Le docteur

Quand j’étais jeune, on n’allait pas chez le docteur… le docteur venait à la maison. Enfin, la plupart du temps. Et quand on le voyait s’amener avec sa sacoche noire gonflée d’instruments tous plus épeurants les uns que les autres et ses dizaines de petites fioles remplies de sirops écœurants, c’est parce qu’il y avait quelqu’un de TRÈS malade dans la maison!

Pour les maladies « ordinaires », rhume, indigestion, piqûre d’insecte, coupures ou « bleus », causés par des chutes ou des batailles en jouant, on avait tout ce qu’il fallait à la maison. On n’entendait jamais parler de commotion cérébrale, encore moins de traumatisme crânien. Les sinusites étaient de simples rhumes de cerveau… Quand des maladies comme les oreillons, la rougeole, la coqueluche ou la scarlatine couraient, on les attrapait. Nos parents disaient : « C’est mieux que ça passe quand les enfants sont jeunes! » Pour ma part, je me souviens d’avoir reçu la visite du docteur quand j’ai eu la rougeole; chanceuse, j’avais un « deux pour un », ayant déjà la coqueluche! Étant donné que j’avais la mauvaise habitude de saigner du nez, le fait d’avoir ces deux maladies en plus augmentait mes saignements de nez qui survenaient à toute heure du jour ou de la nuit. Le docteur m’avait alors fait une piqûre de je ne sais plus quoi. Ce traitement s’était avéré efficace, ou peut-être que la peur de la seringue avait eu un effet bénéfique!

Dans notre village, on avait un docteur pas comme les autres, il s’appelait Henri Roy. C’était un homme brillant, un excellent médecin, mais un original. Pas grand, trapu, toujours en mouvement, il parlait vite et il ne passait pas par quatre chemins pour dire ce qu’il avait à dire! Les gestes rapides et saccadés, il démarrait son auto en vitesse, arrêtait net et il repartait de la même façon. Quand il entrait quelque part, disons pour un accouchement, si c’était sa première visite, de ses yeux noirs et vifs, rapidement, il faisait le tour de la maison. Il demandait où était la chambre et alors il fonçait vers la future mère qui l’attendait, et souvent sans prendre la peine d’enlever son paletot, garrochant son chapeau sur la table ou sur une chaise. Puis, il s’occupait de sa patiente. Quand il était appelé dans la même famille pour la sixième ou la huitième fois, alors il connaissait les aires et il n’attendait même pas qu’on lui dise : « Gênez-vous pas, faites comme chez vous! » Il prenait le temps d’aller dans l’armoire, de sortir une tasse et de se verser du thé; la théière étant toujours prête à l’arrière du poêle à bois… S’il y avait une assiette de biscuits sur la table de la cuisine, il se servait tout naturellement, puis, il filait vers la chambre faire son travail, c’est-à-dire, recevoir un petit enfant, un de plus!

Après avoir vérifié que le nouveau-né était bien portant, il s’occupait de la mère, et si tout allait bien, il repartait aussi vite qu’il était entré!  Quand la situation l’exigeait, il se faisait parfois accompagner de l’infirmière, Garde Bélisle, une grande femme mince, mais surtout un ange gardien que Dieu avait dû égarer un jour sur terre, pour notre plus grand bien! Officiellement, c’était l’infirmière des « Unités sanitaires », elle visitait les nouvelles mamans et les bébés et elle allait aussi à l’école pour les vaccins contre les maladies infantiles. Jamais avare de ses bons conseils, elle était toujours prête à répondre aux questions, que ce soit de la part d’une jeune mère inexpérimentée ou de quelqu’un ayant des inquiétudes à propos de malaises inexplicables.

Mais je reviens à mon docteur… Quand, avant de quitter le foyer où venait de naître un nouveau bébé, il prenait le temps de parler au père en privé, c’était la plupart du temps parce que le travail avait été long, difficile, et alors il faisait au père la même recommandation qu’il avait faite à la mère : « Prenez donc votre temps avant d’en avoir un autre » et s’il jugeait la situation plus critique, il disait alors : « Ça serait préférable qu’il n’y en ait pas d’autre ». Il avait dit ça à ma mère, lors de son huitième… elle en a eu deux autres par la suite avant de mettre à exécution le conseil du docteur. Maman avait eu son premier bébé en 1933, le dixième et dernier, est né en 1947…

La famille du docteur Roy comptait quatre enfants; la deuxième, Lisette était du même âge que moi. J’ai parlé justement de Lisette dans un « grain de sel » en 2015. Elle est décédée accidentellement au cours de l’été 1952. Quelques années plus tard, une autre fille prénommée Lise est née dans la famille Roy. Mais le docteur ne s’était jamais consolé de la perte de Lisette… On disait qu’il avait « un ressort de cassé ». Même s’il avait le cœur malade, il continuait de travailler. À la fin des années 60,  je ne me souviens pas exactement de la date, il est décédé, prématurément. Il n’avait jamais eu le temps d’arrêter pour se reposer.

© Madeleine Genest Bouillé, 24 janvier 2017

J’ai tant dansé, j’ai tant chanté!

Quand j’étais étudiante, j’ai appris tout plein de choses importantes : le français, le catéchisme, les mathématiques, les bonnes manières… et aussi la danse et le chant! Nous chantions souvent, à propos de tout et de rien… il ne se passait pas une journée sans qu’on chante. Comme j’ai toujours adoré chanter, je ne m’en plaignais pas! Tout d’abord, comme je l’ai déjà mentionné, jusque dans les dernières années, chaque matin nous commencions la journée par un cantique, qui variait selon le jour de la semaine; lundi, on invoquait l’Esprit-Saint, mardi, notre ange gardien, mercredi, Saint Joseph, jeudi, c’était congé, vendredi était consacré au Sacré-Cœur et samedi à la Saint Vierge. Selon la température, l’humeur ou l’ambiance, ce premier chant était plus ou moins « magané », si vous me passez l’expression.

Quand venait le temps de la récréation, tant qu’il ne faisait pas trop froid, ou plus tard, au printemps, quand tout était sec dehors, nous allions à l’extérieur. Les garçons jouaient dans la cour à côté du couvent. Nous, les filles, prenions nos ébats dans la cour en haut de l’escalier de pierre. Ces jeux ne variaient que très peu… on jouait au « Drapeau » ou à ce qu’on appelait la « Balle au Camp ». Nos bonnes Mères encourageaient fortement les « chefs » à choisir leurs équipières sans parti pris… Sans parti pris? Comme si ça se pouvait! J’en sais quelque chose, j’étais une des plus mauvaises joueuses. Je ne courais pas vite, je me foutais complètement du ballon ou du drapeau… je me tenais le plus loin possible des buts. J’étais toujours choisie la dernière ou presque. Et vraiment, ça ne m’a jamais tellement dérangée. Mais je dois avouer que cette attitude n’aide pas beaucoup à acquérir de la popularité!

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Heureusement, j’avais d’autres occasions pour me reprendre! Les jours de mauvais temps, tout comme en hiver, nous prenions nos récréations dans la grande salle. Et que faisions-nous? Des « rondes », il fallait éviter autant que possible le mot « danse ».  Alors nous dansions sans le dire, en chantant des chansons. Une de ces « rondes » se dansait en chantant : J’ai tant dansé, un folklore qu’on retrouve dans La Bonne Chanson, comme presque toutes les chansons de notre répertoire. Les « rondes », bien évidemment, se dansent en cercle, en se tenant par la main; la plupart du temps; au refrain, on se prend par le bras et on tourne (en swingant, n’en déplaise à nos professeurs). Une autre ronde très populaire était J’ai un beau château; on se divisait en deux cercles et on dansait en sens contraire, ainsi, les filles qui chantaient « J’ai un beau château » allait vers la droite tandis que celles qui répondait « J’en ai un plus beau », allaient vers la gauche.

meunier-tu-dorsCertaines de ces rondes finissaient en débandade, entre autres, celle qu’on faisait en chantant Meunier, tu dors. Cette chanson commence très lentement avec : « Trois canards déployant leurs ailes… », quand on arrive au refrain : « Ton moulin va trop vite, ton moulin va trop fort », la ronde accélère de plus en plus vite, jusqu’à ce que la chaîne se détache. Quand on dansait cette ronde, à la fin, il n’était pas rare qu’une ou deux plus petites tombent par terre, pour le plus grand plaisir des meneuses du jeu qui n’attendaient que ça!

scanParfois, pour changer, on faisait des « chansons de geste ». Je me souviens en particulier de deux de ces chansons : Comme ça et La Cantinière. Dans la première, comme il s’agit de la rencontre de « Majorique » et « Phonsine », c’est une chanson dialoguée, alors on divisait le chœur en deux parties qui se répondaient. Pour ce qui est de La Cantinière, c’est une chanson qui peut s’étirer à l’infini, exemple : « La Cantinière, a de beaux gants, de beaux bas, un beau chapeau », etc. On s’amusait beaucoup à inventer des paroles à ces chansons.

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Les chansons que je préférais étaient toutefois celles qu’on entonnait quand on était assises dans la balançoire à la fin de l’année pour étudier… les belles mélodies comme Partons la mer est belle, La prière en famille, ou Il faut croire au bonheur. On y mettait tout notre cœur et notre plus belle voix: « Pourquoi rester morose devant les prés en fleurs… Puisqu’il y a des roses, il faut croire au bonheur ». J’y crois encore!

© Madeleine Genest Bouillé, 19 janvier 2017

100 plus belles.jpgNote :  Les chansons dont je parle sont regroupées dans un petit chansonnier Les 100 plus belles chansons, édité en 1948 par La Bonne Chanson de Ch. Émile Gadbois. Le coût était de 1.00$

 

Images d’une autre époque

J’ai un jour reçu plusieurs albums de photos. Les plus vieilles datent des années 30 et les plus récentes, de la fin des années 40. La personne qui possédait ces photos n’écrivait que rarement la date, soit à l’endos de l’image ou dans l’album et il n’y a aucun fil conducteur. J’en ai déjà publié avec quelques-uns de mes « grains de sel ». Cette fois, j’ai fait une sélection plus variée, en me guidant sur mes préférences ou sur des personnes ou des lieux qui me rappelaient quelque chose.

* * * * *

Pour débuter, deux photos qui datent des années 30; on y voit madame Élise Proulx, épouse de monsieur Marcellin Thibodeau. Sur la première image, elle pose fièrement sur la galerie de sa maison, aujourd’hui le 215 sur le Chemin du Roy. La belle décoration de la balustrade a malheureusement été changée quelques années plus tard. La deuxième photo a été prise à l’arrière de la maison, alors que madame Thibodeau surveillait le savon en train de bouillir dans le gros chaudron. Je me souviens, quand j’étais enfant, d’avoir assisté à la fabrication du savon… on nous interdisait d’approcher de l’énorme marmite qui, pour nous, était un vrai chaudron de sorcière!

Vous reconnaîtrez sûrement cette maison à logements située au cœur du village. D’après les vêtements, on doit pouvoir situer la photo au début des années 40. Des travaux sont en cours… mais je n’en sais pas plus long. Je reconnais le propriétaire de cette maison, monsieur Louis Marcotte – l’homme en chemise blanche avec bretelles et cravate – ainsi que son épouse, Béatrice Naud, debout sur une marche de l’escalier. À l’époque, madame Béatrice chantait à l’église et dans les soirées organisées par l’une ou l’autre association paroissiale. Elle avait une jolie voix et elle était très en demande, dans les mariages surtout. Elle aimait beaucoup les enfants, n’en ayant jamais eu. Alors elle nous invitait chez elle et elle nous apprenait des chansons… nous ne nous faisions pas prier étant donné qu’elle avait toujours des bonbons pour nous récompenser!

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Maison Louis Marcotte, années 40 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Une photo datée du 1er janvier 1941. Lauréat Laplante avait installé sa cabane sur la glace, comme on peut le constater. Je ne sais si la photo a été prise avant ou après la pêche. M. Laplante pose ici avec son beau-frère, Paul Thibodeau, et leur neveu, Paul Jr. Thibodeau. Il ne semble pas faire trop froid… ou c’est qu’on a déjà commencé à prendre le  petit  « remontant », que tout pêcheur doit toujours avoir dans son attirail !

Cabane à pêche de Lauréat Laplante, 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Cabane à pêche de Lauréat Laplante, 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Derrière  cette photo, il est noté « Partie de plaisir, souvenir de ce 7 août 1941 ». Je l’ai choisie justement en raison cette inscription. Que fêtaient ces jeunes filles? … À part les premières communions, les mariages ou les anniversaires, il est rare que le bonheur ait une date!

Marie-Paule Laplante au centre, avec deux amies, août 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Marie-Paule Laplante au centre, avec deux amies, août 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

En regardant cette photo, on constate qu’il faisait encore assez chaud ce 13 septembre 1944… Autrefois, ouvrir un petit magasin, ce n’était pas compliqué! On plaçait un comptoir dans une pièce à l’avant de la maison et on vendait des journaux, des friandises et un peu de « grocerie », comme on disait alors. Ici on est devant la maison qui porte aujourd’hui le numéro civique 208, sur le Chemin du Roy. Madame Henri Savard, Adrienne Courteau, possédait ce petit magasin où je me souviens être allée souvent acheter  une liqueur ou une barre de chocolat… J’étais du même âge que le petit garçon, Jean, et il nous arrivait de jouer ensemble, jusqu’à ce qu’on soit assez grands pour aller à l’école. Dès lors, les garçons et les filles ne jouaient plus ensemble, sauf dans la famille!

Magasin de Mme Henri Savard, 1944 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Magasin de Mme Henri Savard, 1944 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Je vous ai aussi parlé à quelques reprises de l’ancien maire, monsieur Louis-Philippe Proulx. Cette photo a dû être prise juste avant le départ de Louis-Philippe et Marie-Louise pour leur lune de miel, si l’on en juge par leurs vêtements. La noce avait lieu dans la maison des Morin dans la rue Johnson, où nous habitions, la famille Morin étant apparentée aux Proulx. C’était le 21 juin 1947. Les nouveaux mariés avaient fière allure… j’aime surtout le chapeau de Marie-Louise!

Louis-Philippe Proulx et son épouse, Marie-Louise, 1947 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Louis-Philippe Proulx, maire de Deschambault de 1940 à 1947, et son épouse, Marie-Louise, 1947 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Toujours dans les années 40, l’équipe de balle de Deschambault, où paraît-il se retrouvaient les meilleurs joueurs du comté! Il y a sûrement quelques membres de la famille Gauthier, je reconnais entre autres, Monsieur Ovide Mayrand, debout à l’arrière et monsieur Raymond Paré à l’avant. Cette photo a environ soixante-dix ans… Je ne sais pas pourquoi, mais elle me fait penser au film Le champ des rêves. J’aime tellement la dernière réplique : « Le ciel, c’est l’endroit où les rêves se réalisent. »

Équipe de balle de Deschambault, avec certains des meilleures joueurs du comté! (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Équipe de balle de Deschambault, avec certains des meilleurs joueurs du comté! (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

 J’ai déjà mentionné que parmi les passe-temps des jeunes gens d’autrefois, la correspondance avec des étrangers, le plus souvent de France ou de Belgique, était très répandue, surtout pendant la guerre. À l’endos de cette dernière photo, d’une belle écriture fine, on lit: « À ma lointaine petite amie, en toute sympathie, Didier. »  Et au bas : « Rabat, le 30-5-1948. »  Sur la photo, deux matelots; on ne saura jamais lequel était Didier… Je vous laisse rêver la suite de cette histoire!

deux matelots, inconnus, 1948... (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Deux matelots, inconnus, 1948… (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Pourquoi ai-je l’impression que le bonheur était plus simple au temps jadis? C’est peut-être que ça coûtait moins cher pour s’amuser. Quelqu’un a dit un jour « Quand le bonheur coûte cher, ce n’est plus du bonheur »… J’adore fréquenter ces témoins du passé que sont mes vieilles photos. C’est un peu comme faire un voyage dans le temps. Je garde toujours un brin de nostalgie quand je fais un petit tour « par la porte d’en arrière » dans la vie d’autrefois de mon village.

© Madeleine Genest Bouillé, 18 janvier 2017

Un enfant, c’est comme un Whippet

Je regardais un de mes petits-fils en train de déguster un Whippet. Il commence par lui donner un bon coup de poing, écrasant ainsi la couverture en chocolat. Alors la guimauve apparait ici et là, et aussi la fine couche de gelée, aux framboises ou aux fraises, il n’y a pas tellement de différence; heureusement, le biscuit tient bon, caché sous son habit blanc et brun très amoché.

Je me suis alors fait la réflexion qu’un enfant, c’est comme un Whippet. Je m’explique. Prenons tout d’abord le biscuit. Un biscuit très ordinaire, il n’a pas de saveur particulière; on n’entend jamais parler de lui dans la publicité. Il pourrait aussi bien ne pas être là, ça ressemblerait alors à une de ces confiseries en guimauve recouverte de chocolat, plantée sur un bâtonnet. Quand on était jeune on appelait ça un « balai au chocolat ». Mais voilà, ça ne serait pas un Whippet!

Supposons qu’à notre naissance on soit un biscuit. Personne ne sait quel genre de biscuit on deviendra. Au départ, tous sont secs, sans garniture, ils sont faits d’une même pâte; qu’ils soient ronds ou carrés, avec des motifs, des petits trous ou des écritures dessus… Petit Beurre, Social Thé, Goglu, ou le biscuit rond, sans nom, qui deviendra Whippet! Assistons à son évolution.

On ne devient pas Whippet du jour au lendemain! Les débuts dans la vie sont lents et laborieux. Tout le monde sait ça. On est fragile à cet âge tendre… Puis un beau jour, petit biscuit essaie de ramper, puis il avance à quatre pattes; et voilà qu’il découvre plein de choses. Bien vite, il s’aperçoit que les grandes personnes, ça marche debout… c’est donc pour ça qu’elles sont si grandes! Alors il se lève sur ses petites jambes pas bien solides. Hardiment, il fait quelques pas, il tombe, se relève… et il recommence. De plus en plus, il imite les adultes. Il les entend parler, alors il veut parler lui aussi. Il retient des sons, des mots, il répète ce qu’il entend. Les adultes rient de ses babillages… alors il rit aussi!

Quoi de plus charmant que ces petits bouts de chou qui disent n’importe quoi et qui sont si drôles! Face aux rires des grandes personnes, certains enfants sont plus gênés et se cachent, tandis que les autres, s’apercevant de l’attention qu’on leur porte, en rajoutent! En termes techniques, on dira qu’ils sont introvertis ou extravertis. Ça, voyez-vous, c’est la couche de gelée de fraises ou de framboises qu’on vient d’étaler sur le biscuit. Ça semble peu, mais c’est déjà le début d’une personnalité qui se montre le bout du nez. L’épaisseur de la couche de gelée peut varier et la saveur est différente selon le cas. On  hésite encore entre l’idée de devenir un biscuit sandwich avec un ajout de noix de coco, ou encore une mince couche de chocolat; ce ne serait pas si mal, mais le produit ne serait jamais un Whippet!

Petit biscuit deviendra grand… pourvu qu’on s’en occupe! Pour devenir un Whippet digne de ce nom, il a du chemin à faire. On commence à percevoir ce à quoi il va ressembler plus tard. Il apprend toutes sortes de choses, certaines lui sont enseignées dans sa famille et d’autres à l’école. Il apprend aussi par lui-même un tout autre bagage. Notre biscuit est en train de fabriquer sa couche de guimauve et ça, c’est du sérieux! Pour ce faire, tout lui est utile; les mots doux ou aigre-doux qu’on se dit entre parents, en ne tenant pas compte de sa présence, et qu’il entend même s’il ne sait pas à quoi ça rime. Et que dire de ces moments où il observe les adultes qui rouspètent, soit parce qu’ils sont fatigués, ou contrariés. Notre petit biscuit a parfois un de ces regards… c’en est presque gênant. Attention! Il ne faudrait quand même pas lui saboter sa couche de guimauve!

Ne nous affolons pas! Il est bien parti ce biscuit et il aura à préserver lui-même sa carapace pour devenir un vrai Whippet. On lui a donné tout ce qu’il lui faut; il a maintenant sa taille d’adulte. Il est prêt! C’est un bon biscuit rond, plat, sec… la couche de gelée révèle la personnalité de notre jeune Whippet. Il arbore une jolie silhouette; la couche de guimauve a été particulièrement soignée. Et je vous le garantis, vous aurez beau le retourner en tous sens, vous ne trouverez pas une faille dans l’enrobage de chocolat, justement parce qu’il est fait d’une généreuse couche d’amour. Ses parents peuvent être fiers, c’est le plus magnifique Whippet qui soit au monde!

C’est beau un Whippet!  Je n’oserais jamais en écraser un avec mon poing!

© Madeleine Genest Bouillé, 9 janvier 2017

Dans mon jeune temps, il y avait…

Quand mes enfants étaient petits, ils me demandaient souvent si, quand j’avais leur âge, il y avait la télévision, des autos, le téléphone, etc. Tout juste s’ils ne croyaient pas que j’étais née au temps des dinosaures! Tous les enfants posent ces questions, notre enfance leur semble tellement loin. Avec les petits-enfants, les mêmes questions se posent, mais maintenant on parle de tablette, iPod et téléphone cellulaire. Même les autos s’identifient avec des lettres, VUS, CR-V, HR-V et quoi encore!

Ancienne glacière

Ancienne glacière

Dans le dernier « grain de sel » en deux parties, intitulé Trois quarts de siècle à Deschambault, j’ai raconté l’histoire de ma famille et un peu de la mienne aussi, par le fait même, dans ce beau village que j’habite toujours. Je vais maintenant tenter de me remémorer les choses qui existaient « dans mon temps ». Tout d’abord, oui, il y avait des autos; mais pas à toutes les portes, loin de là! J’ai mentionné à quelques reprises les voitures à cheval qu’utilisaient les divers commerçants qui livraient à domicile, tels le laitier, le boulanger, le boucher, qui en hiver apportait aussi la glace.  Quand je parle du livreur de glace, là, j’ai vraiment l’air d’être née au XIXe siècle! Eh oui, j’ai connu l’époque de la glacière, ce meuble en métal, qui était muni d’un compartiment où l’on plaçait le gros bloc de glace qu’on renouvelait à chaque semaine, si je me souviens bien.

Le téléphone était inventé depuis un bon bout de temps… mais jusqu’en 1964, à Deschambault  pour téléphoner, que ce soit à Québec, à Chicoutimi, à St-Basile ou chez le voisin, on devait tourner la manivelle de la boite du téléphone; la téléphoniste du Central vous répondait ainsi : «Quel numéro désirez-vous? », et elle vous donnait la communication. La ligne était souvent occupée, car il y avait parfois huit ou dix abonnés sur la même ligne.

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Moi, au « Central »… (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

L’électricité nous a apporté la lumière!… On s’éclairait avec des lampes; nos salons étaient dotés d’un ensemble comprenant généralement une ou deux lampes de table avec la lampe sur pied assortie. De plus, dans chaque pièce, il y avait une ampoule au plafond, de différentes intensités, soit une 100w ou une 60w. Dans les premiers temps, pour ménager l’électricité, on se contentait souvent d’une « petite 15w » dans les chambres à coucher… pas plaisant quand on voulait lire au lit! De toute façon, on se faisait dire d’éteindre et de dormir. On s’éclairait alors avec une lampe de poche, qu’on plaçait sous la couverture!

Avec l’électricité, au cours des années 40 et 50, sont arrivés les différents électroménagers : réfrigérateurs, poêles, laveuses, fer à repasser, radio, etc. Chez nous, je crois bien que c’est la laveuse «  à tordeurs » qui est entrée la première dans la maison et aussi le vieux poste de radio Hallicrafter. Il me semble avoir toujours vu cette boite noire qui nous offrait quand même pas mal de postes. Je revois surtout mes frères agglutinés autour du poste de radio, le samedi soir, écoutant la partie de hockey du Canadien! On aurait juré qu’ils la voyaient! Le réfrigérateur a suivi de près. Les cuisinières électriques sont arrivées plus tard, mais je me souviens qu’en été, nous utilisions un petit poêle électrique à deux ronds; c’était bien pratique par les jours de grande chaleur de ne pas avoir à allumer le poêle à bois..

elvis-2012-723x1024Pour la musique, comme dans beaucoup de foyers, nous avions un piano; chez nous il était toujours ouvert et il ne manquait pas d’utilisateurs… même si nous n’étions pas des virtuoses! Nous avions aussi un gramophone, avec une manivelle qu’on devait « crinquer »… sinon le « record » ralentissait, et la voix du chanteur ou de la chanteuse nous parvenait toute déformée.  Nous, les plus jeunes, nous trouvions ça très drôle! Je ne me souviens pas quand nous avons eu un appareil électrique, mais je crois me rappeler que c’est en 1955 que mon frère Jacques a acheté son tourne-disque qu’on appelait un « pick-up ». On faisait jouer des disques 78 tours ou des « longs-jeux », à 33 tours. Nous avions aussi quelques nouveaux 45 tours, ces petits disques qui se vendaient vraiment pas cher, qui étaient surtout plus légers, donc moins fragiles. Il y en avait de la musique, chez nous! Pour tous les goûts! Comme les écouteurs n’étaient pas encore à la mode, et que nous avions des goûts très diversifiés, il arrivait assez fréquemment qu’on se fasse dire de « baisser le son ».

Gilles Pelletier, de l'émission Cap aux sorciers, sur la couverture de la revue Le samedi en 1958.

Gilles Pelletier, de l’émission Cap-aux-Sorciers, sur la couverture de la revue Le samedi, en 1958.

C’est en 1952 qu’est arrivée la télévision. Encore là, seulement quelques privilégiés l’avaient. Inutile d’ajouter que ceux qui possédaient un appareil recevaient beaucoup de visite certains soirs!  Je me rappelle qu’au cours des premières années, j’allais le mercredi soir regarder La Famille Plouffe chez mes amies, dont le père a été un des premiers à posséder un téléviseur. Après cette émission, nous regardions la « lutte ». On avait chacune notre lutteur préféré; soit Yvon Robert, Johnny Rougeau ou Larry Moquin. Il y avait aussi un méchant qui s’appelait Wladek Kowalski, comme on avait du plaisir à l’haïr! Quand nous avons eu enfin la télévision, je n’ai plus jamais regardé la lutte! J’aimais surtout les téléromans, Les belles histoires des pays d’en haut, Cap-aux-Sorciers, le Survenant… Quelquefois, le dimanche soir, on regardait le Ed Sullivan Show. Je me souviens de la première fois où nous avons vu Elvis Presley, c’était justement au cours de cette émission. J’étais chez une de mes amies, on ne s’est pas roulées par terre… mais si on le trouvait beau! Nous avions déjà quelques-uns de ses disques. On dansait sur Blue Suede shoes et Don’t be cruel, mais on préférait quand même les slows, dont  Love me tender et Loving you. La télévision a chamboulé les habitudes des familles; désormais les gens passaient plus de temps à la maison, surtout les soirs où étaient présentées les émissions les plus populaires. En peu de temps, la « boite à images », que mon oncle Jean-Paul appelait « la boite à grimaces », s’est propagée dans tous les foyers!

La télévision a pris des couleurs… L’Expo 67 et les Jeux Olympiques de 1976 nous ont fait découvrir le Monde… en même temps que le Monde nous découvrait. En 1978, j’ai commencé à écrire mes « grains de sel » dans notre petit journal Le Phare sur une dactylo manuelle. J’utilisais du scotch tape en quantité industrielle pour monter mon journal; j’en ai passé du temps à couper, coller, recommencer, fignoler. Au cours des années 80, j’ai eu enfin une dactylo électrique, quelle merveille! En 2000, j’ai dû m’habituer à utiliser un ordinateur… j’en ai arraché! J’en faisais des cauchemars! Mais j’ai appris à me servir de cet outil qui m’est devenu indispensable.

Et me voici, rendue en 2017. Je pourrais chanter: « Non, rien de rien, non je ne regrette rien… » Je me trouve chanceuse d’avoir vécu mon trois-quarts de siècle. On est riche de tout ce qu’on a vécu, bien plus que de ce qu’on possède. On vieillit quand on cesse d’être curieux du lendemain, quand on cesse de croire que la vie nous réserve encore de belles surprises!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 janvier 2017

Buick LeSabre 1959...

Buick LeSabre 1959…

Trois quarts de siècle à Deschambault – 2e partie

Jadis les déménagements se faisaient au mois de mai. C’était malcommode surtout pour les enfants qui fréquentaient l’école, et qui devaient parfois changer d’école en fin d’année quand les parents déménageaient dans un autre village. Je ne sais pas ce qui motivait cette coutume, mais ce fut longtemps ainsi.

Reportons-nous donc en mai 1947, alors que la famille Genest emménageait dans la maison ancestrale des Morin, située dans ce qu’on appelait encore « la vieille route ». Cette bâtisse plus que centenaire appartenait à l’un des derniers descendants de cette famille, M. Louis-Philippe Proulx, qui avait été maire de 1940 à 1947. Il demeurait quelques maisons plus loin, avec sa sœur Angeline, près de la route justement appelée « des Proulx ».

La maison en pierre de taille au début des années 50, avec l'appentis à l'est. La cave de la maison, probablement plus vieille, ainsi que l'appentis en pierre des champs seraient les vestiges d'une ancienne poudrière.

La maison en pierre de taille au début des années 50, avec l’appentis à l’est. La cave de la maison, probablement plus vieille, ainsi que l’appentis en pierre des champs seraient les vestiges d’une ancienne poudrière.

J’ai parlé dans un « grain de sel » publié à l’été 2015 de cette demeure où nous avons vécu tous ensemble notre jeunesse, jusqu’au départ de chacun et chacune vers une autre vie. En 1947, cette maison manquait de confort; l’électricité était sommaire, les « commodités » aussi, et le chauffage se résumait au poêle à bois dans la cuisine. De plus, les épais murets de pierre qui séparait la cave en plusieurs compartiments rendaient quasi impossible l’installation d’un chauffage central. Quelques années plus tard, on y est tout de même parvenu, après beaucoup de travail et d’ingéniosité.

Comme maman nous l’a souvent répété : « Nous étions enfin seuls chez nous! Quel bonheur! Les enfants pouvaient jouer, crier, chanter. De plus, il y avait des champs tout autour de la maison… quel beau terrain de jeu! » À cette époque, la vieille route comptait quatorze maisons, plus une beurrerie, qui était située au coin de la route des Proulx. Nous étions désormais plus éloignés de l’école, du couvent et de l’église, mais cela nous importait peu.   

Comme je l’ai mentionné dans la première partie de ce « grain de sel », notre père vivait alors à Montréal. Il venait à la maison lors des congés qui allaient de pair avec les fêtes religieuses, ce qui fait que ses visites pouvaient parfois être espacées de plusieurs mois.  Par contre, en été, il avait deux semaines de vacances. Dans mes souvenirs, ces deux semaines représentaient les plaisirs de tout un été! Dès le début de nos vacances, on répétait souvent : « Quand papa va venir… » Et on énumérait tous les projets que sa visite impliquait : « il va nous emmener nous baigner au fleuve, on va aller aux framboises, on fera un pique-nique sur la grève, on ira au troisième rang, sur la terre à bois à Pépère… » Que de projets! Maman, qui n’évoquait jamais devant nous sa lassitude devant le fardeau qu’elle était seule à porter la plus grande partie de l’année, manifestait sans retenue sa joie, dans l’attente des vacances de notre père.

Les années passaient… Ma sœur aînée, Élyane s’est mariée en 1957; et mon grand frère Claude, en 1960. Le 30 décembre de cette même année, la vie de notre famille allait basculer d’une façon irrémédiable. Mon père, terminant son « quart » de travail à minuit, fut renversé par une auto en descendant de l’autobus qui le ramenait à la maison où il demeurait. Il fut hospitalisé six mois, dont trente jours, inconscient, suite à une grave blessure à la tête. Durant ces trente jours, on ne savait pas s’il sortirait du coma, et si oui, dans quel état. Enfin, au début de l’été, papa revenait chez nous, lucide, mais diminué. Il n’avait que 51 ans, mais il n’a jamais repris son travail… et il n’est jamais reparti de la maison. Maman avait retrouvé son mari… qui avait bien changé! Il se déplaçait avec deux cannes et il ne parlait plus qu’à mi-voix. À demi paralysé du côté droit, il avait tout de même réappris à écrire de la main gauche; mon père aimait tellement écrire!

J’avais alors 19 ans. Je travaillais au Central du téléphone, trois de mes frères encore à la maison, travaillaient, mais il en restait quand même trois, aux études. Les salaires n’étant pas ce qu’ils sont aujourd’hui, Maman avait appris à faire des miracles! Elle en avait l’habitude avec sa grande famille, mais là, ça devenait plus pressant. Les premières années après son accident, Papa, malgré son état de santé, participait autant qu’il le pouvait à la vie de famille. Puis, graduellement, il s’est isolé dans son fauteuil près de la fenêtre du salon qui ouvrait sur la route, et le gros orme… Durant quelques années, il a tenu son journal; après son décès, on y a lu qu’il avait souvent des douleurs, qu’il taisait en priant, offrant ses souffrances pour sa famille, puisqu’il ne pouvait plus travailler pour la faire vivre…

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Papa et Maman en 1973 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

On n’arrête pas le fil du temps. En 1964, mon frère Jacques et moi avons « convolé en justes noces », moi, le 24 juin à Deschambault et Jacques, le 8 août, à Tracy. Il y eut d’autres mariages, en 1972, 73 et 83. Maman et Papa avaient alors 16 petits-enfants. Il en arriverait encore deux après le décès de Papa. La maison de pierre qui avait bénéficié de plusieurs améliorations se vidait tranquillement… tandis que, graduellement, la rue Johnson accueillait de nouvelles maisons. Aujourd’hui, on en compte 24! En mars 1980, Papa nous a quittés, puis en 1988, ce fut le tour de mon frère Claude. Maman demeurait toujours chez elle avec ses deux derniers fils encore célibataires; elle a quitté sa maison une semaine avant son décès en 1996; elle était arrière-grand-mère depuis février de cette même année.

Maman et son arrière-petite-fille Blanche (coll. Patrick Bouillé).

Maman et son arrière-petite-fille Blanche (coll. Patrick Bouillé).

Au cours des 25 dernières années du XXe siècle, mon patelin a connu de l’expansion, avec les nombreuses rues et les développements domiciliaires qui ont amené un rajeunissement de la population. Et voilà que cet an 2000 qu’on avait peine à imaginer dans « mon jeune temps », s’en va allègrement vers ses 20 ans.

Je souhaite à chacun et chacune de vous qui me lisez, une très bonne année; que la santé soit au rendez-vous. Donnez du temps à vos parents et à vos vrais amis, si vous avez la chance d’en avoir. Je crois que c’est ce qui compte le plus dans la vie.

© Madeleine Genest Bouillé, 3 janvier 2017

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