Ma balançoire est vide, toute seule, par ce soir d’hiver… Le vent la bouscule sans ménagements, elle se désole. Comme je la comprends! Alors, en attendant le retour des beaux jours, je lui dédie cette page.
Chère balançoire, tu fais partie de notre décor extérieur depuis déjà un certain temps. Je t’avais reçue en cadeau pour la Fête des Mères, il y a de cela pas loin de dix ans, si je ne m’abuse. Tu remplaçais une de tes pareilles qui avait rendu l’âme après plusieurs années de bons et loyaux services. Pour mal faire, cette année-là, l’été tardait et j’ai dû attendre le début de juin pour profiter de ta présence. Au début, on t’avait installée en plein soleil; ça n’était pas une très bonne idée, étant donné que je n’aime le soleil que quand je suis à l’ombre! Avant de trouver le bon endroit, on t’a déménagée deux ou trois fois. Mais tu restais toujours du côté est de la maison.
Il y a quelques années, nous t’avons peinte en vert afin que tu t’harmonises avec la maison et le hangar; j’avoue que cette couleur te va très bien. L’été dernier, je m’étais dit comme ça, que ça serait bien si tu étais plus proche de la galerie; on t’a donc déplacée du côté ouest du parterre. Tu es ce qu’on pourrait appeler une « balançoire voyageuse »! Comme j’ai passé ce dernier été pratiquement toujours à la maison, j’ai profité de ta présence plus que jamais. On est si bien en ta compagnie! Un érable tout près nous offre son ombrage, quand le soleil tape trop fort. Comme il est agréable de se balancer tranquillement avec un bon livre ou un recueil de mots croisés! Et par les jours de grande chaleur, tu sais te faire accueillante, quand on se berce à deux, à trois ou à quatre… avec une boisson fraîche ou une bonne crème glacée!
On ne peut se le cacher, là où nous sommes situés, il y a bien quelques inconvénients… Nous demeurons à proximité du Chemin du Roy; tout au long de la belle saison, tu dois donc comme nous subir le trafic incessant et surtout le vacarme infernal des motos, en particulier les fins de semaine. Heureusement, cela ne semble pas t’incommoder. Et puis, il y a quand même des avantages. Le décor est magnifique! Pendant que les oiseaux gazouillent dans les arbres, un petit suisse court le long des fils électriques ou téléphoniques… les papillons viennent butiner les fleurs tout près, sans demander la permission. Un grand aigle tourne très haut dans le ciel au-dessus des frênes et des saules qui bordent la rive du fleuve. C’est presque le paradis!
Quand le soir tombe et que le trafic ralentit, on entend le murmure des vagues, à la marée montante. C’est l’heure que je préfère… L’heure où j’ai envie de faire un retour dans le temps. Notre demeure est habitée depuis presque deux cents ans. Au début, avant la réfection de la route en 1937, notre maison ainsi que quelques voisines étaient placées au sud du chemin; à cette époque, le tracé de la route principale passait sur ce qu’on appelle maintenant la rue Saint-Laurent. Les trois ou quatre maisons dont je parle ont alors dû être transportées du côté nord. Nous avons aussi un hangar, qui fut jadis un atelier de forgeron; comme il n’a jamais été refait, il a toujours ses trois portes et la petite porte du fenil. Quand nous avons emménagé ici, il y avait encore des vestiges du feu de forge et des stalles pour les chevaux. Il faut que tu saches, ma chère balançoire, que tu es sise en sol historique!

Notre maison, du temps de la famille Rousseau, à l’intersection de la route Bouillé et de la « Route 2 » (chemin du Roy).
Souvent, j’essaie d’imaginer la vie des femmes qui m’ont précédée dans cette maison. Avant nous, la dernière famille qui a habité ici était les Rousseau; Madame Rousseau était une Julien, de Deschambault. Au début du siècle le propriétaire était Gédéon Perron et auparavant, il y eut une Dame Mac Cormack. Comment était la vie de ces femmes? Je me demande si elles apprécieraient les changements qu’on a apportés à la maison. J’aime à croire qu’elles étaient heureuses… Même s’il n’y avait pas encore de balançoire autre que les balançoires « à corde » des enfants, sûrement que les femmes de la maison devaient venir s’asseoir sur la galerie, par les beaux soirs d’été, quand les travaux du jour étaient terminés. Peut-être que, comme nous, elles se reposaient et causaient, en écoutant le murmure des vagues à la marée montante…
Chère balançoire, quand l’été reviendra, avec tous ses parfums, ses chants d’oiseaux, ses insectes piqueurs et bourdonnants, j’aimerais que tu te sentes en vacances toi aussi, même si tu ne changes jamais de décor et que tu ne fais pas de long voyage. Tu fais partie de notre été, tu partages nos moments de détente, tu berces aussi bien les rêves des plus jeunes que les discussions enflammées des adultes. Tu accompagnes doucement les voix des plus vieux qui se racontent leurs souvenirs. Tu es une compagne précieuse!
Patiente encore quelques mois… nous te reviendrons!
© Madeleine Genest Bouillé, février 2016