Ces chansons que ma mère aimait

Mon père Julien Genest et ma mère, Jeanne Petit: tous deux adoraient la belle musique. Photo datant du début des années 40, prise devant la maison familiale, en face de l'école actuelle.

Mon père Julien Genest et ma mère, Jeanne Petit: tous deux adoraient la belle musique. Photo datant du début des années 40, prise devant la maison familiale, en face de l’école actuelle.

Du temps où elle était alerte et en bonne santé, ma mère chantonnait toujours en travaillant. Parfois, elle fredonnait des airs sans paroles, mais souvent, il s’agissait de bribes de vieilles chansons. Certaines de ces chansons se retrouvent dans un vieux livre qui date de 1931, Les Chansons de Botrel pour l’école et le foyer. Je sais que maman aimait beaucoup ce chansonnier breton qui est venu dans notre pays à quelques reprises. Parmi celles dont je me souviens, il y a l’incontournable Paimpolaise, chanson que j’ai toujours affectionnée. La plupart des chansons de Théodore Botrel parlent de femmes qui attendent leur mari, parti en mer, et qui ne revient pas. Il y a aussi des berceuses dans le même style telle Dors mon gars, qui dit ceci : « À côté de ta mère, fais ton petit dodo, sans savoir que ton père s’en est allé sur l’eau… », ou encore des complaintes comme Le tricot de laine qui raconte la triste histoire de Léna Le Morvan, tricotant un gilet de laine pour son homme qui ne reviendra pas. Les Bretons étant un peuple de pêcheurs; la mer, pas toujours clémente, prélevait régulièrement son lot de naufrages.

Maman avait un répertoire varié. Quand elle chantait le soir, en s’accompagnant au piano, je retiens surtout certains titres, dont Envoi de fleurs ou bien Ouvre tes yeux bleus ma mignonne ou encore, La neige fait mourir les roses; comme beaucoup de chansons d’autrefois, les paroles de cette dernière sont très jolies! Elle chantait aussi une très vieille chanson qui lui venait de sa mère. Sur une musique de menuet, cette chanson a pour titre L’éventail; les deux couplets sont différents, ce qui augmente le quotient de difficulté. Je n’ai malheureusement pas la partition de cette pièce; je ne sais même pas si elle existe et c’est vraiment dommage. J’aimais aussi beaucoup cette autre chanson un peu dans le style de Botrel : La plainte du mousse. Cette chanson raconte la triste histoire d’un jeune garçon qui s’engage comme mousse pour venir en aide à sa pauvre mère. Le refrain surtout me faisait presque pleurer : « Si ces gens sont mauvais, la mer est bien terrible… Ma mère qu’as-tu fait de ton pauvre petit? » En fait, les plus belles chansons étaient généralement toutes nostalgiques.

La plainte du mousse Dans les dernières années de sa vie, alors que je passais plus de temps avec elle, maman parlait volontiers de ses chanteuses et chanteurs préférés. J’ai retenu surtout le nom de Lucienne Boyer, celle qui a popularisé Parlez-moi d’amour, une chanson qui a traversé les âges sans vieillir. Par contre, certaines voix l’agaçaient prodigieusement, telle la voix de la grande Édith Piaf. Dans son langage imagé, maman disait que cette voix lui donnait envie « d’arracher la tapisserie » ! Heureusement, elle n’a jamais été jusqu’à s’attaquer aux murs de la cuisine et du salon, lesquels étaient couverts de papier peint. Car les chanteuses et chanteurs américains de ma jeunesse faisaient aussi partie des voix qu’elle exécrait. Par la suite, quelques-uns de mes frères lui ont également fait entendre des musiques pas toujours à son goût! Au cours de ses dernières années, elle me demandait de temps à autre de lui jouer des airs qu’elle aimait, dont certains chants de notre chorale locale. Ses titres préférés étaient sans contredit Tu peux pleurer Pierrot et La langue de chez nous. Tant qu’elle en a été capable, elle ne manquait jamais un concert de la chorale.

Mes parents étaient tous deux des amateurs de belle musique; dans leur jeunesse, j’aime à croire qu’ils avaient des préférences communes… Peut-être que quand Julien chantait Brise des nuits à Jeanne, celle-ci lui répondait : Parlez-moi d’amour !

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

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