Je vous disais donc que notre génération est celle qui selon moi a connu le plus de changements et ce, à tous les points de vue. J’ai abordé les sujets de la petite enfance, les études, la religion. Et voilà qu’en parlant des métiers pour les filles, je viens de m’apercevoir tout à coup que j’ai oublié de parler de l’Institut Familial! Ces écoles fréquentées par les filles après la 9e ou 10e année ont joué un grand rôle dans la formation professionnelle des jeunes filles, qui y apprenaient tout d’abord le métier de ménagère! Plusieurs parmi mes anciennes compagnes ont étudié dans un Institut Familial, qu’on appelait aussi École Ménagère; ces institutions étant dirigées par différentes communautés religieuses. Le cours intégral formait ce qu’on appelait alors des « instructrices du gouvernement »; et qu’on nomme maintenant diététiciennes ou nutritionnistes, ainsi que certains autres métiers alors uniquement réservés aux femmes. Vraiment, j’allais passer à côté d’un détail important, puisque les étudiantes y apprenaient avant tout à être de parfaites maîtresses de maison!
Allons maintenant vers le quotidien des familles. J’ai écrit que nous devions marcher pour aller à l’école, les autobus scolaires n’existant pas encore, du moins, pas en milieu rural. Dans mon enfance, les autos étaient encore rares… il n’y en avait pas à toutes les portes. Quand on évoque un changement, en voici un qui est de taille! En allant à l’école le matin, inévitablement, on rencontrait des voitures à cheval qui étaient stationnées un peu partout; celle du laitier, celle du boulanger. Un peu plus loin, c’était le boucher. Par contre, la modernité nous avait quand même rejoint, car on avait un service d’autobus : les Autobus Gauthier, dont le propriétaire était J.B.H. Gauthier, qui fut aussi maire de Deschambault. Nous étions très bien servis, étant donné qu’il y avait plusieurs départs pour Québec le matin, le midi et autant de retours le soir.
Le téléphone était arrivé depuis quelques décennies; mais jusqu’en 1964, l’appareil consistait en une boite fixée au mur, munie d’une manivelle et d’un cornet acoustique, qu’on utilisait pour appeler le central, où l’opératrice donnait la communication avec le numéro désiré, bien entendu, quand la ligne n’était pas déjà occupée – ce qui arrivait souvent, étant donné qu’il y avait parfois huit ou dix abonnés sur la même ligne! Le téléphone « à cadran » fut sans contredit une innovation très bienvenue!
Nous nous éclairions à l’électricité depuis déjà un certain temps et nous avions aussi la radio, qu’on appelait LE radio. Pour nous chauffer, nous avions un poêle à bois, avec un four et un compartiment, le « boiler », dans lequel on gardait de l’eau chaude qu’on utilisait pour le bain, car nous n’avions pas de « tank » à eau chaude. On avait aussi plusieurs commodités qui fonctionnaient à l’électricité : le fer à repasser, la laveuse à « tordeurs », le petit poêle à deux ronds dont on se servait en été quand il faisait trop chaud pour allumer le poêle à bois, et enfin, nous avons eu un frigidaire!
Chez nous, on aimait la musique, de ce fait, en plus du piano, on avait un phonographe avec une manivelle qu’il fallait « crinquer », pour éviter que la musique ralentisse, sinon la chanson devenait méconnaissable. Vers le milieu des années 50, mon frère, qui avait commencé à naviguer, avait acheté un tourne-disque portatif qui jouait, en plus des « records 78 tours », des petits « 45 tours ». Qu’elles étaient belles, ces soirées d’été où on sortait le tourne-disque sur la galerie, avec une « rallonge » branchée dans la maison, et on écoutait les succès américains, dont évidemment ceux d’Elvis Presley et plusieurs autres chanteurs ce cette époque!
La télévision nous est arrivée en 1953 si ma mémoire qui n’aime pas les chiffres est exacte. Comme pour les autos, quelques dix ans auparavant, il n’y en avait pas dans tous les foyers! J’allais voir la télévision chez mes amies, Colette et Madeleine, surtout le mercredi soir, où l’on regardait La Famille Plouffe, qui était suivie de La Lutte au Forum; que nous regardions avec beaucoup d’intérêt; on avait même chacune notre lutteur préféré! Plus tard, quand on a eu chez nous un appareil, je n’ai plus jamais regardé la lutte! Parmi mes émissions préférées, en plus de La Famille Plouffe, il y avait Les belles histoires des pays d’en haut, Le Survenant, Cap-aux-Sorciers, et le dimanche soir, quand l’émission Les Beaux Dimanches était moins intéressante, nous regardions au canal de langue anglaise le Ed Sullivan Show. C’est lors de cette émission que nous avons vu Elvis Presley pour la première fois, en noir et blanc, évidemment. Mais quand même, c’est un souvenir inoubliable!
La télévision a chamboulé les habitudes des familles; désormais, les gens veillaient à la maison plus souvent, surtout les soirs où étaient présentées les émissions les plus populaires. En peu de temps, la « boîte à images », que mon oncle Jean-Paul désignait de son langage coloré « boîte à grimaces », s’est propagée dans tous les foyers. Je dois dire tout de même que la vie sociale n’a pas été vraiment perturbée par cette nouvelle distraction. Les fins de semaine, l’automne et l’hiver surtout, les diverses associations paroissiales organisaient des activités récréatives, qui servaient de levées de fonds. Il y avait les soirées de cartes qu’on appelait « Euchre » ou les soirées d’amateurs, lesquelles étaient très populaires. La salle était dotée d’un piano et ma tante Rollande était plus souvent qu’à son tour l’accompagnatrice désignée, tâche dont elle s’acquittait avec beaucoup d’oreille (car elle n’a jamais appris la musique) et surtout bénévolement, comme tout ce qui se faisait à l’époque. Ces soirées attiraient toujours une belle assistance. Deux soirées de bingo étaient tenues chaque année au profit de l’église. Pour Noël c’était le « Bingo aux dindes » et pour Pâques, le « Bingo aux jambons ». Si une chose n’a pas changé, c’est bien la vogue des bingos! Cependant, à cette époque, les coûts étaient plus modestes et les prix à gagner aussi! Chaque fois, la salle était pleine et les revenus, très intéressants. À Deschambault, nous avons une tradition de théâtre, qui remonte loin. Ainsi, chaque année, soit en hiver ou au printemps, une troupe présentait une pièce, tragédie ou comédie. Cette activité variait selon les disponibilités des acteurs et metteurs en scène, mais chaque fois, le théâtre faisait salle comble deux ou trois soirs.
À l’époque dont je parle, les loisirs, tant pour les jeunes que pour les adultes, étaient organisés par des bénévoles; en 1960 plusieurs de ces bénévoles déjà impliqués formèrent l’œuvre des Terrains de Jeux, communément appelée O.T.J. Chaque village avait son O.T.J, lequel gérait les loisirs sportifs, comme le hockey en hiver et la balle-molle en été. Puis nous est venue la mode du ballon-balai qui a eu beaucoup de vogue dans les années 60 et 70. Parlant d’O.T.J., je me dois d’évoquer le carnaval qui avait lieu chaque hiver, avec les duchesses, leur intendant et la fameuse soirée du couronnement. En 1955, la ville de Québec avait donné le ton et depuis, chaque village, si petit soit-il avait son carnaval. Après les Fêtes, quand retombait la frénésie de Noël et du Jour de l’An, on avait trouvé un bon moyen pour ne pas trouver l’hiver trop long!
Mais qui étaient donc tous ces bénévoles qui faisaient tourner la roue des activités récréatives et autres, et qui étaient à la tête des mouvements paroissiaux, qu’il s’agisse des Fermières, de l’O.T.J., de la Ligue du Sacré-Cœur, de la Société Saint-Jean-Baptiste et des conseils de la Caisse Populaire? Parmi toutes ces personnes engagées dans leur milieu, on retrouvait une bonne majorité de ceux que j’ai nommés « les enfants du temps de la guerre »!
© Madeleine Genest Bouillé, 9 mars 2018.