps où tous les petits garçons, ou presque, rêvaient de devenir des Maurice Richard ou des Jean Béliveau!.

Puis vient le tour des jeux de société. Un beau damier à deux faces, sûrement ancien, un jeu de hockey sur table, des cartes à jouer, un jeu de serpent-échelle; des jeux que nous avons tous connus, et quoi encore! Le conférencier mentionne aussi parmi les jeux « pour jours de  mauvais temps », les « scrap books »… et me sont alors revenus les souvenirs de ces fameux cahiers où l’on collait n’importe quoi n’importe comment, pour occuper  justement les journées où il n’y avait rien à faire dehors. On s’amusait bien et ça ne coûtait presque rien! Je n’ai pas vu cependant dans la panoplie de notre collectionneur notre « jeu de pichenotte ». Quand on était capable de lancer les dames dans un des coins du jeu, d’une seule « pichenotte », on était assez grand pour être admis parmi les vrais joueurs. Chez nous, quand il y avait des fêtes, la table de jeu était toujours sortie et les joueurs se succédaient, espérant chaque fois être le meilleur! Cette table carrée, plantée sur un pied, avec des poches aux quatre coins, existe toujours dans la maison familiale… et il y a toujours quelqu’un qui en joue!

Après la conférence, on échange entre nous sur ce que nous rappellent les différents jouets étalés devant nous.  Un « petit jeune » dans la quarantaine se souvient qu’il avait eu un View-Master et qu’il aimait donc ce jouet! Trente ans plus tôt, j’en avais reçu un moi aussi et ce fut un de mes jouets préférés. Le mien était noir, le sien était rouge, mais la magie créée par cette petite boîte à images était la même d’une époque à l’autre.

Tout en dégustant quelques raisins et des cubes de fromage, accompagnant une coupe de vin, on en vient à parler des jouets de combat : pistolet à pétard ou à eau, bouclier et hache de guerre en plastique; enfin, l’attirail nécessaire pour jouer aux cow-boys et aux Indiens, ou à la police et aux bandits. Jadis, tous les garçons – et souvent des filles aussi – ont joué à ces jeux où il y avait les « bons » et les « méchants ». Aujourd’hui, les seules guerres permises aux enfants sont celles où ils « pitonnent » devant des images de super héros tous plus affreux les uns que les autres, qui font tout exploser, dans des bruits de fureur. Les enfants d’autrefois faisaient autant de bruit, en criant, en courant et en se bousculant… mais au moins ils bougeaient! Il n’est que de regarder les photos que mon petit frère Fernand prenait avec son « kodak » pour constater combien les combattants prenaient leur tâche à cœur!

Chez nous, quand nous étions enfants, nous n’avions pas beaucoup de jouets achetés au magasin, mais quand les amis arrivaient à la maison en demandant : « À quoi qu’on joue? », on trouvait toujours quelque chose à faire.

Merci Monsieur Bouchard pour cette belle soirée qui nous a permis de renouer avec notre enfance. C’est un beau cadeau!

© Madeleine Genest Bouillé, 25 avril 2017

Soirée de Mardi gras

Vous souvenez-vous du Mardi gras? Évidemment, ça dépend de l’âge que vous avez. Pour ma part, j’ai des souvenirs de cette soirée de veille de Carême qui remontent très loin. Quand j’étais enfant, j’avais hâte d’être une grande personne pour pouvoir m’amuser comme ces jeunes gens qui semblaient avoir un plaisir fou à se déguiser et à aller de maison en maison pour fêter le Mardi gras!

J’ai retrouvé une composition française, rédigée alors que j’étais en onzième année. Pour ceux qui ne le savent pas, c’était l’équivalent du cinquième secondaire. Tout d’abord, dans le haut de la page était inscrit la devise de l’année scolaire en cours : « Ma vie, un service! » Tout un programme! Je ne savais pas à l’époque qu’un jour je ferais partie du Club Lions dont le devise est « Nous servons »…

Le Mardi gras à la campagne, illustration d'Edmond J. Massicotte (source: Bibliothèque et Archives Canada).

Le Mardi gras à la campagne, illustration d’Edmond J. Massicotte (source: Bibliothèque et Archives Canada).

Voici donc, textuellement, ce que j’écrivais en 1957. « C’est le soir du Mardi-Gras »! Vers huit heures, les premiers visiteurs apparaissent au tournant de la route. Quelque temps après, la maison s’emplit déjà de joyeuses salutations et de rires. Les jeunes gens et jeunes filles s’interpellent et essaient de s’identifier dans leurs costumes tous plus bizarres les uns que les autres : ici un diable, plus loin, une chinoise, dans un petit groupe là-bas, un mendiant, une reine égyptienne – peut-être Cléopâtre! – et un Indien. C’est un rassemblement de toutes les nations, de tous les âges et de toutes les classes. L’hôtesse souhaite la bienvenue et propose une danse, la « Boulangère ». Tout le monde acquiesce et les musiciens s’ébranlent. La joie et la musique tourbillonnent avec les couples, sous l’œil bienveillant des aînés. Après la « Boulangère », se succèdent un quadrille et un « Brandy ». On est vraiment gai parce qu’on s’amuse franchement. Les vieux assis un peu à l’écart, ressassent leurs souvenirs : « Te souviens-tu quand on allait veiller chez Untel? Là on avait du plaisir! » Un autre fait écho : « Oui, dans notre temps, on avait du plaisir! » La danse prend fin et on décide de jouer aux cartes. On joue à « la Poule », au « Rummy » ou au « Coeur », suivant les groupes. On s’amuse ferme jusqu’à ce que la maîtresse de maison vienne interrompre les joueurs en leur rappelant que demain, c’est le Mercredi des Cendres et qu’il faut réveillonner avant minuit. »

Étant donné que je n’ai jamais eu beaucoup d’ordre, la première feuille se termine sur ces mots : « La table est dressée dans la grande cuisine dont elle occupe le centre. Une nappe immaculée courre d’un bout à l’autre de la table, recouverte des vingt-deux couverts et des plats appétissants… »  Et ça s’arrête là! J’ai perdu la deuxième feuille.

Ma tante Thérèse et un ami, dans les années 40. Ils avaient interchangé leurs vêtements! (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Ma tante Thérèse et un ami, dans les années 40. Ils avaient interchangé leurs vêtements et elle s’était dessiné une moustache! (Coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Quand j’ai rédigé ce texte, j’ai sûrement brodé quelque peu sur le thème du Mardi gras. J’essayais toujours d’embellir la vérité… croyant que cela me donnerait de meilleures notes. Mais dans mes souvenirs, ce dernier soir avant le Carême, maman nous envoyait nous coucher. Il y avait de l’école le lendemain, qui était le Mercredi des Cendres. Si les plus jeunes s’endormaient, il n’en était pas de même pour nous, les « moyens ». On se dissimulait pas loin de l’escalier, de façon à pouvoir regarder entre les barreaux ces joyeux personnages, lesquels étaient de plus en plus joyeux à mesure que la veillée avançait. Pour ce qui est des costumes, vraiment, les princesses étaient rares, les chinoises et les Indiens aussi. Les joyeux  fêtards  s’habillaient plutôt de vieux vêtements, parfois portés à l’envers, et ils se barbouillaient la figure de fard à joue, de farine ou de cirage à chaussure. Hommes et femmes se confondaient, les uns portant les habits des autres… c’était à qui auraient les costumes les plus bizarres! Pour écrire ma rédaction, je m’étais sans doute inspirée de lectures choisies par notre professeur, et parfois les descriptions d’intérieur de maison ou de vêtements recherchés me faisaient rêver. Lors de la vraie soirée de Mardi gras, la musique et les danses étaient cependant bien réelles, car dans la famille de ma mère, tout le monde jouait de l’un ou l’autre instrument, piano, violon, accordéon; je peux vous garantir que ça dansait et ça chantait! Des chansons à répondre, dont certaines n’étaient pas faites pour les jeunes oreilles… Mais, voilà! On n’y comprenait pas grand-chose, on se demandait même ce que les « veilleux » pouvaient bien trouver de si drôle! Et quand, à la fin de mon texte, j’évoque le goûter de fin de soirée, je m’éloigne vraiment de la réalité. Ma mère, aidée d’une de mes tantes, ne mettait pas la table comme pour un réveillon, elle servait du sucre à la crème, des galettes, du thé et parfois un petit vin maison. Ce qui est bien réel, c’est que les réjouissances devaient cesser un peu avant minuit, car alors on entrait en carême, et ça c’était sérieux!

Soirée de Mardi gras à l'école du village en 1968 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Soirée de Mardi gras à l’école du village en 1968 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

J’avais écrit je ne sais où et quand cette phrase d’une chanson que chantait Nana Mouskouri : « C’est incroyable, la mémoire, comme ça déforme la vue. Ça vous raconte une autre histoire que celle que l’on a vécue ». Plus tard, quand je fus d’âge à m’y amuser, j’ai assisté à des soirées de Mardi-gras. Je n’ai aucun souvenir ni des costumes, ni des jeux ou des danses. Dans ma mémoire, le Mardi gras, c’est ce soir où nous regardions entre les barreaux de l’escalier, évoluer les adultes qui riaient et chantaient, et qui nous faisaient un peu peur tellement ils étaient affreux, avec leurs guenilles et leurs barbouillages. Il n’y a pas à dire, la mémoire, ça nous joue des tours!

© Madeleine Genest Bouillé, 25 février 2017

Les beaux glaçons!

C’est une belle journée de février. J’écris en regardant miroiter le soleil sur le fleuve gelé. Le fleuve gelé? Ah oui! C’est vrai, cet hiver il n’est pas gelé partout. Je vous explique ce phénomène; passé l’embouchure de la rivière Belle-Isle jusque dans le haut du village, quelques petites iles émergent du fleuve à marée basse, et en hiver, ces ilots retiennent les glaces. Ce qui nous donne la chance d’avoir une large bande de glace, pour nous rappeler le temps où le fleuve « prenait » jusqu’au « chenail » selon l’expression en usage autrefois. Maintenant, avec les gros bateaux qui sillonnent la « route d’eau » tout l’hiver, les glaces ne résistent pas.

Crédit photo: Jacques Bouillé (©coll. Madeleine Genest Bouillé)

Crédit photo: Jacques Bouillé (©coll. Madeleine Genest Bouillé)

À cette période-ci de l’hiver, alors que le soleil et le froid jouent à cache-cache, la façade de notre vieille maison est ornée d’un rideau de glaçons; on dirait qu’ils ont été posés là pour remplacer les décorations du temps des Fêtes! Vous allez rire, mais quand je sors pour aller chercher le courrier ou pour une promenade, je ne peux m’empêcher de me décrocher un beau glaçon, en prenant bien soin de ne pas le briser. C’était un jeu quand nous étions enfants – j’ajoute que mes grands enfants le font encore parfois, quand ils viennent à la maison.

Lorsque nous étions jeunes, je me souviens du plaisir que nous avions à décrocher les glaçons qui pendaient du toit, le but étant de ne pas les briser. C’était à qui aurait le plus beau! On s’amusait ensuite à les planter dans les murailles des forts que les garçons avaient construits. Pendant que nous, les filles, décorions les édifices de neige avec ces ornements glacés, les gars, pour faire les « fins », bombardaient nos fragiles sculptures. Bien entendu, nous ripostions et alors, c’était la guerre! Je revois les rangées de « boulets » de neige, alignés sur le rebord de la forteresse… ça prenait peu de choses pour déclencher les hostilités! Quand les gars lançaient leurs cris de Sioux sur le sentier de la guerre, nous répondions avec des cris aussi vigoureux, quoique plus aigus! Quand j’y pense… Nous nous amusions simplement et avec peu de choses, en ce temps-là. Peu de choses? À vrai dire, non, puisque notre terrain de jeux était vaste et variait selon les saisons. On savait utiliser ce que justement, chacune des saisons nous offrait : la neige et la glace, en hiver, les rigoles au printemps, les champs et la grève en été, puis en automne, les feuilles mortes.  Il me semble qu’on ne s’ennuyait jamais… Mémoire, qu’en dis-tu?

Crédit photo: Jacques Bouillé (©coll. Madeleine Genest Bouillé).

Crédit photo: Jacques Bouillé (©coll. Madeleine Genest Bouillé).

Je reviens à ce beau jour de février… À chaque hiver, je me décroche au moins une fois un beau glaçon que je plante sur un banc de neige, même s’il n’y reste pas longtemps. Ça peut paraître enfantin, mais pour moi, c’est un geste qui a une signification. Je dirais que c’est un retour aux sources, comme quand, durant l’été, on ramasse des coquillages et des roches sur la grève. Quand je fais le ménage, il n’est pas rare que je retrouve une boite où sont entassés ces trésors venus de la grève; parfois il y a une date écrite sur la boite, parfois non. Ce besoin de décrocher des glaçons, c’est aussi comme quand, à l’automne, on ramasse quelques belles feuilles qui jonchent la pelouse. Ces feuillages qu’on place ensuite entre les pages d’un livre et qu’on oublie jusqu’à ce que, par hasard, lors d’une froide journée d’hiver, on ouvre un livre d’images et on y trouve une feuille d’érable ou de chêne, toute belle, comme si on venait de la cueillir. Malheureusement, pour ce qui est des glaçons, on ne peut pas les conserver! À moins de les avoir pris en photos…  comme vous pouvez le constater!

Je ne sais plus qui a dit ceci : « On ne se guérit pas de son enfance ». Que c’est donc vrai! Et avouez, c’est tant mieux!

© Madeleine Genest Bouillé, 3 février 2017

Vive la tempête!

Dès mon réveil ce matin-là, je sens qu’il y a quelque chose d’inhabituel. Je n’entends passer aucune auto, pas non plus de camions, ni d’autobus. Par la fenêtre, je ne vois que du blanc. Il fait un vent à écorner les bœufs et on ne voit ni ciel, ni terre. C’est la tempête!

Alors je me rappelle les matins semblables du temps où mes enfants allaient à l’école. Tôt levés, ils écoutaient les nouvelles afin de savoir si les écoles seraient ouvertes ou fermées.  Quelle joie quand ils entendaient le nom de notre commission scolaire dans la nomenclature des établissements qui étaient fermés pour la journée! Personne ne retournait se coucher, non, on ne gaspille pas un congé imprévu en restant au lit. C’est qu’ils en trouvaient des choses à faire ce jour-là! Jamais en ces jours de tempête je n’entendais la phrase si décourageante :M’man j’sais pas quoi faire.  Aussitôt le déjeuner avalé, ils enfilaient leurs habits de neige, les bottes, les tuques et les mitaines et disparaissaient dehors pour un bout de temps. J’ai toujours aimé ces congés inattendus.  Je me réjouissais du plaisir de mes enfants… même s’ils ramenaient tout plein de neige avec eux quand ils rentraient et qu’on en avait pour la journée à faire sécher tous ces vêtements mouillés.  Mais que nous importait ces petits désagréments?… C’était congé!

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. ©Madeleine Genest Bouillé

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. ©Madeleine Genest Bouillé

Tout le monde était de bonne humeur, la maison résonnait de jeux et de rires, et comme ils avaient faim ces jeunes ogres! Généralement ces jours-là, on me réclamait pour le dîner une montagne de frites avec des saucisses ou un gros spaghetti. Il n’y avait pas d’horaire : on mangeait plus tôt ou plus tard que d’habitude, pas grave! Au cours de l’après-midi, chacun s’isolait avec un livre ou encore, ensemble, ils s’attablaient devant un jeu de société, comme le Monopoly. On dit que la mémoire embellit les souvenirs heureux, peut-être est-ce vrai, mais selon moi, le rappel de ces jours où la tempête nous gardait tous ensemble à la maison, font partie des pages les plus heureuses de notre histoire familiale.

J’aime toujours autant ces journées où l’hiver se déchaîne et nous envoie avec fracas ses neiges et ses vents en essayant de nous faire peur! S’il y a des rendez-vous, ils sont reportés évidemment. Les commissions vont attendre au lendemain; pas de réunions, ni aucune autre sortie non plus : il fait tempête!  Finalement ces congés forcés sont une halte nécessaire dans notre vie si bien ordonnée et réglée par l’horloge, le calendrier et l’ordinateur!

Vive la tempête qui nous permet de faire l’école buissonnière!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 février 2017

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. Madeleine Genest Bouillé.

Crédit photo: Jacques Bouillé, coll. Madeleine Genest Bouillé.

(Texte publié dans mon livre © Propos d’hiver et de Noël, 2012)

J’ai tant dansé, j’ai tant chanté!

Quand j’étais étudiante, j’ai appris tout plein de choses importantes : le français, le catéchisme, les mathématiques, les bonnes manières… et aussi la danse et le chant! Nous chantions souvent, à propos de tout et de rien… il ne se passait pas une journée sans qu’on chante. Comme j’ai toujours adoré chanter, je ne m’en plaignais pas! Tout d’abord, comme je l’ai déjà mentionné, jusque dans les dernières années, chaque matin nous commencions la journée par un cantique, qui variait selon le jour de la semaine; lundi, on invoquait l’Esprit-Saint, mardi, notre ange gardien, mercredi, Saint Joseph, jeudi, c’était congé, vendredi était consacré au Sacré-Cœur et samedi à la Saint Vierge. Selon la température, l’humeur ou l’ambiance, ce premier chant était plus ou moins « magané », si vous me passez l’expression.

Quand venait le temps de la récréation, tant qu’il ne faisait pas trop froid, ou plus tard, au printemps, quand tout était sec dehors, nous allions à l’extérieur. Les garçons jouaient dans la cour à côté du couvent. Nous, les filles, prenions nos ébats dans la cour en haut de l’escalier de pierre. Ces jeux ne variaient que très peu… on jouait au « Drapeau » ou à ce qu’on appelait la « Balle au Camp ». Nos bonnes Mères encourageaient fortement les « chefs » à choisir leurs équipières sans parti pris… Sans parti pris? Comme si ça se pouvait! J’en sais quelque chose, j’étais une des plus mauvaises joueuses. Je ne courais pas vite, je me foutais complètement du ballon ou du drapeau… je me tenais le plus loin possible des buts. J’étais toujours choisie la dernière ou presque. Et vraiment, ça ne m’a jamais tellement dérangée. Mais je dois avouer que cette attitude n’aide pas beaucoup à acquérir de la popularité!

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Heureusement, j’avais d’autres occasions pour me reprendre! Les jours de mauvais temps, tout comme en hiver, nous prenions nos récréations dans la grande salle. Et que faisions-nous? Des « rondes », il fallait éviter autant que possible le mot « danse ».  Alors nous dansions sans le dire, en chantant des chansons. Une de ces « rondes » se dansait en chantant : J’ai tant dansé, un folklore qu’on retrouve dans La Bonne Chanson, comme presque toutes les chansons de notre répertoire. Les « rondes », bien évidemment, se dansent en cercle, en se tenant par la main; la plupart du temps; au refrain, on se prend par le bras et on tourne (en swingant, n’en déplaise à nos professeurs). Une autre ronde très populaire était J’ai un beau château; on se divisait en deux cercles et on dansait en sens contraire, ainsi, les filles qui chantaient « J’ai un beau château » allait vers la droite tandis que celles qui répondait « J’en ai un plus beau », allaient vers la gauche.

meunier-tu-dorsCertaines de ces rondes finissaient en débandade, entre autres, celle qu’on faisait en chantant Meunier, tu dors. Cette chanson commence très lentement avec : « Trois canards déployant leurs ailes… », quand on arrive au refrain : « Ton moulin va trop vite, ton moulin va trop fort », la ronde accélère de plus en plus vite, jusqu’à ce que la chaîne se détache. Quand on dansait cette ronde, à la fin, il n’était pas rare qu’une ou deux plus petites tombent par terre, pour le plus grand plaisir des meneuses du jeu qui n’attendaient que ça!

scanParfois, pour changer, on faisait des « chansons de geste ». Je me souviens en particulier de deux de ces chansons : Comme ça et La Cantinière. Dans la première, comme il s’agit de la rencontre de « Majorique » et « Phonsine », c’est une chanson dialoguée, alors on divisait le chœur en deux parties qui se répondaient. Pour ce qui est de La Cantinière, c’est une chanson qui peut s’étirer à l’infini, exemple : « La Cantinière, a de beaux gants, de beaux bas, un beau chapeau », etc. On s’amusait beaucoup à inventer des paroles à ces chansons.

bonheur

Les chansons que je préférais étaient toutefois celles qu’on entonnait quand on était assises dans la balançoire à la fin de l’année pour étudier… les belles mélodies comme Partons la mer est belle, La prière en famille, ou Il faut croire au bonheur. On y mettait tout notre cœur et notre plus belle voix: « Pourquoi rester morose devant les prés en fleurs… Puisqu’il y a des roses, il faut croire au bonheur ». J’y crois encore!

© Madeleine Genest Bouillé, 19 janvier 2017

100 plus belles.jpgNote :  Les chansons dont je parle sont regroupées dans un petit chansonnier Les 100 plus belles chansons, édité en 1948 par La Bonne Chanson de Ch. Émile Gadbois. Le coût était de 1.00$