Du temps où on se baignait au fleuve

Dans ma lointaine jeunesse, parmi nos loisirs d’été, la baignade au fleuve était certes l’amusement que nous préférions entre tous. Au village, il y avait des endroits précis où les baigneurs profitaient de l’incomparable cours d’eau qui borde le Chemin du Roy qui portait alors le nom de « route nationale 2 ». À Deschambault, cette route très fréquentée, ne quitte le bord du Saint-Laurent que dans les hauteurs du cap Lauzon, pour revenir longer la rive, dans le haut du village.

À l’époque dont je vous parle, si à marée basse certains endroits étaient assez sablonneux, devant le cap Lauzon par contre, de nombreuses roches de toutes dimensions décourageaient souvent les nageurs. Un escalier rudimentaire, situé un peu à l’ouest de l’escalier actuel, permettait de descendre sur la grève. Il fallait quand même connaître le fond de l’eau pour s’y baigner. Surtout qu’on avait à compter sur le fort  courant du Rapide Richelieu. Mais quand même, cet endroit avait ses adeptes, lesquels n’étaient pas peureux! Même aujourd’hui, malgré les consignes de sécurité et de salubrité, certains nageurs plus aventureux ne résistent pas à l’envie de « piquer une plonge » devant le cap!

Dans le temps, les gens du village avaient plutôt coutume d’aller se baigner en bas de la rue Saint-Joseph, qu’on appelait « la petite route ». C’était l’endroit le plus fréquenté. On y trouvait une plage de sable qui était plus ou moins spacieuse, dépendamment de la marée. La descente se faisait assez bien, à partir d’un petit sentier dans la côte en face de la maison des Delisle. Un des fils Delisle, Robert, qu’on appelait Tobert, était pêcheur et il avait installé des coffres à poisson, à mi-côte, lesquels profitaient de l’eau d’une source jaillissant à cet endroit; le poisson était donc toujours frais. Nous étions jeunes alors et Tobert nous intimidait… sans doute parce qu’il était plus âgé, mais surtout timide et pas jasant, sauf quand on lui parlait de pêche, alors là, il devenait volubile! Un jour de grand vent et de pluie torrentielle, cet homme qui passait la plus grande partie de sa vie sur le fleuve qu’il connaissait comme le fond de sa poche, disparut avec sa chaloupe… Quelques jours après, on l’a retrouvé noyé, ses grandes bottes remplies d’eau l’ayant retenu au fond du fleuve. C’était sans doute ce qu’il aurait souhaité pour son grand voyage.

Le quai de Deschambault, dans les années 50 (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Mais revenons plutôt aux plaisirs que nous procurait notre « Saint-Laurent si grand, si grand », comme le disait une jolie chanson interprétée par Lucille Dumont en 1957.

Quand nous étions jeunes, notre endroit de prédilection pour la baignade était le petit bout de grève qu’on appelait « les trois roches ». Située juste en bas du champ où paissait jadis la vache de mon grand-père, à l’ouest du quai, notre plage à nous s’étalait au pied de la côte où s’élève depuis plus d’un siècle la maison de la famille Petit, maison qui est toujours habitée par ma tante Rollande, la dernière de la famille.

Sur ce bout de grève il y avait trois grosses roches, s’avançant à la queue leu leu dans le fleuve. L’une d’elles avait à peu près la forme d’un bateau. Avec les années, ces roches comme toutes les autres, ont été déplacées par les grosses marées et les glaces qui viennent s’échouer au printemps, mais elles sont toujours là. Les trois roches! Durant les vacances de papa, nous y faisions souvent un pique-nique après la baignade. Quels merveilleux moments! Sans contredit, les plus beaux de notre été! Quelques années plus tard, mes jeunes frères aidés de leurs amis, ont décidé de décorer ces rochers.  Aujourd’hui encore, on peut voir des restes de couleur et des écritures à demi-effacées, mais qu’importe, ce sont nos fresques à nous!

Roches peintes, près du quai de Deschambault, 1986.

En terminant, je vous emmène dans le haut du village, là où le fleuve longe la route de plus près; souvent après une grosse journée de travail, les gens d’autrefois avaient l’habitude de « faire une saucette » pour se rafraîchir. Quoi de plus facile! À cet endroit, on n’a qu’à traverser la route, la côte n’a jamais plus que quelques dizaines de pieds, et on est rendu!  De plus, ici le fleuve s’est permit une particularité; à marée basse, quelques ilots – qu’ici on appelle des « ilettes » – font surface et accueillent les différents oiseaux de mer qui prennent leurs vacances chez nous… « Mon Saint-Laurent si grand, si grand… tu es toujours aussi accueillant! »  Que dire de plus?

© Madeleine Genest Bouillé, 30 juillet 2020

Ma mère disait toujours…

« Quand tu te lèves le matin, que tu as un tas de choses à faire, à ne plus savoir par quel bout commencer, assieds-toi, prends le temps de déjeuner et après, attelle-toi pour faire la soupe du dîner. Le temps de préparer ce qu’il faut, de couper les légumes, d’ajouter les assaisonnements, les idées vont se placer dans ta tête et le programme de ta journée va s’écrire tout seul! Évidemment, il peut arriver des contretemps, ça fait partie de  l’histoire, il faut s’arranger avec. » Ma mère était une femme sage!

Bien que n’ayant pas connu nos outils modernes de communication, sauf le téléphone, qui n’était pas encore intelligent, Jeanne Petit, ma mère était une femme cultivée.  L’écriture et la lecture, ça faisait partie de sa vie, autant que la soupe! Dans le temps où mon père travaillait à Montréal, ils s’écrivaient chaque semaine ou presque – mon père écrivait aussi très bien. Pour ce qui était de la lecture, c’était le sport favori de ma chère mère. Quand on allait la voir, elle demandait toujours : « Qu’est-ce que tu lis de ce temps-ci? »

Lors de notre 30e anniversaire de mariage à l’été 1994, deux ans avant que maman nous quitte…

Ma mère avait des recettes pour tout, pas seulement pour cuisiner. D’ailleurs, après son départ, on s’est aperçu qu’elle n’avait pas de vrais livres de recettes. Elle en avait déjà eus et elle les avait prêtés ou donnés. J’ai encore deux ou trois de ces petits livrets provenant de compagnies de produits alimentaires, qui me viennent de maman. Mais quand même, maman avait des recettes, beaucoup! On a trouvé des coupures de journaux et des bouts de papier sur lesquels étaient notées des recettes de cuisine On en a découvert un peu partout; dans les pages des romans qu’elle relisait régulièrement et qui, pour cette raison, demeuraient en permanence sur la petite table près de sa chaise berçante. On en a trouvé aussi dans les tiroirs de la machine à coudre – l’instrument que ma mère aimait le plus. Elle a fonctionné cette machine! Pas croyable! Parfois même jusque tard dans la nuit. Il y avait toujours quelque chose sur le « moulin », vêtement à raccommoder ou à terminer, ou une housse de coussin, ma mère aimait les beaux coussins. Ceux qu’elle fabriquait étaient des œuvres d’art!

Dans la vieille maison de pierre, l’embrasure des fenêtres était aussi un endroit où se ramassaient les revues et journaux que maman n’avait pas encore eu le temps de découper. Certaines fenêtres étaient dévolues pour la paperasse tandis que d’autres, mieux exposées au soleil recevaient les plantes en pot. D’autres encore servaient pour différents usages, telle la fenêtre de la « chambre à l’ouest », laquelle héritait des bananes trop vertes… Elles mûrissaient en paix, entre le beau panier à ouvrage que maman n’a jamais utilisé – il était trop beau – et le sac dans lequel elle conservait les exemplaires du « bulletin paroissial ».  Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir gardés ces feuillets, c’était une partie de l’histoire de Deschambault, car à cette époque, rares étaient les activités qui n’étaient pas publiées sur le semainier. Jusqu’au jour où on a fondé notre mensuel Le Phare en 1978.

Ma mère et mon père (été 1955).

Évidemment, maman a gardé aussi tous les Phares, qu’elle a lus et relus souvent, jusqu’à l’été 1996, où après une semaine à l’hôpital, aux soins palliatifs, son cœur malade depuis plusieurs années a décidé qu’elle avait assez lu, assez cousu… et que les bananes pouvaient aussi bien mûrir dans la cuisine que dans la « chambre à l’ouest ». On venait de fêter son 87e anniversaire à la maison où elle demeurait toujours; elle avait salué tout son monde, assise pour l’occasion dans sa berçante contre le poêle, car depuis quelques semaines, elle était plus souvent qu’autrement alitée. Je m’en rappelle comme si c’était hier…

Qu’aurait dit Jeanne de la pandémie qui bouleverse le monde entier aujourd’hui? Cette méchante bête invisible et silencieuse qu’on appelle Coronavirus l’aurait tellement inquiétée! Elle aurait eu peur pour tous les membres de sa famille. Elle n’aurait pas admis la façon dont beaucoup de personnes âgées ont été traitées – ces personnes qu’elle aurait désignées ainsi : « les vieux », parce que pour elle, le mot « vieux » ce n’était pas une insulte, simplement une vérité. Telle que je connaissais ma mère, elle aurait été vraiment choquée. Mais voilà! À l’époque où elle a vécu, elle a connu dans son enfance la première grande guerre, plus tard, alors qu’elle était jeune mère de famille, elle a vécu la « crise », suivie de la deuxième guerre, celle de 1939-1945. Si aujourd’hui on magasine ce dont on a besoin pour composer nos menus, ma mère a plus souvent qu’autrement composé ses menus avec ce qu’elle trouvait dans ses armoires. Comme on dit : « Autre temps, autres mœurs! ».

© Madeleine Genest Bouillé, 8 mai 2020

La rentrée…

En faisant du ménage, j’ai retrouvé un vieux cahier d’école. Je l’avais conservé parce que c’était un cahier de rédactions. Je n’ai gardé aucun livre ou cahier concernant les mathématiques, étant donné que c’était mon cauchemar!

À la date du 15 septembre  1955, j’étais en 10e année;  j’avais rédigé  ce texte qui avait justement pour titre : « La rentrée ».

« Nous sommes au matin du 7 septembre. Aujourd’hui c’est la rentrée. Finies les vacances! Finies les longues promenades et les excursions! Maintenant c’est la classe avec l’étude, les leçons, les devoirs. Mettons-nous-y avec ardeur pour une meilleure année scolaire. »

On dirait une publicité pour du matériel scolaire, mais je continue!

« Nous voilà dans la cour de l’école. Les élèves arrivent, quelques-unes en se traînant les pieds, la plupart en chantant et en riant. Les premières pensent encore à tout ce qu’elles viennent de quitter: «  Ah! Si les vacances pouvaient durer plus longtemps », dit Huguette » – « Finies les baignades, les jeux de toutes sortes », réplique Diane. Et l’on continue de regretter les vacances sans penser aux joies du retour, joie de se retrouver entre camarades. Comme c’est bon tout cela!  Les autres n’ont pas le temps de regretter : il y a tant de choses nouvelles. Premièrement la nouvelle maîtresse: «  Comment est-elle ?», questionne Pierrette, « Sera-t-elle sévère? » demande Aline, toujours craintive. Et les questions se poursuivent. Naturellement on regrette un peu l’ancienne maîtresse : « Elle était si gentille », dit Claudette. »

Et la rédaction continue; on énumère les matières scolaires, celles qu’on aime et celles qui nous donnent du fil à retordre. Comme je l’ai écrit dans ce texte :  « …jusqu’à ce que la cloche nous surprenne en train de bavarder. » Et alors je décrivais la classe, où je venais de passer deux années, toute rafraîchie, propre, le plancher reluisant… pas pour longtemps! Il semble que la statue de la  Sainte Vierge avait une nouvelle parure de fleurs – certainement des fleurs en papier  faites par les religieuses. On n’était pas encore à l’ère des fleurs en plastique.

 Je poursuis : « Maintenant, vous voulez  mes impressions: les voilà!  Je vous dirai bien en toute franchise que j’ai passé de très belles vacances, mais que je suis très heureuse de recommencer, parce que, à la longue, voyez-vous, les vacances, ça deviendrait monotone. »  Oui, c’est bien vrai, j’ai écrit cela!  Qu’est-ce qu’on ferait pas pour obtenir des bonnes notes!

Il fallait bien parler de la nouvelle religieuse: « Revenons aux élèves qui sont accueillies chaleureusement par leur nouvelle maîtresse. Tout de suite, elle fait bonne impression sur les élèves et nous avons confiance en l’avenir. »

Je terminais avec ceci: « Agenouillons-nous pour la prière du matin : Pater, Ave, invocation. On se relève pour offrir la nouvelle année scolaire au Saint-Esprit en chantant ::« Ô Saint-Esprit venez en nous, embrasez notre cœur de vos feux les plus doux. »

J’avais reçu un beau 85% et une note  qui disait: « Beau travail… surveillez l’écriture! »

Il y a de cela 64 ans!  Bonne année scolaire à vous tous, étudiants, parents et professeurs!

© Madeleine Genest Bouillé, 1 septembre 2019

Avec les mots de ma sœur : les vacances de tante Thérèse

Dans ce dernier épisode du journal de ma sœur Élyane, nous rencontrerons tante Thérèse, l’aînée des filles de mon grand-père Petit, tante Thérèse qu’on appelait familièrement « Daise »…

« Vendredi 19 août 1994, 8h p.m.

Le bel été s’en va…je me souviens autrefois, en cette mi-août (comme aujourd’hui), on parlait de la rentrée des classes. Sur l’Action Catholique, le journal qu’on recevait, il y avait de pleines pages de «  robes de costumes », chaque communauté de Sœurs avait son costume pour les élèves. Maman s’amusait à me montrer ça… je regardais, la mort dans l’âme, sachant bien que ces annonces signifiaient la fin des vacances. Mais dans les années 42-43, les environs du 15 août pouvaient être joyeux, car ma belle et gentille tante « Daise », qui travaillait à Montréal, venait passer sa semaine de vacances. Elle arrivait le samedi matin par le train qui entrait en gare du C.P. au 2e Rang, à 4hres du matin. C’était tellement une fête, que Claude (son filleul) et moi, on allait coucher chez les grands-parents, dans le « pit » au 3e étage, pour être là, à tout voir, tout entendre. Je me rappelle qu’une année, Pépère était debout de bonne heure et chantait de sa voix puissante : « Vainement, ma bien-aimée… on croit me désespérer… ». L’Aubade du Roi d’Ys, c’était « sa » chanson. Je suis encore toute émue à me rappeler cette voix et cette façon de chanter.

Tante Thérèse avec mes parents, Jeanne et Julien.

Et tante Daise ne venait jamais toute seule, des fois c’était avec tante Nini (une sœur de Mémère), ou les cousins Jacques, Simone, Évangéline… et la semaine de vacances était bien remplie. Fallait descendre au fleuve se baigner, aller en « flat » avec les Delisle (y avait rien qu’eux qui avaient des chaloupes). Fallait aussi aller sur le Cap, le « paradis terrestre », où il y avait des cerises, des catherines, et il fallait prendre des photos, beaucoup de photos, et j’étais là, je manquais rien… j’étais bien trop belette! Et le soir, il fallait bien une ou deux petites veillées de musique, ma tante se mettait au piano, Pépère, lui, jouait du violon. Gisèle pouvait prendre la guitare, et ça chantait. Et on retournait sur le Cap, il fallait emporter un pique-nique; on revenait les bras chargés de branches de cerisiers, de pommes, les dents noires d’avoir goûté aux cerises sauvages… des fois, les jambes grafignées par les mûriers, mais que c’était joyeux! Ma tante « Daise » avait toujours des petits cadeaux. Un jour elle m’avait donné un magnifique ruban bleu pâle avec bordure de cordonnet rouge et blanc, avec lequel ruban je me faisais une boucle pour attacher mes cheveux. Je me suis toujours souvenue de ce beau ruban, merci ma gentille tante! »

Si vous possédez mon deuxième livre, Récits du bord de l’eau,  à la page 27, le texte intitulé « la marguerite effeuillée », raconte dans les grandes lignes l’histoire de ma tante Thérèse que j’ai appelée Marguerite. Le dernier paragraphe dit comme ça : « En octobre, alors que les feuilles tombaient des arbres, la marguerite perdit ses derniers pétales. Selon les termes du temps, une péritonite éclatée emporta Marguerite à l’âge de quarante-trois ans. Elle laissait dans la peine quatre jeunes enfants, un mari effondré, une famille qui l’adorait et pour tous ceux qui l’avaient connue, le souvenir d’une femme au sourire éclatant, comme une marguerite en plein soleil ».  C’était en 1951.

© Madeleine Genest Bouillé, 8 août 2019

Avec les mots de ma sœur…

En septembre 2018, je vous avais fait connaître quelques pages d’un petit journal que ma sœur a tenu durant quelques années. Presqu’un an déjà! Vous vous souvenez?

Ma sœur Élyane et mon frère  Claude, étant les deux aînés de la famille, ont connu un autre genre de vie que les plus jeunes. Quand nos aînés étant enfants, papa travaillait à Deschambault, mes grands-parents étaient encore très actifs, et surtout, Élyane et Claude se retrouvaient souvent dans la maison du cordonnier.

Ma sœur a perdu son mari en septembre 1993; depuis plusieurs mois, il était en attente d’une chirurgie cardiaque, et comme il était diabétique, son état empirait de jour en jour.

Odilon et Élyane lors d’un bal d’époque au Vieux Presbytère (© coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Pour ceux qui ont connu Odilon, c’était le frère, le beau-frère, l’oncle, enfin, le parent ou l’ami que tout le monde veut avoir! Toujours de bonne humeur, même au cours des dernières années où sa santé s’était très vite détériorée. Mais je laisse parler ma sœur en ce beau mois de juillet 1994… elle vous racontera, entre autres choses, le jardin de notre grand-mère :

« Vendredi 8 juillet, 8h p.m.

Comme il s’en est passé des événements depuis l’an dernier, en août… Mon cher Amour, je te parle et t’entends souvent, mais il me faut regarder ta photo. Les oiseaux chantent leurs plus beaux chants, perchés dans les érables, avant d’aller dormir. Il vient des odeurs de viande qui cuit sur un barbecue… y a encore des gens qui mangent dehors.

Autrefois chez Pépère et Mémère, à 6hres, la vaisselle était déjà lavée. Mémère allait travailler dans son immense jardin, en prenant soir de se « mettre quelque chose sur le dos », fallait faire attention de ne pas « prendre le serein »; elle mettait le premier chandail ou veston à portée de sa main. Pépère s’asseyait sur le bord de la galerie, les jambes pendantes, en fumant sa pipe, souvent son voisin et ami, Narcisse Naud venait faire une jasette.

Claude et moi on jouait et lorsque la brunante venait, on prenait des bâtons et on courait les chauves-souris, Ça arrivait souvent que je me barrais les pieds sur la grosse marche de pierre (qui est encore là) et je m’écorchais un genou; là, Mémère accourait avec son onguent de zinc, m’enduisait l’écorchure et faisait un pansement avec une guenille; on veillait dehors longtemps, Pépère se décidait à allumer la lumière seulement à 9h30.

Puis, à 10hres, vu qu’on avait soupé à 5hres, on avait faim; on partait à tâtons dans le jardin et on allait se chercher des feuilles de salade et des radis pour mettre sur nos beurrées. C’était le temps de l’insouciance, de la jeunesse; Claude s’amusait franchement, sans arrière-pensée; tante Irma lunchait d’un œuf au miroir et des patates rôties, tantes Gisèle et Rollande riaient de tout et de rien, juste moi, qui, lorsque tout le monde s’amusait, je sentais une nostalgie m’envahir, eh oui! Déjà à 9-10 ans, j’aurais voulu retenir le temps… Je regardais les étoiles me demandant s’il y avait quelqu’un là-haut, et de quoi ils avaient l’air. Lorsqu’on avait la chance que le « bateau de la malle » passe – les paquebots CSL –, on regardait de tous nos yeux. Que c’était donc beau, toutes ces lumières et comme on les trouvait chanceux, les gens qui voyageaient sur ces bateaux!

Chez Pépère et Mémère, c’était mon paradis!… Je regardais au « Su » (sud), m’imaginant un autre paradis, ne sachant pas qu’un jour, juste en arrière de la lisière de Lotbinière, j’irais avec mon amoureux y voir sa famille, et lorsque je regardais au loin, par en bas, vers Portneuf, il me semblait que c’était là, « les vieux pays »; j’étais sûre qu’il y faisait toujours beau et chaud… Puis le jardin de Mémere… c’était merveilleux! Le vieux cerisier contre la clôture, dont les cerises faisaient envie à tout le monde… quelques pruniers par contre, n’ont jamais donné de prunes, puis il y avait le pommier, le noyer qui était trop jeune pour avoir des noix, les gadelliers, les rosiers les pavots, des centaurées au bleu mauve, et naturellement, les carrés de fines herbes, les radis, la salade, les plants de tomate avec leurs tuteurs, et près de chez Ti-Coq, la talle de lilas. Dans le penchant, vers la côte, il y avait le blé d’Inde, les petits pois que je vidais en cachette, les gourganes, des talles de marigolds, des concombres, des citrouilles, des patates, des carottes, etc…Des fois on avait la job, Claude et moi, de faire la chasse aux bêtes à patates, on les ramassait dans une « canne ». En arrière de chez Johnson, il y avait des framboisiers, de la rhubarbe, encore des patates, et d’autres choses.  Au bord de la côte, y avait des érables à Giguère, que Pépère entaillait au printemps. Des fois ma bonne Mémère faisait du miel avec des trèfles et des roses, c’était bon, mais ça passait vite… »

 * * * * *

Moi, je me souviens vaguement du grand jardin de ma grand-mère. Ce potager s’étendait alors jusque chez M. Perreault (aujourd’hui chez Jacqueline Chénard), la maison des Tousignant n’étant pas encore construite. J’entendais les gens du village parler du jardin de Madame Pétit – avec un accent aigu. Quand quelqu’un parlait de Monsieur ou Madame Petit, sans accent, c’était certainement un étranger! Je vous reviens bientôt, avec un autre texte de ma sœur où on fait plus ample connaissance avec notre tante Thérèse, l’aînée des filles du cordonnier.

Blanche et Tom.

© Madeleine Genest Bouillé, 6 juillet 2019

De Mariette… au litre en carton

Vous n’avez pas connu Mariette? Bien sûr que non, c’était la vache de mon grand-père! Jadis, il n’était pas rare de voir des gens qui, bien que n’étant pas agriculteurs, possédaient quelques animaux, soit une vache, un cochon, un cheval et parfois aussi des poules. Du moment qu’ils avaient un bout de terrain suffisamment grand et un « bâtiment » qui pouvait loger l’étable et le poulailler, ça suffisait. Du vivant de son épouse Blanche Paquin, mon grand-père, Edmond Petit le cordonnier, que tout le monde appelait « le Père Tom », avait une vache qu’il faisait paître sur le terrain qu’il possédait en bas de la côte, près de la grève. Il avait aussi des poules et un cochon, lequel disparaissait en décembre, pour revenir sur la table sous forme de rôti, boudin, cretons et autre boustifaille.

Blanche et Tom.

Blanche, ma grand-mère, qui était en même temps la cousine de son mari, avait coutume de donner des prénoms aux animaux qui faisaient partie de la famille. Ainsi, la vache – qui n’était pas toujours la même d’année en année – s’appelait invariablement Mariette, comme la chatte, qui avait pour prénom Henriette, quelle que soit sa couleur. Blanche avait un vocabulaire bien à elle, ainsi, elle faisait un dessert qu’elle appelait « des poulets à la rhubarbe ». C’est un des plus lointains souvenirs que j’ai de ma grand-mère; je croyais alors dur comme fer, que je mangeais des petits poulets cuits avec de la rhubarbe. Cette recette était tout simplement ce qu’on appelle des «  grands-pères ». Et que dire de ces dictons qu’elle nous rappelait à tout propos: « Le soleil se couche dans l’eau, il va mouiller. » « Mets pas ton chapeau sur le lit, c’est de la badluck » « Si tu sors de la maison par la porte d’en avant, reviens pas par la porte d’en arrière, tu vas être désappointé »… Après la pluie, il était interdit d’ouvrir le parapluie dans la maison pour le faire sécher, surtout pas! Car ça ferait tomber encore de la pluie! Et combien d’autres maximes, où il était souvent question de malchance!  En plus de ses nombreuses tâches, ma grand-mère tenait les comptes de la cordonnerie, car mon grand-père oubliait souvent de noter ses heures de travail. Sauf que Blanche avait la manie de rebaptiser tout le monde, donc seuls les gens de la maison pouvaient savoir qui était « Le grand Jésus de tôle » ou « Madame Pâté aux patates ». Mes tantes qui vivaient dans la même maison que mes grands-parents, avaient hérité de cette coutume d’affubler les gens de leur connaissance de noms plus ou moins gracieux. Ainsi, nous avons eu un certain temps un curé qu’on appelait « Monsieur le curé Tarte aux cerises ».  On a du Petit ou on n’en n’a pas!

Même si elle donnait des noms à tout le monde, y compris les membres de la famille, ma grand-mère n’était pas une femme joyeuse. Tout d’abord, il faut dire qu’elle travaillait  d’une étoile à l’autre. Toute menue, dotée d’un tempérament nerveux, elle mangeait et dormait très peu et elle s’inquiétait à propos de tout.  Prenant grand soin de préserver son fragile teint de rousse, elle portait été comme hiver des robes boutonnées jusqu’au cou avec des manches longues. Elle adorait son jardin et pour y travailler, elle mettait des vieux gants pour ne pas abîmer ses mains. Je n’ai jamais su de quel mal elle souffrait;  je sais seulement qu’elle est décédée à 74 ans après une longue maladie.

Après le décès de sa Blanche mon grand-père, qui avait déjà 83 ans, s’est débarrassé des animaux. Comme on dit, il avait pris un coup de vieux! C’était le début des années 50, il avait de moins en moins d’ouvrage; les chaussures s’avéraient moins résistantes, mais aussi difficilement réparables, étant le plus souvent fabriquées de cuir synthétique. La mode pour les femmes était alors aux souliers à bout pointu et à talons aiguilles… impossible d’y poser des fers, ou une nouvelle semelle. La boutique de cordonnerie était devenue surtout le lieu de rencontre des vieux amis du Père Tom : Ulric Gignac, qui a vécu au-delà de 100 ans et le voisin Narcisse Naud, qu’on appelait « le Père Nono ».  Edmond est allé rejoindre Blanche en novembre 1955, il avait 87 ans.

La boutique du cordonnier…

Adieu poules, vaches et cochon! Désormais, on achetait la viande chez le boucher et le lait, du laitier. Je me souviens du tintement des pièces de monnaies dans la pinte vide qu’on déposait sur la galerie et aussi de la bouteille pleine de lait qu’on recevait en retour, avec une bonne couche de crème sur le dessus. De temps à autre, Maman se dépêchait de ramasser précieusement cette crème épaisse et de l’utiliser pour faire son sucre à la crème. Maintenant, les supermarchés nous vendent des cartons d’un demi-litre pour la crème, qui est étiquetée « à fouetter », « à cuire » ou à je ne sais trop quoi encore… et des litres en carton pour le lait, à 1% ou 2% de gras.  Et pour finir mon histoire sur une note joyeuse, j’ajouterai que le clos où paissait Mariette est devenu une zone résidentielle où demeurent des gens qui sont sans doute très heureux de vivre ainsi tout près du fleuve.

© Madeleine Genest Bouillé, 13 avril 2019

Jeux d’hiver 2

 Même s’il a commencé tôt,  j’ai bien l’impression que  cet hiver n’a pas envie de lâcher prise, il faudra  s’y résigner! Je me rappelle, quand on était jeunes, on ne la trouvait jamais trop longue cette saison! On s’amusait avec peu de choses. Notre vieille route, qui s’appelait encore «  la route à Morin »,  longeait un côteau, pas bien gros, juste assez pour qu’on y glisse avec tout ce qui nous tombait sous la main.  C’était cette même côte, à l’ombre du gros orme où, en été, on jouait à «  En bas de la ville »… Elle n’existe plus, on a rempli le champ marécageux  où parfois, les soirs d’hiver,  quand on ne se couchait pas à «  l’heure des poules », on pouvait voir rôder furtivement un renard; si je me souviens  bien, quelqu’un dans le coin possédait un poulailler… Enfin, un bon jour, le propriétaire de ce terrain inutile y a construit quelques maisons.

Mon frère Roger et son petit traîneau…

On avait une belle variété de «  jeux d’hiver ». Pendant que les grandes personnes faisaient du ski de fond dans les champs ou qu’elles évoluaient sur la patinoire du village, nous on glissait sur les pentes de notre côteau. Traînes sauvages, traîneaux, cartons, tout était bon; c’était bien avant les « crazy carpets ». Mes grands frères  avaient aussi  confectionné des «  traînes-fesses », qu’on appelait aussi «  branle-cul » Ce bolide était fabriqué  à partir d’un vieux ski coupé sur lequel on avait cloué une  bûche d’environ 2 pieds  de hauteur et sur cette bûche on avait fixé  une planche faisant office de siège. Ça marchait, ou plutôt, ça glissait! Cet engin n’était pas exempt de risques; la moindre bosse dans la côte nous faisait basculer, alors que le «  traîne-fesse » poursuivait sa route! Mais comme pour tous les sports, il y avait des «  pros » qui ne tombaient jamais ou presque jamais. Pour les plus jeunes, il y avait le petit traîneau sur lequel on avait cloué solidement une «  boîte à beurre » en bois. Un plus grand était alors désigné pour  faire la promenade. Même s’il manquait d’élégance, ce traîneau était solide et il devait sûrement être confortable puisque mon petit frère ne s’en plaignait jamais.  Il n’y a pas à dire, on était inventif à cette époque!

La rue Johnson enneigée en 1961 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Quand la neige était «  mottante », comme on disait dans le temps, aucun plaisir n’égalait celui  de construire un beau bonhomme de neige. Sauf peut-être celui de faire une bataille de «  mottes » de neige… Même si parfois ça tournait mal; mais ça, généralement, c’était quand les grands s’en mêlaient.  On avait construit un fort qu’on retapait à chaque bordée de neige; rendu au mois de mars, il était impressionnant! Mais voilà! La bagarre prenait entre ceux qui étaient à l’intérieur du fort – les plus jeunes – et ceux qui voulaient y entrer – les «  grands ». Habituellement, les jeux cessaient quand on se faisait rappeler que les devoirs n’étaient pas faits. Même si on tentait de négocier encore quelques minutes, ça ne marchait jamais!

Avec Colette et Madeleine, 1948 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Parlons de la pêche sur le fleuve! Quand la glace était prise solidement, aux environs du quai il y avait parfois une bonne quinzaine de cabanes, peut-être plus. Et ça pêchait! Quand on partait pour «  faire la marée », il fallait d’abord être  chaudement vêtu, surtout pour la marée de nuit; sur le fleuve, le vent vient de loin!  Le traîneau était chargé : du bois de poêle,  du foie pour appâter les lignes,  et plein d’autres accessoires, surtout un bon lunch et un «  petit remontant », quand même, dans la cabane à pêche, dès qu’on était un peu loin du poêle, c’était pas chaud!  Je n’oublierai jamais les froides nuits de pleine lune, quand on revenait, le traîneau  chargé cette fois, de  «  petites morues », comme on appelait alors  le  petit poisson des chenaux.  Il y avait quelque chose   de fantastique dans cette  randonnée sous le ciel étoilé,  avec  la glace qui craquait sous l’effet de la marée.    Vraiment, c’est quelque chose d’inoubliable!

De tout temps, il y a eu des jeux d’hiver  pour les adultes autant que pour les enfants.  Sur la patinoire de l’O.T.J. il y avait des joutes  de hockey et vers la fin des années 50, on a découvert le ballon-balai.  En plus des équipes de gars, il y avait aussi des équipes de filles. Parmi celles-ci  on retrouvait d’excellentes joueuses; entre autres, ma tante Gisèle, qui jouait à la défense. Quand elle était sur la glace, personne ne passait!  Ce sport avait l’avantage  de ne pas être dispendieux, du moins au début.  On faisait le tour du voisinage pour ramasser tous les vieux balais qu’on pouvait trouver; après les avoir coupés, on les enroulait de «  tape à hockey » et comme on dit : «  Ça faisait la job! »  Au début, garçons et filles jouaient chaussés de bottes d’hiver ou de « claques ». Ensuite, on eut l’idée de coller des morceaux de «  styrofoam » en dessous de simples espadrilles. Enfin ce sport devint lui aussi «  organisé », les joueurs et joueuses étaient alors .équipés de chaussures adaptées et de casques protecteurs, car ça peut frapper fort un ballon gelé!

Ballon-balai fin des années 60 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Évidemment l’O.T.J., comme tous les organismes bénévoles, devait faire des activités de financement. Chaque hiver, il y avait donc un carnaval, avec des duchesses commanditées par l’une ou l’autre entreprise locale.  Chaque  duchesse avait un lot de billets à vendre et le soir du couronnement, la demoiselle qui avait vendu le plus de billets devenait pour   une fin de semaine, la Reine du Carnaval!  Pour faire une belle histoire, j’ajoute ceci; une certaine  année, un   intendant  eut le coup de foudre pour sa duchesse.  Ce sont des choses qui arrivent! Comme dans les contes de fées, celle-ci fut élue reine! Après le carnaval ils ont continué de se fréquenter …si bien qu’après  quelque temps, ils se sont mariés!

Vraiment, les jeux d’hiver du temps de ma jeunesse n’avaient rien à envier aux jeux d’été!

© Madeleine Genest Bouillé, 19 février 2019

Cabanes à pêche sur le fleuve, 1977 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Quand le quotidien se vivait au rythme de l’année liturgique

Aujourd’hui 25 novembre, c’est le dernier dimanche de l’année liturgique. Le « thanksgiving », le « black Friday »? Jadis on ne connaissait pas ça. Comme je l’ai écrit déjà, nous commencions le mois de novembre par la fête de tous les saints, le 1er et le lendemain, c’était le « jour des morts ».  Ce n’était pas vraiment le temps de danser des rigodons!

Le 25 novembre, c’était d’abord la fête de sainte Catherine, qui pour nous était surtout la fête des « vieilles filles ».  Quel rapport avec Catherine d’Alexandrie qui fut décapitée à cause de sa foi au Xe siècle? Je ne saurais vous le dire. Je me souviens que le Cercle des Fermières fêtait la Sainte-Catherine, avec l’inévitable tire à la mélasse, en souvenir de Marguerite Bourgeois qui, paraît-il, utilisait ce stratagème pour amadouer les jeunes amérindiennes. Albert Larieu, un français venu vivre au Québec de 1917 à 1922 et qu’on appelait le « chantre des us et coutumes », a écrit une chanson intitulée La Tire qu’on retrouve dans un des cahiers de La Bonne Chanson. Quand j’étais étudiante et que le 25 novembre était un jour de classe, mère Saint-Fortunat, la cuisinière du couvent, faisait aussi pour cette occasion la délicieuse tire qu’on étirait tant et plus et qui nous collait aux doigts. Mais quel délice!

Quand, comme aujourd’hui, le 25 novembre tombe un dimanche, on oublie un peu Catherine et on fête le Christ-Roi. Les paroles du psaume de ce jour disent ainsi : « Le Seigneur est roi, il s’est vêtu de magnificence… La terre tient bon, inébranlable. Dès l’origine, ton trône tient bon ». À la fin de la messe, aujourd’hui, nous avons chanté le beau vieux cantique en latin Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat. De plus, tout au long de cette dernière semaine de l’année liturgique, les lectures de l’Apocalypse de saint Jean nous font réfléchir à notre fin dernière. Quand l’apôtre Jean raconte ce qu’il a vu et entendu, ça m’amène à penser aux débordements de la nature qui surviennent maintenant dans toutes les zones de notre vieille terre…

Dimanche prochain, le 2 décembre, ce sera donc le premier dimanche de l’Avent. Dans le quotidien, l’avant Noël prend beaucoup plus de place que l’Avent tout court; dans mon enfance, c’était l’inverse! Maintenant, très tôt, on s’affaire aux décorations extérieures. On en profite quand la température est encore clémente et on veut que ce soit plus beau d’année en année!  Et puis, la voisine a ajouté de nouvelles illuminations… il ne faut pas être en reste! Dans ma jeunesse, à la campagne, il n’y avait que les magasins qui arboraient des décorations lumineuses, pas beaucoup, mais c’était invitant! Chez nous, on commençait à peine à mettre une couronne sur la porte de la maison et on trouvait cela bien beau! Évidemment, on ne décorait pas avant les derniers jours précédant Noël. Pour ce qui est du sapin, on allait le couper quelque part dans le bois, vers le 20 décembre et il était décoré dans la soirée du 24 décembre. C’était donc une surprise pour les enfants, quand on nous réveillait pour la messe de minuit… l’arbre de Noël  tout garni, la crèche où on venait de déposer le petit Jésus et les présents étalés sous l’arbre. Quelles merveilleuses images, quels souvenirs impérissables!

L’Avent était un temps de pénitence; que voilà un mot tombé en désuétude! Au couvent, les religieuses nous incitaient à faire de petits sacrifices pour « faire plaisir » au petit Jésus. Je vous ai parlé déjà du calendrier de l’Avent que nous avions fabriqué une année; sur une feuille quadrillée où on avait tracé une crèche, chaque carré correspondait au nombre de jours avant Noël. Quand nous avions bien travaillé, fait nos devoirs et appris nos leçons, nous pouvions colorier les carrés. La notion de mérite était toujours très présente. Maintenant, on achète aux enfants des calendriers de l’Avent, remplis de sucreries, qu’ils dégustent un jour à la fois, alors que dans mon enfance, on nous incitait à nous priver de bonbons durant cette période précédant Noël… autre temps, autres mœurs!

Quand j’étais dans les « petites classes », celles qui étaient situées au troisième étage du couvent, je croyais plus ou moins au Père Noël.  Même si, une année, je lui avais écrit et que j’avais reçu les cadeaux demandés, je n’étais pas certaine… Il y avait bien la fois où je l’avais vu en personne au Magasin de la Compagnie Paquet à Québec, mais il faut croire que le personnage n’était sans doute pas assez convaincant! Comme la plupart des enfants, je faisais une liste de cadeaux, mais à l’époque, nous n’étions jamais assurés de recevoir les présents que nous avions demandés. Il faut dire que la liste de cadeaux, ce n’était pas une commande… c’était seulement la liste de nos espoirs!

Il est vrai de dire que le quotidien se vivait au rythme du calendrier liturgique. Au temps d’hier, toutes les grandes fêtes commençaient par une messe; Noël, avec sa messe de Minuit, le Jour de l’An, où après la grand’messe, Papa nous donnait sa bénédiction. À la fête des Rois, nous avions hâte d’aller voir la crèche après la messe, car on y avait installé les Rois Mages et chaque année, pour nous, c’était nouveau; on avait hâte de les voir! Il y avait bien sûr le gâteau des Rois avec le pois et la fève… mais la joie de cette journée était quelque peu atténuée du fait que papa devait retourner à Montréal, et souvent, l’école recommençait dès le lendemain!

Sauf pour les grandes vacances d’été, nos congés scolaires étaient reliés aux fêtes religieuses. Nous avions aussi congé le jour de notre Confirmation, ainsi que lors de la Communion solennelle. Pour le temps des Fêtes, l’école finissait vers le 21 décembre pour ne recommencer qu’après les Rois, puisqu’il y avait trois fêtes religieuses. Le congé de Pâques, comprenait les jeudi, vendredi et samedi saints, ainsi que le lundi de Pâques.  Les seules fêtes civiles chômées étaient la Fête du Travail – souvent, les classes n’étaient pas encore commencées –, le lundi de Pâques et la Saint-Jean-Baptiste, où les cours étaient terminés. L’Action de Grâces a été instituée au Canada à la fin des années 50.

Nos dimanches et jours de fête se passaient entre le Gloria in excelsis Deo et l’Alleluia pascal!

© Madeleine Genest Bouillé, 26 novembre 2018

Ça se passait de même dans le bon vieux temps – 2e partie

Ah! la mode! On affiche notre âge à la façon dont on s’habille! Après mûre réflexion, j’en suis venue à la conclusion que l’automne est maintenant une saison qu’on hésite à accueillir. On dirait qu’on ne l’aime pas… Je remarque qu’on porte maintenant nos vêtements d’été tant qu’on ne gèle pas tout rond! Alors, parce qu’on ne peut pas faire autrement, on se décide à porter des vêtements qui couvre plus, qui sont plus chauds, plus adaptés à la saison. Mais on mélange tout; tenez, en fin septembre, quand les jours ont enfin commencé à rafraîchir, j’ai vu des jeunes filles et des moins jeunes, portant encore un pantalon court avec  un gros chandail, des bas de laine et des chaussures sport. Et le pire – c’est pas croyable! –, la mode a ramené les immortelles chaussettes de laine grise avec des rayures rouges… Des bas de bûcherons que les filles portent fièrement! J’en reviens toujours pas! Ah! oui, vraiment, autre temps, autres mœurs!

« Ça se passait pas de même dans le bon vieux temps! » Oh non! Au milieu d’août, on rangeait les chapeaux d’été, les souliers blancs, les robes-soleil; la mode le voulait ainsi.  Quand mon frère s’est marié, le 8 août en 1964, il faisait chaud comme c’est souvent le cas à cette date. Mais toutes les femmes présentes au mariage portaient un chapeau en velours noir ou en plumes d’une couleur assortie à la robe de soie brochée, de velours ou de lainage. Évidemment, on avait rangé les souliers blancs et les sandales… ça faisait « colon » ou « habitant »; les femmes de la ville disaient « ça fait campagne ». En matière de mode, ces mots ne faisaient pas référence à nos valeureux ancêtres, ça signifiait seulement qu’on n’était pas au courant de ce qui devait se porter pour être « up to date »! Impensable, puisque dans presque toutes les familles, on recevait les catalogues de chez Eaton, Simpson’s ou Dupuis Frères; on n’avait aucune excuse à ne pas suivre le courant, donc on le suivait.

Si je retourne en arrière, mais là, très en arrière… quand j’étais enfant, on n’était pas riche, mais notre mère avait à cœur que ses enfants ne soient pas « habillés comme la chienne à Jacques ». Tout d’abord, la robe noire que je portais tout au long de l’année scolaire me donnait le goût de me vêtir autrement à la maison, surtout le dimanche.  Même si bien souvent je portais des vêtements qui avaient appartenus à ma sœur, maman les avait patiemment refaits et ajustés à ma taille. La plupart du temps, pour les robes, habituellement cousues à la maison, on faisait un bord assez large pour rallonger le vêtement une ou deux fois. Quand on ne le pouvait plus, on posait un « rossignol », c’est-à-dire, une bande d’étoffe qu’on insérait entre la taille et le corsage. La robe était bonne pour une saison de plus. Les garçons qui grandissaient trop vite se retrouvaient bientôt avec « les culottes à mer haute ». Ils n’aimaient pas bien ça, car ils se faisaient étriver par les plus grands qui leur demandaient : « Y a t-y de l’eau dans la cave chez vous? ».  

« Ça se passait de même dans le temps… » et aussi dans la cuisine! Jadis, cuisiner était le travail qui prenait la plus grande partie du temps des ménagères. Il n’existait pas de cuisine rapide, pas de surgelés, pas d’autres conserves que celles qui étaient faites à la maison. Sitôt la vaisselle du  déjeuner lavée et essuyée, on partait la soupe pour le dîner. Et ça n’arrêtait pas! Les recettes de nos mères avaient leur franc-parler!  De la « soupe à l’ivrogne », au « bœuf du rang 3 », en passant par le « jambon du nordet » et les « œufs dans le purgatoire », on avait « la truite de la visite des États », qui n’était pas piquée des vers, et les indispensables binnes, plôrines, cipâtes et gibelottes, sans oublier les cochonnailles qui se faisaient en décembre quand on tuait le cochon et qu’on préparait la boustifaille des Fêtes. Ah! la popote du temps des Fêtes! Rien qu’à l’évoquer, on en a l’eau à la bouche: ragoût de pattes, tourtières, tartes à la « farlouche », au sucre ou aux pommes, beignes et croquignoles… Sans oublier les petites douceurs : le sucre à la crème, le fudge à l’érable et surtout le gâteau froid, fait avec des biscuits Village écrasés, du sucre en poudre, du cacao et des cerises confites. C’était ma friandise préférée.

Ma grand-mère qui avait toujours des appellations pas comme tout le monde, faisait un dessert qu’elle appelait des « poulets à la rhubarbe »; c’était un dessert d’été bien entendu, mais dans mon souvenir c’était quelque chose d’extraordinaire! J’ai su plus tard que ce qu’elle nommait ainsi était tout simplement des « grands-pères ». Mais j’étais très jeune alors et j’étais persuadée de manger des petits poulets, cuits avec de la rhubarbe. Évidemment, après les Fêtes et les Jours-Gras, venait le Carême dont j’ai parlé dans la première partie de ce « Grain de sel ».  À l’époque, ils étaient nombreux les jours « sans viande ». Il n’y avait pas que chez Séraphin Poudrier qu’on mangeait des galettes de sarrazin. Dans le même genre, on avait les galettes aux patates, qu’on mangeait toutes chaudes avec du beurre, puis ensuite avec de la mélasse ou du sirop d’érable. Une chose était certaine, il était inutile de « farfiner », et de lever le nez sur l’un ou l’autre plat, la consigne était « tu manges ce qu’il y a dans ton assiette, ou tu vas te coucher ». Maman n’était pas une mère sévère… finalement, plutôt que de laisser un enfant aller dormir le ventre vide, elle passait en douce une « beurrée de beurre de pinottes » au jeune récalcitrant!

Les ménagères cuisinaient de manière à ne pas « jeter les choux gras ». Gaspiller la nourriture, ça ne se faisait pas.  Par exemple, les restes du rôti de bœuf du dimanche midi servis sous forme de ragoût, de hachis ou de pâté, agrémentés de légumes, surtout de patates et d’oignons, nourriraient la famille pour plusieurs repas. Ah! les patates et les oignons! Qu’aurait-on fait sans eux? Le vendredi étant un jour maigre, c’est-à-dire sans viande, le poisson était à l’honneur. Durant la saison de la pêche aux petits poissons sur le fleuve, quand on avait fait « une bonne marée », on se régalait de cette manne qui ne durait qu’un temps! Ensuite? Eh bien, on mangeait des crêpes, une omelette ou un « chiard blanc », fait de patates et d’oignons fricassés dans une sauce blanche. Une expression en usage disait que le vendredi c’est « le jour où le ventre nous retire ». 

Enfin, d’une saison à l’autre, « ça se passait de même dans le bon vieux temps »!

©Madeleine Genest Bouillé, 20 octobre 2018

Novembre, le mois des défunts

Novembre, c’était jadis le mois consacré aux défunts. D’emblée, on entrait dans le vif du sujet dès le premier jour, fête de la Toussaint. Comme son nom l’indique, c’est la fête de tous les saints, autant les inconnus que ceux qui ont leur nom sur le calendrier. Et le lendemain, 2 novembre, c’était le Jour des Morts; ce qui voulait dire, la messe obligatoire deux jours de suite; pour cette raison, nous avions congé d’école ces deux jours. Quelle qu’en soit la raison, un congé, c’est un congé et c’est toujours bienvenu. Donc, ce jour réservé aux défunts de la paroisse, l’église était parée des ornements noirs comme pour un service de première classe. Parce qu’il faut tout d’abord que je vous dise que jusque dans les années 60 ou un peu avant, il y avait trois catégories de funérailles. Pour la « Première Classe », l’église était tendue d’ornements noirs jusqu’aux fenêtres; on sortait les candélabres qui encadraient à cette époque le catafalque revêtu de son drap noir imprimé de larmes blanches. La chorale des hommes chantait le Dies Irae, Dies Illa… c’était funèbre à souhait. Et ça coûtait plus cher! Pour les funérailles de 2e classe, il y avait un peu moins de tentures noires et on ne bouchait pas les fenêtres. Je ne suis pas certaine qu’on mettait le drap très funèbre, la chorale chantait évidemment, mais peut-être un peu moins et moins fort… vraiment, je ne m’en souviens pas. Pour les funérailles de 3e classe, on plaçait un chandelier de chaque côté du catafalque, il n’y avait pas d’autres ornements noirs que ceux portés par le célébrant et je ne me souviens pas s’il y avait du chant. Madame Blandine jouait de l’orgue, de cela, j’en suis certaine, pour elle tous les paroissiens étaient égaux!

Les « anges frileux »
Dans le rituel catholique, en plus des célébrations, il y a tout ce qui entoure le Champ des morts. À commencer par les anges du Jugement dernier. Chez nous, jusque vers la moitié du XXe siècle, ces anges, qui étaient l’œuvre du sculpteur Louis Jobin, étaient installés sur les piliers qui encadrent l’entrée du cimetière. Un de ces personnages célestes tenant la balance de nos bons et de nos mauvais coups, tandis que l’autre joue de la trompette pour guider les « bons », vers le sentier du paradis. Faites de bois en 1892, ces œuvres d’art étaient évidemment devenues « frileuses »! C’est pourquoi on a décidé de les installer à l’arrière de l’église pour les préserver. Dans les années 80, mon frère Claude, décédé en 1988, avait travaillé à la restauration de ces statues; c’était, comme tout ce qu’il faisait, du travail minutieux! Pour commémorer le 300e anniversaire de la paroisse Saint-Joseph de Deschambault en 2013, deux nouveaux anges en aluminium, de facture moderne, œuvre du sculpteur Éric Lapointe, un artiste local, gardent maintenant l’entrée du cimetière. Mais voilà! Pour les regarder, il faut jouer un peu à cache-cache. Mais le jeu en vaut la chandelle!

Le cimetière des « enfants morts sans baptême »
Si vous allez au Vestiaire du Couvent, vous prenez l’allée qui conduit à l’entrée de cette pièce qui était jadis justement le vestiaire des élèves externes et qui fait face au mur du cimetière. À peu près vis-à-vis de la porte, vous voyez une ouverture qui adopte la forme des anciennes tombes. Dans mon enfance, j’avais peur de tout, y compris des morts, je n’aimais donc pas cette fenêtre découpée dans la muraille! Jadis, cette portion du cimetière n’était pas sacralisée. C’était l’endroit où en enterrait les enfants morts sans baptême. J’oserais dire que c’est la partie obscure du rituel catholique concernant la mort. On croyait alors que si un enfant mourait sans avoir été au moins ondoyé, son âme s’en allait dans les Limbes, un endroit neutre et intermédiaire, où les âmes étaient censées demeurer jusqu’au Jugement Dernier. Le concept de « Limbes » a été aboli définitivement en 2007. À ce même endroit, on enterrait aussi les suicidés et les étrangers dont on ignorait la religion. Selon ce que racontait ma mère, comme plusieurs autres coutumes, cela dépendait bien un peu de l’ouverture d’esprit du curé de la paroisse.  Graduellement, au cours des années 50, le refus d’enterrer les personnes suicidées dans le cimetière béni est devenu facultatif, selon que la personne était dépressive ou souffrait d’une autre maladie « de la tête », comme on disait alors. J’ignore en quelle année on a réuni cette parcelle de terrain au reste du cimetière; on y trouve maintenant des stèles attestant l’inhumation de plusieurs personnes à cet endroit qui fut certes dûment consacré.

La « chapelle voyageuse »
Connaissez-vous la petite chapelle dédiée à Saint-Antoine? Peut-être bien que non! Cette « chapelle voyageuse » fut érigée en 1907 sur un terrain situé juste à l’endroit où l’on entre dans la rue Janelle. Sur une photo ancienne, la chapelle est encadrée de magnifiques arbres, peut-être des chênes, je ne sais plus. Lors de la procession de la Fête-Dieu, on s’y arrêtait parfois pour une prière. Quand on a ouvert la nouvelle rue, il fallait bien déménager la chapelle, quelqu’un eut alors l’idée de la placer dans le fond du cimetière où elle servirait de charnier. L’idée était bonne. Mais la chapelle ainsi retirée était la proie des vandales, de plus, elle ne rajeunissait pas; elle aurait eu besoin de rénovations et comme on sait, les Fabriques étaient, sont et seront sans doute presque toujours à court d’argent! La petite construction a été vendue et déménagée près du fleuve, dans le bas du village… Elle y est toujours. Dans quel état?  Je ne sais pas… car si « les voyages forment la jeunesse », souvent, ils « maganent » un peu ou beaucoup la vieillesse!

Voilà! Passez un beau mois de novembre et préparez-vous à l’hiver!

© Madeleine Genest Bouillé, 3 novembre 2018