La vie, c’est comme le gâteau Caramilk

Dans notre famille, à partir de février on entame la saison des anniversaires. Durant sept mois, on en a au moins un ou deux chaque mois. J’aime faire des gâteaux de fête; même si plus souvent qu’autrement, ils ne sont jamais aussi beaux que je le voudrais, mais au moins ils sont bons. Quand mes enfants étaient plus jeunes, chacun avait sa préférence :  gâteau aux ananas pour l’aîné – quand ce n’était pas une tarte aux bleuets! –, gâteau « Forêt Noire » pour le deuxième, le troisième qui fête en juillet avait presque toujours un gâteau décoré de fraises, tandis que notre fille ne fêtait jamais sans un gâteau « rose », au grand désespoir de ses frères qui n’aimaient pas ça du tout!

Un jour, j’ai reçu la recette du fameux « gâteau Caramilk ». Tout un gâteau! La première fois qu’on « embarque » dans cette recette, ça s’appelle : « Tenez bien vos tuques, ça va barder! » Curieusement, j’en ai tiré la réflexion suivante : la vie, c’est comme le gâteau Caramilk!

Le début de la recette est bien simple, comme les années de la petite enfance, dont on ne garde d’ailleurs que peu de souvenirs. Je dois commencer par étaler au fond du moule un mélange de sucre et de cacao en poudre. Seulement ça, c’est facile!

Dans la vie, viennent ensuite les premières années d’école, beaucoup d’apprentissages, mais comme on est enthousiaste! Dans la recette, j’en suis rendue à mélanger les ingrédients comme pour tout gâteau ordinaire. Jusque-là, c’est du travail, soit. Mais si on ne fait pas deux choses à la fois, si on est attentif, qu’on ne placote pas trop (comme à l’école), ça va très bien.

Voici que les choses commencent à se compliquer. Je dois étendre la moitié du mélange de pâte dans le moule. La moitié, c’est peu et ça ne s’étend pas bien, mais tant bien que mal, j’y arrive. Maintenant on me dit d’enfoncer dans la pâte deux tablettes de chocolat Caramilk en morceaux. Ça n’a pas de bon sens, je n’y arriverai jamais. Il y a beaucoup trop de petits carrés! Pour me consoler, j’en mange deux morceaux… ça fera ça de moins à caser. Dans la vie, cette étape-là, c’est quand on est rendu à l’âge de « raison ». On a commencé à connaître les hauts et les bas de la vie d’étudiant. Il y a des journées où, que ce soit au niveau strictement scolaire, ou avec les amis, la famille, on rencontre des difficultés, des déceptions auxquelles on n’est pas habitué: « C’est pas vrai le Père Noël… Les parents et les professeurs n’ont pas toujours raison… On aurait de bien meilleures idées qu’eux parfois, souvent même! »

L’étape suivante, je la comparerais à cette période de la vie où l’on flotte sur un petit nuage rose : la vie est belle, on est en amour, c’est nouveau, ça va durer toujours… du moins on le croit. J’étends sur ma moitié de gâteau la deuxième couche de sucre-cacao.

Finalement, ce n’est pas si difficile que ça cette recette-là. Attendez… c’est maintenant que ça se corse! Il faut étendre le reste de la pâte par-dessus cette deuxième couche de sucre-cacao. Il me semble qu’il ne reste pas assez de pâte; j’ai du mal mesurer la première moitié, ça ne couvrira jamais. Sainte Anne, sainte Catherine, sainte Gudule… c’est qui donc la patronne des cuisinières? Au secours! Bon, après bien des misères, j’y arrive tout de même. J’espère que ça va étendre en cuisant. Oh! Mais c’est pas tout. Il faut encore enfoncer dans la pâte deux autres tablettes Caramilk en morceaux. Quelle idée de fou j’ai eue de vouloir faire ce gâteau de malheur! Je mange encore deux carrés, je les mérite bien. Et puis ça fera ça de moins, je sais plus où les mettre. Enfin voilà, c’est terminé.

L’apparence est très ordinaire, mais attendez que ça cuise. Quel gâteau! Ça lève, c’est superbe et surtout, c’est un pur délice! Les morceaux de Caramilk en fondant, font un marbré caramel-chocolat, un vrai péché! Vous vous demandez quel rapport ça peut avoir avec la vie? La dernière partie de la préparation du gâteau, c’est ce que chacun de nous vivons chaque jour. Ce n’est jamais comme on voudrait : pas assez de ceci, trop de cela.  On s’est trompé quelque part et la vie n’offre pas toujours de « deuxième chance », comme à la télévision. Parfois, les apparences sont trompeuses. On pose des gestes, on prend des décisions, on craint les résultats… ou parfois ceux-ci se font attendre. On crie « Au secours ! »… pas sûr d’être entendu. On essaie de se donner des chances par tous les moyens : on lésine ici, on escamote la vérité là, on fait quelques entourloupettes pas toujours correctes. Ça, ce sont les carrés de chocolat que j’ai subtilisés à la recette, vous voyez! Mais on s’encourage malgré tout, et on va jusqu’au bout, surtout!

Je crois fermement oui, qu’on doit aller jusqu’au bout; appelez cela de la foi, de l’espérance indécrochable ou simplement de la curiosité. Lâcher en cours de route, c’est gaspiller de si bonnes choses et rater un si bon gâteau! Parce que vraiment, la vie est belle et bonne… comme le gâteau Caramilk!

© Madeleine Genest Bouillé, 28 février 2017

(Texte paru pour la première fois dans mon 2e livre, Grains de sel, grains de vie, en 2006).