« Derrière les volets, de ma petite ville,
Des vieilles en bonnets, vivent tout doucement.
Et comme un chapelet, entre leurs mains dociles
Les mois et les saisons, s’égrènent lentement.
Quand l’Angelus du soir, troublera l’air tranquille
Elles se signeront, et sans faire de bruit
Elles enfermeront le silence et la nuit
Derrière les volets de ma petite ville. »
Derrière les volets : Quelle belle chanson! Maman la chantait et je l’écoutais comme on écoute une histoire. Parce que les paroles de cette chanson de Jean Lumière racontent vraiment la vie dans une petite ville… ou si vous aimez mieux, un village. De nos jours, les vieilles ont l’air plus jeunes, n’ayant plus de bonnets ni de fichu noir sur les épaules. J’ai aussi l’impression qu’avec la vie trépidante d’aujourd’hui, les mois et les saisons s’égrènent beaucoup plus vite. Elles sont tellement occupées, ces dames! Au clocher de notre vieille église, on ne sonne plus l’Angelus, et je trouve ça bien dommage. Au moins, j’ai la chance d’avoir l’église de Lotbinière, en face de chez nous, juste de l’autre côté du fleuve, et parfois, le vent m’apporte le son de l’Angelus du midi.
1er couplet :
« Dans la petite rue, de ma petite ville,
De l’aurore à la nuit les volets des maisons,
Restent à demi clos et des vieilles tranquilles
Derrière ces volets depuis tant de saisons
Écoutent s’écouler des heures si pareilles
En tricotant leurs bas, ou disant leurs Aves.
Sans même se pencher, rien qu’en tendant l’oreille,
Elles savent le pas qui frappe le pavé. »
Certaines de nos « vieilles pas si vieilles » tricotent et cousent encore, et c’est tant mieux! J’en connais qui font de très beaux ouvrages « de dames », comme on disait dans le temps. Chaque année, au marché aux puces, on retrouve des centres de table crochetés, ou brodés, des lavettes de vaisselle presque trop jolies pour être utilisées comme telles. On y trouve aussi des poignées pour les chaudrons, des essuie-mains assortis et des tabliers quasiment trop beaux pour être portés autrement que « pour la visite ». Je ne sais pas s’il y en a encore beaucoup qui égrènent des Aves en travaillant. Peut-être qu’elles regardent plutôt leurs émissions de télévision préférées, surtout les éternelles Histoires des Pays d’en haut, avec une Donalda vêtue comme les dames de la chanson qui se poursuit comme ceci :
«… Car depuis des années, on entend la laitière
Toujours à la même heure, arriver le matin.
Et Monsieur le Curé, sortir du presbytère
Tandis que dans la rue, s’ouvrent les magasins… »
Ah! le bon temps où le matin était salué par le bruit des sous tintant dans les bouteilles de lait vides, déposées près de la porte, et qui attendaient bien sagement d’être remplacées par des bouteilles pleines! Ensuite, c’était le boulanger qui faisait sa tournée; et le boucher, qui livrait aussi les blocs de glace qu’on plaçait dans la glacière. Toutes ces visites accompagnées des « clac-cloc » des sabots des chevaux, attelés aux voitures des multiples marchands. Dans ma lointaine enfance, quand je partais pour l’école, je me faisais toute petite sur le trottoir qui longeait la route où il y avait toujours un cheval arrêté attendant son conducteur qui piquait une jasette ici et là… et moi qui avais peur des chevaux !
2e couplet :
« Et plus tard, quand lassée de gaspiller ma vie,
Je laisserai mon cœur écouter ma raison,
J’irai me reposer, sans regrets, sans envies,
Derrière les volets de ma vieille maison.
J’aurai beaucoup appris, ayant des cheveux blancs.
Je me dirai : la vie dépend de tant de choses
Qu’aux fautes du prochain, il faut être indulgent.
Avec moi, les enfants pourront tout se permettre,
Je serai faible et bonne avec les amoureux
Et je leur sourirai, le soir de ma fenêtre
Songeant au bon vieux temps où je faisais comme eux! »
Ce couplet est magnifique! Effectivement, « la vie dépend de tant de choses, qu’aux fautes du prochain, il faut être indulgent ». On devrait répéter cela chaque jour, comme une oraison.
Dernier refrain :
« Derrière les volets, de ma petite ville
Un jour je reviendrai vivre tout doucement.
Et je me souviendrai d’histoires puériles
Que je raconterai à mes petits-enfants.
Quand l’Angelus du soir troublera l’air tranquille
Je m’enfermerai seule, avec mes souvenirs.
Puis un jour doucement, me laisserai mourir
Derrière les volets, de ma petite ville. »
Que dire de plus? C’est vraiment une des chansons les mieux écrites que je connaisse… et je la sais par cœur!
© Madeleine Genest Bouillé, 6 octobre 201