Dans mon jeune temps, il y avait…

Quand mes enfants étaient petits, ils me demandaient souvent si, quand j’avais leur âge, il y avait la télévision, des autos, le téléphone, etc. Tout juste s’ils ne croyaient pas que j’étais née au temps des dinosaures! Tous les enfants posent ces questions, notre enfance leur semble tellement loin. Avec les petits-enfants, les mêmes questions se posent, mais maintenant on parle de tablette, iPod et téléphone cellulaire. Même les autos s’identifient avec des lettres, VUS, CR-V, HR-V et quoi encore!

Ancienne glacière

Ancienne glacière

Dans le dernier « grain de sel » en deux parties, intitulé Trois quarts de siècle à Deschambault, j’ai raconté l’histoire de ma famille et un peu de la mienne aussi, par le fait même, dans ce beau village que j’habite toujours. Je vais maintenant tenter de me remémorer les choses qui existaient « dans mon temps ». Tout d’abord, oui, il y avait des autos; mais pas à toutes les portes, loin de là! J’ai mentionné à quelques reprises les voitures à cheval qu’utilisaient les divers commerçants qui livraient à domicile, tels le laitier, le boulanger, le boucher, qui en hiver apportait aussi la glace.  Quand je parle du livreur de glace, là, j’ai vraiment l’air d’être née au XIXe siècle! Eh oui, j’ai connu l’époque de la glacière, ce meuble en métal, qui était muni d’un compartiment où l’on plaçait le gros bloc de glace qu’on renouvelait à chaque semaine, si je me souviens bien.

Le téléphone était inventé depuis un bon bout de temps… mais jusqu’en 1964, à Deschambault  pour téléphoner, que ce soit à Québec, à Chicoutimi, à St-Basile ou chez le voisin, on devait tourner la manivelle de la boite du téléphone; la téléphoniste du Central vous répondait ainsi : «Quel numéro désirez-vous? », et elle vous donnait la communication. La ligne était souvent occupée, car il y avait parfois huit ou dix abonnés sur la même ligne.

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Moi, au « Central »… (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

L’électricité nous a apporté la lumière!… On s’éclairait avec des lampes; nos salons étaient dotés d’un ensemble comprenant généralement une ou deux lampes de table avec la lampe sur pied assortie. De plus, dans chaque pièce, il y avait une ampoule au plafond, de différentes intensités, soit une 100w ou une 60w. Dans les premiers temps, pour ménager l’électricité, on se contentait souvent d’une « petite 15w » dans les chambres à coucher… pas plaisant quand on voulait lire au lit! De toute façon, on se faisait dire d’éteindre et de dormir. On s’éclairait alors avec une lampe de poche, qu’on plaçait sous la couverture!

Avec l’électricité, au cours des années 40 et 50, sont arrivés les différents électroménagers : réfrigérateurs, poêles, laveuses, fer à repasser, radio, etc. Chez nous, je crois bien que c’est la laveuse «  à tordeurs » qui est entrée la première dans la maison et aussi le vieux poste de radio Hallicrafter. Il me semble avoir toujours vu cette boite noire qui nous offrait quand même pas mal de postes. Je revois surtout mes frères agglutinés autour du poste de radio, le samedi soir, écoutant la partie de hockey du Canadien! On aurait juré qu’ils la voyaient! Le réfrigérateur a suivi de près. Les cuisinières électriques sont arrivées plus tard, mais je me souviens qu’en été, nous utilisions un petit poêle électrique à deux ronds; c’était bien pratique par les jours de grande chaleur de ne pas avoir à allumer le poêle à bois..

elvis-2012-723x1024Pour la musique, comme dans beaucoup de foyers, nous avions un piano; chez nous il était toujours ouvert et il ne manquait pas d’utilisateurs… même si nous n’étions pas des virtuoses! Nous avions aussi un gramophone, avec une manivelle qu’on devait « crinquer »… sinon le « record » ralentissait, et la voix du chanteur ou de la chanteuse nous parvenait toute déformée.  Nous, les plus jeunes, nous trouvions ça très drôle! Je ne me souviens pas quand nous avons eu un appareil électrique, mais je crois me rappeler que c’est en 1955 que mon frère Jacques a acheté son tourne-disque qu’on appelait un « pick-up ». On faisait jouer des disques 78 tours ou des « longs-jeux », à 33 tours. Nous avions aussi quelques nouveaux 45 tours, ces petits disques qui se vendaient vraiment pas cher, qui étaient surtout plus légers, donc moins fragiles. Il y en avait de la musique, chez nous! Pour tous les goûts! Comme les écouteurs n’étaient pas encore à la mode, et que nous avions des goûts très diversifiés, il arrivait assez fréquemment qu’on se fasse dire de « baisser le son ».

Gilles Pelletier, de l'émission Cap aux sorciers, sur la couverture de la revue Le samedi en 1958.

Gilles Pelletier, de l’émission Cap-aux-Sorciers, sur la couverture de la revue Le samedi, en 1958.

C’est en 1952 qu’est arrivée la télévision. Encore là, seulement quelques privilégiés l’avaient. Inutile d’ajouter que ceux qui possédaient un appareil recevaient beaucoup de visite certains soirs!  Je me rappelle qu’au cours des premières années, j’allais le mercredi soir regarder La Famille Plouffe chez mes amies, dont le père a été un des premiers à posséder un téléviseur. Après cette émission, nous regardions la « lutte ». On avait chacune notre lutteur préféré; soit Yvon Robert, Johnny Rougeau ou Larry Moquin. Il y avait aussi un méchant qui s’appelait Wladek Kowalski, comme on avait du plaisir à l’haïr! Quand nous avons eu enfin la télévision, je n’ai plus jamais regardé la lutte! J’aimais surtout les téléromans, Les belles histoires des pays d’en haut, Cap-aux-Sorciers, le Survenant… Quelquefois, le dimanche soir, on regardait le Ed Sullivan Show. Je me souviens de la première fois où nous avons vu Elvis Presley, c’était justement au cours de cette émission. J’étais chez une de mes amies, on ne s’est pas roulées par terre… mais si on le trouvait beau! Nous avions déjà quelques-uns de ses disques. On dansait sur Blue Suede shoes et Don’t be cruel, mais on préférait quand même les slows, dont  Love me tender et Loving you. La télévision a chamboulé les habitudes des familles; désormais les gens passaient plus de temps à la maison, surtout les soirs où étaient présentées les émissions les plus populaires. En peu de temps, la « boite à images », que mon oncle Jean-Paul appelait « la boite à grimaces », s’est propagée dans tous les foyers!

La télévision a pris des couleurs… L’Expo 67 et les Jeux Olympiques de 1976 nous ont fait découvrir le Monde… en même temps que le Monde nous découvrait. En 1978, j’ai commencé à écrire mes « grains de sel » dans notre petit journal Le Phare sur une dactylo manuelle. J’utilisais du scotch tape en quantité industrielle pour monter mon journal; j’en ai passé du temps à couper, coller, recommencer, fignoler. Au cours des années 80, j’ai eu enfin une dactylo électrique, quelle merveille! En 2000, j’ai dû m’habituer à utiliser un ordinateur… j’en ai arraché! J’en faisais des cauchemars! Mais j’ai appris à me servir de cet outil qui m’est devenu indispensable.

Et me voici, rendue en 2017. Je pourrais chanter: « Non, rien de rien, non je ne regrette rien… » Je me trouve chanceuse d’avoir vécu mon trois-quarts de siècle. On est riche de tout ce qu’on a vécu, bien plus que de ce qu’on possède. On vieillit quand on cesse d’être curieux du lendemain, quand on cesse de croire que la vie nous réserve encore de belles surprises!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 janvier 2017

Buick LeSabre 1959...

Buick LeSabre 1959…

Bal au Vieux Presbytère

Le Vieux Presbytère de Deschambault (construit en 1816), du temps des soirées Bonne Chanson...

Le Vieux Presbytère de Deschambault (construit en 1816). ©Coll. privée Madeleine Genest Bouillé.

Au début des années 70, quelques personnes avaient décidé de donner une deuxième vie au vieux presbytère, en mettant sur pied une association qui porterait comme de raison le nom de Société du Vieux Presbytère. Tout d’abord, on restaura la vénérable bâtisse  datant de 1815. Puis, l’important étant d’amener les gens de Deschambault à fréquenter le Vieux Presbytère, les dirigeants du nouvel organisme s’ingénièrent à multiplier les occasions! Je me souviens du premier souper des membres de la Société… on parlait alors de repas « à la fortune du pot ».  Une formule qui peut être gagnante, à la condition que les convives se consultent un tant soit peu. Mais qu’importe, on y  a eu tellement de plaisir! Par la suite, on a adopté pour nos rencontres le menu « soupes-desserts » qui  s’est maintenu pendant plusieurs années. Dans le même esprit d’ouverture, au cours des premiers étés, l’embauche d’étudiants permettait de présenter des expositions à caractère historique et en même temps, offrait aux enfants d’âge scolaire quelques semaines de ce qu’on appelle maintenant un « camp de jour ». Ce fut un succès! La vieille bâtisse devait se sentir ragaillardie par la présence de ces jeunes aussi bien que des moins jeunes qui la fréquentaient.

La conquête du Vieux Presbytère s’est faite grâce à ces diverses activités, mais aussi, il faut bien en convenir, grâce aux soirées dansantes qu’on y a tenues. La première de ces veillées eut lieu en novembre 1973 ou 74; la date n’est pas inscrite sur les photos. On avait choisi d’inaugurer par un Bal d’époque la belle salle toute neuve, avec son plancher bien ciré! Impossible de trouver un plus bel endroit pour tenir ce genre de soirée. Imaginez un peu : des tentures bordeaux habillaient les fenêtres de la salle, un piano installé sur une petite estrade attendait les musiciens… et en haut du petit escalier casse-cou, un mini bar recevait les danseurs assoiffés, avec un petit verre de caribou, boisson d’époque, s’il en est! De plus, pour faire encore plus « bal », une hôtesse, vêtue d’une vraie robe d’époque, accueillait les gens avec son sourire et ses belles manières on ne peut plus XIXe siècle! Je n’ai malheureusement pas de photos de Mademoiselle Gracia Arcand, la bien nommée, dans sa robe de soie noire, rehaussée de quelques très beaux bijoux.

Dans les soirées d’autrefois, on dansait, on causait, on prenait un petit verre pour se réchauffer d’abord, se désaltérer ensuite, mais aussi on chantait. Par chez nous, depuis toujours, il n’y a pas de veillée, ni de fête sans chansons. Qu’on se rappelle la très vieille chanson de « François Marcotte, qui s’habille bien propre, pour aller à Deschambault, chez Monsieur Boudreau… » Qu’importe le style, de la chanson à répondre à la  sérénade, en passant par la  chanson comique,  avec ou sans accompagnement, on chante! C’est ce qui se passait au cours de nos veillées au Vieux Presbytère. Une chanson en amenant une autre, les pauses s’allongeaient… ce qui donnait aux danseurs le temps  d’aller se rincer le gosier au près du « tenancier » du bar.

©Coll. privée Madeleine Genest Bouillé

©Coll. privée Madeleine Genest Bouillé

Sur la première photo, on voit justement Mesdames Joséphine Petit-Dussault et   Blandine Naud-Paré, avec Monsieur Jean-Marie Du Sault; il me semble les entendre chanter : « Plaisir d’amour, ne dure qu’un moment… chagrin d’amour dure toute la vie ». En rappel, les deux dames, dont les voix s’harmonisaient si bien,  chantaient Le tricot de laine, de Théodore Botrel, une bien triste histoire!

©Coll. privée Madeleine Genest Bouillé

©Coll. privée Madeleine Genest Bouillé

Une deuxième photo  montre  Monsieur Albert Paris,  accompagné au piano par ma tante Rollande Petit-Hamelin, et moi; je chantais sans doute la belle chanson Roses de Picardie, que Monsieur Paris jouait admirablement sur son violon! Que de beaux souvenirs…

Dans un bal, on danse! Sur la troisième photo, c’est mon cousin Jean-Claude (Tico) Petit, qui nous faisait danser au son de son accordéon; il est accompagné au piano par  ma tante Gisèle Petit. Prenez le temps d’admirer sa robe : elle avait été cousue par ma mère tout comme la mienne et celle de ma sœur Élyane, qu’on voit sur une autre photo avec son époux.

Le Bal d’époque s’inscrivait dans les activités d’automne, alors que les soirées rallongent  et qu’on reprend goût aux divertissements d’intérieur. Ces soirées se sont poursuivies durant  environ  une dizaine d’années; puis au cours des années 90,  on a repris la formule  deux ou trois fois. Plusieurs genres de soirées ont été tenus au Vieux Presbytère. Pendant quelques années, un groupe de Fermières, portant le nom « d’Atelier des Mains Agiles »,  avait organisé des soirées « Carnaval de Rio », dont je n’ai aucune photo, et c’est bien dommage car il y avait là de très jolis costumes. Après les Fermières, cette activité a été reprise par les mêmes personnes, mais sous l’égide du Club Optimiste. Nous avons connu aussi le Bal des Guenillous; encore une soirée costumée…. mais vraiment sans prétention! Et toujours, on dansait, avec la musique de Tico et Ti-Clin (André Paris, qu’on voit sur cette dernière photo).

©Coll. privée Madeleine Genest Bouillé

©Coll. privée Madeleine Genest Bouillé

Avec le temps, les gens de Deschambault et d’ailleurs ont appris par cœur le chemin pour se rendre au Vieux Presbytère… surtout quand il y avait un bal!

© Madeleine Genest Bouillé, 20 octobre 2016

Nos belles folies

500x675_3142Quand les mille feuilles avaient  MILLE  feuilles…
Quand les « Mae West »  étaient aussi dodus
Que l’actrice dont c’était le nom.
C’était l’bon temps, garanti!
Pas croyable, tout ce qu’on pouvait acheter
Pour seulement 10 cents :
Un Coke, un  Cream Soda, un sac de chips
Un sac de « pinottes », une Orange Crush;
10 cents, rien que ça!

IMG_20160521_0001Quand la télévision est arrivée,
Ceux qui l’avaient étaient privilégiés.
Mais, je vous dis qu’ils en avaient d’la visite!
« Sa Mère, ôte ton tablier, vite! »
« Ben non, Pépère, pas besoin de se changer,
Ils nous voient pas, là, les acteurs dans la télé! »
La Famille Plouffe, la Soirée de lutte, Cap-aux-Sorciers,
Radisson, le Survenant, Un homme et son péché…
Et le dimanche soir, le « Ed Sullivan Show ».
C’est là qu’on a vu ELVIS pour la première fois!
On en revenait pas… Il était donc ben beau!
Puis quand il a chanté « Love me tender », Ah là!
On a braillé, je vous le cache pas!

IMG_20160521_0002Quand on allait au Mois de Marie,
Par les beaux soirs de mai à 7 heures et demie.
Ça nous faisait une bonne raison
Pour rentrer plus tard à la maison.
C’était donc plaisant d’être catholique!
Aller à l’église, le soir, c’était ben pratique.
En revenant on se pressait pas…
Derrière le Vieux presbytère on cueillait du lilas…
En faisant semblant de pas voir passer les gars…
Mais on parlait fort, on riait aux éclats.
On chantait : « Ave Maris Stella, des springs, pis des matelas »
On virait les cantiques à l’envers, plus folles que ça, ça se peut pas!

Quand au mois de juin, on s’installait sur la galerie pour étudier,
En regardant passer les autos, les bicycles, surtout les gens à pied.
On étudiait très fort : la géographie, l’Histoire du Canada,
1759, 1760, Wolfe, Montcalm… « Aïe c’est qui celui-là? »
On repassait tout le Régime français en écoutant le beau Paul Anka.
Paul_Anka_1961Sur le petit transistor : « Put your head on my shoulder… »
« C’est quand donc, l’intendant Talon? »
« Je le sais-tu moi, on écoute la chanson. »
Les soirées étaient douces… l’été était déjà là.
On avait tellement pas le goût de rentrer,
Plus studieuses que ça, ça se peut pas!

Quand enfin arrivait les vacances d’été,
On posait pas la question : « Où on va cette année ?»
On prenait des marches, on s’assoyait sur la galerie pour placoter.
On allait quelquefois visiter les « mononcles »,  les « matantes », la parenté.
On ne manquait pas une partie de balle;
On encourageait de notre mieux les équipes locales.
On criait quand il le fallait même si on suivait pas le jeu…
On savait le nom des joueurs : Ti-Pierre, Ti-Jacques, Ti-Zon, Ti-Bleu…
Des fois, il venait un cirque : le Cirque Touzin, ça s’appelait.
C’était la grosse foire! Les jeunes, les vieux, tout le monde y allait.
Il s’en est fait, des belles rencontres, à côté de la Grande Roue!
Entre deux tours de manège, au son de « Waterloo »…

cornet-frites-froisse-blanc-1-640Quand on allait à « la roulotte à patates frites »
Chez M. Audet, pour 25 cents on avait un Coke, une frite.
Dire qu’y en a qui disent que la friture, ça pue!
Maintenant  il n’y a plus que le parfum du B.B.Q.!
La bonne odeur des frites, un peu vinaigrée…
C’est l’arôme même de nos belles années!
On revenait en placotant, en riant, en chantant…
Les gars en bicycle nous criaient, chemin faisant…
À notre tour, on les reluquait sans en avoir l’air
On se pensait bonnes, puis on était donc fières!

Quand les milles feuilles avaient MILLE  feuilles…
La vie était un énorme mille feuilles!
Qu’on dégustait sans s’écœurer,
Qu’on émiettait sans y penser,
Qu’on gaspillait sans se soucier,
Comme si ça allait toujours durer.
Quand les mille feuilles avaient… MILLE feuilles!

Écrit  un beau soir du mois de mai au début des années 2000

© Madeleine Genest Bouillé

C’était dans le temps du Jour de l’An!

Dans mes souvenirs, il me semble que papa était toujours en congé le premier jour de l’année. Jusqu’à cette nuit de fin décembre 1960, où il a été renversé par une auto, sur un coin de rue à Montréal. Il finissait son « chiffre » et devait prendre l’autobus le lendemain matin pour venir fêter le Jour de l’An. Nous avons commencé l’année 1961 sans lui… avec très peu d’espoir de le revoir vivant. Il a survécu; et ensuite, il a toujours été avec nous pendant les dix-neuf dernières années de sa vie, bien présent, mais cloué dans un fauteuil.

La famille Genest, en 1956.

La famille Genest, en 1956.

Je reviens au Jour de l’An de mon enfance… On allait d’abord à la messe, puis on se rassemblait pour la bénédiction que papa nous donnait solennellement. Ensuite, avant de passer à table, papa nous servait un « petit doigt » de vin rouge – du Saint-Georges – dans de minuscules verres en forme de baril. Je ne me souviens pas à quel âge on commençait à jouir de ce privilège. Mais c’est un souvenir qui m’est très cher. Ça nous donnait l’impression d’être aussi important que les grandes personnes.

Pendant longtemps, nous avons reçu nos cadeaux au Jour de l’An. Ça s’appelait alors des « étrennes ». Je ne me rappelle pas à quelle occasion cette coutume a changé, ni pourquoi. Maintenant, dans ma famille, une année sur deux, nous échangeons nos présents le premier de l’an et les plus jeunes reçoivent un « bas du Jour de l’An ». J’aime bien souligner ainsi le début de l’année. La fête des Rois n’étant plus célébrée le 6 janvier (souvent même, l’école est recommencée), alors dans bien des familles, le temps des Fêtes se termine le 1er janvier. Si vous déambulez dans les rues au cours des premiers jours de janvier, vous découvrirez plusieurs sapins dehors, déjà au rebut! Vous les reconnaîtrez à leur mine triste, arborant encore quelque décoration brillante, pour rappeler le rôle qu’ils ont joué un temps, hélas, trop court!

Maison de mon grand-père, Edmond "Tom" Petit, en 1903.

Maison de mon grand-père, en 1903.

Le Jour de l’An, c’était aussi le souper chez mon grand-père. La « petite route » n’était pas loin de la « vieille route », cependant, mon père préférait qu’on se rende en taxi, les plus jeunes étant encore petits. Comme il n’y avait pas de places pour toute la famille, les aînés se rendaient à pied. Mes parents avec les plus petits, prenaient le taxi de M. Frenette. Je me rappelle encore cette voiture fermée, tirée par un cheval pas trop pressé. Nous ne voyions strictement rien, les vitres étant gelées, il faisait noir et nous étions tassés comme des sardines. Le plus jeune de mes frères pleurait tout au long de la route… heureusement, la « maison du cordonnier » n’était pas loin!

J’ai le souvenir de l’arrivée chez mon grand-père… c’était peut-être après le décès de grand-maman, qu’on appelait « Memére ». Je nous revois, dans la maison pleine de monde; il faisait chaud, ça parlait fort, ça riait! En plus des oncles, tantes et cousins qui demeuraient dans cette maison, il y avait la famille de mon oncle Jean-Paul qui était venue de Saint-Basile. Je ne me rappelle pas des mets qu’on nous servait, mais je me revois encore à la tablée des enfants, il y avait un long banc appuyé au mur, on l’appelait « le banc des innocents », c’était pour nous! Ce dont je me souviens le plus, c’est de la chaleur du poêle, l’odeur de la nourriture, le plaisir évident qu’on avait tous à se retrouver, les rires, les boutades qui fusaient de part et d’autre… C’était ça, le Jour de l’An!

Et après, il y avait la veillée. Tante Rollande au piano ou à l’harmonium, car elle a possédé ces deux instruments, mon père était invité à chanter. Il entonnait tous les cantiques de Noël et nous reprenions les refrains en chœur. Ensuite, mon oncle Jean-Paul prenait son violon, tante Gisèle sa guitare, et alors se succédaient les chansons à répondre, dont certaines faisaient partie, si on peut dire, « des trésors de famille »! Je ne connais pas les vrais titres de ces chansons, il y avait entre autres : « J’ai mis des cordes dans mon zing-zing, j’ai mis des cordes dans mon violon »… « Mitaines et chaussons ». « Le démon sort de l’enfer pour faire le tour du monde ». Et combien d’autres! Des chansons dont nous ne comprenions pas le double sens, mais les rires des adultes étaient tellement communicatifs que nous avions autant de plaisir qu’eux! C’était ça aussi, le Jour de l’An!

Une soirée à St-Basile, en 1959.

Une soirée à St-Basile, en 1959.

Certaines années, au cours du temps des Fêtes, nous allions veiller chez mon oncle Jean-Paul. Personne n’avait encore d’auto dans la famille, mais il se trouvait toujours « une connaissance » dans l’entourage pour nous conduire. C’était un privilège d’être admis dans l’auto. Les automobiles de ce temps-là avaient l’avantage de posséder de longs sièges sur lesquels on pouvait aisément asseoir trois personnes à l’avant et quatre ou plus à l’arrière. Pour le plaisir d’aller veiller à Saint-Basile, on acceptait sans problèmes de se tasser un peu. Quelle belle soirée, encore une fois, pleine de rire et de musique! Ah! oui, vraiment… « c’était comme ça que ça se passait, dans le temps du Jour de l’An »!

© Madeleine Genest Bouillé, janvier 2016

Une veillée d'autrefois, illustration d'Edmond-J. Massicotte (Bibliothèque et Archives nationales du Canada).

Une veillée d’autrefois, illustration d’Edmond-J. Massicotte (Bibliothèque et Archives nationales du Canada).

Je vous en souhaite une bonne!

Ancienne carte postale de Bonne Année (1920).

Ancienne carte postale de Bonne Année (1920).

Combien de fois entre le 31 décembre jusque vers la mi-janvier, dirons-nous et entendrons-nous ces mots : « Bonne et heureuse année »? Parfois c’est dit machinalement, sans trop s’arrêter aux paroles. J’ai souvenance qu’autrefois, chez mon grand-père, on entendait les adultes qui s’exclamaient : « Je vous en souhaite une bonne! ». Il était d’usage de répondre : « Vous pareillement! ». Tout cela était exprimé avec une franche poignée de main et une bonne accolade. Et nous, les enfants, nous imitions les grandes personnes qui nous semblaient toutes si joyeuses ce jour-là. On se secouait mutuellement la main avec vigueur en disant : « Bonne année grand nez! » et on répondait : « Vous pareillement, grandes dents! ». Nous avions beaucoup de plaisir à ce jeu, sans doute parce que « ça n’arrive qu’une fois par année! ».

Orchestre Paris, Deschambault (coll. M. Genest).

Orchestre Paris, Deschambault (coll. M. Genest).

Je crois important de personnaliser les souhaits qu’on échange avec les parents, les amis. Mettons-y du cœur; les mots doivent venir facilement quand on s’adresse à ceux qu’on aime! Trop de gens se contentent de souhaits usés à la corde, tel celui qu’on redit chaque année aux écoliers : « Je te souhaite du succès dans tes études. » Je me souviens que je n’aimais pas cela. J’aurais préféré quelque chose de plus amusant. S’il m’arrive parfois de le dire encore, ce sera seulement aux plus jeunes, pour lesquels c’est encore tout nouveau et surtout si je sais qu’ils sont des élèves studieux et motivés. Cependant, j’aime ajouter un souhait plus à leur portée, par exemple, « beaucoup de neige », pour ceux qui, comme cette année, n’ont pas encore eu le plaisir de glisser et de skier; pour le jeune joueur de hockey, je souhaite « beaucoup de buts ». Et surtout, je fais ce vœu qui plait à tous : « Je te souhaite ce que tu désires le plus, même si ce n’est pas raisonnable! ». Ce vœu m’a été offert une fois, une seule! J’étais jeune et, si je me rappelle bien, encore étudiante. Je suis demeurée bouche bée, et en même temps, j’étais contente. La personne qui m’avait fait ce souhait inhabituel était ma marraine. C’était une femme qui dirigeait un petit orchestre de musique de danse, comme on en rencontrait beaucoup à cette époque, dans les soirées où l’on préférait la « vraie musique » à celle du phonographe. Elle s’appelait Blanche, c’était la cousine de ma mère et elle jouait de plusieurs instruments, dont le banjo, un instrument qu’on voyait assez rarement dans ce genre de groupe musical. Elle aimait beaucoup son métier, peu courant pour une femme mariée et mère de famille. À bien y penser ce souhait pas très conventionnel lui ressemblait vraiment beaucoup! Je m’en souviendrai toujours.

La bénédiction paternelle, illustration de Henri Julien, 1880 (Canadian Illustrated News).

La bénédiction paternelle, illustration de Henri Julien, 1880 (Canadian Illustrated News).

C’est chaque fois avec un peu de nostalgie que j’aborde la soirée du 31 décembre… nous sommes moins nombreux à nous rassembler; cette soirée, autrefois familiale, est de plus en plus fêtée entre amis. Ainsi va la vie… et encore une année qui s’en va! 2015 emporte avec elle de belles réalisations certes, des moments heureux, mais aussi d’autres moins beaux, des chagrins, des déceptions, des problèmes de santé. Tout n’a pas été beau, ni parfait. On ne peut rien effacer, il est cependant permis d’espérer le mieux! Notre Créateur ne nous demande pas l’impossible. Mais tournons la page, la nouvelle année est déjà là! On change les calendriers… chez moi, les nouveaux sont déjà installés en dessous des anciens qui ont graduellement perdu des plumes. Le premier matin de cet an nouveau nous retrouvera pareils à ce qu’on était la veille; rien n’a visiblement changé. Au cours du dîner ou du souper, à moins que ce ne soit les deux, nous rencontrerons des membres de la famille ou des amis. On échangera tous les bons vœux habituels. Que serait-ce si nous avions la certitude que ce sont les derniers qu’il nous est donné de souhaiter? Je suis certaine que nous souhaiterions plus de bonheur, de santé, d’amour, de paix, plutôt que d’argent, de voyages, de réussite financière ou scolaire, n’est-ce pas?

Sauf si je suis très malade, je tiens à commencer l’année par la messe. D’une année à l’autre, nous chantons cet ancien cantique : « Mon Dieu, bénissez la nouvelle année… rendez heureux nos parents, nos amis. Gardez de tout malheur ces amitiés si chères, nous vous les consacrons.» Ces paroles je les répète avec toute la ferveur dont je suis capable. Il est important de se rappeler à certains moments que notre destin est pour une grande part entre les mains de Dieu et ce premier jour d’une nouvelle année en est l’occasion par excellence.

Je termine avec ce souhait qui nous vient de Bretagne : à l’an prochain, et si nous ne sommes pas plus, faites, Seigneur, que nous ne soyons pas moins!

© Madeleine Genest Bouillé

La bénédiction du Jour de l'An, illustration de Edmond-J. Massicotte, 1923 (Bibliothèque et archives nationales du Canada MIKAN no. 2895477).

La bénédiction du Jour de l’An, illustration de Edmond-J. Massicotte, 1923 (Bibliothèque et archives nationales du Canada MIKAN no. 2895477).

« Mais où sont passées les neiges d’antan? »

(Paroles tirées de Ballade des Dames du temps jadis, de François Villon)

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Le champ entre notre maison et celle de notre voisin, la demeure ancestrale de la famille Bouillé, en 1986 (soit l’année précédant la construction de la maison de notre neveu Germain).

Oui je m’ennuie de la neige! Je l’avoue sans honte, même avec une certaine fierté. Je suis une vraie québécoise, native d’un pays où il y a quatre saisons, dont l’une, l’hiver, qui empiète habituellement sur celle qui la précède et pas mal aussi sur celle qui la suit. Mais voilà : aujourd’hui, 2 décembre, c’est comme si on était en novembre. C’est gris, c’est laid… même la musique de Noël que je fais jouer pendant que mon homme s’affaire aux pâtés à la viande pour la Vente de Pâtisseries des Lions, et même cette bonne odeur de fête ne parviennent pas à me faire oublier qu’il pleut à boire debout. Pas du verglas, non, de la pluie, de l’eau!

pate_viande_recetteJ’ai quand même de quoi m’occuper et sinon, quelqu’un à admirer. Car, qu’y a-t-il de plus réconfortant, je vous le demande, que de voir un brave cuisinier mélanger avec application les viandes avec les oignons et les épices, et cuire tout ça dans un grand chaudron? Tandis que la ménagère de service, en l’occurrence moi, vaque à des occupations routinières : ménage, lavage, avec séchage à l’intérieur, forcément! Donc, notre cuisinier prépare ensuite sa pâte et la roule avec un tel acharnement sur le rouleau, on jurerait qu’il se défoule sur cette pauvre pâte molle, qui ne lui a pourtant jamais rien fait! Dommage, je n’ai pas de photos de mon cuisinier, vous auriez aimé voir cette ardeur au travail… avec pas loin, un petit verre de scotch qui attend. Le scotch est au cuisinier ce que l’essence est à l’auto! Quand les pâtés vont dorer au four, il s’en dégagera un tel arôme, je vous le dis, c’est quasi céleste! Au fait, croyez-vous qu’il soit possible qu’au Paradis on retrouve tout ce qu’on a aimé sur terre, senteurs et saveurs incluses ? Moi, j’aimerais bien. Ceci me fait penser à cette pensée un peu légère: «  Si au ciel on ne peut pas rire, moi, je préfère ne pas y aller ! »

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Le cap Lauzon enneigé, début des années ’90.

Concernant cet hiver qui tarde, quelqu’un va sûrement me rétorquer : « ben voyons donc, c’est la faute aux changements climatiques! » D’autres diront: « c’est le phénomène El Nîno. » Je veux rien savoir! Je veux de la NEIGE! Après mon opération au genou, et tout au long de ma convalescence, je disais pour m’encourager : « j’ai hâte à l’hiver, j’ai hâte à Noël! Sûrement qu’alors, ça va aller comme sur des roulettes». Décembre est là, les décorations dans la maison ont l’air aussi incongrues que si on était en juillet et dehors, les boucles de ruban rouge pendent tristement… elles n’aiment pas la pluie, ça ne leur va pas au teint. Les gourous de la météo prédisent qu’on aura l’hiver à la mi-janvier… pas possible! Devrons-nous subir ce désolant paysage encore plus d’un mois?

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Chansonnier anglais que j’ai reçu en cadeau en 1951, publié par la compagnie Loneys…

J’enfile l’une derrière l’autre toutes les chansons d’hiver que je connais : C’est la première neige, jolie chanson de mon enfance… Noël blanc : je n’y peux rien, les paroles me font pleurer! Le sentier de neige, j’ai toujours aimé cette chanson des Classels, ça donne envie de cheminer le soir, sous une petite neige douce… Le bonhomme de neige, La promenade en traîneau : on n’irait pas loin aujourd’hui! Même en anglais, la neige est belle : Let it snow, Winter wonderland, Deck the Halls. Que de belles chansons, dont plusieurs qui nous rappellent des fêtes de Noël ou du Jour de l’An, des rencontres en famille ou entre amis! On a chacun notre petit air préféré pour le temps des Fêtes, celui qui bourdonne à nos oreilles à tout moment… même et surtout quand c’est pas le temps!

Si comme moi, cette température vous rend morose, écoutez les chansons du temps des Fêtes que vous aimez, chantez-les en même temps et si vous faussez quelque peu, personne ne vous en tiendra rigueur! Et puis, espérons, le grand Boss de la température aura peut-être un peu pitié de nous et nous enverra quelques pouces de belle neige, avec assez de froid pour que le tapis résiste jusqu’à la première vraie bordée…

© Madeleine Genest Bouillé, 2 décembre 2015

La langue de chez nous

« C’est une langue belle avec des mots superbes… » C’est qu’il y en a des mots dans notre belle langue française! Seulement pour décrire sa beauté, on peut utiliser superbe, magnifique, admirable, sublime et combien d’autres. Mais voilà que dans notre parlure moderne, on remplace tout cela simplement par « Wow ! » Et ce « cri du cœur » est utilisé à toutes les sauces. Ça remplace tous les superlatifs, qu’il s’agisse de beauté, de saveur, de parfum, de musique, etc. Un simple « Wow! » Et que dire de la fameuse expression « My God! » Jadis on ne manquait pas de mots pour s’exclamer : « Seigneur ! », « Jésus, Marie, Joseph! », « Bonne Sainte-Anne! » ou « Bonne sainte bénite! », sans oublier « P’tit Jésus de plâtre! » et « Joual vert! »; on savait mettre de la variété!

« Dans cette langue belle… la saveur des choses est déjà dans les mots ». Pourtant on dirait parfois à entendre notre parler qu’on manque de mots. C’est trop compliqué ou on a peur de faire « prétentieux », alors on prend des raccourcis, on économise les mots plus recherchés, même s’ils expriment les vraies choses, ce qui nous amène à parler une langue appauvrie. « Elle a jeté des ponts par-dessus l’Atlantique … » Notre langue nous a été léguée par nos ancêtres, lesquels, pour la plupart, venaient de France. Ces pionniers n’étant pas tous originaires de la même région, ils avaient donc différentes manières de parler selon qu’ils venaient des régions du nord ou du sud de la France. Ils nous ont laissé tout plein de vieilles expressions tellement imagées : « Il fait noir comme chez le loup », « Il mouille à boire debout », « Grimpe donc pas dans les rideaux!» et combien d’autres! Notre langue est colorée, nuancée, diversifiée. « Elle a fait face aux vents qui soufflent de partout, pour imposer ses mots jusque dans les collèges et qu’on y parle encore la langue de chez nous. » Beaucoup de nos gens d’autrefois étaient souvent illettrés et malgré tout, ils ont su préserver leur parler et leurs coutumes parce qu’ils y tenaient. Notre langue « nous offre toujours ses trésors de richesse infinie, les mots qu’il nous fallait pour pouvoir nous comprendre et la force qu’il faut pour vivre en harmonie! »

« C’est une langue belle à qui sait la défendre… » Et voilà! Comment peut-on prétendre défendre une langue qu’on parle et qu’on écrit mal. On peut en mettre beaucoup sur le dos des moyens de communications modernes. J’ai moi-même constaté combien il est facile de faire des fautes quand on écrit sur un clavier… on va plus vite, on tape la lettre à côté et si on ne se relit pas attentivement, on se retrouve avec des fautes qu’on aurait jamais faites si on avait écrit à la main. Ceux qui nous gouvernent ont émis des lois pour la protection de la langue, comme entre autres, l’affichage obligatoire en français; il était temps qu’on fasse quelque chose. Les premières fois où je suis allée à Montréal, dans les années cinquante, l’affichage était presque partout en anglais. Les gens étaient en général moins scolarisés, ils travaillaient dans des usines pour des patrons qui pour la plupart, parlaient à peine le français; curieusement, tout le monde se débrouillait sans mal avec les affiches unilingues anglaises. Cela semblait normal, on disait « l’anglais c’est la langue des affaires! » On se laissait envahir par les anglicismes pour tout ce qui était moderne, par exemple dans la mécanique automobile, on utilisait que les termes anglais, qu’on disait tout de travers.

Les jeunes du vingt-et-unième siècle sont beaucoup plus scolarisés que leurs grands-parents; on apprend l’anglais à l’école très tôt, sans pour autant négliger le français. Mais si on s’arrête à ce qu’ils écoutent comme musique, on s’aperçoit qu’il y a pas mal plus d’anglais que de français. On ne peut les blâmer, plusieurs de nos artistes québécois produisent plus de chansons en anglais qu’en français. Quand on écoute la radio, la plupart des postes nous font entendre beaucoup plus de chansons anglophones que francophones, ce qui n’arrange rien. Mais le plus désolant, selon moi, c’est le langage des médias sociaux. Ce ne sont là qu’abréviations toutes croches et des fautes, à la tonne! C’est parfois voulu, avec l’intention de faire rire, mais plus souvent qu’autrement, c’est de l’indifférence et du laisser-aller. Et que dire de ce fameux « lol » que je me garde bien d’utiliser! Dommage, car ces réseaux nous permettent de communiquer avec des personnes dont nous n’aurions autrement pas souvent de nouvelles, c’est pourquoi j’y suis abonnée.

Si je reprends cette phrase de la chanson : « C’est une langue belle à qui sait la défendre… », c’est qu’elle m’interpelle. Serait-ce qu’on manque d’armes pour défendre notre langue? Ou bien nous en avons, mais on ne sait pas s’en servir? Tout d’abord, croit-on qu’elle est vraiment menacée… ou si ça nous passe cent pieds par-dessus la tête? Dans le doute, je préfère terminer avec ceci : « En écoutant chanter les gens de ce pays, on dirait que le vent s’est pris dans une harpe et qu’il a composé toute une symphonie ». Je n’ai pas été à l’université, mais je l’aime, la langue de chez nous, alors j’essaie de la parler et de l’écrire du mieux que je peux.

© Madeleine Genest Bouillé, octobre 2015

Chansons d’automne…

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Il fut un temps où, au Vieux Presbytère, on présentait des soirées « Bonne Chanson ». L’idée nous en était venue après avoir constaté que lors de nos soirées de musique, piano-bar ou musique traditionnelle, il y avait toujours un moment dans la soirée où l’un ou l’autre des participants entonnait une chanson, que tout le monde reprenait ensuite. Entraînés par la musique, on finissait par chanter en chœur; une chanson succédait à l’autre. Souvent alors, la soirée se prolongeait… Quand on se quittait, c’était pour se dire : « On devrait en faire plus souvent des soirées comme ça! »

Le Vieux Presbytère de Deschambault (construit en 1816), du temps des soirées Bonne Chanson...

Le Vieux Presbytère de Deschambault (construit en 1816), du temps des soirées Bonne Chanson…

La première soirée Bonne Chanson a eu lieu en novembre 1993 ou 1994, je ne suis pas certaine. On avait invité les gens à apporter les cahiers de La Bonne Chanson de l’Abbé Gadbois. On avait préparé un programme « au cas où » pour débuter la soirée et réchauffer la salle, en se disant que la suite viendrait tout naturellement, dès lors que les gens proposeraient une chanson, en solo, en duo ou en chœur. Et c’est ainsi que ça se déroulait. La saison se prêtait bien à ce genre de veillée. Il y a tellement de belles chansons qui parlent de l’automne! En commençant par La dernière rose de l’été : sur une musique irlandaise, l’auteur nous dit que « Si demain, tu cueilles une rose, dont le cœur est déjà fané… dis-toi bien que cette rose est la dernière de l’été. » Cette autre chanson, intitulée simplement Chant d’automne, résume à elle seule nos soirées automnales : « Lorsque le vent du soir s’alanguit et pleure, Et que tous les enfants sont dans la demeure, Ah! qu’il fait bon chez-soi près du feu pétillant qui chante, En cercle l’on s’assoit loin de la tourmente. »

Charles-Émile Gadbois (1906-1981), fondateur de La Bonne Chanson.

Charles-Émile Gadbois (1906-1981), fondateur de La Bonne Chanson.

Impossible d’évoquer les soirées Bonne Chanson, sans parler de Louiselle et de Joachim, un couple charmant, qui était toujours présent partout où ça chantait! Parmi leur vaste répertoire, ils chantaient ce duo, Chanson d’automne, dont le refrain nous invite : « Viens cueillir encore un beau jour, en dépit du temps qui nous presse, et mêlons nos adieux d’amour, aux derniers parfums de la brise. » Depuis, Louiselle et Joachim ont quitté leur maison au bord du fleuve pour une résidence plus apte à leurs besoins, puis encore une fois, ils ont changé de nid… Ainsi ils peuvent continuer de cueillir chaque beau jour qui s’offre à eux et ils profitent ainsi des parfums de la brise tant qu’il leur est possible de le faire!

Quatre rubansDans la Bonne Chanson, on retrouve des chansons très vieilles, qui ont été reprises et transformées maintes fois, et qui souvent racontent une histoire… généralement triste! Ainsi en est-il de la chanson Les quatre rubans. C’est l’histoire d’une vieille femme qui décrit sa vie en « quatre rubans » : sa vie de jeune mariée, représentée par le ruban blanc; le ruban bleu, pour sa vie de jeune mère; devenue veuve de guerre, elle porte le ruban rouge; et plus tard, ayant perdu ses fils et son époux, elle porte désormais le ruban noir. Une autre chanson, parmi les plus connues, Mon chapeau de paille, raconte l’histoire d’un patriote de la région du Richelieu en 1837. L’abbé Gadbois faisait une large place aux chansons bretonnes de Théodore Botrel. Cet auteur a composé des berceuses, des chansons de marin et surtout de femmes de marins, comme La Paimpolaise… « qui attend au Pays Breton ». Il a aussi écrit des chansons, comme Le couteau, faites pour être mimées. Cette dernière était l’une des favorites des soirées Bonne Chanson.

Une autre incontournable de nos soirées, c’est Souvenirs d’un vieillard. Elle était le plus souvent chantée par Joachim et on reprenait en chœur le refrain : « Dernier amour de ma vieillesse, venez à moi, petits enfants… Je veux de vous une caresse pour oublier mes cheveux blancs. » La soirée n’aurait pas été complète sans la chanson du Grand Lustucru, de Botrel, qui était comme un clin d’œil à la fête de l’Halloween. Et comme il faut toujours un rappel… pour clore la veillée, Louiselle et Joachim nous chantaient L’hiver a chassé l’hirondelle : « Le dur hiver s’avance, adieu les belles nuits, d’amour et d’espérance, les oiseaux nous ont fui… L’hiver a chassé l’hirondelle, l’hiver a chassé les beaux jours. Mais de notre cœur, ô ma belle, l’hiver ne peut chasser l’amour. »

Que de belles soirées! Nul doute qu’on devrait en faire encore des veillées comme ça!

© Madeleine Genest Bouillé, septembre 2015

La vie était belle… dans les années 30

Mon père, Julien, à 21 ans.

Mon père, Julien, à 21 ans.

« La vie était belle,

Au temps joyeux des balalaïkas…

Dans l’air flottait un parfum de lilas

Que c’est loin tout ça »

Mon père ne jouait pas de la balalaïka, mais plutôt de la guitare, de la guitare hawaïenne, pour être plus précis. C’était très à la mode en ces années-là. Un soir, j’ai eu le plaisir d’entendre cette chanson, au cours d’un spectacle présenté par le regretté Yves Cantin, au Théâtre du Lac Beauport. Très rythmée, cette mélodie enlevante donne envie de remonter le cours du temps, de revivre cette époque où « la vie était belle ».

Hôtel de la Ferme en 1980.

Hôtel de la Ferme (Station de recherches agricoles, actuellement le CRSAD) en 1980.

En 1930, mon père avait vingt ans. Avec ses frères Léo et Maurice, il était arrivé à Deschambault et selon les dires de ma mère, ils pensionnaient à l’hôtel de la Ferme-école provinciale où ils avaient obtenu un emploi. Comment ces trois jeunes hommes en étaient-ils venus à se retrouver dans notre village, je l’ignore. Orphelins depuis leur jeune âge, ils avaient déjà pas mal bourlingué, chacun de leur côté tout comme les trois autres garçons de la famille Genest, Georges, Laurent et Gérard.

Mon père Julien, avec son frère Jean-Paul et un ami, 1930.

Mon père Julien, avec Jean-Paul et un ami, 1930.

Mon père était affable et il aimait la compagnie. Le frère de maman, Jean-Paul, travaillait lui aussi à la Ferme. Mon oncle a donc invité Julien et ses frères à venir veiller à la maison de mon grand-père où il y avait six filles, dont trois en âge de rencontrer un prétendant. C’était une maison très vivante que celle de mes grands-parents, une maison où il y avait de la musique et de la bonne humeur! Construite sur le haut de la côte en bordure du fleuve, cette maison défie depuis plus d’un siècle, le vent de nordet qui dans cette petite rue se déchaîne comme s’il voulait tout jeter par terre! Le vent de nordet? Et quoi encore! Maman racontait que, dans son enfance, la foudre était tombée dans la maison, entrée par une fenêtre pour ressortir par une autre. C’est tout ce que je sais de cette anecdote et je serais bien incapable de l’expliquer. Toujours est-il que mes grands-parents n’étaient pas des peureux! D’ailleurs ma grand-mère avait tout ce qu’il fallait pour contrer le mauvais sort : la croix de tempérance, les cierges de la Chandeleur, les rameaux bénits, l’eau de Pâques et cela, sans compter les images du Sacré-Cœur et de la Bonne Sainte-Anne. Mon grand-père, un homme qui ne s’énervait pas pour rien, travaillait dans sa boutique, tranquillement pas vite, en fumant sa pipe et en fredonnant une petite chanson à l’occasion. Tous ceux qui venaient dans la maison des Petit étaient bien accueillis, sans cérémonie comme c’était la coutume à cette époque!

Rangée du bas: une amie, tante Alice, ma mère Jeanne; rangée du haut: Jean-Paul, Léo et Julien.

Rangée du bas: une amie, tante Alice, ma mère Jeanne; rangée du haut: Jean-Paul, Léo et Julien.

Mon père et mes oncles ont ainsi fait leur entrée dans la maison du cordonnier. Léo a bien vite jeté son dévolu sur Alice, la plus jeune des trois filles  « en âge de se marier ». Maurice, de son côté, avait rencontré une jeune fille de Portneuf, Marguerite Couture, qui se trouvait être la nièce du curé; mon oncle Jean-Paul destinait donc son nouvel ami Julien à ma tante Thérèse, qui était joviale et qui aimait rire et danser. Mais comme on le sait, le petit dieu malin qu’on appelle Cupidon s’amuse parfois à déjouer les plans des humains. Julien, un garçon qui aimait les livres et qui écrivait des poèmes, s’aperçut qu’il avait plus d’affinités avec Jeanne, qui aimait aussi la lecture, la musique et la poésie. Jeanne ne dansait pas, mais elle jouait du piano et chantait. Elle avait aussi du talent pour le dessin. Jeune fille accomplie, elle était de plus excellente couturière. Comme elle avait eu son diplôme au couvent, elle avait « fait l’école » quelques années avant de travailler quelque temps au Central du téléphone

Mariage Julien JeanneDurant la belle saison, par les bons soirs, Julien allait voir Jeanne à bicyclette. En hiver, il se trouvait sans doute un bon samaritain avec un cheval et une voiture pour le conduire au village. Après le décès de notre père, nous avons retrouvé des cahiers où il avait conservé des bribes de poèmes qu’il composait pour sa bien-aimée au cours de leurs fréquentations, avec les réponses de Jeanne, en poésie comme il se doit. Quelle belle histoire! Enfin, Jeanne et Julien se sont mariés le 30 août 1932.

Quand Je regarde les photos qui illustrent le présent texte, j’entends dans ma tête ce refrain d’autrefois et je me dis que vraiment, « La vie était belle… au temps joyeux des balalaïkas ».

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

Viens chanter avec nous…

J’étais très jeune quand on a commencé à m’emmener à l’église, mais déjà ce qui m’intéressait, c’était d’entendre la chorale. Mon rêve était de faire un jour partie du chœur de chant. Mes premières expériences de chant choral, je les ai cependant vécues au couvent. Nous préparions chaque année des récitals pour Noël et la fin de l’année. Dans mes dernières années d’étudiante, je suis allée une ou deux fois chanter la messe de Minuit au couvent, avec quelques-unes de mes compagnes. J’en garde un souvenir ému. Dans la chapelle joliment décorée de fleurs et de cierges, les cantiques anciens qu’on y chantait me semblaient plus pieux. Après cette messe, nous nous rendions à l’église, où nous chantions avec la chorale les chants traditionnels de la messe de l’Aurore. Je réalisais un de mes rêves d’enfant, quel bonheur!

Le Chœur Vive la Canadienne.

Le Chœur Vive la Canadienne.

En 1963, en prévision des festivités du 250e anniversaire de notre paroisse, un chœur à quatre voix mixtes a été créé. Cette chorale portait le nom de Chœur Vive la Canadienne. Nous étions une quarantaine de choristes, de quatorze à soixante ans et plus, et pour la plupart, nous étions novices en ce domaine. Autant pour l’apprentissage musical que pour la discipline, notre directrice, Odile Naud, n’a pas eu la tâche facile. Mais nous étions tellement heureux de faire partie de la chorale; chaque répétition était une fête! Pour plusieurs d’entre nous, c’est de cette époque que date notre goût immodéré pour le chant choral.

Qui dit chorale, dit concert de Noël! Alors que l’automne en est encore à ses toutes premières couleurs et que la température a gardé une tiédeur de fin d’été, il n’y a rien que j’aime autant que de retrouver mes amis choristes et de répéter Petit Papa Noël ou Noël blanc! Parlant de chant de Noël, jamais je n’oublierai le premier Noël du Chœur Vive la Canadienne ! Dans le cadre d’une émission où on invitait des chorales à l’occasion du temps des Fêtes, nous avions été à Trois-Rivières présenter des pièces de notre répertoire au studio de télévision. Ce fut très bref! Nous avons chanté un refrain et un couplet du cantique Nouvelle agréable… le temps d’un intermède! Finalement, ce voyage de groupe fut une vraie partie de plaisir! Parmi les nombreux chants de Noël que j’ai chantés en chœur depuis ce temps, je garde une préférence pour le beau chant composé, dit-on, par saint Alphonse de Liguori, Les Cieux ravis.

Chorale du Vieux Presbytère, dirigée à l'époque par Louise Montambault (extrême droite, première rangée).

Chorale du Vieux Presbytère, dirigée à l’époque par Louise Montambault (extrême droite, première rangée).

Le Chœur Vive la Canadienne n’a pas eu la vie longue! Notre directrice, travaillant à l’extérieur, a dû nous quitter. Comme c’est souvent le cas quand un chef de chœur est compétent et très apprécié de ses choristes, on n’a trouvé personne pour la remplacer. Ce problème a marqué le déclin de toutes les chorales dont j’ai fait partie. Il s’est écoulé dix années avant que soit créée la Chorale du Vieux Presbytère. À cette époque, nous présentions chaque printemps des « Soirées chantantes », dans l’une ou l’autre municipalité de la région. Plusieurs chorales participaient à ces concerts conjoints qui réunissaient plusieurs centaines de choristes, et attiraient évidemment une nombreuse assistance. Quels magnifiques concerts furent donnés dans ces églises, qui sont comme on sait, les meilleures salles de concert qui soient.

Chœur des Retrouvailles, en spectacle à l'église en 1988, pour le 275e anniversaire de Deschambault.

Chœur des Retrouvailles, en spectacle à l’église en 1988, pour le 275e anniversaire de Deschambault.

En 1988, la paroisse allait célébrer son 275e anniversaire… Il fallait une chorale! Pour diriger le Chœur des Retrouvailles, on fit appel à un ancien choriste, Gaston Bilodeau, qui, bien que demeurant à l’extérieur, consentit à prendre en mains la nouvelle chorale. Après deux années, Gaston n’étant plus disponible, certains choristes se sont joints à la chorale de Saint-Casimir, laquelle comptait déjà dans ses rangs des personnes de plusieurs municipalités voisines. Si bien qu’en 1992, ces adeptes de chant choral formèrent le chœur La Mosaïque, qui regroupait des choristes de plusieurs endroits dans la région de Portneuf. Fait inusité, ce chœur était dirigé par trois chefs. Malgré certains inconvénients, je dirais que pour la plupart des membres de cette chorale, ce fut une belle aventure!

Chorale La Mosaïque, formée de choristes de plusieurs municipalités de la région portneuvoise.

Chorale La Mosaïque, formée de choristes de plusieurs municipalités de la région portneuvoise.

À l’automne 1995, renaissait la Chorale du Vieux Presbytère, dirigée cette fois par une ancienne accompagnatrice, Jacinthe Montambault, alors directrice de l’École de Musique du couvent de Deschambault (aujourd’hui l’École de Musique Denys Arcand). Malgré quelques éclipses, dues à la naissance des bébés de la directrice, le groupe a connu de belles saisons de chant. Toutefois, il faut bien convenir que, chez nous du moins, les chorales ont une durée de vie plutôt brève! Au cours des années 2000, une autre chorale prit la relève. La Chorale des Jeunes de Cœur, dirigée par Manon Chénard-Marcotte, était composée de personnes du troisième âge et offrait des pièces de tout genre et de toutes époques.

En 2012, le 300e anniversaire de Deschambault s’annonçait. Impossible de célébrer sans chorale! Jacinthe reprit donc les rênes d’une chorale qui allait évidemment porter le nom de Chœur d’Eschambault. Un 300e anniversaire, ça exige du panache! Le concert du 30 juin 2013 fut mémorable, autant par le choix des pièces que par leur interprétation, le tout rehaussé d’accompagnement non seulement au piano, mais aussi à la flûte traversière et au violoncelle, avec support technique pour le son et les effets de lumière. C’était féérique! Une choriste, Linda Martel, avait pour l’occasion composé une chanson, harmonisée par Jacinthe, en hommage à la paroisse tricentenaire : « Grande Dame tricentenaire, Deschambault de toi on est fiers… Belle d’autrefois, belle à jamais! » Cliquez ici pour visionner le chant.

Nous étions aussi très fiers de notre chorale, si bien que nous avons continué une deuxième année. Comme nous n’avons pas dit « adieu », j’en conclus que nous sommes présentement « en pause »…

© Madeleine Genest Bouillé, juin 2015