Une odeur de souvenir

Les souvenirs ont souvent une odeur, qui, si elle est agréable, contribue à embellir l’image que la mémoire a gardée; par contre, s’il s’agit d’une odeur désagréable, cela aura évidemment l’effet contraire. En voici la preuve. Encore plus que les beignes, ce sont les « trous » de beigne que j’aime le mieux. Je parle ici des beignes qu’on achète dans les « beigneries »… si toutefois ce mot existe.  Dans ma jeunesse, les « beigneries » les plus populaires étaient les « Dunkin Donuts »; je crois même qu’ils étaient les seuls. Bien entendu, il n’y en avait qu’en ville. Chose certaine, depuis l’histoire que je vous raconte aujourd’hui, j’ai gardé une préférence pour les beignes à la cannelle, dont l’odeur, à tout coup, me ramène à mes 17 ans!

En 1958, j’étais allée passer quelque temps chez ma sœur qui venait de donner naissance à son premier bébé; un beau gros garçon paisible, qu’on admirait comme une œuvre d’art! Imaginez! C’était le premier bébé de la famille! La principale raison de mon voyage était justement pour donner un peu de répit à la nouvelle maman. J’allais sur mes 17ans et je n’étais alors que remplaçante au Central du téléphone, je ne travaillais donc pas souvent… Je commençais à réaliser que l’argent ne pousse pas dans les arbres! Mon beau-frère, un homme pratique qui avait toujours des solutions pour tout, m’avait persuadée qu’en ville, je pourrais facilement me trouver un meilleur emploi. Pourquoi pas? Rien ne me retenait de tenter ma chance à Ville Le Moyne, comme on désignait alors cette partie de la rive sud de Montréal, où demeuraient ma sœur et sa petite famille.

C’était la première fois que je partais de la maison pour plus qu’une fin de semaine et j’en profitais. Il m’arrivait de temps à autre de garder mon neveu, donnant ainsi l’opportunité aux jeunes parents de sortir ensemble, soit pour magasiner ou aller au cinéma. Je n’avais jamais gardé de bébé, même pas chez nous, étant donné que les sorties de maman se limitaient le plus souvent à aller rendre visite à ses parents le dimanche après-midi. Mon neveu, Laurent, était un solide poupon  « pas de trouble », comme on disait dans le temps. Au bout d’une quinzaine de jours, mon beau-frère, qui travaillait pour une entreprise de nettoyage de vêtements m’annonça qu’il m’avait trouvé une « job » chez « Jacques-Cartier Cleaner », son employeur. Je souligne le fait qu’il était alors de bon ton d’afficher en anglais, en ville surtout! Pourquoi « Jacques- Cartier »?  Soit parce qu’on était près du pont Jacques-Cartier ou peut-être aussi que la « shop de nettoyage » était située dans Ville Jacques- Cartier, voisine de Ville Le Moyne, je n’ai jamais su la raison exacte, et cela m’importait peu.

J’ai appris par la suite que l’automne était la saison par excellence pour l’embauche dans ce genre de commerce. C’était le temps du grand ménage et aussi le temps de sortir  les vêtements chauds en prévision de l’hiver. Un beau lundi de septembre, je commençai donc à m’initier à la technique du « pressing ». Je n’avais pas l’habitude de ce genre de travail évidemment, et je n’étais pas rapide. Je me rappelle encore des patrons, les Fournier; d’abord, Monsieur – dont j’ai oublié le prénom – grand bonhomme qui faisait bien ses 250 livres, souriant, jamais pressé et Madame, qui se prénommait Hortense; elle était toute petite, rapide, mais elle avait du caractère! Elle voyait tout, était partout à la fois; c’était visiblement elle qui dirigeait l’entreprise. Je me souviens surtout de Monsieur Maurice, le contremaître des employés de l’atelier, il était en plus originaire de l’Ile Maurice. J’étais fière de moi, car je savais où était située cette île, dans l’océan Indien. Enfin mes leçons de géographie s’avéraient utiles! Monsieur Maurice, un grand bonhomme couleur de chocolat, n’avait pas d’âge… C’était un homme toujours de bonne humeur et il chantait d’une belle voix de basse, des chansons qu’on entendait à la radio. Il chantait autant en anglais qu’en français; quand Madame Hortense était présente, il lui fredonnait sa chanson préférée qui avait pour titre Amapola : « Amapola, l’oiseau léger qui passe… chante ta grâce », en esquissant quelques petits pas de danse.  Il avait le don d’amener un sourire sur les lèvres de cette chère Madame Hortense… qui ne riait pas souvent!

J’ai peu de souvenirs du travail que j’effectuais dans la « shop de nettoyage ». Je me revois placer des vêtements sur des cintres; je me souviens vaguement de la grosse machine à vapeur pour presser les pantalons. J’en avais un peu peur… La plus belle heure de la journée c’était la pause, durant l’avant-midi. Monsieur Maurice faisait le tour du personnel pour prendre les commandes pour le goûter, qui nous était livré de chez « Dunkin Donuts ». Au début je ne savais pas quoi choisir, alors Monsieur Maurice  m’avait suggéré de prendre un beigne à la cannelle accompagné d’un café. Ce fut pour moi une découverte! Tout d’abord, à cause de l’odeur qui évoquait pour moi le soleil de l’Ile Maurice… et puis, quel délice que cette pâtisserie saupoudrée de sucre et de cannelle!

Ma carrière dans le nettoyage à sec et le pressage des vêtements a été somme toute, très courte. J’avais débuté à la fin de septembre; au début de décembre, alors qu’il y avait de plus en plus de besogne, et que moi, je n’allais pas plus vite, on m’a poliment remerciée.  À vrai dire, je n’étais pas fâchée… ce travail ne m’intéressait pas du tout, et je m’ennuyais de mon chez-nous! Ma vie à Deschambault  avec mes amies, le restaurant chez Vézina, les soirées Lacordaire à la salle, et même le Central, me manquaient. Je suis donc revenue dans mon patelin et je suis retournée travailler au Central, puisqu’il manquait encore une remplaçante. Quelques mois plus tard, je suis devenue employée à plein temps, et ce jusqu’en 1964.

Mais j’ai gardé de ce temps-là une préférence pour les beignes à la cannelle, dont l’odeur me  rappelle cette aventure de ma jeunesse et me donne envie de chanter « Amapola »!

© Madeleine Genest Bouillé, 24 mars 2017

Printemps

Un rayon de soleil entre chez moi
Et voilà qu’il fait plus chaud,
Et voilà que tout s’éclaire.
J’oublie soudain qu’hier
La vie me semblait un fardeau
Si lourd… trop lourd :  une croix.

Un tout petit rayon de soleil
Et ma joie de vivre s’éveille.
Sur les arbres encore nus
Des oiseaux déjà, sont revenus
Peupler l’espace de chants joyeux,
Vibrants d’espoir dans le ciel bleu!

Rien qu’un rayon de soleil,
Et voilà que tout a changé!
L’air ne sent déjà plus pareil,
Il y flotte un parfum nouveau
Qui monte du sol encore gelé
Et va rejoindre ormes et bouleaux.

…Juste un rayon de soleil!
Et voilà qu’éclate le printemps
Dans le cri victorieux des corneilles.
Le fleuve brisant son manteau de glace
Me crie d’en faire autant,
Qu’en mon cœur, l’hiver, enfin s’efface!

 

© Madeleine Genest Bouillé, mars 1983

Patience et longueur de temps

« Patience et longueur de temps font plus que force et que rage. » Quand nous étions enfants, l’avons-nous assez entendu, cette maxime du temps passé! La patience n’étant pas l’apanage de la jeunesse, on se faisait régulièrement sermonner par les adultes, surtout les personnes plus âgées, lesquelles avaient eu toute leur vie pour apprendre et pratiquer la patience. Une bonne dame de ma connaissance avait une bien belle expression pour nous conseiller cette vertu, elle disait : « Prends vent! Tu vas durer plus longtemps! » Cette hâte qui nous porte à courir vers demain ne peut que nous empêcher de profiter du moment présent. On gâche ainsi des heures précieuses qui ne reviendront pas!

Le départ des glaces… (Photo: Jacques Bouillé)

On dit que la patience, c’est l’art d’espérer. Dans un précédent Grain de sel, j’ai écrit que « l’automne est saison d’espérance ». Je dirais donc que si l’automne nous parle d’espérance, le printemps, pour sa part, nous incite à la patience. Dans son livre Andante, écrit en 1944, Félix Leclerc parle du début du printemps qu’il nomme « Les matins noirs ». Il écrit ceci : « Ces sortes de matins d’avril où on dirait que la nuit continue, qu’il n’y aura pas de lever. Et il pleut, et la neige fond; il y a de l’eau partout! » Il faut avoir l’espérance bien accrochée pour croire que tout ce paysage sale et boueux va devenir vert et fleuri, que ces arbres aux longs bras décharnés vont se couvrir d’un épais feuillage. Le pire, c’est quand, comme cette année, on a un hiver tout croche. En février, on se croyait au printemps et maintenant, au milieu de mars, la froidure reprend « du poil de la bête » et on n’a jamais eu autant de neige que depuis le 15 mars! Mais enfin, les glaces sont parties et si les oies tardent un peu, c’est sûrement à cause du froid; ça se comprend! Bientôt nous en serons au temps des sucres, la première fête du printemps! Mais si vous avez déjà assisté au processus de transformation de l’eau d’érable en sirop, ensuite en tire, et enfin en sucre, vous n’ignorez pas que ça prend une bonne dose de patience pour faire tout ce travail… « patience et longueur de temps », on n’y échappe pas!

Photo: Jacques Bouillé.

Après le temps des sucres, on n’en est encore qu’au tout début du printemps. Les bourgeons commencent à poindre. Des buttes de neige sale s’élèvent encore aux endroits moins ensoleillés. Pour passer le temps, qui passe de toute façon, disons donc plutôt « pour occuper le temps », on peut toujours visiter les quincailleries et les centres jardins, qui nous offrent déjà tout ce dont nous aurons besoin bientôt, très bientôt! Des outils au mobilier de parterre ou de patio, en passant par les graines de semences de fleurs et de légumes, tout contribue à nous aider à patienter en attendant le vrai printemps.

La renaissance de la nature, c’est long, et c’est parfois difficile. En avril il n’est pas rare de passer quelques jours d’affilée à frôler le zéro, même si le temps d’ensoleillement allonge chaque jour. Notre patience est très limitée, nous ne sommes après tout que des humains! On a tellement hâte de ranger les vêtements et tous les accessoires qui rappellent l’hiver. On résiste difficilement à l’envie de porter la petite veste légère qu’on vient d’acheter… Mais il est préférable d’attendre! Un autre dicton dit aussi: « En avril ne te découvre pas d’un fil! », et c’est vraiment mieux de prendre ça au sérieux. On n’a pas de temps à perdre avec un rhume de printemps.  Ce sont souvent les pires.

Enfin, on arrive au mois de mai! S’il est un mois qui a été chanté sur tous les tons et de toutes les manières, c’est bien celui-ci.  De l’Hymne au printemps de Félix Leclerc, au vieux cantique de notre enfance C’est le mois de Marie, en passant par Le temps du muguet ou C’est dans le mois de mai, vous connaissez certainement aussi bien que moi plusieurs chansons qui célèbrent ce si joli mois. Quand il fait beau au mois de mai, on oublie les rigueurs de l’hiver, la noirceur des jours de pluie; comme la nature on reprend vie… tant il est vrai que le beau printemps, celui de l’herbe vert tendre et des arbres en fleurs, c’est bien ce dernier mois avant l’été! N’est-ce pas que ça valait la peine de patienter!

La rue Saint-Antoine en mai, vue du clocher de l’église (photo: Jacques Bouillé).

Je termine avec cette prière que j’ai trouvée par hasard un jour où je devais en avoir grand besoin : « Seigneur aide-moi à apprendre et à aimer la patience. Lorsque je suis tendue par toutes les choses qui me préoccupent, arrête mes pas et tranquillise mes pensées. Donne-moi le courage de supporter les contrariétés qui m’assaillent. Je sais que lorsque je suis impatiente avec les autres, c’est avec Toi que je le suis, Seigneur. Enseigne-moi la patience, enseigne-moi la sérénité, enseigne-moi la paix.  Amen »

© Madeleine Genest Bouillé, 17 mars 2017

Il était une fois des gens heureux

Vous connaissez sûrement cette chanson Il était une fois des gens heureux. Ça raconte l’histoire des gens qui ont vécu avant nous dans ce pays, ceux qui nous ont fait ce que nous sommes, qui nous ont légué tout ce qu’ils avaient et tout ce qu’ils savaient. Des gens heureux… du moins c’est ce qu’il nous semble, quand on regarde les albums de photos. C’est l’une de mes chansons préférées. Elle est de Stéphane Venne, un de nos meilleurs auteurs. Je vous livre la réflexion que cette chanson m’a inspirée.

« C’était en des temps plus silencieux… » Il n’y avait pas cette foule d’appareils électriques qui fonctionnent tous en même temps dans la maison, avec la télévision toujours présente, même quand personne ne l’écoute,  et ces tablettes et ces téléphones intelligents qui mobilisent l’attention, tellement qu’on ne se parle plus! La radio jouait en sourdine, on augmentait le son seulement pour les programmes qu’on écoutait religieusement : les romans-fleuve, les nouvelles, et le soir, le chapelet en famille, puis le samedi, la soirée du hockey. Quand les programmes étaient terminés, on tournait le bouton. Le silence avait du prix et il mettait en valeur les conversations des gens de la maison. On avait le temps de se regarder, de se parler. Autour de la table, à l’heure du repas du soir, on se racontait sa journée. Les enfants manifestaient leur présence en faisant semblant de se chamailler; si le ton montait, on les réprimandait un peu, pour la forme. « Parlez à ceux qui s’en souviennent… »

 « Ils disaient toutes choses avec leurs yeux si pleins de confiance… » Dans la famille, on se faisait confiance. Les explications duraient moins longtemps, il n’était pas nécessaire d’en dire trop. D’un regard on se comprenait. Chacun faisait son métier : le père gagnait le pain de la maisonnée, certaines décisions lui revenaient de droit. La mère, eh bien, c’était la mère, le cœur de la famille et c’était elle qui avait en définitive, le dernier mot. Elle disait au père : « Tu as bien fait », ou « C’est une bonne idée ». Ils étaient d’accord; sinon elle disait seulement : « On en reparlera ». C’était aussi à elle que les enfants se confiaient, souvent à demi-mot.

« Tout était si simple et merveilleux… » On se fréquentait entre voisins sans cérémonie : « Assoyez-vous donc… Vous prendrez bien une tasse de thé? » Et on se racontait les nouvelles de la paroisse.  On ne s’inquiétait pas tellement de ce qui se passait ailleurs dans le monde… c’était si loin le monde! Il y avait moins de journaux, donc moins de journalistes pour compliquer les événements et leur donner une ampleur démesurée. Et les nouvelles arrivaient avec beaucoup de retard. On attachait plus d’importance à ce que le curé disait dans son sermon qu’aux boniments des annonceurs de radio!

« C’était quand les mystères pouvaient rester mystérieux… »  Pour les gens de ce temps-là, les mystères, ça faisait partie de la vie. Maintenant on veut tout expliquer, tout décortiquer, tout comprendre. Pourtant il y a des choses qui doivent rester comme elles sont, où elles sont. Une vie sans mystère, c’est comme une longue route trop droite, ça peut devenir ennuyant, endormant même!

« Il était une fois des gens de paix. Puis vinrent les années de vent mauvais… » Elle était pourtant loin, la guerre. Ça se passait de l’autre côté de l’océan. Le gouvernement avait promis qu’on n’enrôlerait personne de force. Seulement les gouvernements, ça dit une chose un jour et parfois, le lendemain, ça dit le contraire.  C’est selon si on est en période d’élection ou non. On est allés cueillir les hommes dans leurs foyers. Certains se sont cachés pour éviter la conscription, d’autres se sont mariés, à toute vitesse, pour l’éviter… quitte à le regretter après.

« À table il y eut des chaises vides, aux yeux vinrent les rides… » La guerre, elle en a fait des ravages! Beaucoup de nos soldats sont tombés sur les champs de bataille en Europe. Après, dans les campagnes et dans les villes, se comptaient maintes familles endeuillées. Et puis, les femmes avaient commencé à travailler à l’extérieur de la maison, dans les usines de guerre. On s’habitue vite à gagner de l’argent! On s’aperçoit qu’on a besoin d’un tas de choses dont on se passait très bien avant. Pour ceux qui étaient revenus de « l’autre bord », comme on disait dans le temps, autant que pour leur famille, la vie n’a plus jamais été la même.

« …il ne resta plus rien de vrai… » Les humains ne changent pas, du moins pour certaines choses. Voilà que maintenant encore, il y a des chaises vides autour de la table, dans les maisons, où des hommes ont choisi d’aller se battre, pour empêcher d’autres hommes de venir chez nous répandre la terreur. Mais la terreur traverse les océans, elle est partout, elle change de costume, de visage… les bons ne sont plus tous bons et on s’aperçoit que les méchants ne sont pas toujours ceux qu’on croit!

« Il ne faut pas chercher à savoir où s’en va le temps.  Il s’en va pareil aux glaces sur le Saint-Laurent… » Comme les glaces, les années passent et se fondent dans l’océan de toutes les vies passées. Il ne faut pas chercher à savoir où s’en va le temps… on doit juste en profiter, l’utiliser le mieux possible, sans le gaspiller.

« On fait toute la vie semblant qu’on va durer toujours. Pareil au fleuve dans son cours… » Vivre d’espoir, c’est la seule façon de vivre heureux. On le sait bien qu’on ne durera pas toujours, mais au fond on espère qu’il restera quelque chose de ce qu’on a été, de ce qu’on a donné, de ce qu’on a vécu. Le fleuve sait lui aussi qu’il s’en va se perdre dans la mer, il n’arrête pourtant pas de couler pour ça!

« Et c’est peut-être rien que pour ça qu’on fait des enfants… » Dans le temps, on se mariait et les enfants venaient tout naturellement, parce que le mariage était fait pour ça. Au commencement, il a bien fallu peupler ce pays si dur à défricher. Les enfants, c’était la main d’œuvre, la relève, la continuité de la famille, de la terre, de la patrie. C’est toujours vrai. Pourquoi préparer un avenir s’il n’y a personne à mettre dedans!

« Il était une fois des gens heureux… » Et c’est en se souvenant de ces gens-là qu’on travaille, qu’on va de l’avant, qu’on aime et qu’on vit en essayant d’être heureux, nous aussi.  Parce qu’aujourd’hui comme hier, malgré tout, « le monde est beau! »

 © Madeleine Genest Bouillé, 5 mars 2017

N.B. Toutes les photographies proviennent de ma collection privée.

 

(Texte paru dans Récits du Bord de l’eau, 2008)

Quand on s’endimanchait…

Jadis le dimanche était un jour de repos… quand même, il n’y avait pas juste Dieu qui avait le droit de se reposer le 7e jour! Tout d’abord, on « s’endimanchait ». Ce qui signifie qu’on sortait nos vêtements « du dimanche ». Cette journée commençait par l’assistance à la messe, et pour cette sortie hebdomadaire, les femmes – des fillettes jusqu’à la grand-mère – portaient leur plus beau chapeau, en paille et garni de fleurs, à partir de Pâques jusqu’à la fin d’août; en velours, pour l’automne et en feutre orné de plumes, pour l’hiver.  Les hommes endossaient leur habit propre, sans oublier la cravate. À ce propos, ma mère avait coutume de dire : « Un bon cheval porte son attelage… un homme doit endurer sa cravate et une femme, son chapeau! » Toutefois, maman assaisonnait parfois les adages à sa manière. Ainsi pour ce dicton, quand j’ai eu envie de faire raccourcir mes cheveux, selon la mode, la fin de la phrase était plutôt : « …une femme doit endurer ses cheveux. »  Allez donc savoir quelle était la version originale!

Demoiselle endimanchée en 1944 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Le samedi, les jeunes filles de la maison avaient la tâche de préparer les vêtements du lendemain. Il s’agissait, entre autres, de repasser les chemises blanches des petits garçons qui  étaient  enfants de chœur aussi bien que celles du père et des frères; il y avait aussi le pressage des habits. Généralement les hommes avaient chacun un habit; dans la plupart des cas, le père qui avait conservé le même tour de taille que dans sa jeunesse, portait encore son habit de noce. Quand ça n’allait plus, l’épouse qui était bonne couturière posait un « rossignol » pour agrandir la taille du pantalon à l’arrière et elle rapprochait les boutons au bord du veston; dans les cas extrêmes, on en achetait un neuf, que monsieur porterait jusqu’à la fin de sa vie! Autrefois, les tissus étaient très résistants, alors souvent, les plus jeunes étaient vêtus d’un habit confectionné par la mère, et qui était cousu dans un costume usagé dont on avait retourné le drap. Dans certaines familles, les filles ne pouvaient sortir le samedi soir, ou recevoir leur prétendant, tant que les vêtements des hommes n’étaient pas tous prêts pour le lendemain!  De même, les cavaliers n’avaient pas d’autre choix que d’attendre que leur promise ait terminé sa tâche. Alors, soit ils prenaient l’habitude d’arriver un peu plus tard, où ils en profitaient pour jaser avec les parents…. pour avoir la fille, il était important de faire la conquête des futurs beaux-parents!

Photo de 1938 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Pour la plupart des familles, en milieu rural, la messe était LA sortie du dimanche! D’abord, il n’était pas question de manquer ce rendez-vous dominical à l’église. Évidemment, il y avait des curés qui faisaient des « sermons à rallonge »; alors quand la température le permettait, certains hommes profitaient de ce moment pour sortir fumer une pipe et jaser de politique ou des travaux de la ferme. Il me revient une boutade racontée par je ne sais plus quel oncle et qui nous faisait bien rire.  Un beau dimanche, un homme entrant à l’église, était tellement absorbé par ce qu’il disait à son voisin, qu’il avait trempé ses doigts dans l’eau bénite en prononçant ces mots: « Si t’avais vue ce cheval :  quatre – belles pattes – bien – blanches! »  Les derniers mots, étant dits en accord avec le signe de croix! Mais trève de plaisanterie, lorsque ces messieurs reprenaient leur place dans le banc familial, ils se faisaient regarder de travers par leur épouse.

La sortie de la messe, c’était en quelque sorte « l’heure des nouvelles »! Les hommes continuaient leurs conversations sérieuses… Les mères se saluaient et parlaient de tout ce qu’elles avaient fait au cours de la semaine, ainsi que des projets pour les prochains jours: « Si la température se maintient, on va aller ramasser les framboises; il paraît qu’elles sont mûres. Les enfants en ont mangé hier en allant au pêcher au ruisseau…» Elles jasaient tout en gardant un œil sur leurs filles qui bavardaient et riaient avec leurs amies, s’exclamant les unes, les autres, sur la robe ou le chapeau neufs. Parfois, une demoiselle s’éloignait du groupe avec un jeune homme… cherchant un peu d’intimité. La mère devait alors s’arranger pour surveiller sans en avoir l’air, et si les tourtereaux semblaient trop près l’un de l’autre, elle envoyait un enfant annoncer que « le père nous attend dans la voiture »! Dès lors, le soupirant qui désirait passer au stade de prétendant devait faire la demande aux parents, afin d’avoir la permission « d’accrocher son fanal les bons soirs».

Jeunes gens en toilettes du dimanche (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Quand on s’endimanchait, surtout durant la belle saison, les dimanches où la température était douce et ensoleillée, c’était chaque fois la fête! Une fête qui débutait sur le perron de l’église et aux abords, une fête gratuite, où toute la paroisse était invitée!

© Madeleine Genest Bouillé, 9 février 2017

 

(Texte original produit pour le bulletin Le Phare de mars 2017)

La vie, c’est comme le gâteau Caramilk

Dans notre famille, à partir de février on entame la saison des anniversaires. Durant sept mois, on en a au moins un ou deux chaque mois. J’aime faire des gâteaux de fête; même si plus souvent qu’autrement, ils ne sont jamais aussi beaux que je le voudrais, mais au moins ils sont bons. Quand mes enfants étaient plus jeunes, chacun avait sa préférence :  gâteau aux ananas pour l’aîné – quand ce n’était pas une tarte aux bleuets! –, gâteau « Forêt Noire » pour le deuxième, le troisième qui fête en juillet avait presque toujours un gâteau décoré de fraises, tandis que notre fille ne fêtait jamais sans un gâteau « rose », au grand désespoir de ses frères qui n’aimaient pas ça du tout!

Un jour, j’ai reçu la recette du fameux « gâteau Caramilk ». Tout un gâteau! La première fois qu’on « embarque » dans cette recette, ça s’appelle : « Tenez bien vos tuques, ça va barder! » Curieusement, j’en ai tiré la réflexion suivante : la vie, c’est comme le gâteau Caramilk!

Le début de la recette est bien simple, comme les années de la petite enfance, dont on ne garde d’ailleurs que peu de souvenirs. Je dois commencer par étaler au fond du moule un mélange de sucre et de cacao en poudre. Seulement ça, c’est facile!

Dans la vie, viennent ensuite les premières années d’école, beaucoup d’apprentissages, mais comme on est enthousiaste! Dans la recette, j’en suis rendue à mélanger les ingrédients comme pour tout gâteau ordinaire. Jusque-là, c’est du travail, soit. Mais si on ne fait pas deux choses à la fois, si on est attentif, qu’on ne placote pas trop (comme à l’école), ça va très bien.

Voici que les choses commencent à se compliquer. Je dois étendre la moitié du mélange de pâte dans le moule. La moitié, c’est peu et ça ne s’étend pas bien, mais tant bien que mal, j’y arrive. Maintenant on me dit d’enfoncer dans la pâte deux tablettes de chocolat Caramilk en morceaux. Ça n’a pas de bon sens, je n’y arriverai jamais. Il y a beaucoup trop de petits carrés! Pour me consoler, j’en mange deux morceaux… ça fera ça de moins à caser. Dans la vie, cette étape-là, c’est quand on est rendu à l’âge de « raison ». On a commencé à connaître les hauts et les bas de la vie d’étudiant. Il y a des journées où, que ce soit au niveau strictement scolaire, ou avec les amis, la famille, on rencontre des difficultés, des déceptions auxquelles on n’est pas habitué: « C’est pas vrai le Père Noël… Les parents et les professeurs n’ont pas toujours raison… On aurait de bien meilleures idées qu’eux parfois, souvent même! »

L’étape suivante, je la comparerais à cette période de la vie où l’on flotte sur un petit nuage rose : la vie est belle, on est en amour, c’est nouveau, ça va durer toujours… du moins on le croit. J’étends sur ma moitié de gâteau la deuxième couche de sucre-cacao.

Finalement, ce n’est pas si difficile que ça cette recette-là. Attendez… c’est maintenant que ça se corse! Il faut étendre le reste de la pâte par-dessus cette deuxième couche de sucre-cacao. Il me semble qu’il ne reste pas assez de pâte; j’ai du mal mesurer la première moitié, ça ne couvrira jamais. Sainte Anne, sainte Catherine, sainte Gudule… c’est qui donc la patronne des cuisinières? Au secours! Bon, après bien des misères, j’y arrive tout de même. J’espère que ça va étendre en cuisant. Oh! Mais c’est pas tout. Il faut encore enfoncer dans la pâte deux autres tablettes Caramilk en morceaux. Quelle idée de fou j’ai eue de vouloir faire ce gâteau de malheur! Je mange encore deux carrés, je les mérite bien. Et puis ça fera ça de moins, je sais plus où les mettre. Enfin voilà, c’est terminé.

L’apparence est très ordinaire, mais attendez que ça cuise. Quel gâteau! Ça lève, c’est superbe et surtout, c’est un pur délice! Les morceaux de Caramilk en fondant, font un marbré caramel-chocolat, un vrai péché! Vous vous demandez quel rapport ça peut avoir avec la vie? La dernière partie de la préparation du gâteau, c’est ce que chacun de nous vivons chaque jour. Ce n’est jamais comme on voudrait : pas assez de ceci, trop de cela.  On s’est trompé quelque part et la vie n’offre pas toujours de « deuxième chance », comme à la télévision. Parfois, les apparences sont trompeuses. On pose des gestes, on prend des décisions, on craint les résultats… ou parfois ceux-ci se font attendre. On crie « Au secours ! »… pas sûr d’être entendu. On essaie de se donner des chances par tous les moyens : on lésine ici, on escamote la vérité là, on fait quelques entourloupettes pas toujours correctes. Ça, ce sont les carrés de chocolat que j’ai subtilisés à la recette, vous voyez! Mais on s’encourage malgré tout, et on va jusqu’au bout, surtout!

Je crois fermement oui, qu’on doit aller jusqu’au bout; appelez cela de la foi, de l’espérance indécrochable ou simplement de la curiosité. Lâcher en cours de route, c’est gaspiller de si bonnes choses et rater un si bon gâteau! Parce que vraiment, la vie est belle et bonne… comme le gâteau Caramilk!

© Madeleine Genest Bouillé, 28 février 2017

(Texte paru pour la première fois dans mon 2e livre, Grains de sel, grains de vie, en 2006).