Du temps où on se baignait au fleuve

Dans ma lointaine jeunesse, parmi nos loisirs d’été, la baignade au fleuve était certes l’amusement que nous préférions entre tous. Au village, il y avait des endroits précis où les baigneurs profitaient de l’incomparable cours d’eau qui borde le Chemin du Roy qui portait alors le nom de « route nationale 2 ». À Deschambault, cette route très fréquentée, ne quitte le bord du Saint-Laurent que dans les hauteurs du cap Lauzon, pour revenir longer la rive, dans le haut du village.

À l’époque dont je vous parle, si à marée basse certains endroits étaient assez sablonneux, devant le cap Lauzon par contre, de nombreuses roches de toutes dimensions décourageaient souvent les nageurs. Un escalier rudimentaire, situé un peu à l’ouest de l’escalier actuel, permettait de descendre sur la grève. Il fallait quand même connaître le fond de l’eau pour s’y baigner. Surtout qu’on avait à compter sur le fort  courant du Rapide Richelieu. Mais quand même, cet endroit avait ses adeptes, lesquels n’étaient pas peureux! Même aujourd’hui, malgré les consignes de sécurité et de salubrité, certains nageurs plus aventureux ne résistent pas à l’envie de « piquer une plonge » devant le cap!

Dans le temps, les gens du village avaient plutôt coutume d’aller se baigner en bas de la rue Saint-Joseph, qu’on appelait « la petite route ». C’était l’endroit le plus fréquenté. On y trouvait une plage de sable qui était plus ou moins spacieuse, dépendamment de la marée. La descente se faisait assez bien, à partir d’un petit sentier dans la côte en face de la maison des Delisle. Un des fils Delisle, Robert, qu’on appelait Tobert, était pêcheur et il avait installé des coffres à poisson, à mi-côte, lesquels profitaient de l’eau d’une source jaillissant à cet endroit; le poisson était donc toujours frais. Nous étions jeunes alors et Tobert nous intimidait… sans doute parce qu’il était plus âgé, mais surtout timide et pas jasant, sauf quand on lui parlait de pêche, alors là, il devenait volubile! Un jour de grand vent et de pluie torrentielle, cet homme qui passait la plus grande partie de sa vie sur le fleuve qu’il connaissait comme le fond de sa poche, disparut avec sa chaloupe… Quelques jours après, on l’a retrouvé noyé, ses grandes bottes remplies d’eau l’ayant retenu au fond du fleuve. C’était sans doute ce qu’il aurait souhaité pour son grand voyage.

Le quai de Deschambault, dans les années 50 (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Mais revenons plutôt aux plaisirs que nous procurait notre « Saint-Laurent si grand, si grand », comme le disait une jolie chanson interprétée par Lucille Dumont en 1957.

Quand nous étions jeunes, notre endroit de prédilection pour la baignade était le petit bout de grève qu’on appelait « les trois roches ». Située juste en bas du champ où paissait jadis la vache de mon grand-père, à l’ouest du quai, notre plage à nous s’étalait au pied de la côte où s’élève depuis plus d’un siècle la maison de la famille Petit, maison qui est toujours habitée par ma tante Rollande, la dernière de la famille.

Sur ce bout de grève il y avait trois grosses roches, s’avançant à la queue leu leu dans le fleuve. L’une d’elles avait à peu près la forme d’un bateau. Avec les années, ces roches comme toutes les autres, ont été déplacées par les grosses marées et les glaces qui viennent s’échouer au printemps, mais elles sont toujours là. Les trois roches! Durant les vacances de papa, nous y faisions souvent un pique-nique après la baignade. Quels merveilleux moments! Sans contredit, les plus beaux de notre été! Quelques années plus tard, mes jeunes frères aidés de leurs amis, ont décidé de décorer ces rochers.  Aujourd’hui encore, on peut voir des restes de couleur et des écritures à demi-effacées, mais qu’importe, ce sont nos fresques à nous!

Roches peintes, près du quai de Deschambault, 1986.

En terminant, je vous emmène dans le haut du village, là où le fleuve longe la route de plus près; souvent après une grosse journée de travail, les gens d’autrefois avaient l’habitude de « faire une saucette » pour se rafraîchir. Quoi de plus facile! À cet endroit, on n’a qu’à traverser la route, la côte n’a jamais plus que quelques dizaines de pieds, et on est rendu!  De plus, ici le fleuve s’est permit une particularité; à marée basse, quelques ilots – qu’ici on appelle des « ilettes » – font surface et accueillent les différents oiseaux de mer qui prennent leurs vacances chez nous… « Mon Saint-Laurent si grand, si grand… tu es toujours aussi accueillant! »  Que dire de plus?

© Madeleine Genest Bouillé, 30 juillet 2020

C’était en mai 1984

Comme je l’ai laissé entendre dernièrement, j’ai décidé de m’offrir un 4e livre. Évidemment, avec ce qui se passe actuellement, je ne sais pas quand je pourrai réaliser ce projet. Mais j’ai vraiment hâte!

J’ai fouillé dans mes vieux Phares (le mensuel d’information communautaire de Deschambault); étant donné que je les ai tous conservés, de 1978 à 2005 inclusivement. J’ai relu mes trois premiers livres aussi… C’est comme un vieux film qu’on n’a pas vu depuis longtemps. Il y a des bouts dont on ne se rappelle plus…

D’autres avec lesquels on est plus ou moins d’accord, on se dit : « J’ai écrit ça, moi? » Quoi qu’il en soit,  je dirais que c’est un voyage dans le temps. Un voyage nécessaire, un peu comme un grand ménage, si vous voyez ce que je veux dire.

J’ai choisi un « grain de sel » de mai, alors qu’on préparait l’anniversaire d’une association qui a eu beaucoup d’importance chez nous. Voici donc, l’éditorial du Phare de mai 1984 (ça fait juste 36 ans!). Le titre était :

Victoria, Élizabeth… ou Dollard?

Cette année, le 20 mai, on fête le 40e anniversaire de la Société Saint-Jean-Baptiste à Deschambault. Au cours de mes années d’études au couvent, je me souviens que la SSJB était l’organisme qui, entre autres choses, décernait les prix de fin d’année aux élèves méritants en français, diction, histoire. C’était encore cette association patriotique et culturelle qui organisait les fameux débats d’Histoire du Canada, débats au cours desquels s’affrontaient les élèves de la classe des « grandes » (l’Académie) du Couvent, contre les « grands » de l’école du village. C’était les gars contre les filles!  Comme on ne se rencontrait pas souvent, cela ajoutait de l’intérêt à la chose. Comme le temps passe: dire qu’il fut un temps où je pouvais réciter par cœur toute la liste des intendants de la Nouvelle-France, et avec les dates, s’il vous plaît!  Il faut croire que nous étions bien motivées.

La Société Saint-Jean-Baptiste, ce fut aussi au début des années 50, le Congrès de la Langue Française, qui donna lieu au couvent à une grande fête. Je me souviens que nous avions chanté Le Baiser de la Langue Française, une chanson qu’on retrouve dans les cahiers de l’Abbé Gadbois. Le personnage qui représentait la Langue Française était joué par une élève, la meilleure en français, il va sans dire. Elle trônait sur la scène, drapée dans les plis d’une tunique vaguement  grecque, alors que nous, ses humbles sujets, l’écoutions nous chanter : « Fière Jeunesse aux grâces conquérantes… je vous souris sous des cieux immortels… »  Nous reprenions le refrain : « Ô tes baisers, langue de poésie, sont enivrants de saveur, d’idéal… »  Saint-Ciel que c’était beau! On s’émouvait pour de bien belles choses dans le temps.

Mais la Société Saint-Jean-Baptiste, c’était surtout la fête de Dollard des Ormeaux, le 24 mai. Il n’y avait pas de congé, ce jour n’étant pas férié. Cependant, au couvent, on soulignait la fête pendant les cours. Belle occasion de stimuler notre patriotisme. On rappelait l’époque glorieuse – mais combien périlleuse – de Dollard et ses compagnons  au Long-Sault. On chantait Ô Canada, respectueusement et impeccablement, et nos voix vibraient d’accents patriotiques en chantant L’Hymne à Dollard : « Quitte à jamais l’immortelle tranchée… Reviens Dollard combattre jusqu’au bout. »

Ce combat de Dollard et de ses seize braves représentait pour nous l’incessant combat pour maintenir « notre langue, notre religion, nos droits ». Nos professeurs, aussi bien l’instituteur des garçons, qui était alors M. Côme Houde, que les religieuses du couvent, faisaient leur possible pour nous inculquer des notions de patriotisme. Il n’était pas question de fêter la reine, nous étions alors sous le règne de Georges VI. Ce fut plus tard que la reine Élizabeth instaura la Fête de la Reine Victoria, qui a lieu le troisième lundi de mai.

« Que reste-t-il de tout cela, dites-le-moi… »  Aujourd’hui pour la majorité des gens, ce qui compte c’est le congé. Peu importe qui on fête, l’important c’est la belle fin de semaine de trois jours, celle où souvent, quand la température le permet, on prépare le chalet, ou le terrain pour le jardin, le parterre. Ici, à Deschambault, on sait que nous fêterons le 20 mai l’anniversaire de fondation d’une association qui a fait beaucoup chez -nous depuis 40 ans, pour la culture et le patrimoine. C’est un événement paroissial à ne pas manquer.

© Madeleine Genest Bouillé, 22 mai 2020, à partir d’un article de mai 1984.

Novembre, le mois des défunts

Novembre, c’était jadis le mois consacré aux défunts. D’emblée, on entrait dans le vif du sujet dès le premier jour, fête de la Toussaint. Comme son nom l’indique, c’est la fête de tous les saints, autant les inconnus que ceux qui ont leur nom sur le calendrier. Et le lendemain, 2 novembre, c’était le Jour des Morts; ce qui voulait dire, la messe obligatoire deux jours de suite; pour cette raison, nous avions congé d’école ces deux jours. Quelle qu’en soit la raison, un congé, c’est un congé et c’est toujours bienvenu. Donc, ce jour réservé aux défunts de la paroisse, l’église était parée des ornements noirs comme pour un service de première classe. Parce qu’il faut tout d’abord que je vous dise que jusque dans les années 60 ou un peu avant, il y avait trois catégories de funérailles. Pour la « Première Classe », l’église était tendue d’ornements noirs jusqu’aux fenêtres; on sortait les candélabres qui encadraient à cette époque le catafalque revêtu de son drap noir imprimé de larmes blanches. La chorale des hommes chantait le Dies Irae, Dies Illa… c’était funèbre à souhait. Et ça coûtait plus cher! Pour les funérailles de 2e classe, il y avait un peu moins de tentures noires et on ne bouchait pas les fenêtres. Je ne suis pas certaine qu’on mettait le drap très funèbre, la chorale chantait évidemment, mais peut-être un peu moins et moins fort… vraiment, je ne m’en souviens pas. Pour les funérailles de 3e classe, on plaçait un chandelier de chaque côté du catafalque, il n’y avait pas d’autres ornements noirs que ceux portés par le célébrant et je ne me souviens pas s’il y avait du chant. Madame Blandine jouait de l’orgue, de cela, j’en suis certaine, pour elle tous les paroissiens étaient égaux!

Les « anges frileux »
Dans le rituel catholique, en plus des célébrations, il y a tout ce qui entoure le Champ des morts. À commencer par les anges du Jugement dernier. Chez nous, jusque vers la moitié du XXe siècle, ces anges, qui étaient l’œuvre du sculpteur Louis Jobin, étaient installés sur les piliers qui encadrent l’entrée du cimetière. Un de ces personnages célestes tenant la balance de nos bons et de nos mauvais coups, tandis que l’autre joue de la trompette pour guider les « bons », vers le sentier du paradis. Faites de bois en 1892, ces œuvres d’art étaient évidemment devenues « frileuses »! C’est pourquoi on a décidé de les installer à l’arrière de l’église pour les préserver. Dans les années 80, mon frère Claude, décédé en 1988, avait travaillé à la restauration de ces statues; c’était, comme tout ce qu’il faisait, du travail minutieux! Pour commémorer le 300e anniversaire de la paroisse Saint-Joseph de Deschambault en 2013, deux nouveaux anges en aluminium, de facture moderne, œuvre du sculpteur Éric Lapointe, un artiste local, gardent maintenant l’entrée du cimetière. Mais voilà! Pour les regarder, il faut jouer un peu à cache-cache. Mais le jeu en vaut la chandelle!

Le cimetière des « enfants morts sans baptême »
Si vous allez au Vestiaire du Couvent, vous prenez l’allée qui conduit à l’entrée de cette pièce qui était jadis justement le vestiaire des élèves externes et qui fait face au mur du cimetière. À peu près vis-à-vis de la porte, vous voyez une ouverture qui adopte la forme des anciennes tombes. Dans mon enfance, j’avais peur de tout, y compris des morts, je n’aimais donc pas cette fenêtre découpée dans la muraille! Jadis, cette portion du cimetière n’était pas sacralisée. C’était l’endroit où en enterrait les enfants morts sans baptême. J’oserais dire que c’est la partie obscure du rituel catholique concernant la mort. On croyait alors que si un enfant mourait sans avoir été au moins ondoyé, son âme s’en allait dans les Limbes, un endroit neutre et intermédiaire, où les âmes étaient censées demeurer jusqu’au Jugement Dernier. Le concept de « Limbes » a été aboli définitivement en 2007. À ce même endroit, on enterrait aussi les suicidés et les étrangers dont on ignorait la religion. Selon ce que racontait ma mère, comme plusieurs autres coutumes, cela dépendait bien un peu de l’ouverture d’esprit du curé de la paroisse.  Graduellement, au cours des années 50, le refus d’enterrer les personnes suicidées dans le cimetière béni est devenu facultatif, selon que la personne était dépressive ou souffrait d’une autre maladie « de la tête », comme on disait alors. J’ignore en quelle année on a réuni cette parcelle de terrain au reste du cimetière; on y trouve maintenant des stèles attestant l’inhumation de plusieurs personnes à cet endroit qui fut certes dûment consacré.

La « chapelle voyageuse »
Connaissez-vous la petite chapelle dédiée à Saint-Antoine? Peut-être bien que non! Cette « chapelle voyageuse » fut érigée en 1907 sur un terrain situé juste à l’endroit où l’on entre dans la rue Janelle. Sur une photo ancienne, la chapelle est encadrée de magnifiques arbres, peut-être des chênes, je ne sais plus. Lors de la procession de la Fête-Dieu, on s’y arrêtait parfois pour une prière. Quand on a ouvert la nouvelle rue, il fallait bien déménager la chapelle, quelqu’un eut alors l’idée de la placer dans le fond du cimetière où elle servirait de charnier. L’idée était bonne. Mais la chapelle ainsi retirée était la proie des vandales, de plus, elle ne rajeunissait pas; elle aurait eu besoin de rénovations et comme on sait, les Fabriques étaient, sont et seront sans doute presque toujours à court d’argent! La petite construction a été vendue et déménagée près du fleuve, dans le bas du village… Elle y est toujours. Dans quel état?  Je ne sais pas… car si « les voyages forment la jeunesse », souvent, ils « maganent » un peu ou beaucoup la vieillesse!

Voilà! Passez un beau mois de novembre et préparez-vous à l’hiver!

© Madeleine Genest Bouillé, 3 novembre 2018

Ça se passait de même dans le bon vieux temps – partie 1

Ce soir il fait un vent à écorner les bœufs. Demain, c’est l’ouverture de la chasse aux canards. Si ça continue comme ça, la chaloupe va se faire brasser au large… Ce sera pas la première fois!  On en a vu, des matins d’ouverture où les chasseurs, le dos rond comme une chenille qui s’en va aux Vêpres, le casque rabattu par-dessus les oreilles, attendent les canards qui tardent à se montrer… Quoi? Vous n’avez jamais entendu parler de la chenille qui s’en va aux Vêpres? Ça ne m’étonne pas; cette expression me vient de ma grand-mère et c’est une des plus imagées que je connaisse. Pourtant dans la parlure des gens de par chez nous, il y en avait des images! L’une n’attendait pas l’autre. En fait, cette comparaison avec une chenille a un certain sens. Avez-vous déjà regardé avancer une chenille, une de celles qu’on appelle minou-castor? Effectivement, elle se déplace tranquillement, pas vite, en arrondissant le dos.

Pour ce qui est des Vêpres, ça, c’est une autre paire de manches. Il s’agissait de cette partie de la Liturgie des Heures qui était célébrée le dimanche soir, sauf en hiver ou, pour éviter une deuxième sortie aux paroissiens qui demeuraient loin de l’église, le curé chantait cet office vespéral aussitôt la messe achevée. Pendant la belle saison, nous retournions donc, avec plus ou moins d’ardeur, prier après le souper du dimanche. Souvent la mère et les filles demeuraient à la maison pour faire la vaisselle, si bien que l’assistance était composée surtout de dames et demoiselles d’un âge certain, d’enfants impatients de retourner jouer et de pères repus, baillant aux corneilles, parfois même cognant des clous! La fatigue de la journée, la digestion laborieuse ou la perspective de commencer une semaine de dur labeur faisaient sans doute courber le dos de ces bonnes gens qui se rendaient accomplir leur dernier devoir dominical! Ça se tient comme explication… les expressions de ma grand-mère avaient toujours un sens, même s’il fallait des fois faire travailler ses méninges pour le trouver!

À l’époque, la pratique religieuse ne se discutait pas, même s’il y avait beaucoup plus de « Fêtes d’obligation » et donc plus d’offices. Après le temps des Fêtes, selon le calendrier liturgique qui varie d’une année à l’autre, le Mardi-Gras était plus ou moins vite arrivé mais je vous assure qu’on le fêtait « en pas pour rire »… jusqu’à minuit, pas une minute de plus! Parce que le lendemain, c’était l’austère Mercredi des Cendres et le début du Carême. On ne nous laissait pas oublier que « Nous étions poussière et que nous retournerions en poussière ». Les sermons des dimanches du Carême, surtout si on avait un curé plutôt sévère, nous rappelaient durant quarante jours que le chemin du Ciel n’était pas une belle route asphaltée! Et les offices des Jours-Saints qui arrivaient après ces longues semaines de jeune et de privations étaient particulièrement exigeants, en plus d’être presque entièrement en latin. De plus, pour  « faire ses Pâques », il fallait tout d’abord passer par le confessionnal. Les longues files de pénitents, attendant leur tour pour rencontrer le prêtre, avaient pour effet de rallonger le temps qu’on devait passer à l’église. Vraiment, quand Pâques arrivait il y avait de quoi chanter : « Alleluia! Le Carême s’en va, on mangera plus de la soupe aux pois, on va manger du bon lard gras. Alleluia! » Les enfants s’amusaient à changer les dernières paroles de la chanson par : « du bon chocolat! ».

 

Chacune des saisons était marquée par l’une ou l’autre fête religieuse. Quarante jours après Pâques, c’était l’Ascension, « fête chômée » comme on disait, et qui avait toujours lieu un jeudi, ce qui nous valait un petit congé de quatre jours. Puis arrivait le mois de mai, le Mois de Marie! Du temps de mes années de couvent, vous pensez si on était assidues à l’église les beaux soirs de mai! En revenant, on cueillait des lilas près de la clôture du Vieux Presbytère. Et dès qu’on s’éloignait du couvent, on s’épivardait un peu, en virant les cantiques à l’envers : « Ave Maris Stella, des springs, pis des matelas… » Quels beaux souvenirs! La plus grande fête religieuse de l’été, c’était la Fête-Dieu; on appelait ainsi la fête du Saint-Sacrement, dernier dimanche avant qu’on tombe dans le temps liturgique dit « temps ordinaire ». À la fin de la messe, si la température le permettait bien entendu, le curé allait revêtir la belle chasuble dorée tandis que quatre messieurs, généralement des marguilliers, sortaient le dais sous lequel se tiendrait le célébrant portant l’ostensoir. Tout le monde sortait sur le perron de l’église et après avoir établi l’ordre de marche, la procession s’ébranlait. Si je me souviens bien, les enfants de chœur et les élèves du couvent, portant des bannières richement brodées, précédaient le célébrant tenant précieusement l’ostensoir, accompagné d’un servant de messe qui s’occupait de l’encensoir. Ensuite venaient les chantres, puis les fidèles, hommes et femmes séparément bien entendu. Évidemment, nous n’étions pas tous aussi pieux, même si nous en avions l’air… Exemple : comme nous étions fières, nous les jeunes filles, quand on pouvait étrenner un chapeau neuf ou une nouvelle robe à la Fête-Dieu! La procession marchant d’un pas assez lent s’arrêtait à un endroit, prévu à l’avance, où les habitants de la maison avaient préparé le reposoir. La famille qui avait l’honneur de recevoir le Saint-Sacrement se faisait un devoir de décorer de fleurs et de feuillage la galerie et la table recouverte d’une nappe immaculée où serait déposé l’ostensoir.

Et ainsi le calendrier égrenait ses jours et ses mois, entrecoupé de fêtes et d’événements, jusqu’au au retour de l’automne avec l’année scolaire qui recommençait… Les feuilles tombaient, la température refroidissait, puis un bon vendredi soir où il faisait un vent à écorner les bœufs, c’était justement la veille de l’ouverture de la chasse aux canards…

 

© Madeleine Genest Bouillé, 21 septembre 2018

L’école avant les polyvalentes et les cégeps

Je reviens souvent sur le temps où j’étais étudiante. Mais je me rends compte, comme ça en passant, qu’il y a maintenant plus de cinquante ans que la centralisation des écoles a bouleversé les villages en y introduisant des autobus scolaires, et en y construisant les écoles les plus affreuses de tous les temps! Il y a aussi 50 ans et plus que les polyvalentes et les cégeps ont été créés. Le temps passe… et les polyvalentes ont eu le temps de devenir des écoles secondaires et les premiers diplômés des cégeps sont maintenant à la retraite!

Je comprends pourquoi, quand je parle du temps de mes études au Couvent de Deschambault, j’ai l’air de sortir d’un autre siècle. Je sors effectivement d’un autre siècle! Alors, une fois pour toutes, je vous raconte ce qu’était l’école au temps du « Département de l’Instruction publique de la province de Québec ».

Comme j’en ai souvent fait mention, j’ai fait mes études au Couvent des Sœurs de la Charité de Québec à Deschambault, de la 3e à la 11e année.  J’avais tout d’abord fait une année dans une classe privée, où l’on nous donnait des rudiments de lecture, écriture et arithmétique, sans oublier le catéchisme, ce qui nous permettait de faire notre Petite Communion. Pour la dixième, ou vingtième fois, je le redis : moi, j’avais surtout hâte de pouvoir lire les bandes dessinées dans le journal, surtout « Philomène ». Cette première année a eu pour résultat qu’on m’a classée en 3e année dès mon arrivée au couvent à l’âge de 6 ans. La bonne Mère Sainte-Flavie était ébahie de mon habileté pour la lecture… Si elle avait eu l’idée de tester mes aptitudes pour les chiffres, j’aurais plutôt été placée en 2e année.

Classe de Mère Sainte-Flavie au couvent en 1961.

Pour faire le compte de mon niveau d’instruction, je dois ajouter mes trois mois à l’école Normale de Pont-Rouge. J’ai heureusement été malade, ce qui m’a obligée à faire une pause et m’a aussi donné l’opportunité de réfléchir au fait que la profession d’institutrice, comme on disait dans le temps, n’avait pour moi aucun attrait. Il faut dire qu’à la fin de ma 11e année, je n’avais que 15 ans. La plupart de mes amies s’en allaient étudier à l’école Normale, alors, pourquoi pas moi?  Comme je l’ai déjà mentionné, nous n’avions pas beaucoup d’options. Je rêvais d’être actrice, mais on m’avait prévenue que je devais oublier cette lubie.

Parlons plutôt des établissements scolaires à Deschambault. En plus du Couvent et de l’école du village, il y avait si je me rappelle bien, quatre ou cinq écoles de rang, (je ne me souviens pas s’il y avait une école au 3e Rang). Dans ces écoles, les institutrices donnaient les cours de la 1ère à la 6e ou 7e année. À l’école du village, il y avait deux classes, celle qui regroupait les filles et les garçons de la 1ère à la 6e année et la classe des garçons où l’instituteur donnait les cours jusqu’en 10e année.

Le Couvent était d’abord un pensionnat où on retrouvait des jeunes de toutes les régions du Québec. On y accueillait les filles de la 1ère à la 12e année et les garçons jusqu’à la 6e année. Quatre classes se partageaient les élèves pensionnaires et externes. Au 3e étage, la classe de Mère Sainte-Flavie regroupait les 1ère, 2e et 3e années. Il y avait aussi la classe des 4e et 5e et celle des 6e et 7e années. Au 2e étage, la classe qu’on appelait pompeusement l’Académie, recevait les filles de la 8e à la 12 année jusqu’en 1958, alors qu’on a supprimé la 12e. Cette classe était située derrière la chapelle.

Les finissantes de 11e année avaient accès aux études supérieures, soit à l’école Normale, l’école Ménagère ou à l’Université, quoiqu’à mon époque, la proportion de filles qui se rendaient aux études universitaires était plutôt minime. Les études coûtaient cher, les familles étaient nombreuses et il faut bien avouer que beaucoup de filles comptaient travailler « en attendant » soit le Prince charmant ou l’appel de la vocation religieuse! Je vous rappelle que j’ai terminé mes études en 1957… Heureusement pour moi, quelques mois après mon court séjour à l’École Normale, on avait besoin d’une remplaçante au Central du téléphone. C’est devenu mon métier et après quelques mois, un poste se libérait et j’y ai travaillé jusqu’à mon mariage en juin 1964, alors que le « téléphone à cadran » faisait son entrée à Deschambault en septembre de cette même année.  Heureuse coïncidence!

L’ancien couvent de Deschambault, en cours de restauration (photo: P. Bouillé, mai 2018).

© Madeleine Genest Bouillé, 19 mai 2018

Ici, on parlait anglais!

Dans mon jeune temps, la plupart des gens ne parlaient que le français, je précise qu’il s’agissait du français de par chez nous! Avec le temps, il faut avouer que notre langage ressemblait de moins en moins à la langue parlée en France. Si nous avons gardé les accents des diverses régions d’où sont partis nos ancêtres, nous avons aussi intégré des expressions et des mots anglais qui nous ont été rapportés par les voyageurs autant que par ceux qui s’exilaient aux « États », comme on disait. Ces parents qu’on ne voyait pas souvent prenaient plaisir, quand ils revenaient au pays, à émailler leur français de mots anglais, qu’on répétait ensuite, fièrement, mais plus souvent qu’autrement, tout de travers! Comme on le sait, au fil des ans, l’anglais est devenu couramment utilisé dans les domaines commercial et industriel. Évidemment, pour les commerces qui s’adressaient à la clientèle touristique, il était important de s’afficher en anglais. À Deschambault, les touristes anglophones qui voyageaient de Québec à Montréal ou l’inverse, étaient très bien reçus! Ils pouvaient s’arrêter soit au Winterstage – l’ancien relais de poste, ou au Maple Leaf; cet hôtel annonçait qu’on pouvait y louer des « log-cabins » sur le bord du fleuve. Chaque été, ces petits chalets accueillaient régulièrement leur lot de touristes. Une de ces cabines est encore debout… si elle parlait, elle aurait certes beaucoup de choses à nous raconter!

« Log-cabin » de l’auberge Maple Leaf, près du fleuve à la hauteur du calvaire Naud (photo: J. Bouillé).

Plusieurs établissements aux noms bien français arboraient fièrement une affiche qui disait « Ici on parle anglais ». Notre petite localité était fort bien pourvue pour ce qui concerne les établissements hôteliers. Citons le Manoir du Boulevard et à l’entrée du village, l’Hôtel Deschambault – devenu l’Oasis Belle-Vie. L’Hôtel le Vieux Bardeau, qu’on appelait autrefois l’Hôtel Bellevue, a une longue histoire; cet endroit étant jadis très fréquenté en raison de sa proximité avec la traverse Deschambault-Lotbinière. Plus haut, dans le rang du même nom, l’Auberge de La Chevrotière, située en face de la gare du Canadien Pacifique, accueillait les voyageurs qui descendaient du train. À l’extrémité ouest de Deschambault, de l’autre côté du pont de la rivière La Chevrotière, M. Lauréat Paquet louait des cabines pour les touristes; il n’y a pas si longtemps, une clientèle régulière y venaient encore chaque été pour quelques jours ou quelques semaines.

Manoir du Boulevard, à l’est de Deschambault (ancienne carte postale, coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Hôtel Bellevue, maintenant Hôtel Au Vieux Bardeau, avec ses « cabines » (ancienne carte postale, coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Qu’il s’agisse des hôtels et des garages ou encore des petits magasins de souvenirs comme celui de M. Roland Goudreault, lequel était situé tout près de la voie ferrée, en bas du village, les touristes anglophones étaient servis en anglais! Dans ces étalages, en bordure du chemin, en plus des cartes postales représentant le plus souvent le Château Frontenac, on pouvait se procurer différents objets tels porte-clés, tasses et assiettes décorées, arborant pour la plupart l’étiquette « made in Japan ». Heureusement, les dames qui tenaient ces petits commerces, en profitaient pour vendre leurs propres travaux d’artisanat, catalognes, couvertures, tricots ou broderies; tous ces ouvrages étaient d’une qualité qui dépassait largement le coût demandé. On vendait en anglais… mais on vendait!

À la maison aussi, la langue anglaise s’est glissée tout doucement, sans faire de bruit… et s’est installée de la cave au grenier! La cuisine était équipée d’une « pantry » et d’un « sink »; et comme on était fier de notre « toaster » électrique! L’été on mettait des « screens » dans les fenêtres pour empêcher les mouches d’entrer; en hiver, cependant on remettait les châssis doubles. Quand on entrait dans la maison, on était accueilli par le sifflement du « boiler » sur le poêle. On gardait toujours du thé dans le « teapot » sur l’arrière du poêle; quand il arrivait quelqu’un du voisinage, on l’accueillait ainsi : Ben le bonjour!  Assisez-vous donc une minute… vous prendrez ben une tasse de thé, avec un petit « cookie », je viens juste de les sortir du four! Tout le monde connaissait depuis longtemps les « bines », mais personne n’aurait utilisé le terme de « fèves blanches au lard », non, ça n’aurait pas eu le même goût! De même, quand on servait un « rosbif », on y ajoutait du « grévé » c’était tellement meilleur ! L’anglais ne s’est pas invité qu’à la cuisine; indiscret, il est allé jusqu’aux « closets » où il a testé la chaîne pour « flusher ». Ensuite il est passé au salon où il s’est extasié sur le nouveau « chesterfield » ainsi que le beau « rug » qui recouvrait le plancher, sans oublier le « pick-up », avec sa pile de disques! Curieux, en sortant de la maison, il est allé voir dans la « shed »; j’aurais de la difficulté à nommer tous les outils, mais il y avait sûrement une « chainsaw », une « drill », un « jack » et combien d’autres.

L’endroit où notre cours d’anglais accéléré a eu le plus d’élèves assidus, c’est sans contredit dans le domaine de l’automobile! Du « bumper » jusqu’aux « tires », en passant par la « clutch », le « dash », le « windshield » – on disait « wind shire », le « steering » et les « sealbeams », et j’en passe… on s’est rendus aux nouvelles autos « power-break –power-steering », ça c’était du char!  Pour finir, on a appris qu’il nous manquait un « car-port » pour mettre notre auto à l’abri, l’hiver prochain. Parce que dans la « shed », y a pas de place! En terminant plus sérieusement, aujourd’hui, les enfants parlent, lisent et écrivent en anglais dès le cours primaire, mais cela ne les empêche aucunement de posséder un bon français. Il faut seulement leur en donner le goût!

© Madeleine Genest Bouillé, 8 avril 2018

Pour en finir avec les « enfants du temps de la guerre »…

Camp national des Jeunesse Catholiques.

Ce qu’il est important de retenir au sujet de cette génération, dont je vous parle depuis quelque temps, c’est que l’engagement ne nous faisait pas peur. Très jeunes, nous étions pour la plupart prêts à « embarquer »; tout d’abord, il y avait la Croisade Eucharistique, dans laquelle nous étions enrôlés dès la 3e année sans trop savoir ce que cela signifiait. Par contre, je me souviens très bien de ma Profession de Foi en 6e année. Quand nous avons chanté « J’engageai ma promesse au baptême », j’ai vraiment eu l’impression de m’embarquer dans quelque chose de grand, de solennel. L’année suivante, nous, les filles de 7e année, étions reçues Enfant de Marie. Avec quelle fierté portions-nous le ruban bleu! À cette époque, l’engagement, ça faisait partie de la vie!

Ma Profession de foi.

Conseil Lacordaire à Deschambault en 1964.

La « Croisade eucharistique » à Moncton, en 1947.

Les mouvements d’Action catholique étaient florissants; à commencer par la Jeunesse Étudiante, on se dirigeait ensuite soit vers la Jeunesse Ouvrière ou la Jeunesse Rurale, et souvent plus tard, on se retrouvait dans le mouvement antialcoolique Lacordaire et Jeanne d’Arc.  Les adultes étaient membres des Dames de Sainte-Anne – aujourd’hui le Mouvement des Femmes Chrétiennes – ou Ligueurs du Sacré-Cœur. Bien entendu, tous les jeunes ne suivaient pas nécessairement cet engouement pour l’engagement catholique et social; cela dépendait quand même beaucoup des valeurs familiales. Mais généralement, on était heureux de faire partie de ces associations où on apprenait à s’exprimer, à partager et aussi à diriger. Plusieurs leaders politiques et syndicalistes ont fait leurs premières armes dans les mouvements d’Action catholique des années  quarante et cinquante.  On suivait des sessions de formation,  qui était la plupart du temps données sous forme de camps d’été, où nous rencontrions plein d’autres jeunes, enthousiastes, disponibles, généreux. J’ai encore le petit carnet où je notais toutes les belles phrases qui avaient force de loi : «  La jeunesse n’est pas l’âge du plaisir, c’est l’âge de l’héroïsme », ou encore celle-ci qui dit beaucoup : « Le monde est à ceux qui se donnent la peine de le changer ». Nous étions jeunes… nous faisions de beaux rêves et nous avions de l’énergie à dépenser. Dans le programme de ces journées d’étude et de discussions, il y avait heureusement des pauses récréatives où nous avions de joyeuses activités : chants, théâtre, jeux de société, sans oublier les soirées autour du feu de camp. Qui n’a pas quelque belle veillée près d’un feu de camp dans son tiroir aux souvenirs?  « Feu, feu, joli feu »… ton ardeur nous réjouissait!  Et comment!

Puis est venue la révolution tranquille… tranquille, mais sournoise. Elle a chamboulé les valeurs morales de presque toute une génération. On rêvait de liberté. On voulait tout essayer, on refusait toute contrainte. Tout le monde ne montait pas aux barricades, mais beaucoup de jeunes ont suivi ce courant. L’engagement qui retenait surtout l’attention était celui que favorisaient les mouvements de libération : libération de la femme, libération des mœurs, libération politique; peu importait la façon d’y arriver, il était urgent de se libérer! Le temps a passé, cette génération est rentrée dans le rang : il fallait bien gagner sa vie. Il est cependant resté de cette époque un certain refus de l’autorité, religieuse et civile. L’individualisme a pris une place prépondérante dans la société.  Maintenant, avant de s’engager, on demande : « Qu’est-ce que ça donne? » Élevée dans le matérialisme et l’individualisme, la génération actuelle a les pieds bien sur terre!

S’engager, c’est se passionner, c’est aussi avoir le désir bien humain de se réaliser soi-même. S’engager dans une équipe, c’est rêver plus grand; c’est croire qu’ensemble on peut réaliser de grandes choses. Finalement, parmi les belles phrases contenues dans mon petit carnet, j’ai retenu celle-ci qui, selon moi, décrit le mieux l’engagement : « Quand on rêve seul, ce n’est qu’un rêve; quand on rêve à plusieurs, c’est déjà la réalité. »  Nous  n’avons peut-être pas fait mieux que les générations qui nous ont précédés, non plus que celles qui ont suivi, mais pour les enfants du temps de la guerre,  l’important, c’était de «  s’embarquer », de prendre notre place dans la collectivité.

© Madeleine Genest Bouillé, 17 mars 2018

Les enfants du temps de la guerre – 2e partie

Institut familial d’Amos, vers 1950 (© Archives S.A.S.V.).

Je vous disais donc que notre génération est celle qui selon moi a connu le plus de changements et ce, à tous les points de vue. J’ai abordé les sujets de la petite enfance, les études, la religion. Et voilà qu’en parlant des métiers pour les filles, je viens de m’apercevoir tout à coup que j’ai oublié de parler de l’Institut Familial! Ces écoles fréquentées par les filles après la 9e ou 10e année ont joué un grand rôle dans la formation professionnelle des jeunes filles, qui y apprenaient tout d’abord le métier de ménagère! Plusieurs parmi mes anciennes compagnes ont étudié dans un Institut Familial, qu’on appelait aussi École Ménagère; ces institutions étant dirigées par différentes communautés religieuses. Le cours intégral formait ce qu’on appelait alors des « instructrices du gouvernement »; et qu’on nomme maintenant diététiciennes ou nutritionnistes, ainsi que certains autres métiers alors uniquement réservés aux femmes. Vraiment, j’allais passer à côté d’un détail important, puisque les étudiantes y apprenaient avant tout à être de parfaites maîtresses de maison!

Magasin Paré à Deschambault, avec voiture à cheval…

Allons maintenant vers le quotidien des familles. J’ai écrit que nous devions marcher pour aller à l’école, les autobus scolaires n’existant pas encore, du moins, pas en milieu rural. Dans mon enfance, les autos étaient encore rares… il n’y en avait pas à toutes les portes. Quand on évoque un changement, en voici un qui est de taille!  En allant à l’école le matin, inévitablement, on rencontrait des voitures à cheval qui étaient stationnées un peu partout; celle du laitier, celle du boulanger. Un peu plus loin, c’était le boucher. Par contre, la modernité nous avait quand même rejoint, car on avait un service d’autobus : les Autobus Gauthier, dont le propriétaire était J.B.H. Gauthier, qui fut aussi maire de Deschambault. Nous étions très bien servis, étant donné qu’il y avait plusieurs départs pour Québec le matin, le midi et autant de retours le soir.

Compagnie d’autobus Gauthier.

Le téléphone était arrivé depuis quelques décennies; mais jusqu’en 1964, l’appareil consistait en une boite fixée au mur, munie d’une manivelle et d’un cornet acoustique, qu’on utilisait pour appeler le central, où l’opératrice donnait la communication avec le numéro désiré, bien entendu, quand la ligne n’était pas déjà occupée – ce qui arrivait souvent, étant donné qu’il y avait parfois huit ou dix abonnés sur la même ligne! Le téléphone « à cadran » fut sans contredit une innovation très bienvenue!

Nous nous éclairions à l’électricité depuis déjà un certain temps et nous avions aussi la radio, qu’on appelait LE radio. Pour nous chauffer, nous avions un poêle à bois, avec un four et un compartiment, le « boiler », dans lequel on gardait de l’eau chaude qu’on utilisait pour le bain, car nous n’avions pas de « tank » à eau chaude. On avait aussi plusieurs commodités qui fonctionnaient à l’électricité : le fer à repasser, la laveuse à « tordeurs », le petit poêle à deux ronds dont on se servait en été quand il faisait trop chaud pour allumer le poêle à bois, et enfin, nous avons eu un frigidaire!

Chez nous, on aimait la musique, de ce fait, en plus du piano, on avait un phonographe avec une manivelle qu’il fallait « crinquer », pour éviter que la musique ralentisse, sinon la chanson devenait méconnaissable. Vers le milieu des années 50, mon frère, qui avait commencé à naviguer, avait acheté un tourne-disque portatif qui jouait, en plus des « records 78 tours », des petits « 45 tours ». Qu’elles étaient belles, ces soirées d’été où on sortait le tourne-disque sur la galerie, avec une « rallonge » branchée dans la maison, et on écoutait les succès américains, dont évidemment ceux d’Elvis Presley et plusieurs autres chanteurs ce cette époque!

La télévision nous est arrivée en 1953 si ma mémoire qui n’aime pas les chiffres est exacte. Comme pour les autos, quelques dix ans auparavant, il n’y en avait pas dans tous les foyers! J’allais voir la télévision chez mes amies, Colette et Madeleine, surtout le mercredi soir, où l’on regardait La Famille Plouffe, qui était suivie de La Lutte au Forum; que nous regardions avec beaucoup d’intérêt; on avait même chacune notre lutteur préféré! Plus tard, quand on a eu chez nous un appareil, je n’ai plus jamais regardé la lutte! Parmi mes émissions préférées, en plus de La Famille Plouffe, il y avait Les belles histoires des pays d’en haut, Le Survenant, Cap-aux-Sorciers, et le dimanche soir, quand l’émission Les Beaux Dimanches était moins intéressante, nous regardions au canal de langue anglaise le Ed Sullivan Show. C’est lors de cette émission que nous avons vu Elvis Presley pour la première fois, en noir et blanc, évidemment. Mais quand même, c’est un souvenir inoubliable!

La télévision a chamboulé les habitudes des familles; désormais, les gens veillaient à la maison plus souvent, surtout les soirs où étaient présentées les émissions les plus populaires. En peu de temps, la « boîte à images », que mon oncle Jean-Paul désignait de son langage coloré « boîte à grimaces », s’est propagée dans tous les foyers. Je dois dire tout de même que la vie sociale n’a pas été vraiment perturbée par cette nouvelle distraction. Les fins de semaine, l’automne et l’hiver surtout, les diverses associations paroissiales organisaient des activités récréatives, qui servaient de levées de fonds. Il y avait les soirées de cartes qu’on appelait « Euchre » ou les soirées d’amateurs, lesquelles étaient très populaires. La salle était dotée d’un piano et ma tante Rollande était plus souvent qu’à son tour l’accompagnatrice désignée, tâche dont elle s’acquittait avec beaucoup d’oreille (car elle n’a jamais appris la musique) et surtout bénévolement, comme tout ce qui se faisait à l’époque. Ces soirées attiraient toujours une belle assistance. Deux soirées de bingo étaient tenues chaque année au profit de l’église. Pour Noël c’était le « Bingo aux dindes » et pour Pâques, le « Bingo aux jambons ». Si une chose n’a pas changé, c’est bien la vogue des bingos! Cependant, à cette époque, les coûts étaient plus modestes et les prix à gagner aussi! Chaque fois, la salle était pleine et les revenus, très intéressants. À Deschambault, nous avons une tradition de théâtre, qui remonte loin. Ainsi, chaque année, soit en hiver ou au printemps, une troupe présentait une pièce, tragédie ou comédie. Cette activité variait selon les disponibilités des acteurs et metteurs en scène, mais chaque fois, le théâtre faisait salle comble deux ou trois soirs.

À l’époque dont je parle, les loisirs, tant pour les jeunes que pour les adultes, étaient organisés par des bénévoles; en 1960 plusieurs de ces bénévoles déjà impliqués formèrent l’œuvre des Terrains de Jeux, communément appelée O.T.J. Chaque village avait son O.T.J, lequel gérait les loisirs sportifs, comme le hockey en hiver et la balle-molle en été. Puis nous est venue la mode du ballon-balai qui a eu beaucoup de vogue dans les années 60 et 70. Parlant d’O.T.J., je me dois d’évoquer le carnaval qui avait lieu chaque hiver, avec les duchesses, leur intendant et la fameuse soirée du couronnement. En 1955, la ville de Québec avait donné le ton et depuis, chaque village, si petit soit-il avait son carnaval. Après les Fêtes, quand retombait la frénésie de Noël et du Jour de l’An, on avait trouvé un bon moyen pour ne pas trouver l’hiver trop long!

Mais qui étaient donc tous ces bénévoles qui faisaient tourner la roue des activités récréatives et autres, et qui étaient à la tête des mouvements paroissiaux, qu’il s’agisse des Fermières, de l’O.T.J., de la Ligue du Sacré-Cœur, de la Société Saint-Jean-Baptiste  et des conseils de la Caisse Populaire? Parmi toutes ces personnes engagées dans leur milieu, on retrouvait une bonne majorité de ceux que j’ai nommés « les enfants du temps de la guerre »!

© Madeleine Genest Bouillé, 9 mars 2018.

Les enfants du temps de la guerre – 1ère partie

Si vous êtes nés entre 1939 et 1945, vous faites comme moi partie des « enfants du temps de la guerre ». Notre famille comptait dix enfants, dont quatre qui sont nés durant la 2e guerre mondiale. Sur les dix, quatre ne sont déjà plus de ce monde, mais rien n’empêche que nous étions faits forts! Réellement, je crois que nous sommes la génération qui a vécu le plus de changements, et cela à tous les niveaux… on était capables d’en prendre, on l’a prouvé et on le prouve encore!

Moi, avec deux autres filles, en 1946.

Tout d’abord à notre époque, presque tous les enfants naissaient à la maison. Les bébés, garçons ou filles, portaient tous les mêmes vêtements; une petite jaquette attachée par des cordons dans le dos, des chaussons tricotés et des couches en coton, que la maman avait taillées et cousues. Ces couches étaient lavées et rincées à l’eau de Javel aussi souvent qu’il était nécessaire. Il arrivait que la mère soit dans l’incapacité d’allaiter le petit dernier qui était arrivé un peu trop vite après l’avant-dernier, surtout s’il s’agissait du sixième ou du septième! Nous étions alors nourris au bon lait de vache, et nous nous en portions fort bien! Quand venait le temps de manger, le Pablum suffisait à la tâche jusqu’à ce qu’on ait assez de dents pour se nourrir comme tout le monde. Sans problème majeur, notre première intervention médicale était le vaccin qu’on recevait avant d’entrer en classe, en 1ère année, comme de raison, puisqu’il n’y avait pas de classe maternelle. Le dentiste? On n’allait quand même pas gaspiller de l’argent pour faire traiter des dents de lait!

Nous avons tous, sauf rare exception, étés baptisés dans la religion catholique et nous avons fait notre première communion, le plus tôt possible, entre cinq et sept ans. À partir de là, nous devions assister à la messe tous les dimanches et jours de fête et les garçons étaient bien vite enrôlés dans la cohorte des enfants de chœur et des servants de messes. Les filles n’étaient pas autorisées à franchir la balustrade séparant le chœur de l’église, de la nef… autre temps, autres mœurs! La confirmation suivait de près la « petite communion », l’âge pouvant varier du fait que l’évêque ne passait dans la paroisse qu’à tous les quatre ans. En sixième, vers la fin de l’année scolaire, on « marchait au catéchisme », pour faire notre communion solennelle – ou profession de foi. Pour plusieurs, soit par manque de goût pour les études, parfois aussi à cause de la situation financière des parents, cette étape marquait la fin de la scolarité. On avait tout de même appris que « marcher c’est bon pour la santé », étant donné qu’il n’y avait pas d’autobus scolaire… On allait à l’école à pied, par tous les temps, que ce soit au couvent, à l’école du village ou aux écoles de rang!

L’école de rang située dans le 2e Rang ouest.

Passé les études primaires, l’instruction n’était pas gratuite; cependant, plusieurs villages, s’enorgueillissaient de posséder un couvent tenu par des religieuses, lesquelles accueillaient les filles, de la 1ère jusqu’à la 11e ou la 12e année, ce qui était l’équivalent du secondaire. Plusieurs filles de ma génération ont cessé leurs études plus tôt; elles demeuraient à la maison, aidant leur mère, surtout si elles étaient l’aînée d’une famille nombreuse. Elles apprenaient donc leur métier de femme au foyer, en attendant le « prince charmant »! Pour celles qui désiraient continuer, il demeure que les choix de carrière étaient assez limités, comparé à aujourd’hui. Les Écoles Normales qui formaient des institutrices étaient très populaires. On y accédait après la 11e année et selon qu’on choisissait le Brevet C, B, ou A, les cours s’échelonnaient de un à quatre ans d’études. Le cours d’infirmière se donnait dans les hôpitaux. Je me souviens qu’on exigeait la 9e année, mais il fallait avoir 18 ans. Une autre option qui était assez répandue était le cours de puériculture, qui formait des gardes-bébé. Les exigences étaient, si je me rappelle bien, les mêmes que pour le cours d’infirmière. La vocation religieuse, dont on avait l’exemple tout au long de nos études au couvent, était tentante pour les jeunes filles qui rêvaient d’une vie consacrée aux bonnes œuvres; plusieurs compagnes ont donc endossé l’uniforme de l’une ou l’autre congrégation, mais peu d’entre elles y sont demeurées. La plupart se sont mariées, ont eu des enfants et maintenant, ce sont des grand-mères heureuses, enfin, c’est ce que j’espère! À ma connaissance, deux de mes anciennes compagnes font toujours partie de la communauté des Sœurs de la Charité de Québec.

Septembre 1949, les élèves du couvent.

Les garçons, après la 6e année, avaient la possibilité de faire le cours classique, qui durait huit ans et qui donnait accès à l’Université, bien entendu, si les parents en avaient les moyens! Il y avait alors plusieurs collèges classiques tenus par des communautés religieuses masculines, lesquelles privilégiaient évidemment la prêtrise. Comme on avait aussi besoin de gens de métiers, les écoles techniques offraient des cours comme la mécanique, l’électricité; ces cours s’échelonnant sur un ou deux ans, selon le cas. Cependant, plusieurs garçons choisissaient « l’école de la vie », en ce sens que souvent, ils restaient à la maison et travaillaient avec leur père, se préparant à reprendre la ferme ou autre entreprise familiale. Il ne faudrait pas oublier non plus tous ceux qui ont choisi d’aller naviguer sur le fleuve, parce qu’ils avaient grandi dans un village sur le bord  du Saint-Laurent, et qu’ils voyaient chaque printemps partir leurs aînés, en se disant : «  Si je peux donc avoir 18 ans, je vais embarquer moi aussi! »

Une chose est certaine, les études coûtaient cher! C’est sans doute pour cette raison qu’en 1960, au Québec, le taux d’étudiants qui se rendaient en 7e année était de 63%, tandis que le taux de ceux qui allaient jusqu’en 11e année n’était que de 13%. Il faudra attendre jusqu’en 1964, avec le nouveau Ministère de l’Éducation, pour que l’instruction devienne accessible à tous les jeunes. Enfin, en 1967, on assistait à la création des polyvalentes et, système unique au monde, des cegeps : Collèges d’Enseignement Général et Professionnel. On est rendus loin! Vous comprendrez que les « enfants du temps de la guerre » étaient déjà à peu près tous mariés et qu’ils avaient quelques enfants… pas mal moins, toutefois, que leurs parents!

Pour ce qui est de la pratique religieuse, si « la révolution tranquille » a contribué pour une bonne part à la baisse de fréquentation des églises, il y a eu plusieurs autres facteurs. Entre autres, la tenue du concile œcuménique Vatican II, en 1965, symbolisant l’ouverture au monde et à la culture contemporaine, a quand même « brassé la cage » des préceptes et de la liturgie conventionnelle. La messe célébrée face aux fidèles, la communion « dans la main », les prières et les chants dans la langue du peuple, on se souvient des « messes à gogo » avec les chants accompagnés à la guitare; tous les gens d’un certain âge ont fredonné : « Seigneur, nous arrivons des quatre coins de l’horizon »… Mais plus que tout, la sécularisation des prêtres et des religieuses ont bouleversé les pratiquants qui avaient grandi dans une religion d’interdictions, où souvent « l’habit faisait le moine »!  Les curés en complet, surtout sans col romain, aussi bien que les religieuses en jupe couvrant tout juste le genou, cela créait toute une commotion!

Je vous reviens avec la suite de la vie des « enfants du temps de la guerre ».

© Madeleine Genest Bouillé, 5 mars 2018

Un voyage dans le temps

Je me lève toujours avec une chanson dans l’oreille. Évidemment, je ne choisis pas et ça peut être n’importe quoi; parfois même un air que je n’aime pas du tout. Ce matin, c’était une vieille chanson qu’on entendait à la radio chaque midi; la chanson-thème de l’émission « Le Réveil Rural ». Cette émission débutait à midi et demie, du lundi au vendredi, et je connaissais par cœur la chanson : « C’est le réveil de la nature, tout va revivre au grand soleil ». C’était presque l’heure de  retourner au couvent pour l’après-midi, les cours recommençant à « une heure moins dix »  comme on disait dans le temps. Alors m’est venu le goût de faire encore une fois un petit voyage à l’époque de mes études au couvent de Deschambault…

Moi, étudiante au couvent, en 1951…

Jusque dans mes dernières années, chaque matin, sauf le jeudi, nous commencions notre journée de classe au son de la cloche, à 8 heures 20. Mon voyage aura lieu disons, en 1954,  je suis en 8e année. C’est une belle journée de février, comme celle qu’on a connue le lundi 5, pas trop froide et ensoleillée. Je ne marche pas très vite, avec mon gros sac d’école rempli de cahiers et de livres pêle-mêle. Nous portons encore l’ancien uniforme de notre institution; la robe noire, un peu trop grande, car il faut qu’elle puisse faire au moins deux années. Hier on a changé les dentelles qui ornent les poignets et le col de cette tenue austère, car ces modestes ornements doivent être impeccables… surtout qu’on attend la visite de la Mère supérieure provinciale dans le courant de la semaine. Notre professeur tient à être fière de ses filles. On est dans l’Académie quand même!

Comme tous les autres jours, celui-ci débute par la prière qui est suivie d’un cantique. Lundi, on implore le Saint-Esprit; on aura bien besoin de ses lumières! Mardi, c’est le tour de notre ange gardien et le mercredi est consacré à Saint Joseph. Jeudi étant jour de congé, nous nous retrouvons le vendredi matin, à prier le Sacré-Cœur de Jésus, tandis que le samedi est comme de juste, dédié à la Sainte Vierge Marie. Et les cours se succèdent, en commençant par le catéchisme. Ensuite, vient l’arithmétique ou le français, avec entre les deux, la récréation qui est très bienvenue. Ça passe vite quand même, la cloche sonne : il est 11 heures moins dix! On descend à l’externat (aujourd’hui le vestiaire) où on s’habille et on babille, et c’est le retour à la maison. Le temps d’enlever manteau, chapeau, foulard, mitaines et bottes, de rendre compte de mon avant-midi et il est déjà presque 11heures et demie. À la radio j’entends frapper : « Qui est là? »… « Les Joyeux Troubadours! »… « Mais entrez voyons! » La chanson-thème, interprétée par Estelle Caron et Gérard Paradis, commence ainsi : « Durant toute la semaine, les Joyeux Troubadours, ont confiance en leur veine, et rigolent toujours… » L’animateur était Jean-Maurice Bailly, qui était aussi commentateur à la Soirée du Hockey. On dinait à midi, en écoutant « Jeunesse dorée » jusqu’à midi et quart et ensuite « Rue Principale », les radioromans que nos mères, pour la plupart, écoutaient religieusement, tout en s’occupant du dîner.  Elles faisaient régulièrement deux choses à la fois!

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Comme je l’ai mentionné au début de ce texte, « Le Réveil Rural » nous retournait dehors, alors qu’on serait bien demeurés à la maison une autre petite demi-heure, surtout quand il faisait tempête. Les cours de l’après-midi étaient plus variés étant donné que selon le jour de la semaine, on alternait entre les matières moins importantes, tels l’histoire, la géographie, l’anglais, le dessin et l’enseignement ménager, cours qui était parfois donné à la cuisine de Mère Saint-Fortunat. On allait volontiers à ce cours qui se terminait souvent par une dégustation. J’aimais beaucoup moins quand l’enseignement ménager consistait en un cours de tricot ou de broderie, ouvrages dans lesquels je n’ai jamais excellé. L’après-midi était aussi entrecoupé par une récréation. Quand il neigeait, nous passions ce moment dans la « salle des filles » (maintenant le théâtre Élise-Paré). On chantait, on faisait des rondes comme « Trois fois passera la dernière, la dernière y restera »; on riait et on criait beaucoup! Ça faisait du bien de se défouler, car le silence était de rigueur durant les cours. Pendant l’hiver le mercredi, les cours se terminaient plus tôt, car nous allions à l’église pour la prière du Carême. Je n’ai pas de très bons souvenirs de cette sortie; sans doute parce que je n’ai jamais passé un hiver sans tousser quelques semaines, quand ce n’était pas un bon mois! Un rien pouvait déclencher la quinte de toux : la descente du deuxième étage jusqu’à l’externat où l’on s’habillait à la hâte, et ensuite il fallait se dépêcher pour ne pas être en retard à l’église. Était-ce le contraste entre chaud et froid? Bien que petite pour mon âge, j’étais facilement essoufflée, alors, après dix ou quinze minutes de récitation du chapelet à voix haute, je commençais à tousser! Quelqu’un me passait une pastille; la bonne mère qui nous accompagnait se  dérhumait, sans doute pour que j’en fasse autant… Rien n’y faisait! C’était vraiment mon calvaire!

Septembre 1949, les élèves du couvent.

Les autres jours de la semaine, les cours se terminaient à 4 heures moins dix. Pour les élèves qui restaient à l’heure de l’étude, de 4 heures 20 à 5 heures 20, il y avait une période de récréation. Les pensionnaires prenaient leur collation dans le « réfectoire des filles » (la salle du rez-de-chaussée), tandis que les externes avaient le choix, soit de demeurer à l’externat pour prendre leur goûter ou de sortir et aller s’acheter une friandise au magasin de mademoiselle Corinne Paris (où se trouve de nos jours la boulangerie). C’est justement lors d’une de ces sorties à l’heure de la collation que j’avais un jour commis une faute impardonnable! Eh oui! Succombant à la tentation que représentait pour moi une tablette de chocolat Caramilk à 5 sous, j’avais utilisé les quelques sous destinés à la Sainte-Enfance, pour m’acheter cette friandise tant convoitée! Durant le Carême, en plus!

Mais heureusement dans ma vie d’écolière, il n’y avait pas que mes gros rhumes, le Carême et la Sainte-Enfance! Il n’y avait pas non plus que des cours de mathématiques… Et l’hiver passait, pas moins ni plus vite que maintenant. Chaque jour, à midi et demie, j’entendais « Le Réveil Rural » qui me disait : « Ô la minute libre et pure de la campagne à son réveil… autour de toi, l’instant proclame l’amour, la paix, la liberté! » Sur ces   belles paroles, je partais pour une autre demi-journée d’école, avec la belle insouciance de mes 13 ans!

© Madeleine Genest Bouillé, 7 février 2018