Si vous êtes nés entre 1939 et 1945, vous faites comme moi partie des « enfants du temps de la guerre ». Notre famille comptait dix enfants, dont quatre qui sont nés durant la 2e guerre mondiale. Sur les dix, quatre ne sont déjà plus de ce monde, mais rien n’empêche que nous étions faits forts! Réellement, je crois que nous sommes la génération qui a vécu le plus de changements, et cela à tous les niveaux… on était capables d’en prendre, on l’a prouvé et on le prouve encore!
Tout d’abord à notre époque, presque tous les enfants naissaient à la maison. Les bébés, garçons ou filles, portaient tous les mêmes vêtements; une petite jaquette attachée par des cordons dans le dos, des chaussons tricotés et des couches en coton, que la maman avait taillées et cousues. Ces couches étaient lavées et rincées à l’eau de Javel aussi souvent qu’il était nécessaire. Il arrivait que la mère soit dans l’incapacité d’allaiter le petit dernier qui était arrivé un peu trop vite après l’avant-dernier, surtout s’il s’agissait du sixième ou du septième! Nous étions alors nourris au bon lait de vache, et nous nous en portions fort bien! Quand venait le temps de manger, le Pablum suffisait à la tâche jusqu’à ce qu’on ait assez de dents pour se nourrir comme tout le monde. Sans problème majeur, notre première intervention médicale était le vaccin qu’on recevait avant d’entrer en classe, en 1ère année, comme de raison, puisqu’il n’y avait pas de classe maternelle. Le dentiste? On n’allait quand même pas gaspiller de l’argent pour faire traiter des dents de lait!
Nous avons tous, sauf rare exception, étés baptisés dans la religion catholique et nous avons fait notre première communion, le plus tôt possible, entre cinq et sept ans. À partir de là, nous devions assister à la messe tous les dimanches et jours de fête et les garçons étaient bien vite enrôlés dans la cohorte des enfants de chœur et des servants de messes. Les filles n’étaient pas autorisées à franchir la balustrade séparant le chœur de l’église, de la nef… autre temps, autres mœurs! La confirmation suivait de près la « petite communion », l’âge pouvant varier du fait que l’évêque ne passait dans la paroisse qu’à tous les quatre ans. En sixième, vers la fin de l’année scolaire, on « marchait au catéchisme », pour faire notre communion solennelle – ou profession de foi. Pour plusieurs, soit par manque de goût pour les études, parfois aussi à cause de la situation financière des parents, cette étape marquait la fin de la scolarité. On avait tout de même appris que « marcher c’est bon pour la santé », étant donné qu’il n’y avait pas d’autobus scolaire… On allait à l’école à pied, par tous les temps, que ce soit au couvent, à l’école du village ou aux écoles de rang!
Passé les études primaires, l’instruction n’était pas gratuite; cependant, plusieurs villages, s’enorgueillissaient de posséder un couvent tenu par des religieuses, lesquelles accueillaient les filles, de la 1ère jusqu’à la 11e ou la 12e année, ce qui était l’équivalent du secondaire. Plusieurs filles de ma génération ont cessé leurs études plus tôt; elles demeuraient à la maison, aidant leur mère, surtout si elles étaient l’aînée d’une famille nombreuse. Elles apprenaient donc leur métier de femme au foyer, en attendant le « prince charmant »! Pour celles qui désiraient continuer, il demeure que les choix de carrière étaient assez limités, comparé à aujourd’hui. Les Écoles Normales qui formaient des institutrices étaient très populaires. On y accédait après la 11e année et selon qu’on choisissait le Brevet C, B, ou A, les cours s’échelonnaient de un à quatre ans d’études. Le cours d’infirmière se donnait dans les hôpitaux. Je me souviens qu’on exigeait la 9e année, mais il fallait avoir 18 ans. Une autre option qui était assez répandue était le cours de puériculture, qui formait des gardes-bébé. Les exigences étaient, si je me rappelle bien, les mêmes que pour le cours d’infirmière. La vocation religieuse, dont on avait l’exemple tout au long de nos études au couvent, était tentante pour les jeunes filles qui rêvaient d’une vie consacrée aux bonnes œuvres; plusieurs compagnes ont donc endossé l’uniforme de l’une ou l’autre congrégation, mais peu d’entre elles y sont demeurées. La plupart se sont mariées, ont eu des enfants et maintenant, ce sont des grand-mères heureuses, enfin, c’est ce que j’espère! À ma connaissance, deux de mes anciennes compagnes font toujours partie de la communauté des Sœurs de la Charité de Québec.
Les garçons, après la 6e année, avaient la possibilité de faire le cours classique, qui durait huit ans et qui donnait accès à l’Université, bien entendu, si les parents en avaient les moyens! Il y avait alors plusieurs collèges classiques tenus par des communautés religieuses masculines, lesquelles privilégiaient évidemment la prêtrise. Comme on avait aussi besoin de gens de métiers, les écoles techniques offraient des cours comme la mécanique, l’électricité; ces cours s’échelonnant sur un ou deux ans, selon le cas. Cependant, plusieurs garçons choisissaient « l’école de la vie », en ce sens que souvent, ils restaient à la maison et travaillaient avec leur père, se préparant à reprendre la ferme ou autre entreprise familiale. Il ne faudrait pas oublier non plus tous ceux qui ont choisi d’aller naviguer sur le fleuve, parce qu’ils avaient grandi dans un village sur le bord du Saint-Laurent, et qu’ils voyaient chaque printemps partir leurs aînés, en se disant : « Si je peux donc avoir 18 ans, je vais embarquer moi aussi! »
Une chose est certaine, les études coûtaient cher! C’est sans doute pour cette raison qu’en 1960, au Québec, le taux d’étudiants qui se rendaient en 7e année était de 63%, tandis que le taux de ceux qui allaient jusqu’en 11e année n’était que de 13%. Il faudra attendre jusqu’en 1964, avec le nouveau Ministère de l’Éducation, pour que l’instruction devienne accessible à tous les jeunes. Enfin, en 1967, on assistait à la création des polyvalentes et, système unique au monde, des cegeps : Collèges d’Enseignement Général et Professionnel. On est rendus loin! Vous comprendrez que les « enfants du temps de la guerre » étaient déjà à peu près tous mariés et qu’ils avaient quelques enfants… pas mal moins, toutefois, que leurs parents!
Pour ce qui est de la pratique religieuse, si « la révolution tranquille » a contribué pour une bonne part à la baisse de fréquentation des églises, il y a eu plusieurs autres facteurs. Entre autres, la tenue du concile œcuménique Vatican II, en 1965, symbolisant l’ouverture au monde et à la culture contemporaine, a quand même « brassé la cage » des préceptes et de la liturgie conventionnelle. La messe célébrée face aux fidèles, la communion « dans la main », les prières et les chants dans la langue du peuple, on se souvient des « messes à gogo » avec les chants accompagnés à la guitare; tous les gens d’un certain âge ont fredonné : « Seigneur, nous arrivons des quatre coins de l’horizon »… Mais plus que tout, la sécularisation des prêtres et des religieuses ont bouleversé les pratiquants qui avaient grandi dans une religion d’interdictions, où souvent « l’habit faisait le moine »! Les curés en complet, surtout sans col romain, aussi bien que les religieuses en jupe couvrant tout juste le genou, cela créait toute une commotion!
Je vous reviens avec la suite de la vie des « enfants du temps de la guerre ».
© Madeleine Genest Bouillé, 5 mars 2018