« Filez, filez, ô mon navire… »

De nos jours, les bateaux sont énormes. Qu’ils transportent des conteneurs ou des croisiéristes, ils sont de plus en plus gros. Comme beaucoup de gens qui vivent sur le bord du fleuve, j’aime bien regarder passer les bateaux; c’est pour moi un passe-temps agréable et pas dispendieux. Autre avantage, ils vont moins vite et sont moins bruyants que les autos et les motos. C’est pourquoi je ne m’en prive pas. Quand il fait beau, j’aime à m’assoir dehors pour regarder filer les petits et les grands navires…

Goélette "Mont Laurier" sur le fleuve, 1967 (crédit photo: Fernand Genest).

Goélette « Mont Laurier » sur le fleuve, 1967 (crédit photo: Fernand Genest).

Parfois je m’ennuie des petits bateaux de ma jeunesse. Les goélettes, qu’on appelait des « pinottes », et qui peinaient en remontant le fleuve, dans les rapides du Richelieu. Autrefois, à marée basse, certaines de ces petites embarcations en bois devaient attendre le montant pour continuer leur route. Des années plus tard, quand je suis allée à l’Île-aux-Coudres, j’ai vu plusieurs de ces goélettes à l’abandon sur la grève, quel spectacle désolant! Le film de Pierre Perreault, Les voitures d’eau, tourné en 1968, raconte la vie difficile des constructeurs de goélettes et des navigateurs de ce temps-là. Le cabotage sur ces petites embarcations était un travail exigeant et, financièrement, de moins en moins rentable au fil des ans. C’est ainsi que les goélettes ont disparu l’une après l’autre.

Le "Frankliffe Hall". Autrefois, on remettait aux marins une photo de "leur" bateau (coll. Jacques Bouillé).

Le « Frankliffe Hall ». Autrefois, on remettait aux marins une photo de « leur » bateau (coll. Jacques Bouillé).

Il ne faudrait cependant pas croire qu’il n’y avait que des petits bateaux à l’époque dont je parle. Nombreux étaient les vraquiers, qu’on appelait « barges de lac », et les pétroliers, sur lesquels travaillaient les navigateurs de Deschambault. Ces navires sillonnaient le fleuve du golfe jusqu’aux Grands Lacs. S’y retrouvaient aussi bien des jeunes de dix-huit ans à peine que des marins chevronnés et des pilotes. Certains de ces hommes de mer ont passé leur vie sur le fleuve. Quand un bateau sur lequel travaillait quelqu’un de chez nous était signalé, les femmes de marins demeurant au bord du fleuve avaient coutume de saluer le bateau avec une nappe de couleur vive qu’elles secouaient en guise d’étendard! Je revois encore mes tantes sur le bord de la côte dans la petite rue Saint-Joseph… Avec l’ouverture de la Voie Maritime du Saint-Laurent en 1959 sont apparues les barges de 700 pieds et plus. En raison de l’accroissement du transport par bateaux que favorisait cette nouvelle voie, on construisit des barges plus modernes, donc plus rentables. Quelle fierté c’était pour un navigateur quand il disait : « Là, j’embarque sur un 750 pieds! »

Publicité du "Pacifique Canadien" , dans la "Revue Populaire", 1958.

Publicité du « Pacifique Canadien » , dans la Revue Populaire, 1958.

Il y avait aussi des bateaux de croisière, lesquels, s’ils étaient moins nombreux et moins imposants que maintenant, nous faisaient quand même rêver! Chaque semaine passait un des paquebots qui faisaient la navette entre Montréal et Québec et qui se rendaient aussi jusqu’à Pointe-au-Pic et au Saguenay. Mon frère Claude a travaillé sur le Tadoussac, un des « bateaux blancs » de la Canada Steamship Lines. C’était l’âge d’or du tourisme fluvial! Parmi les gros transatlantiques qui circulaient sur le fleuve à cette époque, on remarquait les majestueux Empress du Canadien Pacifique. Des bateaux blancs, eux aussi, mais reconnaissables à leur cheminée jaune, avec un damier rouge et blanc. Je me souviens surtout de l’Empress of Canada et de l’Empress of Scotland. Peut-être y en avait-il d’autres, mais ma mémoire n’a retenu que ces deux-là. Quand la température le permettait, lorsqu’un de ces navires était signalé, on accourait pour le voir passer sur le quai ou au bord de la côte chez mon grand-père.

Comme dans tous les villages érigés sur le bord du fleuve, dans le temps, presque toutes les familles comptaient au moins un marin, et souvent plus. Les bateaux faisaient partie du décor durant toute la saison de navigation. On connaissait le nom des navires qui circulaient régulièrement, on savait leur horaire; ils faisaient partie de la famille! Les femmes des marins se téléphonaient : « As-tu vu descendre le bateau de ton mari? Hier le mien est monté… Il s’en allait à Port-Colborne. » Le fleuve faisait aussi partie de notre langage, ainsi on montait à Montréal et on descendait à Québec. On ne se préparait pas aller quelque part, on se « greyait » et on « embarquait » dans l’auto plutôt qu’y monter. Il était préférable, nous disait-on, de cuire le pain et les gâteaux à marée montante, ça levait mieux. Encore aujourd’hui, le fleuve prédit la température : quand la côte du sud se mire dans l’eau, on aura de la pluie le lendemain. Si à l’ouest, on ne distingue ni mer, ni terre… la pluie est déjà à Grondines et elle s’en vient. Quand, au vent de nordet, le fleuve déroule de longues vagues grises, le mauvais temps risque de s’installer pour quelques jours!

De tout temps, dans notre village, les bateaux qui voguent sur le fleuve ont occupé une place importante dans la vie des gens, à plus forte raison quand on avait un homme à bord. C’était tout naturel! Si, de nos jours, le nombre des navigateurs a beaucoup diminué, nous avons gardé l’habitude de regarder les navires qui filent au gré des marées, beau temps, mauvais temps!

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Le "SpruceBranch" (coll. Jacques Bouillé).

Le « Spruce Branch » (coll. Jacques Bouillé).

Des lieux où s’écrit l’histoire

Si les lieux pouvaient parler, ils raconteraient peut-être l’histoire autrement. Ils ont été témoins d’épisodes qui ont eu une incidence heureuse ou malheureuse sur ceux qui les ont vécus. J’aurais pu m’attarder sur les endroits qu’on cite habituellement, tels l’église, le couvent, le Vieux Presbytère, les Jardins du cap Lauzon ou le Moulin de La Chevrotière. J’ai préféré aller vers d’autres lieux dont on parle moins. Certains témoins de la vie de notre village tricentenaire sont disparus, d’autres subsistent malgré le temps et les exigences de la vie moderne, tandis que de nouvelles structures ont été édifiées pour remplacer ce qui n’est plus.

Descente du quai (source: Centre d'archives régional de Portneuf).

Descente du quai (source: Centre d’archives régional de Portneuf).

Voici quelques-uns de ces lieux ou édifices qui ont jalonné l’histoire de notre patelin. Allons d’abord sur le quai, lequel a été construit en 1928 pour remplacer le vieux quai de bois, qui accueillait le navire l’Étoile. Dans l’édition spéciale du bulletin municipal Le Phare, parue au mois d’août 1988, ma mère racontait ses souvenirs de l’époque où «  ce paquebot blanc, actionné par un moteur à vapeur, desservait plusieurs paroisses de Québec à Montréal, entre autres, Cap-Santé, Grondines, Lotbinière, Deschambault et bien d’autres sans doute. » Dans cet article, ma mère parlait de l’animation qui régnait aux alentours du quai quand, à marée haute, l’Étoile prenait le chenal pour venir y accoster. Les voyageurs et les promeneurs empruntaient le petit trottoir de bois qui longeait la côte chez Alfred Petit (actuellement M. Vézina) pour se rendre sur la place du quai. Dans les années cinquante, même s’il n’y avait plus de navires qui venaient accoster au quai, celui-ci avait encore ses deux gros piliers et sa cabane, qui était utilisée pour ranger chaloupes et rames. De nos jours, à marée haute durant la belle saison, le quai rénové accueille toujours les pêcheurs tandis que les flâneurs y viennent pour admirer un des plus beaux points de vue de Deschambault.

Visite de Mgr Bégin en 1918 (source: Centre d'archives régional de Portneuf).

Visite de Mgr Bégin en 1918 (source: Centre d’archives régional de Portneuf).

Du quai, on a contemplé le cap Lauzon… allons donc y faire un tour! Un petit édifice construit en 1995 nous reçoit… s’il n’est pas trop achalandé! Qu’on l’appelle gazebo ou kiosque ou autrement, il cadre bien dans ce magnifique décor. Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est que ce kiosque – je préfère cette appellation – a eu un prédécesseur, lequel était situé plus près de la « grotte » (qui n’existait pas encore). Au début du vingtième siècle, le curé du temps, Ulric Rousseau, avait fait construire ce pavillon où les prêtres venaient se reposer; tout près, on avait aménagé un jeu de croquet. Les années ont passé et le petit édicule fut abandonné. Un jour de grand vent en 1945, il tomba en bas de la falaise; il était irrécupérable. À l’époque, un sentier longeait le cap jusque derrière le couvent et un escalier rudimentaire permettait de descendre sur la grève. Il n’y a plus de pensionnaires au couvent, mais comme elles auraient aimé descendre et monter l’imposant escalier érigé en 1995!

Toujours sur le cap, un monument de pierre édifié en 1963 attire l’attention. Comme un phare, sa lumière chaque soir s’allume et s’éteint pour rappeler que Deschambault a longtemps été un village de marins. D’ailleurs, sur la pierre, on peut lire ceci : « Naviguer c’est prévoir ». Il n’y a plus de phare sur l’îlot Richelieu, ni dans le fleuve au pied des rapides, mais le monument des marins continue de veiller.

Chapelle située au fond du cimetière, autour de 1970 (crédit photo: Fernand Genest).

Chapelle située au fond du cimetière, autour de 1970 (crédit photo: Fernand Genest).

Au début de notre histoire, il est dit « qu’une première chapelle fut érigée par le seigneur de La Chevrotière, peu après 1700, près de son manoir ». (Claude Paulette, Deschambault et son patrimoine, 1990). Cette chapelle située à l’endroit appelé « cap d’Ulysse », était dédiée à saint Antoine. Deux cents ans plus tard, une chapelle votive, elle aussi dédiée à saint Antoine, fut construite près de l’ancien relais de poste, à l’endroit où maintenant s’ouvre la rue Janelle. Elle servait de reposoir lors de la procession de la Fête-Dieu jusqu’au jour où, cette pratique étant devenue désuète, on décida de déménager la chapelle au fond du cimetière. Dès lors, elle fut utilisée comme charnier durant l’hiver. Cette décision favorisait ainsi l’ouverture d’une nouvelle rue et la création d’un nouveau développement domiciliaire. Pour la chapelle, le lieu était bien choisi : saint Antoine veillerait sur nos disparus. La petite chapelle aurait pu demeurer à cet endroit, mais, quelques années plus tard, elle fut vendue et transportée près du fleuve où elle est toujours. Dans une histoire, il arrive que certaines pages soient moins heureuses que d’autres!

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Monument des marins, 2013 (crédit photo: Jean-Marie-Bouillé).

Monument des marins, 2013 (crédit photo: Linda Brouillette, coll. Comité d’Embellissement Deschambault-Grondines).

La plus belle heure de la journée

Certains disent que la plus belle heure de la journée, c’est l’aube, quand le jour est tout neuf et qu’il n’a point encore été utilisé. Quand la nature se réveille, c’est chaque jour LE premier jour!

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

D’autres préfèrent la plénitude du milieu du jour. Comme dans le conte de Barbe-Bleue, à l’heure où « le soleil poudroie et l’herbe verdoie ». Les couleurs éclatent, on dirait un décor fraîchement peint. Il ne manque qu’une affiche « peinture fraîche ».

Il y a bien sûr les amoureux de la nuit. Pas de soleil pour eux. Que des étoiles… et la lune quand elle daigne se montrer, petit à petit, car elle est pudique. Elle se dévoile par croissant… et enfin, elle se montre dans toute sa rondeur pour ensuite retourner se cacher pour un mois, en prenant son temps. Quand on aime la nuit, on l’aime sous tous ses aspects. Nuit d’été, d’automne ou d’hiver… Nuit noire, nuit bleue, nuit blanche… Nuit remplie de chuchotements, de bruissements, de soupirs… « O Nuit! Viens apporter à la terre, le calme enchantement de ton mystère. »

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Le moment de la journée que moi, je préfère, c’est la dernière heure avant la nuit. Quand la nature, lasse des bruits du jour, se repose avant de commencer son travail nocturne. Le vent tombe, les oiseaux se taisent. On se croirait au théâtre avant le lever du rideau. Les spectateurs sont installés; ils ont rangé leurs gants, leur programme, sorti leur mouchoir au cas où… Pas un bruit. La lumière change : on fait des essais d’éclairage. Le soleil baisse, il demande un nuage. Pas celui-ci, il est trop lourd… En voici un plus léger, teinté de rose. Puis il demande qu’on éteigne un peu le vert des feuillages et celui de l’herbe. Le bleu à l’horizon est très atténué. Sur le fleuve, pas une ride. Pour l’effet dramatique, c’est parfait! On baisse encore un peu la lumière… Un ultime rayon vient balayer les roses, avivant leur couleur. Elles ont gardé toute la chaleur du jour, elles resplendissent! On ne regarde qu’elles. Les secondes s’écoulent, deviennent des minutes… Pendant ce temps, lentement, solennellement, le soleil s’est éteint. Il ne reste à l’horizon qu’une traînée rose, comme un voile pour un fond de scène. Chacun retient son souffle… Dans le lointain, on entend des voix d’enfants qui chantent : « O Nuit! O laisse encore à la terre, le calme enchantement de ton mystère. »

© Madeleine Genest Bouillé, juillet 2014

Deux phares, une île

Le plus vieux des deux phares, en 1970 (photo: Fernand Genest).

Le plus vieux des deux phares, en 1970 (photo: Fernand Genest).

L’îlot Richelieu, situé dans le fleuve du côté sud du chenal des bateaux, a été pendant je ne sais combien d’années un lieu unique pour les jeunes de Deschambault en quête d’aventure! Pour les habitants de Lotbinière, l’île est facilement accessible à marée basse. Mais pour les gens d’ici, il y a le chenal à traverser et, à cet endroit, on est en plein dans le fort courant du Rapide Richelieu, ce qui rend le périple plus difficile.

L’histoire commence avec un écueil d’importance qu’on appelle la « Barre à Boulard », du nom d’un des premiers Arcand de Deschambault, qui s’appelait Arcand dit Boulard et dont la terre était située vis-à-vis cet endroit (actuellement la halte routière). Avant le creusage du chenal, la Barre à Boulard était un immense banc de pierre d’environ 1 800 pieds, qui traversait le fleuve du nord au sud. Monsieur Alexis Gauthier, ancien pilote de Deschambault, qui connaissait le fleuve comme le fond de sa poche, avait expliqué cette particularité dans le bulletin Le Phare en 1988. Il disait ceci : « Le Saint-Laurent n’était pas facile… autrefois, sur la Barre à Boulard, il y avait 27 pieds d’eau à marée basse, passé cet endroit, il y en avait 75. Et plus bas, on arrivait au « trou de Portneuf », qui lui, en avait 160. Nous avions des points de repère. En descendant le fleuve, quand on arrivait juste vis-à-vis la route à Bouillé, on commençait la Barre à Boulard. Et quand la statue de Saint Louis sur l’église de Lotbinière montrait son dos entre les deux clochers, on la terminait. » Les pilotes du Saint-Laurent connaissent tous cette partie du fleuve qu’on nomme le Rapide du Richelieu.

Il était difficile de naviguer dans le fleuve à cet endroit, donc à l’époque où on érigeait des phares, le site de l’îlot Richelieu, sur lequel Champlain avait déjà construit un fort en 1633, était l’endroit tout désigné pour recevoir une « lumière », pour parler le langage des anciens. Plus tard, le vieux phare de l’îlot Richelieu cessa d’être fonctionnel lorsqu’on construisit vers 1870, un de ces phares en bois comme on en voit tout au long du fleuve. On le trouvait majestueux, notre beau phare rouge et blanc!

Intérieur du phare de l'îlot, en 1963

Intérieur du phare de l’îlot, en 1963

Ma mère racontait que, dans sa jeunesse, il arrivait fréquemment que des jeunes gens traversent en canot jusqu’à la petite île, au gré des vents et des marées, évidemment. Plus tard, mes frères et leurs amis ont tous maintes fois effectué cette traversée jusqu’à « l’îlette », comme on disait alors. Moi-même, j’y suis allée une fois dans les années cinquante, avec un de mes grands frères. Nous pouvions entrer dans le phare, la porte n’étant pas verrouillée, et un premier escalier nous menait au deuxième étage. Ensuite, un autre plus étroit conduisait jusqu’à la tourelle. N’aimant pas particulièrement les hauteurs, je me suis contentée de monter au deuxième. L’intérieur était encore intact, les murs peints en vert pâle; aucun meuble ne subsistait. Je ne suis pas restée longtemps dans le phare… peut-être suis-je trop impressionnable, mais je n’étais pas à l’aise dans cet espace restreint, froid et désert.

Au cours de sa longue vie, le phare de l’îlot a connu des drames, tout d’abord, «…  en 1834, il a été pillé et son gardien, le capitaine Sivrac, après avoir été roué de coups, a été jeté dans la cave du phare » (Cambray et ses complices, F.-Réal Angers, 1837). Quant aux derniers occupants, un Lemay et son épouse, ils se sont noyés en 1949 dans des circonstances qui sont restées nébuleuses.

Le phare "rouge et blanc", en 1970 (photo: Fernand Genest).

Le phare « rouge et blanc », en 1970 (photo: Fernand Genest).

L’îlot Richelieu est désormais bien tranquille… Le phare a été détruit le 18 février 1971; les éléments naturels, tout autant que les multiples creusages du chenal, ont érodé les berges de l’île. À quelques encablures de là, le beau phare rouge et blanc a pour sa part été ravagé par un incendie en 1974. Sur l’île, il n’y a maintenant plus aucune trace du petit phare en pierres… et à côté, une tour tronquée, sans grâce, rappelle tristement l’élégant phare qui a jadis guidé les marins navigant dans les eaux capricieuses du Saint-Laurent.

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Les deux phares, dans un état pitoyable, autour de 1975 (photo: Fernand Genest).

Les deux phares, dans un état pitoyable, autour de 1975 (photo: Fernand Genest).

L’école est finie!

 

Année scolaire1948-1949 au couvent de Deschambault (photo tirée de l'album souvenir du centenaire du couvent en 1961.

Année scolaire1948-1949 au couvent de Deschambault (photo tirée de l’album souvenir du centenaire du couvent en 1961).

« Qui a eu cette idée folle, un jour d’inventer l’école?… C’est ce sacré Charlemagne. » Et depuis ce sacré Charlemagne, les étudiants de tout âge lancent à chaque fin d’année ces quatre mots : « L’école est finie! »

Au temps où j’étudiais au vénérable couvent des Sœurs de la Charité de Québec à Deschambault, la fin de l’année scolaire était marquée par la traditionnelle « distribution des prix ». L’évènement avait lieu le dernier après-midi d’école aux alentours du 20 juin. Quelques semaines auparavant, dans chaque classe, on avait commencé à répéter des chansons, des saynètes et quelques déclamations, lesquelles seraient présentées par les meilleurs élèves en français. Les élèves qui étudiaient le piano préparaient aussi des pièces qui seraient intercalées entre les numéros de chant ou de théâtre.

La grande salle, qui était en même temps la salle de récréation des filles pensionnaires, n’étaient séparée de la classe de musique que par deux grandes portes, qu’on ouvrait lors des fêtes et des évènements spéciaux, comme justement, la distribution des prix. Mère Saint-Jean de la Charité, la « sœur de musique », s’occupait des répétitions de chant et de théâtre et ce, en plus des exercices préparatoires aux examens de musique de ses élèves. À l’époque, on faisait beaucoup avec presque rien! Ainsi, pour la décoration de la salle et du théâtre, l’infatigable sœur composait des bouquets, faisait des banderoles et des guirlandes avec du papier crépon et tout ce qui lui tombait sous la main. Elle décorait aussi les tables sur lesquelles seraient déposées les piles de livres destinés aux élèves méritants. En plus d’être une excellente musicienne, cette religieuse avait des doigts de fée.

Enfin, le jour tant attendu était là! D’un étage à l’autre, élèves et professeurs étaient gagnés par une fébrilité qui allait croissant à mesure qu’approchait le moment pour lequel on travaillait depuis plusieurs semaines. De surcroit, pour les étudiants, s’ajoutait la hâte de savoir si on repartirait avec un, deux ou une dizaine de prix. Bien avant l’heure prévue, arrivaient les parents venus autant pour assister au spectacle que pour partager la fierté de leurs enfants… ou encore pour les soutenir si les récompenses s’avéraient moins généreuses qu’on l’aurait souhaité. Le curé, le vicaire et les notables de la paroisse faisaient ensuite leur entrée et prenaient place dans les premières rangées, avec les supérieures provinciale et générale, arrivées de Québec pour l’occasion. Enfin, les élèves des petites classes, accompagnés de leurs professeurs respectifs, s’installaient en faisant le moins de bruit possible sur les chaises placées le long du corridor; les « grandes » étant les dernières à s’asseoir avant le début de la cérémonie.

Une élève de douzième année était désignée pour souhaiter la bienvenue aux dignitaires et remercier les parents d’être venus en aussi grand nombre. Le fait est que la salle était toujours remplie à chaque fois qu’il y avait une fête, et plus encore si possible lors de la distribution des prix. Comme prévu, chaque classe présentait son numéro, le tout étant entrecoupé de pièces de musique au piano et de récitations. On nous avait inculqué l’importance d’avoir une belle présentation. Le salut était primordial : les pieds rapprochés, le droit légèrement en avant du gauche, les mains l’une dans l’autre, on pliait le buste, tout en gardant la tête levée de façon à regarder les gens. Je me souviendrai toujours de la fois où une jeune élève qui devait réciter Perrette et le pot au lait, avait amusé toute l’assistance… ou presque, et cela sans l’avoir cherché. C’était sa première prestation et elle était très nerveuse. Parvenue à la fin de la fable et ne voulant pas rater son salut, elle lança les derniers mots : « … Adieu veau, vache, cochon, couvée! » en saluant chacun des augustes personnages de la première rangée. Soulagée, elle se retira vivement sans plus attendre, sous les rires de l’assistance. Heureusement, elle n’eut pas à subir les remontrances de son professeur… c’était la fin de l’année!

Classe de musique du couvent (photo: Centre d'archives régional de Portneuf).

Classe de musique du couvent (photo: Centre d’archives régional de Portneuf).

Les chants, déclamations, pièces de musique, tous aussi bien exécutés soient-ils, devaient bien finir par faire place au moment crucial de cette journée, soit la remise des prix de fin d’année. Et commençait alors le défilé des prix prestigieux pour les premiers de classe, dans chacune des matières principales tout d’abord et ensuite, les prix honorifiques, souvent décernés par les associations locales comme la Société Saint-Jean-Baptiste, de qui j’avais reçu en 1954, le livre Contes et propos divers d’Adjutor Rivard, pour « applications à l’étude du Français », tel qu’inscrit sur la page de garde du bouquin. Plus on avançait en grade, plus les prix étaient nombreux. La table des finissantes de douzième année était imposante. Il aurait quasiment fallu leur offrir une petite brouette pour transporter leurs prix! Tant il est vrai qu’on préfère les beaux souvenirs aux mauvais, il me semble qu’au couvent, aucun élève ne repartait les mains vides lors de la distribution des prix… Peut-être que ma mémoire me joue des tours, mais je préfère croire qu’il y avait quelques prix de consolation!

Je termine sur ces mots qu’une très ancienne élève avait tracés dans l’album du Centenaire du couvent en 1961 :  « Cher vieux couvent de mon cœur, à travers les réminiscences de nos jours de formation, de nos espiègleries d’enfance, que tu nous apparais toujours beau et auréolé de perpétuelle jeunesse! »

Moi, étudiante au couvent, en 1951...

Moi, étudiante au couvent, en 1951…

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Cet été je ferai un jardin

Papa qui joue au fermier... sur la faucheuse du voisin.

Papa qui joue au fermier… sur la faucheuse du voisin.

Avant d’aller plus loin, je dois vous avouer que je n’ai pas le pouce vert, alors là, pas du tout! Chez mes parents, c’était surtout mon père qui s’occupait du jardinage. Orphelin très jeune, il avait séjourné dans plusieurs institutions où, entre autres choses, il avait appris le métier de jardinier. Pour un enfant qui a manqué de « chez-soi », posséder un bout de terrain pour y faire pousser des légumes ou des fleurs, ça doit être encore plus significatif. Je crois que cela le rendait vraiment heureux. Plus tard, quand ses problèmes de santé l’ont rendu incapable de s’occuper du jardin, c’est un de mes frères, ayant hérité de ce talent, qui prit la relève. Parfois j’aidais ma mère à cueillir les laitues, radis, concombres et autres légumes ainsi que les fines herbes quand venait le temps de la récolte. C’est tellement bon les légumes qu’on ramasse chez soi!

Il y a une quarantaine d’années, nous avons emménagé dans la maison que nous occupons toujours. On pouvait encore distinguer les contours d’un ancien potager au fond de la cour et, visiblement, il y avait déjà eu des plates-bandes en avant et sur le côté est de la maison, comme l’attestaient quelques plantes vivaces, encore présentes et même envahissantes. Cela allait de soi qu’on restaure ces espaces afin d’y planter fleurs et légumes. Je n’y connaissais pas grand-chose, les enfants étaient trop jeunes, aussi ce travail fut tout naturellement dévolu à l’homme de la maison. N’allez pas croire que le jardinage me laisse indifférente, au contraire! De temps à autre, j’aime aller sarcler. Toutefois, j’attends que les plantes atteignent une certaine hauteur pour être sûre de les reconnaître et voici pourquoi. Un des premiers étés où nous habitions chez nous, voulant faire preuve de bonne volonté, j’avais consciencieusement arraché toutes les petites pousses de carottes, croyant que c’était des mauvaises herbes! Heureusement, il était assez tôt dans la saison et on avait pu semer d’autres graines, de sorte que nous avons récolté quand même des carottes, seulement un peu plus tard. Chaque printemps, je ne résiste pas non plus à l’envie d’acheter des petites enveloppes de graines de fleurs que la plupart du temps je ne connais même pas; du moment que ce sont des graines à semer en pleine terre, ça me va. Remplie d’espoir, je sème mes petites graines comme ça vient, sans trop de méthode, et je suis toujours agréablement surprise quand ça lève. Pour moi, c’est à chaque fois un miracle!

Le résultat de nos efforts!

Le résultat de nos efforts!

Comme le disent les paroles de la chanson : « Cet été je ferai un jardin, si tu veux rester avec moi… il sera petit. » Maintenant que nous sommes la plupart du temps seulement deux à la maison et que les articulations moins souples rendent le travail plus laborieux, c’est certain que le jardin a rapetissé. Malgré tout, à chaque printemps quand mon homme me demande si on fait un jardin cette année, je réponds : « Oui, mais un tout petit ! » Il manquerait quelque chose à mon été sans les couleurs et les odeurs des plates-bandes et du potager. Les résultats ne sont pas toujours aussi bons qu’on le désirerait. Mais qu’importe si les betteraves sont trop petites ou que les plants de tomates n’ont pas donné comme on l’aurait souhaité, et qu’importe si les fleurs de la plate-bande du côté ouest sont plus chétives que celles du côté est – particularité que je n’ai jamais comprise. En vérité, aucune satisfaction n’est comparable à celle que l’on ressent quand on récolte ce qu’on a semé. Un poète l’a dit beaucoup mieux que moi : « Sois satisfait des fleurs, des fruits et même des feuilles. Si c’est dans ton jardin à toi que tu les cueilles! »

Pour continuer avec la chanson de Clémence Desrochers : « C’est certain, j’en prendrai bien soin… » Oui il faut prendre soin de ce que la nature nous donne si généreusement; on doit y mettre du temps, du travail et de l’amour évidemment. Mais si je me souviens bien, c’est de saint Joseph qu’on tient cette dernière parole : « Seul est libre celui – ou celle – qui sait se servir de ses mains. »

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Ces chansons que ma mère aimait

Mon père Julien Genest et ma mère, Jeanne Petit: tous deux adoraient la belle musique. Photo datant du début des années 40, prise devant la maison familiale, en face de l'école actuelle.

Mon père Julien Genest et ma mère, Jeanne Petit: tous deux adoraient la belle musique. Photo datant du début des années 40, prise devant la maison familiale, en face de l’école actuelle.

Du temps où elle était alerte et en bonne santé, ma mère chantonnait toujours en travaillant. Parfois, elle fredonnait des airs sans paroles, mais souvent, il s’agissait de bribes de vieilles chansons. Certaines de ces chansons se retrouvent dans un vieux livre qui date de 1931, Les Chansons de Botrel pour l’école et le foyer. Je sais que maman aimait beaucoup ce chansonnier breton qui est venu dans notre pays à quelques reprises. Parmi celles dont je me souviens, il y a l’incontournable Paimpolaise, chanson que j’ai toujours affectionnée. La plupart des chansons de Théodore Botrel parlent de femmes qui attendent leur mari, parti en mer, et qui ne revient pas. Il y a aussi des berceuses dans le même style telle Dors mon gars, qui dit ceci : « À côté de ta mère, fais ton petit dodo, sans savoir que ton père s’en est allé sur l’eau… », ou encore des complaintes comme Le tricot de laine qui raconte la triste histoire de Léna Le Morvan, tricotant un gilet de laine pour son homme qui ne reviendra pas. Les Bretons étant un peuple de pêcheurs; la mer, pas toujours clémente, prélevait régulièrement son lot de naufrages.

Maman avait un répertoire varié. Quand elle chantait le soir, en s’accompagnant au piano, je retiens surtout certains titres, dont Envoi de fleurs ou bien Ouvre tes yeux bleus ma mignonne ou encore, La neige fait mourir les roses; comme beaucoup de chansons d’autrefois, les paroles de cette dernière sont très jolies! Elle chantait aussi une très vieille chanson qui lui venait de sa mère. Sur une musique de menuet, cette chanson a pour titre L’éventail; les deux couplets sont différents, ce qui augmente le quotient de difficulté. Je n’ai malheureusement pas la partition de cette pièce; je ne sais même pas si elle existe et c’est vraiment dommage. J’aimais aussi beaucoup cette autre chanson un peu dans le style de Botrel : La plainte du mousse. Cette chanson raconte la triste histoire d’un jeune garçon qui s’engage comme mousse pour venir en aide à sa pauvre mère. Le refrain surtout me faisait presque pleurer : « Si ces gens sont mauvais, la mer est bien terrible… Ma mère qu’as-tu fait de ton pauvre petit? » En fait, les plus belles chansons étaient généralement toutes nostalgiques.

La plainte du mousse Dans les dernières années de sa vie, alors que je passais plus de temps avec elle, maman parlait volontiers de ses chanteuses et chanteurs préférés. J’ai retenu surtout le nom de Lucienne Boyer, celle qui a popularisé Parlez-moi d’amour, une chanson qui a traversé les âges sans vieillir. Par contre, certaines voix l’agaçaient prodigieusement, telle la voix de la grande Édith Piaf. Dans son langage imagé, maman disait que cette voix lui donnait envie « d’arracher la tapisserie » ! Heureusement, elle n’a jamais été jusqu’à s’attaquer aux murs de la cuisine et du salon, lesquels étaient couverts de papier peint. Car les chanteuses et chanteurs américains de ma jeunesse faisaient aussi partie des voix qu’elle exécrait. Par la suite, quelques-uns de mes frères lui ont également fait entendre des musiques pas toujours à son goût! Au cours de ses dernières années, elle me demandait de temps à autre de lui jouer des airs qu’elle aimait, dont certains chants de notre chorale locale. Ses titres préférés étaient sans contredit Tu peux pleurer Pierrot et La langue de chez nous. Tant qu’elle en a été capable, elle ne manquait jamais un concert de la chorale.

Mes parents étaient tous deux des amateurs de belle musique; dans leur jeunesse, j’aime à croire qu’ils avaient des préférences communes… Peut-être que quand Julien chantait Brise des nuits à Jeanne, celle-ci lui répondait : Parlez-moi d’amour !

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Ces chansons que mon père chantait

J’ai mentionné plus d’une fois le fait que mon père avait une très belle voix et qu’il chantait volontiers dans les réunions de famille ou tout simplement à la maison quand il en avait envie. Quand il travaillait à la Ferme-école de Deschambault, il faisait partie du chœur de chant à l’église, ce dont il était fier. Dans sa jeunesse, il avait étudié la guitare. Tout comme les plus jeunes de la famille, j’ai connu mon père alors que déjà il travaillait à Montréal et que nous le voyions seulement en visite et au cours de ses vacances. À cette époque, je ne me souviens pas de l’avoir vu jouer de la guitare. Par contre, à ma connaissance, nous avons toujours eu un piano sur lequel maman et ma grande sœur jouaient fréquemment. Plus tard, j’ai pianoté à mon tour, ainsi que l’avant-dernier de mes frères qui, parfois, nous accorde encore le plaisir de l’entendre chanter en s’accompagnant… plaisir trop rare! Nous étions très jeunes quand nous avons été entraînés à chanter dans les fêtes de famille. Je garde précieusement une cassette audio, copiée d’après un enregistrement sur ruban qui date des années cinquante. Le son est vraiment mauvais, mais c’est toujours avec une certaine émotion que j’entends la voix de mon père, celle de mes tantes, ainsi que nos voix enfantines qui chantent avec application les vieux Noëls. Sans doute est de ce temps-là que trois de mes frères et moi avons acquis le goût du chant choral.

Mon père chantait surtout des balades sentimentales, mais on lui demandait parfois un des chants patriotiques qu’on retrouve dans La Bonne Chanson. Il s’agit d’une des mélodies les plus difficiles à chanter que je connaisse; elle a pour titre : Les noms canadiens. Tout au long des cinq couplets défilent les noms des ancêtres d’une bonne partie des familles québécoises. À la fin du cinquième couplet, mon père devait être heureux d’y retrouver le patronyme de la famille de sa mère, qui s’appelait Alvine Frédénia Pelletier. Chaque fois qu’il chantait cette chanson, nous l’écoutions avec attention, nous demandant chaque fois comment il faisait pour ne pas se tromper dans tous ces noms; imaginez, chaque couplet en compte vingt-huit! Si vous avez les cahiers de La Bonne Chanson, cette chanson se trouve dans le premier cahier, à la page quatre.

Brise des nuitsParmi les mélodies que mon père chantait, celles dont je me souviens le plus et que j’affectionne particulièrement sont, tout d’abord, Serenata de Enrico Toselli, une très belle sérénade comme son nom l’indique : «Viens, le soir descend et l’heure est charmeuse… viens, toi si frileuse, la nuit déjà comme un manteau s’étend. » André Rieu en fait une magnifique interprétation au violon, avec un accompagnement de chants d’oiseaux. J’aimais bien aussi Vienne, ville d’amour, une jolie valse entraînante. Une autre chanson qui me ramène bien des années en arrière, c’est Brise des nuits. Les auteurs, P. Théolier pour les paroles et Alfred d’Hack pour la musique, me sont inconnus. J’ai souvent pensé que mon père chantait cette romance pour notre mère, à cause des paroles : « Celle que j’aimais si rieuse, a-t-elle gardé sa gaieté? Si tu la vois seule et pensive… Dis-lui que malgré les années, son nom ne s’est point effacé, de mon cœur où se sont fanées, toutes les roses du passé. Envole-toi vers cette femme, brise des nuits!… Avec mon cœur, avec mon âme, moi je te suis. » Papa était un romantique, alors quoi de mieux qu’une belle chanson pour exprimer ses sentiments!

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

La « grotte » et le Mois de Marie

Monument à la Vierge érigé en 1954 (photo datant de 1955).  © Coll. Madeleine Genest Bouillé.

Monument à la Vierge, appelé communément la « grotte » (photo datant de 1955). © Coll. Madeleine Genest Bouillé.

La « grotte » sur le cap Lauzon a été érigée en 1954, à l’occasion de l’Année Mariale. Le curé de l’époque, l’abbé Paul-Émile Laliberté, avait une grande dévotion à Marie et il tenait à l’édification de ce monument dédié à la Vierge Marie. Quand la température le permettait, certaines célébrations, comme la fête de l’Assomption, le 15 août, et parfois le Mois de Marie, se tenaient en ce lieu magnifique, face au fleuve.

Parlant du Mois de Marie… je me rappelle ces moments de prières à l’église quand nous étions jeunes. Chaque soir du mois de mai, la célébration commençait par ce cantique : « C’est le Mois de Marie, c’est le mois le plus beau. À la Vierge chérie, offrons un chant nouveau. » Quand il fait beau au mois de mai, c’est vraiment le mois le plus beau! Je ne sais pas pourquoi, mais ce mois est associé dans mon esprit à mes dernières années d’étudiante. Sans doute parce qu’avec le printemps, venait une certaine liberté. À l’époque, durant l’année scolaire, pour la plupart, nous n’avions pas la permission de flâner dehors le soir. Les devoirs et les leçons prenaient beaucoup de place. En mai, les journées plus longues nous incitaient à passer plus de temps à l’extérieur. Je pouvais donc étudier sur la galerie, en regardant passer les autos, ce qui devait être très efficace, surtout si quelques amies se joignaient à moi. Souvent, nous assistions au Mois de Marie, encouragées en cela par nos parents et par les religieuses du couvent. Sur le chemin du retour, nous prenions plus de temps qu’il n’en fallait, en faisant des détours; nous n’avions évidemment pas hâte de rentrer. Je me souviens qu’on s‘arrêtait parfois pour cueillir des lilas près du vieux presbytère; il y avait pourtant une clôture passablement haute. Je suppose que certains arbustes étaient accessibles. Voilà que mes souvenirs se précisent… nous sortons de l’église, en riant et en chantant; quelques bonnes dames pieuses nous regardent en fronçant les sourcils sous leur chapeau noir. Nous rions plus fort! Il fait merveilleusement beau, le soleil est encore haut et je tiens un bouquet de lilas… Malgré les années, son parfum embaume encore ma mémoire! Que serait la vie sans souvenirs heureux!

La

La « grotte », de nos jours… la structure de pierres tout autour a été ajoutée lors du 250e anniversaire de la paroisse en 1963.

© Madeleine Genest Bouillé, 1er mai 2015