Ces mots qui me faisaient rêver…

Quand j’étais petite fille, j’aimais écouter jaser les grandes personnes. D’une certaine façon, je dirais que c’était mon loisir préféré. Même si je ne comprenais pas toujours le sens de ce qu’elles disaient, je m’inventais ensuite des histoires et j’y mettais les mots que j’avais retenus… parce qu’ils me plaisaient. C’est ainsi que j’ai commencé à aimer les mots qui, dans mon imaginaire, devenaient des images. Parfois, quand je posais des questions relatives à ce que j’avais entendu et que je croyais comprendre, je m’apercevais que  j’étais « dans les patates » et cela me vexait, bien entendu!

Je vous raconte un souvenir dont je me rappelle comme si c’était hier. J’étais alors dans la maison de « ma gardienne », où il y avait fréquemment des gens que je ne connaissais pas, étant donné que le Central du téléphone était situé à cet endroit. Quelques personnes causaient; il était question que très bientôt, il y aurait « le service de nuit ». J’avais saisi seulement ces mots : « service de nuit ». J’étais un peu étonnée, croyant comprendre qu’il s’agissait de funérailles – qu’on appelait couramment « service » – qui auraient lieu le soir, comme la messe de minuit peut-être. C’était la première fois que j’entendais une chose semblable, mais avec les adultes, je savais que je pouvais m’attendre à n’importe quoi. Le lendemain, cette idée de « service de nuit » me trottait dans la tête et je me demandais bien où ça se passerait, et surtout si je pouvais y aller moi aussi… je voulais toujours aller partout! Alors, pendant le repas du midi, je me risquai à m’informer du fameux « service de nuit ». Je déclenchai un formidable éclat de rire! Je n’étais pas  contente du tout, oh que non! J’aurais voulu me cacher en dessous de la table. Finalement, quelqu’un eut la bonne idée de m’expliquer qu’il s’agissait pour la Compagnie de téléphone, d’offrir le « service de nuit », ce qui signifiait que l’opératrice devrait être disponible la nuit autant que le jour. Dans les faits, cela voulait surtout dire qu’il y aurait désormais une employée le jour et une autre qui prendrait la relève le soir jusqu’au matin. Non, on n’allait pas à un « service » et je n’étais invitée nulle part.  Je ne savais pas alors ce que l’avenir me réservait … mais plus tard au Central, j’ai fait le service de nuit autant que celui de jour et ce, pendant plusieurs années.

Une autre fois, j’entendis les grandes personnes parler de « coffre d’espérance ». Cette fois, on parlait du mariage prochain d’une parente. On s’extasiait sur son « coffre d’espérance » qui était bien rempli à ce qu’il semblait. J’écoutais attentivement… j’adorais entendre parler de mariage. Ce mot faisait naître dans mon imagination de belles robes blanches à traîne, des bouquets de fleurs, des gâteaux à trois ou quatre étages, décorés, comme on en voyait dans la Revue Populaire ou la Revue Moderne. Un enchantement! Que venait faire le « coffre d’espérance »? Je n’en avais aucune idée, mais je trouvais ça beau. Suite à cela, quand on me demandait ce que je voulais faire quand je serais grande, je répondais : « Je vais avoir un coffre d’espérance ».  Les adultes riaient évidemment… et je me demandais bien pourquoi.

Plus tard, j’ai su ce qu’était un « coffre d’espérance ».  Ce coffre, souvent en cèdre, que la jeune fille du temps passé remplissait de beau linge de maison, la plupart du temps cousu, tissé ou brodé de ses mains…dans l’espérance du jour où elle emménagerait avec un mari tout neuf, dans une maison bien à elle, pour y fonder une famille. Que d’espérance!  Et pas seulement dans le coffre!

N’est-ce pas que toute la vie est un « coffre d’espérance »? On y emmagasine nos rêves et nos espoirs au fil des ans.  Certains parmi eux ne sortiront jamais du coffre, comme ces belles serviettes d’invités qui n’ont jamais servi : elles étaient trop belles, ou pas assez pratiques. Par contre, on y retrouve encore des pièces du trousseau qui ont été maintes fois utilisées… comme leur propriétaire, elles ont du vécu!

Puissions-nous arriver à la fin de notre vie avec un coffre garni d’espérance.  Non pas des espoirs frivoles comme ces fragiles dentelles jaunies par le temps, mais des espérances solides qui nous suivent toute la vie, un peu comme ces couvertures inusables pliées soigneusement au fond du coffre et que nous transmettons à nos descendantes…

© Madeleine Genest Bouillé, 19 septembre 2017

Texte rédigé à partir de mon premier article publié dans ce blogue le 8 mars 2015

Dans mon jeune temps, il y avait…

Quand mes enfants étaient petits, ils me demandaient souvent si, quand j’avais leur âge, il y avait la télévision, des autos, le téléphone, etc. Tout juste s’ils ne croyaient pas que j’étais née au temps des dinosaures! Tous les enfants posent ces questions, notre enfance leur semble tellement loin. Avec les petits-enfants, les mêmes questions se posent, mais maintenant on parle de tablette, iPod et téléphone cellulaire. Même les autos s’identifient avec des lettres, VUS, CR-V, HR-V et quoi encore!

Ancienne glacière

Ancienne glacière

Dans le dernier « grain de sel » en deux parties, intitulé Trois quarts de siècle à Deschambault, j’ai raconté l’histoire de ma famille et un peu de la mienne aussi, par le fait même, dans ce beau village que j’habite toujours. Je vais maintenant tenter de me remémorer les choses qui existaient « dans mon temps ». Tout d’abord, oui, il y avait des autos; mais pas à toutes les portes, loin de là! J’ai mentionné à quelques reprises les voitures à cheval qu’utilisaient les divers commerçants qui livraient à domicile, tels le laitier, le boulanger, le boucher, qui en hiver apportait aussi la glace.  Quand je parle du livreur de glace, là, j’ai vraiment l’air d’être née au XIXe siècle! Eh oui, j’ai connu l’époque de la glacière, ce meuble en métal, qui était muni d’un compartiment où l’on plaçait le gros bloc de glace qu’on renouvelait à chaque semaine, si je me souviens bien.

Le téléphone était inventé depuis un bon bout de temps… mais jusqu’en 1964, à Deschambault  pour téléphoner, que ce soit à Québec, à Chicoutimi, à St-Basile ou chez le voisin, on devait tourner la manivelle de la boite du téléphone; la téléphoniste du Central vous répondait ainsi : «Quel numéro désirez-vous? », et elle vous donnait la communication. La ligne était souvent occupée, car il y avait parfois huit ou dix abonnés sur la même ligne.

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Moi, au « Central »… (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

L’électricité nous a apporté la lumière!… On s’éclairait avec des lampes; nos salons étaient dotés d’un ensemble comprenant généralement une ou deux lampes de table avec la lampe sur pied assortie. De plus, dans chaque pièce, il y avait une ampoule au plafond, de différentes intensités, soit une 100w ou une 60w. Dans les premiers temps, pour ménager l’électricité, on se contentait souvent d’une « petite 15w » dans les chambres à coucher… pas plaisant quand on voulait lire au lit! De toute façon, on se faisait dire d’éteindre et de dormir. On s’éclairait alors avec une lampe de poche, qu’on plaçait sous la couverture!

Avec l’électricité, au cours des années 40 et 50, sont arrivés les différents électroménagers : réfrigérateurs, poêles, laveuses, fer à repasser, radio, etc. Chez nous, je crois bien que c’est la laveuse «  à tordeurs » qui est entrée la première dans la maison et aussi le vieux poste de radio Hallicrafter. Il me semble avoir toujours vu cette boite noire qui nous offrait quand même pas mal de postes. Je revois surtout mes frères agglutinés autour du poste de radio, le samedi soir, écoutant la partie de hockey du Canadien! On aurait juré qu’ils la voyaient! Le réfrigérateur a suivi de près. Les cuisinières électriques sont arrivées plus tard, mais je me souviens qu’en été, nous utilisions un petit poêle électrique à deux ronds; c’était bien pratique par les jours de grande chaleur de ne pas avoir à allumer le poêle à bois..

elvis-2012-723x1024Pour la musique, comme dans beaucoup de foyers, nous avions un piano; chez nous il était toujours ouvert et il ne manquait pas d’utilisateurs… même si nous n’étions pas des virtuoses! Nous avions aussi un gramophone, avec une manivelle qu’on devait « crinquer »… sinon le « record » ralentissait, et la voix du chanteur ou de la chanteuse nous parvenait toute déformée.  Nous, les plus jeunes, nous trouvions ça très drôle! Je ne me souviens pas quand nous avons eu un appareil électrique, mais je crois me rappeler que c’est en 1955 que mon frère Jacques a acheté son tourne-disque qu’on appelait un « pick-up ». On faisait jouer des disques 78 tours ou des « longs-jeux », à 33 tours. Nous avions aussi quelques nouveaux 45 tours, ces petits disques qui se vendaient vraiment pas cher, qui étaient surtout plus légers, donc moins fragiles. Il y en avait de la musique, chez nous! Pour tous les goûts! Comme les écouteurs n’étaient pas encore à la mode, et que nous avions des goûts très diversifiés, il arrivait assez fréquemment qu’on se fasse dire de « baisser le son ».

Gilles Pelletier, de l'émission Cap aux sorciers, sur la couverture de la revue Le samedi en 1958.

Gilles Pelletier, de l’émission Cap-aux-Sorciers, sur la couverture de la revue Le samedi, en 1958.

C’est en 1952 qu’est arrivée la télévision. Encore là, seulement quelques privilégiés l’avaient. Inutile d’ajouter que ceux qui possédaient un appareil recevaient beaucoup de visite certains soirs!  Je me rappelle qu’au cours des premières années, j’allais le mercredi soir regarder La Famille Plouffe chez mes amies, dont le père a été un des premiers à posséder un téléviseur. Après cette émission, nous regardions la « lutte ». On avait chacune notre lutteur préféré; soit Yvon Robert, Johnny Rougeau ou Larry Moquin. Il y avait aussi un méchant qui s’appelait Wladek Kowalski, comme on avait du plaisir à l’haïr! Quand nous avons eu enfin la télévision, je n’ai plus jamais regardé la lutte! J’aimais surtout les téléromans, Les belles histoires des pays d’en haut, Cap-aux-Sorciers, le Survenant… Quelquefois, le dimanche soir, on regardait le Ed Sullivan Show. Je me souviens de la première fois où nous avons vu Elvis Presley, c’était justement au cours de cette émission. J’étais chez une de mes amies, on ne s’est pas roulées par terre… mais si on le trouvait beau! Nous avions déjà quelques-uns de ses disques. On dansait sur Blue Suede shoes et Don’t be cruel, mais on préférait quand même les slows, dont  Love me tender et Loving you. La télévision a chamboulé les habitudes des familles; désormais les gens passaient plus de temps à la maison, surtout les soirs où étaient présentées les émissions les plus populaires. En peu de temps, la « boite à images », que mon oncle Jean-Paul appelait « la boite à grimaces », s’est propagée dans tous les foyers!

La télévision a pris des couleurs… L’Expo 67 et les Jeux Olympiques de 1976 nous ont fait découvrir le Monde… en même temps que le Monde nous découvrait. En 1978, j’ai commencé à écrire mes « grains de sel » dans notre petit journal Le Phare sur une dactylo manuelle. J’utilisais du scotch tape en quantité industrielle pour monter mon journal; j’en ai passé du temps à couper, coller, recommencer, fignoler. Au cours des années 80, j’ai eu enfin une dactylo électrique, quelle merveille! En 2000, j’ai dû m’habituer à utiliser un ordinateur… j’en ai arraché! J’en faisais des cauchemars! Mais j’ai appris à me servir de cet outil qui m’est devenu indispensable.

Et me voici, rendue en 2017. Je pourrais chanter: « Non, rien de rien, non je ne regrette rien… » Je me trouve chanceuse d’avoir vécu mon trois-quarts de siècle. On est riche de tout ce qu’on a vécu, bien plus que de ce qu’on possède. On vieillit quand on cesse d’être curieux du lendemain, quand on cesse de croire que la vie nous réserve encore de belles surprises!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 janvier 2017

Buick LeSabre 1959...

Buick LeSabre 1959…

À propos d’une chanson…

« Derrière les volets, de ma petite ville,
Des vieilles en bonnets, vivent tout doucement.
Et comme un chapelet, entre leurs mains dociles
Les mois et les saisons, s’égrènent lentement.
Quand l’Angelus du soir, troublera l’air tranquille
Elles se signeront, et sans faire de bruit
Elles enfermeront le silence et la nuit
Derrière les volets de ma petite ville. »

Rue de Deschambault (CARP).

Rue de Deschambault (CARP).

Derrière les volets : Quelle belle chanson! Maman la chantait et je l’écoutais comme on écoute une histoire. Parce que les paroles de cette chanson de Jean Lumière racontent vraiment la vie dans une petite ville… ou si vous aimez mieux, un village. De nos jours, les vieilles ont l’air plus jeunes, n’ayant plus de bonnets ni de fichu noir sur les épaules. J’ai aussi l’impression qu’avec la vie trépidante d’aujourd’hui, les mois et les saisons s’égrènent beaucoup plus vite. Elles sont tellement occupées, ces dames! Au clocher de notre vieille église, on ne sonne plus l’Angelus, et je trouve ça bien dommage.  Au moins, j’ai la chance d’avoir l’église de Lotbinière, en face de chez nous, juste de l’autre côté du fleuve, et parfois, le vent m’apporte le son de l’Angelus du midi.

1er couplet :
« Dans la petite rue, de ma petite ville,
De l’aurore à la nuit les volets des maisons,
Restent à demi clos et des vieilles tranquilles
Derrière ces volets depuis tant de saisons
Écoutent s’écouler des heures si pareilles
En tricotant leurs bas, ou disant leurs Aves.
Sans même se pencher, rien qu’en tendant l’oreille,
Elles savent le pas qui frappe le pavé. »

Élise Proulx-Thibodeau (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Élise Proulx-Thibodeau (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Certaines de nos « vieilles pas si vieilles » tricotent et cousent encore, et c’est tant mieux!  J’en connais qui font de très beaux ouvrages « de dames », comme on disait dans le temps. Chaque année, au marché aux puces, on retrouve des centres de table  crochetés, ou brodés, des lavettes de vaisselle presque trop jolies pour être utilisées comme telles.  On y trouve aussi des poignées pour les chaudrons, des essuie-mains assortis et des tabliers quasiment trop beaux pour être portés autrement que « pour la visite ». Je ne sais pas s’il y en a encore beaucoup qui égrènent des Aves en travaillant. Peut-être qu’elles regardent plutôt leurs émissions de télévision préférées, surtout les éternelles Histoires des Pays d’en haut, avec une Donalda vêtue comme les dames de la chanson qui se poursuit comme ceci :

«… Car depuis des années, on entend la laitière
Toujours à la même heure, arriver le matin.
Et Monsieur le Curé, sortir du presbytère
Tandis que dans la rue, s’ouvrent les magasins… »

Magasin Général Paré (CARP).

Magasin Général Paré (CARP).

Ah! le bon temps où le matin était salué par le bruit des sous tintant dans les bouteilles de lait vides, déposées près de la porte, et qui attendaient bien sagement d’être remplacées par des bouteilles pleines! Ensuite, c’était le boulanger qui faisait sa tournée; et le boucher, qui livrait aussi les blocs de glace qu’on plaçait dans la glacière. Toutes ces visites accompagnées  des « clac-cloc » des sabots des chevaux, attelés aux voitures des  multiples marchands. Dans ma lointaine enfance, quand je partais pour l’école, je me faisais toute petite sur le trottoir qui longeait la route où il y avait toujours un cheval  arrêté attendant son conducteur qui piquait une jasette ici et là… et moi qui avais peur des chevaux !

2e couplet :
« Et plus tard, quand lassée de gaspiller ma vie,
Je laisserai mon cœur écouter ma raison,
J’irai me reposer, sans regrets, sans envies,
Derrière les volets de ma vieille maison.
J’aurai beaucoup appris, ayant des cheveux blancs.
Je me dirai : la vie dépend de tant de choses
Qu’aux fautes du prochain, il faut être indulgent.
Avec moi, les enfants pourront tout se permettre,
Je serai faible et bonne avec les amoureux
Et je leur sourirai, le soir de ma fenêtre
Songeant au bon vieux temps où je faisais comme eux! »

Ce couplet est magnifique! Effectivement, « la vie dépend de tant de choses, qu’aux fautes du prochain, il faut être indulgent ».  On devrait répéter cela chaque jour, comme une oraison.

001Dernier refrain :
« Derrière les volets, de ma petite ville
Un jour je reviendrai vivre tout doucement.
Et je me souviendrai d’histoires puériles
Que je raconterai à mes petits-enfants.
Quand l’Angelus du soir troublera l’air tranquille
Je m’enfermerai seule, avec mes souvenirs.
Puis un jour doucement, me laisserai mourir
Derrière les volets, de ma petite ville. »

Que dire de plus? C’est vraiment une des chansons les mieux écrites que je connaisse… et je la sais par cœur!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 octobre 201

Un petit papillon « arc-en-ciel »

Un dimanche matin, où il faisait très beau, ayant le goût de « m’endimancher », j’avais épinglé sur le revers de ma veste un bijou qui date de 1952. Un papillon doré avec des ailes émaillées aux couleurs de l’arc-en-ciel et dont le corps est fait de pierres turquoise. Je ne connais pas la valeur de cette broche, mais même après 64 ans, elle est toujours aussi jolie! J’ai reçu ce bijou en 1996, après le décès de ma « presque sœur », Marie-Paule Laplante.

Moi et ma "grande soeur" Marie-Paule, 1946 (photo: coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Moi et ma « presque sœur » Marie-Paule, 1946 (photo: coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Si vous suivez  « mon grain de sel » depuis les débuts en mars 2015, vous savez que j’ai  vécu une bonne partie de mon enfance dans la famille Laplante. À la naissance du huitième bébé de ma mère, ma grand-mère qui me trouvait pas mal plus « tannante » que mes frères, avait aimablement suggéré à ces amis de la famille, déjà parrain et marraine d’un de mes frères, de me garder le temps des relevailles de maman. Ce qu’ils acceptèrent avec autant de joie que de générosité. Puis, il y eut le neuvième bébé, puis le dixième. Maman en avait plein les bras… et ma sœur aînée n’avait pas encore 15 ans! Les Laplante aimaient les enfants; n’ayant eu qu’une fille, il y avait donc toujours place dans leur maison pour les enfants des autres. Ainsi ils trouvaient de plus en plus de bonnes raisons pour me garder chaque fois un peu plus longtemps. Jusqu’au déménagement de ma famille dans la rue Johnson en 1949, alors que je commençais à aller au couvent et que c’était plus pratique pour moi de demeurer au cœur du village au moins pendant l’année scolaire.

Aurore et Lauréat, n’ayant pas encore d’enfant après quelques années de mariage, se tournèrent vers l’adoption. Les crèches étaient pleines de bébés, orphelins de mère, ou  abandonnés pour une raison ou pour une autre. À cette époque, l’adoption de ces enfants en bas âge était facile. Généralement, dans le cas des mères célibataires, on leur avait fait signer un papier où elles renonçaient à connaître leur enfant, et acceptaient à l’avance  qu’il soit un jour adopté par une famille. Il ne faut pas jeter trop vite la pierre à ces jeunes femmes, qui souvent avaient cru aux déclarations d’amour d’un beau parleur… parfois déjà marié, et qui  disparaissait très vite quand la situation devenait compromettante.

Quand Marie-Paule est arrivée dans la vieille maison des Thibodeau – la famille d’Aurore – la grand-mère Élise Thibodeau vivait encore. Ils étaient donc trois adultes pour choyer cette solide petite fille aux cheveux et aux yeux bruns. Déjà, cette maison accueillait des pensionnaires de toutes sortes : les travailleurs de la construction du chemin de fer, des  filles « engagères »,  comme on disait,  pour désigner les demoiselles qui étaient engagées comme bonnes ou pour un autre travail. Il y avait aussi des enfants qui, demeurant à l’extérieur du village, voulaient continuer leurs  études  au couvent ou à l’école « des grands », ou ceux qui pensionnaient le temps de « marcher au catéchisme ». Du temps où j’étais chez les Laplante, il y a eu aussi quelques orphelins qui ont été hébergés, le temps que le père, veuf,  puisse se « revirer de bord », selon l’expression en usage quand quelqu’un devait s’adapter très vite aux nouvelles circonstances de la vie.

Marie-Paule était une personne de bonne humeur, qui aimait s’entourer d’amis, garçons et filles. Après ses études au couvent, où en plus de son diplôme de fin d’études, elle avait obtenu le diplôme de sténo-dactylo, elle pouvait alors postuler pour un emploi de secrétaire. Mais presqu’en même temps, le central du téléphone étant installé chez le deuxième voisin, on cherchait une « opératrice ».  Marie-Paule suivit alors un court stage  avant de débuter dans ce métier, qu’elle a exercé jusqu’à son mariage en 1951.

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Moi à 4 ans… avec mes jambes croches! (Photo: coll. privée Madeleine Genest Bouillé)

Marie-Paule était adroite en tout… ou presque! Elle était habile couturière, bonne cuisinière, et elle ne dédaignait pas au besoin d’user de la scie et du marteau.  Elle avait comme maxime préférée : « Si j’ai les bons outils, pourquoi ne serais-je pas capable de faire du bon travail! » C’était une femme à l’esprit pratique, elle était ordonnée et ne voulait surtout pas dépendre de quelqu’un d’autre. Elle pouvait démontrer une grande patience, en autant qu’elle était certaine d’atteindre son but. J’ai comme souvenir les efforts qu’elle a déployés, dans les premières années où je me « faisais garder » chez elle, pour redresser mes jambes qui étaient vraiment croches… j’ai d’ailleurs une photo où c’est bien visible! Elle me faisait faire des exercices et me montrait à marcher comme Charlie Chaplin, en me plaçant les pieds tournés vers l’extérieur. Pour ne pas me rebuter avec ces exercices, elle en avait fait une sorte de jeu.

Après son mariage, elle est allée demeurer à Trois-Rivières… je me souviens de ce petit appartement, un troisième étage sur la rue Bonaventure, juste en face du poste de radio CHLN, où Jean-Louis et Marie-Paule sont demeurés plusieurs années. Plus tard, ils ont emménagé sur la même rue, mais dans un logement plus grand, où ils ont accueilli   Aurore, quand celle-ci a « cassé maison », comme on disait alors. Et un dernier déménagement les a conduits sur la rue Royale, où la « santé de fer » de Marie-Paule a commencé à décliner alors qu’en 1993, elle apprit qu’elle était atteinte de la SLA. Elle est décédée de cette terrible maladie le 22 juin 1996.

Après le décès de son épouse, Jean- Louis m’avait donné la plupart de ses bijoux. Comme elle ne jetait jamais rien, certains joyaux dataient du temps où elle était jeune. J’ai gardé tous les bijoux anciens qui me rappelaient de beaux souvenirs, alors que, toute petite, je m’amusais à fouiller dans ce que j’appelais le « coffre au trésor ». Parmi les trésors que contient ce coffre,  « le papillon  arc-en-ciel »  est sans contredit celui que je préfère.  C’est une broche délicate, colorée, un bijou fait pour l’été! Et il me rappelle en plus une femme qui a compté beaucoup pour moi dans ma jeunesse.

À bientôt pour d’autres  souvenirs…

© Madeleine Genest Bouillé, 23 juin 2016

Un cours d’histoire locale… 2e partie

Carte postale Manoir BoulevardToujours dans le cadre d’un travail scolaire, rédigé en 1954, tel que promis, j’en viens aux hôtels, lieux de perdition par définition (!), selon notre professeur. Le premier en bas du village était le Manoir du Boulevard, dont j’ai parlé dans un précédent article. Le site était auparavant occupé par une fabrique de fleurs en plastique. Le premier propriétaire était M. Théodore Robert et plus tard, ce fut M. Roch Julien. C’était un très bel hôtel, c’est à cet endroit qu’ont eu lieu les noces de ma sœur en 1957. L’image ci-contre est tirée du groupe Facebook « Retour dans le temps – comté de Portneuf ».

Hôtel Ti-Rock © Julie Gauthier 2012En 2012, la photographe Julie Gauthier s’est attardée à ce lieu et a publié un livre intitulé Ti-Rock : Récit en 16 pièces.  © Julie Gauthier 2012.

À l’endroit qu’on appelle maintenant l’Oasis Belle-Vie, trônait l’Hôtel Deschambault; le 24 juin 1964, nous y avons célébré nos noces! Je ne sais pas qui en fut le premier propriétaire, probablement un monsieur Alain, mais l’hôtelier que j’ai le plus connu était M. Paul Martel. Cet hôtel était très fréquenté en hiver par les marins en  relâche. L’endroit était bien placé : les clients pouvaient au début de la soirée aller faire un tour au restaurant chez M. J.B. Vézina, en face, ou encore, traverser au restaurant après avoir bu quelques bières… pour aller jouer une ou deux parties de billard. Grégoire Bertrand en fut le dernier propriétaire avant que l’hôtel ne soit converti en résidence pour personnes âgées en 1985.

Hôtel Maple Leaf, au 398, Chemin du Roy (source: Centre d'archives régional de Portneuf).

Hôtel Maple Leaf, au 398, Chemin du Roy (source: Centre d’archives régional de Portneuf).

Plus loin dans le village, en face du Garage Gauthier, l’une de nos demeures les plus somptueuses, l’ancien relais de poste, qu’on appelait alors l’Hôtel Winterstage, offrait chambres et pension. Les propriétaires en étaient Marie et Fidèle Gauthier. À l’époque où j’ai eu à faire mon travail scolaire, le Château de Pierre n’était plus qu’un souvenir. J’ai néanmoins traité du sujet dans l’un de mes articles récents, Lady Alys et le Château de Pierre. Dans le « haut du village », l’hôtel Maple Leaf, tenu par M. Lactance Arcand, offrait en plus de chambres et repas, des cabines pour les touristes, durant l’été.

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Source: Centre d’archives régional de Portneuf.

L’actuel Hôtel Le Vieux Bardeau, portait alors le nom d’Hôtel Belle Vue. C’était un endroit qui offrait aussi chambres et repas, le propriétaire en était M. Georges Deshaies (l’établissement fut auparavant tenu par M. Boisvert). Tout près, juste avant l’entrée de la rue Marcotte, il y avait un autre hôtel, avec  cabines, qu’on appelait le Motel Marcel, du nom du propriétaire, Marcel Johansen. Cet établissement était réputé pour les soirées dansantes et les noces, ayant une salle assez vaste. De l’autre côté du pont de la rivière La Chevrotière, M. Lauréat Paquet louait des cabines aux touristes durant la saison estivale. Il semble que ces cabines avaient une très bonne cote car, chaque été, elles étaient toujours occupées.

Dessin de Lucille Bouillé, représentant l'Auberge Lachevrotière.

Dessin de Lucille Bouillé, représentant l’Auberge Lachevrotière.

Et j’en viens à l’hôtel qui fut un des plus réputés dans tout le comté de Portneuf et au-delà, pour les soirées, noces et anniversaires de mariage, réunions politiques et autres : l’Auberge de La Chevrotière!  Sur le dessin de l’hôtel, on peut lire la date 1884. Cet hôtel avait la particularité d’être situé juste en face de la gare du chemin de fer à la Station de La Chevrotière. Il était donc très fréquenté par les voyageurs. La famille de Roméo et  Marguerite Perron  ont animé cet endroit pendant une trentaine d’années. Combien de noces ont été célébrées à cet endroit si chaleureux! Combien de fêtes, de soirées! Certains étés, tous les samedis de mai à octobre étaient réservés un an à l’avance pour des mariages. Comme le Château de Pierre, l’auberge s’est envolée en fumée le 18 janvier 1988. Triste sort. Comme vous pouvez le constater, j’étais une bonne élève, j’avais bien appris ma leçon!

© Madeleine Genest Bouillé, 18 mai 2016

Fabrique de fleurs en plastique datant de 1946, qui deviendra le Manoir du Boulevard. (photo tiré du site Facebook "Ti-Rock: Récit en 16 pièces).L’image à la une de cet article est issue du site Facebook consacré à l’ ouvrage de Julie Gauthier, Ti-Rock: Récit en 16 pièces, et date de 1946. On y voit la fabrique de fleurs en plastique et le bâtiment principal qui deviendront l’hôtel Le Manoir du Boulevard peu de temps après.

Un cours d’histoire locale…

Si mes souvenirs sont exacts, cette histoire se passait en 1954;  j’étais alors en 9e année au couvent dans la classe qu’on appelait « l’Académie », qui regroupait les filles de la 8e à la 12e année. De temps à autre, notre professeur nous donnait une leçon qui variait entre  le cours de personnalité, d’hygiène ou de politesse. Parfois il arrivait qu’elle nous  entretienne plutôt de ce qu’on pourrait qualifier d’histoire locale. Cela dépendait de la saison, ou des évènements. Le terme « histoire locale » englobait une foule de choses. Il pouvait s’agir des différentes professions exercées dans la paroisse – remarquez que le terme « municipalité » n’était pas d’usage courant. Ce cours était parfois pratique, parfois  critique… j’en ai oublié des grands bouts!

Je me souviens surtout de la fois où elle nous avait demandé de dénombrer les hôtels et les garages dans la paroisse de Deschambault. Plusieurs parmi nous ne connaissions pas tous ces établissements… surtout que nous n’étions clientes ni des garages, ni des hôtels. En fait, notre professeur voulait faire ressortir une situation qu’elle déplorait. D’après elle, il y avait trop de garages; j’ignore encore pourquoi. Sans doute à cause des émanations d’essence, mais je n’en suis pas sûre. Chose certaine, du point de vue de la religieuse, il y avait beaucoup trop d’hôtels, ce qui encourageait les gens à consommer des boissons alcooliques. Il est vrai que c’était à l’époque des débuts du Cercle Lacordaire, qui prônait l’abstinence totale, mais les religieuses du couvent n’en faisaient pas partie, que je sache.

Une demoiselle Paré devant la façade du garage Mayrand (coll. privée Madeleine Genest).

Une demoiselle Paré devant la façade du Garage Mayrand (© coll. privée Madeleine Genest).

J’espère me souvenir de la nomenclature qui avait découlé de la recherche minutieuse dont cette leçon de choses – si on peut appeler ça ainsi – avait fait l’objet. Dans les années 50, les garages devaient faire des affaires d’or, si j’en juge par le nombre de ces commerces. En partant de Portneuf, il y avait le Garage Shell; je ne me souviens pas s’il y a eu un autre propriétaire avant l’arrivée de M. René Janelle. Tout près, il y avait un autre garage, dont le propriétaire était M. Solyme Paquin; ce garage est devenu par la suite le restaurant Pizza Pierre. À l’intersection de la route Proulx et de  la rue Johnson, il y avait encore un garage, le détaillant Fina, je ne me souviens pas qui en était le propriétaire au début. Au coin de la rue Saint-Joseph, à deux pas du Central, s’élevait le Garage Mayrand, une imposante bâtisse qui possédait deux logements à l’étage. Au moins deux graves accidents d’autos ont amené la démolition de presque la moitié de cet édifice. Pas loin de l’école du village, était situé le garage des Autobus Gauthier, qui  abrite maintenant la caserne des pompiers.

L'un des véhicules de la compagnie Autobus Gauthier (© coll. privée Madeleine Genest).

L’un des véhicules de la compagnie Autobus Gauthier (© coll. privée Madeleine Genest).

On longeait ensuite la route 2, qu’on appelle aujourd’hui le Chemin du Roy, jusqu’au garage de M. Jean-Paul Hamelin, lequel se spécialisait dans la réparation des voitures européennes. Un peu plus loin, au coin de la route Dussault, se retrouvaient, presque face à face, le Garage Boisvert, du côté nord et le Garage Chevalier, qui avoisinait l’hôtel Le Vieux Bardeau. Comme plusieurs garagistes à cette époque, M. Gérard Chevalier  vendait des voitures usagées et, pour occuper ses loisirs, il avait aussi un orchestre de musique de danse. Il n’était pas rare que les gens cumulent plusieurs emplois… si les diplômes étaient rares, les expériences de travail ne manquaient pas! Si je sais bien compter, nous avions donc 8 garages pour une population d’environ 1 500 habitants; et tout ça sur le « rang d’en bas ». Je ne me souviens pas s’il y en avait dans les 2e et 3e rangs. C’était quand même à l’époque où les rangs et le village formaient deux municipalités distinctes.

Je vous reviens prochainement avec la suite de mes travaux scolaires de 1954 : les hôtels!

© Madeleine Genest Bouillé, 16 mai 2016

N.B. Une amie me rappelle qu’il y avait aussi, à la sortie ouest du village, le garage de M. Maurice Julien (avant les propriétaires Martin et Maurice Faucher) et que le garage Fina  au coin de la route Proulx était tenu par M. Octave Beaupré. Merci Jacqueline C. pour ces précisions!

Garage Mayrand

Le Garage Mayrand (© coll. privée Madeleine Genest).

Ces « Madames AVON » que j’ai connues…

6542597Si vous avez vu le film Édouard aux mains d’argent (version française de Edward Scissorhands), vous vous rappelez certainement de « l’ambassadrice AVON », correctement vêtue de son petit tailleur avec chapeau assorti; l’image même de la vendeuse de cosmétiques des années soixante. Sauf qu’à ma connaissance, il n’était pas courant que, comme on nous le montre dans le film, les représentantes Avon testent leurs produits sur les clientes, enfin, pas celles qu’il m’a été donné de rencontrer.

Depuis mon jeune âge, j’ai connu six « Madames AVON », comme on appelait les représentantes de cette compagnie de cosmétiques fondée à New-York en 1886. Malheureusement, je n’ai de photo d’aucune d’elles. Dommage, j’aurais aimé vous présenter au moins celles qui ne sont plus de ce monde. Pour ce qui est de la première, j’étais encore trop jeune pour être cliente; elle venait rencontrer ma mère pour vendre ses produits. Maman aimait beaucoup les parfums, en particulier celui qui s’appelait To a wild rose. Après son décès, on retrouvait encore l’odeur de cette fragrance dans ses tiroirs. La toute première vendeuse Avon que j’ai connue était une femme qui me paraissait très grande, peut-être ne l’était-elle pas tant que ça… Elle avait les cheveux blond platine, ce qui était rarissime à Deschambault dans les années quarante. Elle s’appelait Julienne, elle habitait la maison où nous demeurons depuis 1971. Dans mon souvenir, je la revois; c’était sans doute l’hiver, car elle portait un manteau de longueur trois-quarts en léopard et elle était coiffée d’un turban violet. Et pour comble, ses ongles très longs étaient vernis du même violet que son turban! Je n’en revenais pas, je la trouvais tellement chic! Elle n’était pas vraiment belle, mais elle était originale. Elle avait quelque peu l’allure de l’actrice Marlene Dietrich. Elle aurait pu figurer comme mannequin dans les revues de mode que ma mère lisait, soit la Revue Moderne ou la Revue Populaire!

avon-ad-1959J’ai commencé à acheter les produits Avon avec la deuxième de ces vendeuses à domicile. Elle se nommait Gracia… et elle portait bien son nom, toujours tellement élégante; elle avait beaucoup de classe. Autrefois, étant donné que les catalogues de cosmétiques n’étaient pas illustrés comme maintenant, une vendeuse Avon devait tout d’abord utiliser elle-même le plus possible les produits qu’elle offrait. C’était le cas pour Julienne et pour Gracia. Rouge à lèvres et vernis à ongles assortis, fond de teint, poudre et parfum… Je ne sais pas si on leur offrait des cours de maquillage, mais elles étaient vraiment impeccables… ni trop, ni trop peu! Gracia était de plus une femme dotée d’un esprit fin, plutôt moqueuse. C’était une personne fière, mais qui savait se montrer aimable. Je me souviens de la fois où j’ai acheté mon premier petit pot de crème Avon, il s’agissait d’un produit pour « jeune fille ». Elle m’avait aussi donné des échantillons de divers articles qui devaient me convenir. N’y connaissant absolument rien, j’avais bien entendu apprécié les conseils de ma vendeuse.

il_570xN.700819506_90a5Ma troisième représentante Avon s’appelait Angélique, c’était une dame plus toute jeune et elle n’a pas fait ce travail très longtemps. Elle était gentille, pas gênante et elle était très jasante. J’étais alors maman de jeunes enfants; peut-être est-ce la raison pour laquelle je me souviens moins bien de madame Angélique; je manquais sûrement de temps pour la jasette! Ensuite il y eut Raymonde, qui a été « Madame AVON » pendant plusieurs années. On se connaissait depuis longtemps, on échangeait des potins, on parlait de tout et de rien et je ne me sentais pas obligée d’acheter ou non ses produits. Parfois, si elle estimait qu’un article ne valait pas la publicité qu’on en faisait, elle le disait tout simplement. Raymonde était une personne pas compliquée. On était loin du temps où les vendeuses de produits de beauté devaient être des cartes de mode pour mieux vendre leurs produits! Raymonde était ma représentante Avon quand la compagnie a commencé à offrir des bibelots et objets d’art pour différentes occasions, soit pour Noël, la Saint-Valentin ou l’Halloween. J’ai acheté de Raymonde en 1997 une petite boite à musique, avec un Père Noël qui patine sur un miroir; tous mes petits-enfants ont joué avec ce bibelot musical… hélas, au dernier Noël, la musique avait commencé à fausser. Je ne sais pas encore si je vais le jeter…

Quand Raymonde a pris sa retraite, elle était déjà atteinte de la maladie qui l’a emportée. J’ai été un certain temps sans vendeuse Avon. Jusqu’à ce que je trouve ma cinquième représentante à Portneuf, ce qui était moins pratique. Mais voilà que depuis quelque temps, j’ai de nouveau une « Madame AVON » qui vient chez moi. Elle s’appelle Nathalie, c’est la plus jeune de toutes les ambassadrices Avon de mon histoire… elle a l’âge de ma fille! Très gentille, elle a quand même moins de temps pour la jasette que celles qui l’ont précédée… Mais on peut communiquer par Internet! C’est la « Madame AVON » des temps modernes!

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

Beau, bon… pas cher!

IMG_20150731_0001Quand j’étais jeune, beaucoup de nouveaux produits de consommation étaient offerts sur le marché. De sorte que les ménagères possédaient tout plein d’appareils pour alléger leurs tâches quotidiennes, sans compter que tous ces produits étaient de plus en plus diversifiés. Si on ajoute à cela les aliments préparés dont la popularité ne cessait d’augmenter, on peut dire que le travail des maîtresses de maison devenait un peu plus aisé. Tout prenait moins de temps et comme on le sait, « le temps c’est de l’argent »!

IMG_20150730_0005La cuisine moderne 1940 que vous pouvez voir sur l’image ci-contre a certainement dû prendre quelques années avant de s’installer dans nos foyers campagnards. J’imagine mal ce concept très américain dans une de nos vieilles maisons. Le linoleum, les armoires, l’évier et le comptoir – qu’on appelait « pantry » – ont vite été adoptés dans nos cuisines, mais on a longtemps gardé le poêle à bois et la grande table au centre de la pièce, entourée d’autant de chaises qu’il y avait de personnes à asseoir. Une chose est sûre, le modernisme avait mis un pied dans la porte et il allait envahir le quotidien des familles québécoises.

Si quelques grand-mères continuaient de faire leur savon domestique au printemps, ce n’était plus que du folklore! Les jeunes femmes n’utilisaient ce savon que pour des grosses tâches comme le lavage des planchers. Pour la toilette, on achetait du « savon d’odeur », vendu en barres blanches ou de teintes pastel et enveloppées d’un beau papier. Pour la vaisselle et la lessive, il y avait le savon en paillettes qui était offert dans des boites de différents formats. On retrouvait tous ces produits au magasin général, en plus des brosses et des balais, de la peinture et des pinceaux, et tout plein d’objets hétéroclites. On y achetait évidemment de la nourriture, soit des conserves, des marchandises sèches, vendues en vrac ou en paquet ainsi que les denrées périssables qui étaient conservées dans la glacière.

IMG_20150730_0003Les grands magasins vendaient des vêtements à bas prix, si bien que ça coûtait quasiment moins cher que de les confectionner. Même chose pour le linge de maison : nappes, serviettes, linges de vaisselle qui se vendaient à la douzaine. Les ménagères étaient fières de garnir leurs étagères de ces piles de beau linge de couleurs variées… même si ces nouvelles acquisitions se révélaient par la suite pas mal moins durables que les linges tissés au métier! Les grosses chaînes de produits de nettoyage aussi bien qu’alimentaires rivalisaient de publicité et d’offres alléchantes. C’est ainsi que sont arrivées les « boîtes à surprise »! Quand on achetait une boîte de savon à vaisselle ou à lessive, on y trouvait en prime une serviette de différente grandeur selon le format de la boîte. Il arrivait qu’on offre aussi des pièces de vaisselle, soit une tasse, une soucoupe ou une assiette. Avec le temps, on pouvait se monter un trousseau! Certains aliments se vendaient dans des contenants réutilisables, tels les célèbres verres à moutarde Schwartz décorés de cœurs, piques, trèfles et carreaux. Plusieurs familles en possèdent encore… sinon on peut en trouver chez les antiquaires.

IMG_20150730_0004Pour inciter les cuisinières à acheter les nouvelles préparations alimentaires, les magazines présentaient des recettes préparées avec différents ingrédients, le tout illustré d’images alléchantes, telle celle-ci : « Qui dit RITZ dit chic! » En collation ou en entrée, c’était tellement pratique de servir ces petites biscottes avec à peu près n’importe quoi. Tout le monde les aimait, des tout-petits jusqu’aux grands-parents. Cette invention qui date d’environ soixante ans est toujours populaire même si, depuis, on a inventé tout plein d’autres biscottes de toutes formes et de différentes saveurs. Mais il faut avouer que les Ritz sont toujours de mode!

IMG_20150730_0001Est-il possible que vous n’ayez aucun produit de marque Heinz dans votre garde-manger? Cela serait surprenant. Les premières publicités de cette compagnie mentionnaient toujours le fameux chiffre 57… pour les 57 variétés Heinz! Comme il fallait vendre ces nombreux produits, on ne lésinait pas sur la publicité. On insistait surtout sur les mets prêts à cuire ou les soupes à réchauffer. On a dit du XXe siècle qu’il était le siècle de la vitesse, ça valait aussi pour la cuisine. Je termine avec cette image qui date de 1956. On y voit une fillette toute fière de servir à son papa un délicieux spaghetti Heinz. Voyez comme les parents sont contents! Une famille heureuse, grâce à une des 57 variétés Heinz! Comme image publicitaire, c’est aussi bien que ce qu’on nous passe à longueur de journée à la télévision. Sauf que ce qui nous semble beau, bon et pas cher, n’est pas toujours à la hauteur de nos attentes.

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

Allo! Quel numéro désirez-vous?…

La maison d'Alred Petit, où était située le "Central" vers 1930.

La maison d’Alred Petit, où était situé le « Central » vers 1930.

En 1927, Jules-André Brillant, de Rimouski, était le propriétaire de la Corporation de Téléphone et de Pouvoir de Québec, qui deviendra par la suite, Québec-Téléphone, puis Telus. Même si je ne connais pas la date exacte à laquelle fut installée la première ligne téléphonique à Deschambault, quelques indications me portent à croire que le téléphone avait déjà fait son apparition au début des années 30. À cette époque, le « Central » du téléphone était installé dans la maison d’Alfred Petit, le frère de mon grand-père, car ma mère y a travaillé avant son mariage en 1932. J’ai appris depuis peu que mon grand-oncle n’était pas le premier à loger le central, cet important moyen de communication ayant été localisé quelque part ailleurs auparavant.

Le central fut relocalisé dans une partie du garage Mayrand, puis quelques années plus tard, dans la maison de Lauréat Laplante (la 3e vers la droite).

Le central fut relocalisé au garage Mayrand, puis quelques années plus tard, dans la maison de Lauréat Laplante (la 3e vers la droite).

Sur la photo de la maison d’A. Petit, l’agrandissement qui devint la Salle Saint-Laurent n’est pas encore construit. Il est plausible de penser que, suite à cette construction, le central a été déménagé pour être installé dans un logement à l’étage du Garage Mayrand. Ce logement où était situé le bureau du téléphone était alors occupé par la famille Talbot. C’est à cet endroit que Marie-Paule Laplante a commencé son métier de standardiste ou « opératrice », comme on disait plutôt à l’époque. Au début des années 40, le central déménage pour une troisième et dernière fois dans la maison de Lauréat Laplante et Aurore Thibodeau, où il finira son règne en septembre 1964, lors de l’avènement du téléphone « à cadran ».

Difficile de préciser combien de jeunes filles ont exercé le métier de téléphoniste entre 1930 et 1964. À l’époque, les opératrices quittaient leur emploi quand elles se mariaient. Du temps où le central était chez mon grand-oncle Alfred, il est probable que ses filles, Blanche et Joséphine, ont dû y travailler avant leur mariage. Du début des années 40 jusqu’en 1964, il y eut certainement une quinzaine de demoiselles surtout – et à ma connaissance deux dames – qui ont fait ce travail, soit comme permanente ou comme remplaçante.

Marie-Paule Laplante en 1945 (collection Madeleine Genest).

Marie-Paule Laplante en 1945 (collection Madeleine Genest).

À l’époque où Marie-Paule Laplante travaillait au central, il n’y avait pas de concours, ni d’entrevue, la procédure d’embauche se faisait par le bouche à oreilles, comme c’était la coutume en milieu rural. Il y avait seulement un poste de travail et l’opératrice devait se trouver une remplaçante. On ne demandait pas non plus de qualifications particulières. Un bon français, écrit et parlé, était important; une bonne élocution était un atout supplémentaire et il fallait faire preuve d’une certaine célérité.

La nuit, le central était équipé d’une sonnerie particulièrement détestable, qu’on appelait un « buzzer ». Vers 23 heures ou plus tard, l’opératrice n’avait qu’à actionner une petite manette, comme celles qui servaient pour opérer le central; ainsi elle pouvait somnoler en toute sécurité sur le divan, placé à côté du poste de travail. Aucun doute, si quelqu’un téléphonait, elle l’entendait! J’ignore de quand date l’engagement d’une deuxième téléphoniste permanente ainsi que la répartition du temps de travail, soit une semaine de jour et une de nuit en alternance, mais c’était ainsi au cours des années où j’y ai travaillé. La remplaçante était absolument nécessaire si on était malade ou si on voulait prendre un congé, surtout la semaine de nuit où l’on travaillait de 17 heures à 8 heures le lendemain. La semaine de jour, c’était l’inverse. Durant les trois dernières années au cours desquelles j’ai fait ce travail, nous avions une semaine de vacances payée par année. Pour les autres congés, nous devions payer la remplaçante à même notre salaire.

Moi et Marie-Paule devant la maison qui accueillit le central jusqu'à la fin de ce service (coll. Madeleine Genest).

Moi et Marie-Paule devant la maison qui accueillit le central jusqu’à la fin de ce service (coll. Madeleine Genest).

J’entends déjà la question : « Est-ce que vous écoutiez les conversations? » D’abord, je dois dire que nous devions vérifier fréquemment la durée des appels, pour libérer les lignes dès que les communications étaient terminées, surtout en ce qui concernait les appels interurbains, lesquels étaient facturés. Au cours de la journée et durant la soirée jusqu’à une certaine heure, nous n’avions pas vraiment le temps d’écouter les conversations… surtout que de l’une à l’autre, cela risquait de ressembler à un superbe coq-à-l’âne! Mais si par hasard ou autrement on saisissait des bribes d’échanges entre les abonnés, nous étions évidemment dans l’obligation de respecter la règle de la confidentialité. Pour ma part, quand la soirée était tranquille, j’écoutais la radio de CHRC, qui diffusait une émission appelée Blue Sky, au cours de laquelle on faisait tourner toutes les chansons à succès que j’aimais. Avec un bon roman Marabout Mademoiselle et un Coca-cola, je ne risquais pas de m’ennuyer! À ce propos, je me demande si quelqu’un se souvient de la série des Sylvie, de l’auteur René Philippe, dans la collection Marabout Mademoiselle…

J’ai débuté ce travail comme remplaçante en 1958 et je suis devenue permanente en 1960, à la suite du départ d’une des deux opératrices. Les deux dernières années, je gagnais 0.55 $ l’heure. J’ai aimé mon emploi, même si les derniers temps, le matériel étant devenu désuet. Souvent des lignes étaient défectueuses et comme il y avait de plus en plus d’abonnés, les journées étaient passablement épuisantes. J’ai quitté mon emploi le 15 mai 1964 pour une excellente raison : je me mariais le 24 juin!

© Madeleine Genest Bouillé, juin 2015

Moi au central, peu avant mon mariage... et la fin de mon travail! (coll. Madeleine Genest).

Moi au central, peu avant mon mariage… et la fin de mon travail! (coll. Madeleine Genest).

« Ah! C’était un p’tit cordonnier! »

Maison de mon grand-père, Edmond

Maison de mon grand-père, Edmond « Tom » Petit, le cordonnier, en 1903. © Coll. Madeleine Genest Bouillé.

« Ah! C’était un p’tit cordonnier, qui faisait fort bien les souliers… il les faisait si drette, si drette… pas plus qu’il n’en fallait! » Cette photo de la maison d’Edmond Petit, mon grand-père maternel, a été prise l’année de son mariage avec Blanche Paquin en 1903. Mon grand-père, que tout le monde appelait « Tom », était cordonnier, comme le témoigne l’enseigne suspendue au coin de la maison. Comme le petit cordonnier de la chanson, il n’était pas grand, mais « il faisait fort bien les souliers ». Autrefois, chaque village avait son cordonnier, de même qu’un forgeron, un boucher, un menuisier, une modiste de chapeau et combien d’autres gens de métiers, tous indispensables. Non seulement le cordonnier réparait les chaussures, mais au début du siècle, il fabriquait souliers et bottes. Au fil des ans, la commercialisation des vêtements et des chaussures, s’étant installée jusque dans les villages, le cordonnier ne faisait plus que des réparations. Je me souviens de la boutique de cordonnerie de mon grand-père… il y avait des formes en métal de différentes grandeurs qu’il posait sur un pied, puis, il y plaçait le soulier à réparer. Le travail le plus courant était le remplacement des talons usés, ou bien, des coutures à repriser. Pour que les chaussures s’usent moins vite, il posait au bout de la semelle et au talon un petit fer, qui claquait à chaque pas. Je me souviens qu’on m’avait fait mettre ces fers en dessous des souliers que je portais pour aller à l’école… Quand je m’entendais marcher, j’étais tellement gênée! Mais, effectivement, les chaussures duraient plus longtemps. Après le décès de ma grand-mère, en 1951, mon grand-père qui ne rajeunissait pas, a cessé graduellement de réparer les souliers des clients qui se faisaient plus rares… modernité oblige! Il est décédé en 1957 à l’âge de 87 ans. Avril 2015