Un petit bonhomme violet

Est-ce qu’il vous arrive de rêver à des choses loufoques, farfelues, impossibles? Moi, ça m’arrive quand même assez souvent. Ça et les rêves où l’on se retrouve dans un endroit public, comme l’église, mettons nu-pieds, en robe de chambre ou en jupon – oui je sais ça ne se porte plus –, mais dans mon jeune temps, on avait toujours un jupon en dessous de notre robe… un sous-vêtement qui ne devait jamais paraître. Il n’y avait pas pire injure à se faire dire : « ton jupon dépasse », ça vous rabaissait le caquet! Mais je m’égare… je reviens donc à mes rêves bizarres. Un jour, j’ai rêvé que je rencontrais un extraterrestre au centre d’achats. Depuis E.T., j’ai un faible pour les extraterrestres. Donc, dans ce rêve, j’ai rencontré un petit bonhomme violet, pas particulièrement beau, un peu mieux quand même que ce cher E.T. et ça me semblait tout naturel de faire une telle rencontre, tant il est vrai que dans les rêves, les choses les plus étranges paraissent normales.

Voilà que le petit bonhomme m’aborde et me demande : « Qu’est-ce donc que tous ces animaux : poules, lapins, canards, exposés dans les étalages des magasins? Ça semble fabriqué d’une drôle de matière brune, luisante, très odorante. Ces choses ne sont pas vivantes, puisqu’elles sont placées dans des boîtes. Ou alors, elles sont plongées dans une sorte de sommeil… je ne comprends pas. Ah! Il y a aussi des œufs faits de la même matière, des œufs de toutes les grosseurs. Puis-je savoir ce que c’est? J’en vois partout! »

Chocolats de Pâques de Julie Vachon, la chocolatière de notre village.

Le petit extraterrestre était déjà venu sur notre planète il y avait longtemps, mais c’était la première fois qu’il voyait ce phénomène. Je lui explique alors que ces figurines sont faites en chocolat. Cette matière est non seulement comestible, mais délicieuse. Dans quelques jours ce sera la fête de Pâques et c’est une coutume très ancienne, de déguster cette journée-là ces chocolats aux formes diverses. Pourquoi des animaux? Sans doute parce que le printemps est l’époque où naissent les petits animaux de toutes sortes. Quant aux œufs de Pâques, c’est une très vieille tradition; autrefois, à cette occasion, on décorait des œufs qu’on cachait ensuite; au matin de ce dimanche de fête, les enfants allaient à la chasse aux œufs de Pâques. Aujourd’hui, dans plusieurs familles, on a conservé cette coutume, sauf que les enfants font maintenant la récolte de cocos en chocolat.

Les surprises de Pâques attendent les petits-enfants…

Poursuivant mes explications, j’ai ajouté que cette coutume de manger des chocolats à Pâques remonte au temps où justement, on jeûnait pendant la période du Carême. Ce qui explique qu’à Pâques, après quarante jours d’abstinence, ces délicieuses friandises étaient ardemment désirées. Quand nous étions enfants, en revenant de la messe de Pâques, on chantait notre version de l’Alléluia pascal : « Alléluia! Le Carême s’en va. On mangera plus de la soupe aux pois, on va manger du bon chocolat. Alléluia! »

Le petit bonhomme violet, étant un grand savant sur sa planète, connaissait l’origine de la fête de Pâques. D’un âge très respectable, il savait sa Bible par cœur, l’ancien tout autant que le nouveau Testament! La résurrection du Christ ne le surprenait nullement. Sur sa planète, le concept mort-résurrection, c’est courant. Je lui ai dit que sur la Terre, c’était plutôt rare. Il m’expliqua alors que la fête de Pâques et le printemps était indissociable : « Dans l’hémisphère terrestre où vous habitez, me dit-il, vous êtes chanceux, vous vivez le vrai printemps. En quelques semaines, vous passez de l’hiver au printemps, allant de la neige à la boue, alors qu’enfin les bourgeons éclatent et les fleurs apparaissent. Comment ne pas croire alors à la résurrection? Tout le monde doit se sentir revivre, au-dedans comme au-dehors! »

Qu’il avait donc raison! Et ça prenait un extraterrestre pour saisir tout ce merveilleux « Pâques, printemps de Dieu… Pâques, printemps du monde », comme nous le chantons le dimanche de Pâques. Mon nouvel ami m’a remerciée pour les précieuses informations que je lui avais données; il devait retourner sur sa planète, ayant d’autres missions à accomplir. Je l’ai invité à rester encore un peu pour assister à l’arrivée des oies sauvages, mais ça lui était impossible. Avant de disparaître, il m’a dit : « Peut-être pourrai-je revenir bientôt… d’ici quatre ou cinq décennies ». Pour lui, le temps n’a certainement pas la même signification que pour nous, pauvres Terriens! J’allais lui dire un dernier « Au revoir », quand la sonnerie du réveil m’a sortie de mon rêve!

De la part de mon petit bonhomme violet, je vous souhaite « Joyeuses Pâques! »

© Madeleine Genest Bouillé, 25 mars 2018

 

Pour en finir avec les « enfants du temps de la guerre »…

Camp national des Jeunesse Catholiques.

Ce qu’il est important de retenir au sujet de cette génération, dont je vous parle depuis quelque temps, c’est que l’engagement ne nous faisait pas peur. Très jeunes, nous étions pour la plupart prêts à « embarquer »; tout d’abord, il y avait la Croisade Eucharistique, dans laquelle nous étions enrôlés dès la 3e année sans trop savoir ce que cela signifiait. Par contre, je me souviens très bien de ma Profession de Foi en 6e année. Quand nous avons chanté « J’engageai ma promesse au baptême », j’ai vraiment eu l’impression de m’embarquer dans quelque chose de grand, de solennel. L’année suivante, nous, les filles de 7e année, étions reçues Enfant de Marie. Avec quelle fierté portions-nous le ruban bleu! À cette époque, l’engagement, ça faisait partie de la vie!

Ma Profession de foi.

Conseil Lacordaire à Deschambault en 1964.

La « Croisade eucharistique » à Moncton, en 1947.

Les mouvements d’Action catholique étaient florissants; à commencer par la Jeunesse Étudiante, on se dirigeait ensuite soit vers la Jeunesse Ouvrière ou la Jeunesse Rurale, et souvent plus tard, on se retrouvait dans le mouvement antialcoolique Lacordaire et Jeanne d’Arc.  Les adultes étaient membres des Dames de Sainte-Anne – aujourd’hui le Mouvement des Femmes Chrétiennes – ou Ligueurs du Sacré-Cœur. Bien entendu, tous les jeunes ne suivaient pas nécessairement cet engouement pour l’engagement catholique et social; cela dépendait quand même beaucoup des valeurs familiales. Mais généralement, on était heureux de faire partie de ces associations où on apprenait à s’exprimer, à partager et aussi à diriger. Plusieurs leaders politiques et syndicalistes ont fait leurs premières armes dans les mouvements d’Action catholique des années  quarante et cinquante.  On suivait des sessions de formation,  qui était la plupart du temps données sous forme de camps d’été, où nous rencontrions plein d’autres jeunes, enthousiastes, disponibles, généreux. J’ai encore le petit carnet où je notais toutes les belles phrases qui avaient force de loi : «  La jeunesse n’est pas l’âge du plaisir, c’est l’âge de l’héroïsme », ou encore celle-ci qui dit beaucoup : « Le monde est à ceux qui se donnent la peine de le changer ». Nous étions jeunes… nous faisions de beaux rêves et nous avions de l’énergie à dépenser. Dans le programme de ces journées d’étude et de discussions, il y avait heureusement des pauses récréatives où nous avions de joyeuses activités : chants, théâtre, jeux de société, sans oublier les soirées autour du feu de camp. Qui n’a pas quelque belle veillée près d’un feu de camp dans son tiroir aux souvenirs?  « Feu, feu, joli feu »… ton ardeur nous réjouissait!  Et comment!

Puis est venue la révolution tranquille… tranquille, mais sournoise. Elle a chamboulé les valeurs morales de presque toute une génération. On rêvait de liberté. On voulait tout essayer, on refusait toute contrainte. Tout le monde ne montait pas aux barricades, mais beaucoup de jeunes ont suivi ce courant. L’engagement qui retenait surtout l’attention était celui que favorisaient les mouvements de libération : libération de la femme, libération des mœurs, libération politique; peu importait la façon d’y arriver, il était urgent de se libérer! Le temps a passé, cette génération est rentrée dans le rang : il fallait bien gagner sa vie. Il est cependant resté de cette époque un certain refus de l’autorité, religieuse et civile. L’individualisme a pris une place prépondérante dans la société.  Maintenant, avant de s’engager, on demande : « Qu’est-ce que ça donne? » Élevée dans le matérialisme et l’individualisme, la génération actuelle a les pieds bien sur terre!

S’engager, c’est se passionner, c’est aussi avoir le désir bien humain de se réaliser soi-même. S’engager dans une équipe, c’est rêver plus grand; c’est croire qu’ensemble on peut réaliser de grandes choses. Finalement, parmi les belles phrases contenues dans mon petit carnet, j’ai retenu celle-ci qui, selon moi, décrit le mieux l’engagement : « Quand on rêve seul, ce n’est qu’un rêve; quand on rêve à plusieurs, c’est déjà la réalité. »  Nous  n’avons peut-être pas fait mieux que les générations qui nous ont précédés, non plus que celles qui ont suivi, mais pour les enfants du temps de la guerre,  l’important, c’était de «  s’embarquer », de prendre notre place dans la collectivité.

© Madeleine Genest Bouillé, 17 mars 2018

Les enfants du temps de la guerre – 2e partie

Institut familial d’Amos, vers 1950 (© Archives S.A.S.V.).

Je vous disais donc que notre génération est celle qui selon moi a connu le plus de changements et ce, à tous les points de vue. J’ai abordé les sujets de la petite enfance, les études, la religion. Et voilà qu’en parlant des métiers pour les filles, je viens de m’apercevoir tout à coup que j’ai oublié de parler de l’Institut Familial! Ces écoles fréquentées par les filles après la 9e ou 10e année ont joué un grand rôle dans la formation professionnelle des jeunes filles, qui y apprenaient tout d’abord le métier de ménagère! Plusieurs parmi mes anciennes compagnes ont étudié dans un Institut Familial, qu’on appelait aussi École Ménagère; ces institutions étant dirigées par différentes communautés religieuses. Le cours intégral formait ce qu’on appelait alors des « instructrices du gouvernement »; et qu’on nomme maintenant diététiciennes ou nutritionnistes, ainsi que certains autres métiers alors uniquement réservés aux femmes. Vraiment, j’allais passer à côté d’un détail important, puisque les étudiantes y apprenaient avant tout à être de parfaites maîtresses de maison!

Magasin Paré à Deschambault, avec voiture à cheval…

Allons maintenant vers le quotidien des familles. J’ai écrit que nous devions marcher pour aller à l’école, les autobus scolaires n’existant pas encore, du moins, pas en milieu rural. Dans mon enfance, les autos étaient encore rares… il n’y en avait pas à toutes les portes. Quand on évoque un changement, en voici un qui est de taille!  En allant à l’école le matin, inévitablement, on rencontrait des voitures à cheval qui étaient stationnées un peu partout; celle du laitier, celle du boulanger. Un peu plus loin, c’était le boucher. Par contre, la modernité nous avait quand même rejoint, car on avait un service d’autobus : les Autobus Gauthier, dont le propriétaire était J.B.H. Gauthier, qui fut aussi maire de Deschambault. Nous étions très bien servis, étant donné qu’il y avait plusieurs départs pour Québec le matin, le midi et autant de retours le soir.

Compagnie d’autobus Gauthier.

Le téléphone était arrivé depuis quelques décennies; mais jusqu’en 1964, l’appareil consistait en une boite fixée au mur, munie d’une manivelle et d’un cornet acoustique, qu’on utilisait pour appeler le central, où l’opératrice donnait la communication avec le numéro désiré, bien entendu, quand la ligne n’était pas déjà occupée – ce qui arrivait souvent, étant donné qu’il y avait parfois huit ou dix abonnés sur la même ligne! Le téléphone « à cadran » fut sans contredit une innovation très bienvenue!

Nous nous éclairions à l’électricité depuis déjà un certain temps et nous avions aussi la radio, qu’on appelait LE radio. Pour nous chauffer, nous avions un poêle à bois, avec un four et un compartiment, le « boiler », dans lequel on gardait de l’eau chaude qu’on utilisait pour le bain, car nous n’avions pas de « tank » à eau chaude. On avait aussi plusieurs commodités qui fonctionnaient à l’électricité : le fer à repasser, la laveuse à « tordeurs », le petit poêle à deux ronds dont on se servait en été quand il faisait trop chaud pour allumer le poêle à bois, et enfin, nous avons eu un frigidaire!

Chez nous, on aimait la musique, de ce fait, en plus du piano, on avait un phonographe avec une manivelle qu’il fallait « crinquer », pour éviter que la musique ralentisse, sinon la chanson devenait méconnaissable. Vers le milieu des années 50, mon frère, qui avait commencé à naviguer, avait acheté un tourne-disque portatif qui jouait, en plus des « records 78 tours », des petits « 45 tours ». Qu’elles étaient belles, ces soirées d’été où on sortait le tourne-disque sur la galerie, avec une « rallonge » branchée dans la maison, et on écoutait les succès américains, dont évidemment ceux d’Elvis Presley et plusieurs autres chanteurs ce cette époque!

La télévision nous est arrivée en 1953 si ma mémoire qui n’aime pas les chiffres est exacte. Comme pour les autos, quelques dix ans auparavant, il n’y en avait pas dans tous les foyers! J’allais voir la télévision chez mes amies, Colette et Madeleine, surtout le mercredi soir, où l’on regardait La Famille Plouffe, qui était suivie de La Lutte au Forum; que nous regardions avec beaucoup d’intérêt; on avait même chacune notre lutteur préféré! Plus tard, quand on a eu chez nous un appareil, je n’ai plus jamais regardé la lutte! Parmi mes émissions préférées, en plus de La Famille Plouffe, il y avait Les belles histoires des pays d’en haut, Le Survenant, Cap-aux-Sorciers, et le dimanche soir, quand l’émission Les Beaux Dimanches était moins intéressante, nous regardions au canal de langue anglaise le Ed Sullivan Show. C’est lors de cette émission que nous avons vu Elvis Presley pour la première fois, en noir et blanc, évidemment. Mais quand même, c’est un souvenir inoubliable!

La télévision a chamboulé les habitudes des familles; désormais, les gens veillaient à la maison plus souvent, surtout les soirs où étaient présentées les émissions les plus populaires. En peu de temps, la « boîte à images », que mon oncle Jean-Paul désignait de son langage coloré « boîte à grimaces », s’est propagée dans tous les foyers. Je dois dire tout de même que la vie sociale n’a pas été vraiment perturbée par cette nouvelle distraction. Les fins de semaine, l’automne et l’hiver surtout, les diverses associations paroissiales organisaient des activités récréatives, qui servaient de levées de fonds. Il y avait les soirées de cartes qu’on appelait « Euchre » ou les soirées d’amateurs, lesquelles étaient très populaires. La salle était dotée d’un piano et ma tante Rollande était plus souvent qu’à son tour l’accompagnatrice désignée, tâche dont elle s’acquittait avec beaucoup d’oreille (car elle n’a jamais appris la musique) et surtout bénévolement, comme tout ce qui se faisait à l’époque. Ces soirées attiraient toujours une belle assistance. Deux soirées de bingo étaient tenues chaque année au profit de l’église. Pour Noël c’était le « Bingo aux dindes » et pour Pâques, le « Bingo aux jambons ». Si une chose n’a pas changé, c’est bien la vogue des bingos! Cependant, à cette époque, les coûts étaient plus modestes et les prix à gagner aussi! Chaque fois, la salle était pleine et les revenus, très intéressants. À Deschambault, nous avons une tradition de théâtre, qui remonte loin. Ainsi, chaque année, soit en hiver ou au printemps, une troupe présentait une pièce, tragédie ou comédie. Cette activité variait selon les disponibilités des acteurs et metteurs en scène, mais chaque fois, le théâtre faisait salle comble deux ou trois soirs.

À l’époque dont je parle, les loisirs, tant pour les jeunes que pour les adultes, étaient organisés par des bénévoles; en 1960 plusieurs de ces bénévoles déjà impliqués formèrent l’œuvre des Terrains de Jeux, communément appelée O.T.J. Chaque village avait son O.T.J, lequel gérait les loisirs sportifs, comme le hockey en hiver et la balle-molle en été. Puis nous est venue la mode du ballon-balai qui a eu beaucoup de vogue dans les années 60 et 70. Parlant d’O.T.J., je me dois d’évoquer le carnaval qui avait lieu chaque hiver, avec les duchesses, leur intendant et la fameuse soirée du couronnement. En 1955, la ville de Québec avait donné le ton et depuis, chaque village, si petit soit-il avait son carnaval. Après les Fêtes, quand retombait la frénésie de Noël et du Jour de l’An, on avait trouvé un bon moyen pour ne pas trouver l’hiver trop long!

Mais qui étaient donc tous ces bénévoles qui faisaient tourner la roue des activités récréatives et autres, et qui étaient à la tête des mouvements paroissiaux, qu’il s’agisse des Fermières, de l’O.T.J., de la Ligue du Sacré-Cœur, de la Société Saint-Jean-Baptiste  et des conseils de la Caisse Populaire? Parmi toutes ces personnes engagées dans leur milieu, on retrouvait une bonne majorité de ceux que j’ai nommés « les enfants du temps de la guerre »!

© Madeleine Genest Bouillé, 9 mars 2018.

Les enfants du temps de la guerre – 1ère partie

Si vous êtes nés entre 1939 et 1945, vous faites comme moi partie des « enfants du temps de la guerre ». Notre famille comptait dix enfants, dont quatre qui sont nés durant la 2e guerre mondiale. Sur les dix, quatre ne sont déjà plus de ce monde, mais rien n’empêche que nous étions faits forts! Réellement, je crois que nous sommes la génération qui a vécu le plus de changements, et cela à tous les niveaux… on était capables d’en prendre, on l’a prouvé et on le prouve encore!

Moi, avec deux autres filles, en 1946.

Tout d’abord à notre époque, presque tous les enfants naissaient à la maison. Les bébés, garçons ou filles, portaient tous les mêmes vêtements; une petite jaquette attachée par des cordons dans le dos, des chaussons tricotés et des couches en coton, que la maman avait taillées et cousues. Ces couches étaient lavées et rincées à l’eau de Javel aussi souvent qu’il était nécessaire. Il arrivait que la mère soit dans l’incapacité d’allaiter le petit dernier qui était arrivé un peu trop vite après l’avant-dernier, surtout s’il s’agissait du sixième ou du septième! Nous étions alors nourris au bon lait de vache, et nous nous en portions fort bien! Quand venait le temps de manger, le Pablum suffisait à la tâche jusqu’à ce qu’on ait assez de dents pour se nourrir comme tout le monde. Sans problème majeur, notre première intervention médicale était le vaccin qu’on recevait avant d’entrer en classe, en 1ère année, comme de raison, puisqu’il n’y avait pas de classe maternelle. Le dentiste? On n’allait quand même pas gaspiller de l’argent pour faire traiter des dents de lait!

Nous avons tous, sauf rare exception, étés baptisés dans la religion catholique et nous avons fait notre première communion, le plus tôt possible, entre cinq et sept ans. À partir de là, nous devions assister à la messe tous les dimanches et jours de fête et les garçons étaient bien vite enrôlés dans la cohorte des enfants de chœur et des servants de messes. Les filles n’étaient pas autorisées à franchir la balustrade séparant le chœur de l’église, de la nef… autre temps, autres mœurs! La confirmation suivait de près la « petite communion », l’âge pouvant varier du fait que l’évêque ne passait dans la paroisse qu’à tous les quatre ans. En sixième, vers la fin de l’année scolaire, on « marchait au catéchisme », pour faire notre communion solennelle – ou profession de foi. Pour plusieurs, soit par manque de goût pour les études, parfois aussi à cause de la situation financière des parents, cette étape marquait la fin de la scolarité. On avait tout de même appris que « marcher c’est bon pour la santé », étant donné qu’il n’y avait pas d’autobus scolaire… On allait à l’école à pied, par tous les temps, que ce soit au couvent, à l’école du village ou aux écoles de rang!

L’école de rang située dans le 2e Rang ouest.

Passé les études primaires, l’instruction n’était pas gratuite; cependant, plusieurs villages, s’enorgueillissaient de posséder un couvent tenu par des religieuses, lesquelles accueillaient les filles, de la 1ère jusqu’à la 11e ou la 12e année, ce qui était l’équivalent du secondaire. Plusieurs filles de ma génération ont cessé leurs études plus tôt; elles demeuraient à la maison, aidant leur mère, surtout si elles étaient l’aînée d’une famille nombreuse. Elles apprenaient donc leur métier de femme au foyer, en attendant le « prince charmant »! Pour celles qui désiraient continuer, il demeure que les choix de carrière étaient assez limités, comparé à aujourd’hui. Les Écoles Normales qui formaient des institutrices étaient très populaires. On y accédait après la 11e année et selon qu’on choisissait le Brevet C, B, ou A, les cours s’échelonnaient de un à quatre ans d’études. Le cours d’infirmière se donnait dans les hôpitaux. Je me souviens qu’on exigeait la 9e année, mais il fallait avoir 18 ans. Une autre option qui était assez répandue était le cours de puériculture, qui formait des gardes-bébé. Les exigences étaient, si je me rappelle bien, les mêmes que pour le cours d’infirmière. La vocation religieuse, dont on avait l’exemple tout au long de nos études au couvent, était tentante pour les jeunes filles qui rêvaient d’une vie consacrée aux bonnes œuvres; plusieurs compagnes ont donc endossé l’uniforme de l’une ou l’autre congrégation, mais peu d’entre elles y sont demeurées. La plupart se sont mariées, ont eu des enfants et maintenant, ce sont des grand-mères heureuses, enfin, c’est ce que j’espère! À ma connaissance, deux de mes anciennes compagnes font toujours partie de la communauté des Sœurs de la Charité de Québec.

Septembre 1949, les élèves du couvent.

Les garçons, après la 6e année, avaient la possibilité de faire le cours classique, qui durait huit ans et qui donnait accès à l’Université, bien entendu, si les parents en avaient les moyens! Il y avait alors plusieurs collèges classiques tenus par des communautés religieuses masculines, lesquelles privilégiaient évidemment la prêtrise. Comme on avait aussi besoin de gens de métiers, les écoles techniques offraient des cours comme la mécanique, l’électricité; ces cours s’échelonnant sur un ou deux ans, selon le cas. Cependant, plusieurs garçons choisissaient « l’école de la vie », en ce sens que souvent, ils restaient à la maison et travaillaient avec leur père, se préparant à reprendre la ferme ou autre entreprise familiale. Il ne faudrait pas oublier non plus tous ceux qui ont choisi d’aller naviguer sur le fleuve, parce qu’ils avaient grandi dans un village sur le bord  du Saint-Laurent, et qu’ils voyaient chaque printemps partir leurs aînés, en se disant : «  Si je peux donc avoir 18 ans, je vais embarquer moi aussi! »

Une chose est certaine, les études coûtaient cher! C’est sans doute pour cette raison qu’en 1960, au Québec, le taux d’étudiants qui se rendaient en 7e année était de 63%, tandis que le taux de ceux qui allaient jusqu’en 11e année n’était que de 13%. Il faudra attendre jusqu’en 1964, avec le nouveau Ministère de l’Éducation, pour que l’instruction devienne accessible à tous les jeunes. Enfin, en 1967, on assistait à la création des polyvalentes et, système unique au monde, des cegeps : Collèges d’Enseignement Général et Professionnel. On est rendus loin! Vous comprendrez que les « enfants du temps de la guerre » étaient déjà à peu près tous mariés et qu’ils avaient quelques enfants… pas mal moins, toutefois, que leurs parents!

Pour ce qui est de la pratique religieuse, si « la révolution tranquille » a contribué pour une bonne part à la baisse de fréquentation des églises, il y a eu plusieurs autres facteurs. Entre autres, la tenue du concile œcuménique Vatican II, en 1965, symbolisant l’ouverture au monde et à la culture contemporaine, a quand même « brassé la cage » des préceptes et de la liturgie conventionnelle. La messe célébrée face aux fidèles, la communion « dans la main », les prières et les chants dans la langue du peuple, on se souvient des « messes à gogo » avec les chants accompagnés à la guitare; tous les gens d’un certain âge ont fredonné : « Seigneur, nous arrivons des quatre coins de l’horizon »… Mais plus que tout, la sécularisation des prêtres et des religieuses ont bouleversé les pratiquants qui avaient grandi dans une religion d’interdictions, où souvent « l’habit faisait le moine »!  Les curés en complet, surtout sans col romain, aussi bien que les religieuses en jupe couvrant tout juste le genou, cela créait toute une commotion!

Je vous reviens avec la suite de la vie des « enfants du temps de la guerre ».

© Madeleine Genest Bouillé, 5 mars 2018