Des histoires de peur…

Quand nous étions enfants, lorsqu’arrivait le changement d’heure en novembre, il faisait nuit plus tôt et on aurait dit que les adultes faisaient exprès pour choisir ce moment-là pour nous raconter toutes les histoires épeurantes de leur répertoire avant qu’on aille se coucher. Les histoires de fantômes étaient celles qui revenaient le plus souvent. Et comme ce mois commençait justement par la fête de la Toussaint, qui était suivie par le Jour des Morts, inutile d’ajouter que ça nous mettait dans l’ambiance, « drette là »!

Crédit photo: ©Marie-Noël Bouillé

Crédit photo: ©Marie-Noël Bouillé

Dans la famille de ma mère, les histoires « à dormir debout », c’était pas ce qui manquait. J’ai parlé de « l’homme gris » dans mon livre Récits du bord de l’eau. Je résume, pour ceux qui ne connaissent pas cette histoire qui a effrayé au moins trois générations d’enfants. C’est arrivé du temps de mon arrière-arrière-grand-père Grégoire Paquin. C’était l’été, il s’en allait au champ avec sa fille Angèle, âgée de 7 ou 8 ans, quand il vit, recroquevillé près d’une clôture, un homme vêtu de gris qui semblait dormir. Le cheval renâclait et ne voulait pas passer, le chien aboyait… il n’aimait pas ça lui non plus. Grégoire réussit à rassurer ses bêtes et poursuivit sa route vers le haut du champ. À la tombée du jour, il fallut bien repasser à cet endroit; « l’homme gris » était toujours là. Le phénomène s’est reproduit « une couple de jours », comme on disait dans le temps. « Une couple de jours », cela pouvait signifier aussi bien 2 jours qu’une semaine… peu importait. Le temps autrefois n’avait pas la même valeur que maintenant! Toujours est-il que chaque fois qu’ils passaient par là, le cheval et le chien manifestaient leur crainte bruyamment. Grégoire, en bon chrétien, décida de se rendre au presbytère où il conta son aventure au curé, qui lui recommanda de faire chanter une messe pour une âme abandonnée du purgatoire. Ce que mon aïeul fit aussitôt. On ne revit jamais « l’homme gris »!

La prière en famille (Edmond-J. Massicotte, Les Canadiens d'autrefois, 1924).

La prière en famille (©Edmond-J. Massicotte, Les Canadiens d’autrefois, 1924).

Il y avait bien aussi cette autre histoire dont le début du moins, est assez effrayant… Le soir de la Toussaint, on disait que les défunts se promenaient sur la terre et qu’ils revenaient aux endroits où ils avaient vécu. Si on entendait des bruits inexplicables, il était recommandé de faire des prières pour les âmes errantes. Un soir de Toussaint, donc, un fermier des alentours se reposait dans sa maison avec sa femme et ses enfants, quand ils entendirent gémir au dehors. Le père de famille ordonna à toute la maisonnée de s’agenouiller pour réciter les prières pour les défunts. Les De Profundis et les Requiem Aeternam alternaient avec les Aves. Les gémissements continuaient… la famille redoublait d’ardeur dans ses prières. D’heure en heure, finalement, les gémissements faiblirent, puis cessèrent. Il était temps : il passait minuit! Parents et enfants purent enfin aller se coucher. Quelle ne fut pas la surprise de notre brave fermier le lendemain matin, alors qu’il sortait pour se rendre à l’étable, de trouver l’une de ses vaches morte, la tête prise dans la clôture. Cette histoire qui commençait bien mal avait au moins le mérite de nous faire rire à la fin.

Photos Blanche et autres 025Combien d’histoires de peur se sont ainsi transmises d’une génération à l’autre! Tout contribuait à faire croire aux revenants, aux sorcières et aux feux-follets. Tout d’abord, il n’y avait pas d’éclairage dans les rues; les soirs sans lune, les chemins étaient bien sombres, à peine éclairés de loin en loin par la lueur tremblotante d’un fanal. Les gens avaient beau ne pas être peureux, parfois, il suffisait de peu de choses pour se faire des « accroires »! Le vent soulevant un tourbillon de feuilles mortes, ou faisant grincer la porte mal fermée d’un hangar… le cri d’une chouette, un chien qui aboie dans le noir, une ombre furtive qui se déplace sans bruit. À l’intérieur, ce n’était guère mieux; un courant d’air qui éteignait la chandelle, une marche d’escalier qui craquait… une souris courant sur le plancher du grenier. C’était sûrement une âme qui demandait des prières!

La maison en pierre de taille au début des années 50, avec l'appentis à l'est. La cave de la maison, probablement plus vieille, ainsi que l'appentis en pierre des champs seraient les vestiges d'une ancienne poudrière.

Durant les premières années où notre famille habitait la vieille maison de pierre, il n’y avait pas de lumière dans l’escalier qui conduisait à l’étage où nous nous avions notre chambre, ma sœur et moi. J’ai le souvenir très précis de l’escalier qui grimpait raide le long du mur de pierre, et aussi de la noirceur qui régnait dans le grenier, jusqu’à ce qu’enfin je trouve la chaînette de la lumière… elles me paraissaient longues, ces minutes! J’étais tellement peureuse. Alors, imaginez ce que ça pouvait être quand on venait de se faire raconter une histoire de peur et qu’il fallait ensuite monter se coucher! Je n’ai jamais oublié cette impression de froid dans le dos. Depuis mon enfance je n’aime pas l’obscurité. Quand je suis seule, j’allume des lampes partout… et toujours je garde une veilleuse pour dormir.

© Madeleine Genest Bouillé, novembre 2015

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