Les préjugés

Octobre s’achève. Il nous a fait des accroires, avec des températures qui parfois frôlaient le zéro, même que quelques matins, on s’est retrouvé en bas de ce foutu zéro. Les vents ont joué à qui se déchaînerait le plus… Les feuilles avaient beau essayer de résister, elles tombaient en virevoltant. À certains moments, on aurait dit un beau ballet bien orchestré. Mais qu’on le veuille ou non, voici novembre avec son gros balai; il vient nettoyer la place pour l’hiver.  Et ça me fait penser qu’on devrait aussi donner un grand coup de balai dans nos vieilles idées arrêtées, nos préjugés, pour faire de la place aux idées nouvelles, aux idées des autres. C’est pas toujours facile, j’en conviens. Dans vingt-quatre heures, on se sera donné un nouveau gouvernement… pour le meilleur? Espérons que ce ne soit pas pour le pire! Dans tous les beaux discours qu’on a entendus depuis le début de la campagne électorale, il s’est souvent glissé quelques préjugés, quelques idées préconçues; évidemment, quand on parlait des adversaires! Mais comme on dit, c’est de bonne guerre!

Dans mon vieux dictionnaire, un préjugé, c’est « ce qui a été jugé auparavant, une idée préconçue ». J’ai lu quelque part que les préjugés sont les « chaînes forgées par l’ignorance pour séparer les hommes (et les femmes aussi) ». Ailleurs j’ai lu cette phrase qui va plus loin: « Au lieu de se débarrasser de leur préjugés, la plupart d’entre nous les camouflent et les font passer pour des principes. »  Plus poétiquement, Félix Leclerc nous donne sa définition d’un préjugé : « C’est une petite branche d’arbre qui empêche de voir la mer. »  Ma définition à moi, c’est  ceci : « Un préjugé c’est ce que tout le monde prétend ne pas avoir, mais que tous, on possède, à des degrés divers. »

Si seulement on savait pourquoi on a des préjugés, ce qui les engendre; quand on va à la source d’un mal on peut plus facilement le guérir ensuite. Au départ, je crois que les préjugés sont engendrés par l’ignorance; on craint toujours un peu ce qu’on ne connaît pas, on se méfie. C’est vrai aussi qu’on essaie souvent de faire passer nos préjugés pour des principes; on n’aime pas remettre nos valeurs en question. C’est dérangeant. C’est comme quand on veut changer les meubles de place dans une pièce, et que  finalement, après cinq ou six essais, chacune des pièces du mobilier se retrouve exactement où elle était avant.  C’est rassurant! Ça veut dire qu’on avait raison. Avoir raison! Y a-t-il quelque chose de plus réconfortant?

Il faut bien l’avouer, notre vue sur le monde et les gens qui nous entourent est trop souvent bouchée par une forêt de préjugés! Novembre est là… c’est le temps du grand ménage, ça ne ferait pas de tort de balayer aussi nos préjugés!

Madeleine Genest Bouillé, 20 octobre 2019

(À partir d’un texte original de 1979).

Chanson pour l’automne qui fuit

Je n’avais rien à faire… c’est rare! Pour occuper mes pensées, j’ai commencé à feuilleter mes cahiers de La Bonne Chanson, lesquels sont souvent une source d’inspiration pour mes « grains de sel ». Ce sont de vrais trésors, ces cahiers… je rêve d’un concert qui serait composé uniquement de chansons pigées dans les fameux cahiers de l’abbé Gadbois, dont la devise était : « Un foyer où l’on chante est un foyer heureux ». Je me suis arrêtée sur Chanson d’automne, une mélodie un peu mélancolique qui parle justement de la fin de cette saison, si colorée à ses débuts et qui se termine, hélas, dans la grisaille. Comme je l’ai déjà mentionné, les soirées Bonne Chanson qui avaient lieu au Vieux Presbytère demeurent pour moi parmi mes plus beaux souvenirs. Il me semble entendre encore Louiselle et Joachim Perron qui interprétaient si bien en duo, la Chanson d’automne, au cours d’une veillée en novembre; en rappel, ils nous offraient ensuite L’hiver a chassé l’hirondelle. Cette dernière chanson était accueillie comme un avant-goût de la saison blanche, et à chaque fois, j’anticipais avec plaisir l’approche du joyeux temps des Fêtes en écoutant : « L’hiver a chassé l’hirondelle… mais de notre cœur, ô ma belle, l’hiver ne peut chasser l’amour. »

211Mais je reviens à ma Chanson d’automne. Dans mes photos de fin de saison, je n’ai pas de « treille qui tord ses longs bras maigres », et on ne voit pas non plus « l’hirondelle en sanglotant (qui) disparaît à l’horizon pâle ». J’ai surtout des images du fleuve, avec ou sans la chaloupe délaissée… c’est là mon univers! Mais tout comme dans la chanson,  « Les nuages sont revenus… La brume a terni les blancheurs et cassé les fils de la Vierge.  Et le vol des martins-pêcheurs ne frissonne plus sur la berge ». 

« Les arbres sont rabougris, la chaumière ferme sa porte, et le petit papillon gris a fait place à la feuille morte. »  Ces jours-ci, c’est vraiment ce que la nature nous offre comme paysage. Du gris partout! Gris, les arbres dénudés, auxquels parfois, s’accrochent quelques feuilles sèches, aux couleurs ternes. Grise l’herbe usée, piétinée, qui se confond avec le trottoir et la route. Mais parce que je ne me résigne pas à les jeter, halloween-2016-118parce qu’elles font leur possible pour mettre une touche de couleur et de la gaieté sur ma galerie, j’ai laissé quelques citrouilles aux visages rieurs ou fâchés, vestiges de l’Halloween. Pour la deuxième année, nous avions acheté huit petites citrouilles, sur lesquelles je me suis amusée à dessiner des figures. Certaines arborent un grand sourire, d’autres ont une moustache, une regarde vers le côté tandis qu’une autre a les yeux fermés. J’aime les fêtes, et j’aime les décorations. J’aime tout ce qui me donne l’occasion d’éviter la monotonie. C’est sans doute ce qui fait que je n’aime pas cette fin de saison qui s’étire et qui semble ne pas vouloir partir.

halloween-2016-097La musique du refrain de ma « chanson pour l’automne qui fuit » est écrite pour deux voix qui disent : « Viens cueillir encore un beau jour, en dépit du temps qui nous brise… Et mêlons nos adieux d’amour, aux derniers parfums de la brise. » Il y aura encore de belles journées, elles seront plus froides, mais parfois, elles nous laisseront un répit, dont il faudra profiter pour installer les décorations de Noël en évitant de se geler les mains. S’il est bon de cueillir chaque beau jour qui nous est donné, laissons « le temps qui nous brise » et « les adieux d’amour » s’envoler dans la chanson avec « les derniers parfums de la brise »! 

© Madeleine Genest Bouillé, 18 novembre 2016

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Félix l’a si bien dit…

Novembre, ce n’est pas un mois ordinaire; disons que malgré sa triste apparence, je lui trouve un certain charme. Un charme un peu fané, comme les fleurs séchées qu’on garde en souvenir entre les pages d’un livre… Je lis beaucoup; à la bibliothèque, je choisis parfois des livres d’auteurs que je ne connais pas, il m’arrive ainsi de faire des découvertes intéressantes, d’autres par contre sont décevantes. Mon choix est souvent dicté par un titre qui m’accroche, comme celui-ci par exemple : Zut! J’ai raté mon gâteau, un  roman lu récemment et qui s’est avéré très intéressant. Mais j’aime de temps à autre, me replonger dans mes vieux livres, dont ceux de Félix Leclerc, Adagio, Andante et Allegro. Ces lectures m’amènent invariablement au très beau texte intitulé « Les matins », dans Andante,  paru en 1944. Dans ce long poème en prose, Félix fait le tour de nos quatre saisons, qu’il préfère diviser en matins de cinq couleurs différentes, or, gris, blanc, noir et rouge. Pour exprimer ce que je ressens en ce mois de novembre, je vous cite quelques extraits des « matins gris ».

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« …Puis viennent les pluies d’automne, l’approche de la Toussaint, de l’Armistice. Ce sont les matins gris. Il faut faire un effort pour sortir du lit, pour sortir de la maison, pour sortir de la ville. Le ciel est sale… Il pleut lentement, quelques gouttes à la fois, tristement, sans arrêt. On a enlevé les jalousies vertes et on a posé les châssis doubles. On cache les vêtements d’été. C’est l’hiver qui vient. À quatre heures de l’après-midi, on allume les lampes, on évite la solitude. On se veut tous ensemble. On fait de la musique.  On se réunit le soir pour parler. Dans les hôpitaux, les malades disent aux gardes : « Reculez-moi de la fenêtre ». Il fait froid, on fait du feu. On pense à ceux qui coucheront dehors ce soir. On est résigné parce qu’il le faut bien, parce que c’est le mois de novembre. Le vent souffle, la vie est dure, c’est la montée. Plusieurs n’ont pas le courage de suivre, c’est pourquoi le mois des morts a été placé là. »

2012-01-18-065C’est bien vrai, novembre, ce n’est plus le bel automne flamboyant. Pendant quelques jours encore, selon les caprices de Dame Nature, les mélèzes seront les seuls, avec les bouleaux et les trembles, à nous offrir leur participation au festival des couleurs. Ils apporteront leur touche de vieil or, pour nous faire accepter en douce le passage à la dernière étape. C’est un « entre-deux », une espèce de temps suspendu. C’est important dans le calendrier des jours et dans celui de la vie aussi, ces étapes « entre-deux ». Ça nous empêche d’aller plus vite que les violons. Tout va tellement trop vite dans ce siècle qui se prend pour un autre, parce qu’il est le 21e ! On pousse sur les enfants pour qu’ils deviennent au plus vite « autonomes »… plus tard on se plaindra qu’on les perd de vue trop tôt. On ne prend plus le temps de penser, de réfléchir. Il faut aller vite, on est toujours rendus deux saisons plus loin, quitte à en perdre des bouts.

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J’essaie de prendre le temps de vivre chaque saison – celles de l’année et celles de la vie – avec ce que chacune a de particulier. Ainsi, novembre avec ses beautés, plus subtiles, moins éclatantes, mais bien présentes quand même. Surtout que les soirées sont plus longues, il faut en profiter;  il y a plein de choses à faire.  Ce n’est pas encore l’hiver avec son décor blanc et ses garnitures des Fêtes… mais on peut commencer à s’y préparer, c’est pour bientôt!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 novembre 2016

Le dernier acte

Peut-être est-ce parce que je suis née à la fin de ce mois, mais quand arrive novembre, j’ai l’impression d’assister au dernier acte d’une pièce de théâtre. On voudrait que ça continue, mais en même temps on sait bien que la finale s’en vient. On peut presque la prévoir. On se surprend à regarder l’heure… il reste 20 minutes; on voudrait que ça finisse bien, c’est tellement décevant une pièce qui finit mal! On est un peu anxieux. On regarde encore l’heure… plus que quinze minutes. Ces dernières scènes sont très importantes, les gestes, les répliques resteront dans notre mémoire et ce sont souvent ces minutes-là qui détermineront l’appréciation que nous garderons de toute la pièce.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Ainsi en est-il du mois de novembre. Pour moi, c’est un mois déterminant dans l’histoire de l’année en cours. Dans ma jeunesse, comme tous les enfants, j’avais hâte à ma fête et tout de suite après, je me permettais d’avoir hâte à Noël. Maintenant, j’aimerais mieux oublier mon anniversaire, mais je ne le puis, alors je m’occupe, je tourne, je vire, je commence une chose, puis une autre. D’ailleurs il y a tant à faire en cette fin d’automne, et comme en vieillissant on ralentit quelque peu, je commence donc plus tôt mes préparatifs pour la fête de Noël. Mine de rien, je vérifie la quantité et l’état des décorations, je trie mes recettes … je n’aime pas me faire dire : « Tu trouves pas que c’est un peu tôt? »

Certains livres de ma bibliothèque sont pour moi des références sur différents sujets. Et périodiquement, j’aime à en relire des passages, selon les saisons. C’est le cas pour le livre de Jean Provencher Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent. J’aime surtout le chapitre qui parle de l’automne. Ces jours derniers, je relisais donc les pages qui décrivent les multiples travaux que nos ancêtres devaient effectuer avant l’hiver.  Seulement pour les activités domestiques, on compte cinquante pages. Je vous fais grâce des nombreuses tâches décrites dans ce chapitre, mais à partir du moment où on s’apprêtait à quitter la cuisine d’été pour réintégrer la maison proprement dite, il y en avait de l’ouvrage à faire. Cela sans compter les récoltes et la conservation des aliments.

Écossage et mise en conserve des haricots. Source: blogue Potagers d'antan.

Écossage et mise en conserve des haricots. Source: blogue Potagers d’antan.

Cette lecture me ramène longtemps en arrière, quand j’étais enfant. Les travaux d’automne, c’était tout d’abord la fabrication des conserves et confitures; ce travail qui occupait presque tout le monde. Même les enfants pouvaient participer; je me souviens d’avoir coupé des légumes en petits morceaux pour les mettre ensuite dans des pots, je ne sais pas quel âge je pouvais avoir… je me revois aussi tournant une manivelle, peut-être celle de la sertisseuse. Une autre étape des travaux d’automne dont j’ai souvenance, c’est la pose des « châssis doubles ». Toutes les fenêtres, sauf celles de la façade, qui donnaient sur la route, avaient une moustiquaire, qu’on appelait un « scring » (pour screen, un des multiples mots anglais qu’on disait tout de travers). J’aimais ce changement de fenêtre, il me semblait qu’il faisait plus clair. Il fallait la plupart du temps remettre du mastic pour tenir les vitres en place et parfois, je me souviens qu’on mettait des lisières de coton « à fromage » pour empêcher l’air froid d’entrer par les interstices. Bien entendu, avant d’installer les fenêtres d’hiver, il fallait d’abord les laver et au besoin repeindre les boiseries. Tant qu’à y être, on lavait aussi les rideaux et les tentures. Je me rappelle aussi qu’on sortait les gros édredons et les manteaux qui n’allaient pas dans la laveuse, et on les mettait sur la corde à linge pour les aérer et enlever l’odeur des boules à mites. C’était tenace cette odeur!

Cimetière de Deschambault. Crédit photo: Patrick Bouillé.

Cimetière de Deschambault. Crédit photo: Patrick Bouillé.

Dans mes souvenirs, novembre c’était surtout le « mois des morts ». On entendait parler de l’Halloween, mais pour nous, ça ne voulait pas dire grand-chose. Je me rappelle qu’on découpait des masques épeurants à l’endos des boîtes de Corn Flakes, rien de plus! Nos fêtes du début de novembre étaient pas mal plus sérieuses. Le 1er du mois, c’était la Toussaint, une fête d’obligation, et comme son nom l’indique, la fête de tous les saints.  Le lendemain, Jour des Morts, il y avait encore une messe, cette fois pour tous les défunts de la paroisse. Autrefois, après cette messe, se tenait la Criée pour les âmes. Sur certaines photos anciennes, on peut voir le kiosque de la criée qui était placé au coin du cimetière, du côté de la rue de la Salle. Chaque jour de ce mois, on nous invitait à prier pour nos défunts. À 7 heures du soir, à l’église, on sonnait le glas pour nous rappeler de réciter les Paters; ces oraisons consistaient en cinq Paters, cinq Aves, cinq Gloria Patri et autant d’invocations pour les âmes des défunts. À cette heure en novembre, il fait déjà nuit, le glas résonnait lugubrement entre les lamentations du vent dans les arbres dépouillés; on ne pouvait absolument pas oublier les parents partis pour l’autre monde! Mon grand-père est décédé au début de novembre en 1955; nul besoin d’ajouter que ce mois-là, à chaque soir, je ne pensais qu’à lui! Si seulement je m’étais alors rappelé les blagues qu’il lançait et les airs joyeux qu’il fredonnait assis sur son vieux banc de cordonnerie, mais non, je le revoyais dans sa tombe, endimanché et solennel… Ça ne lui ressemblait pas vraiment.

Mon grand-père Edmond "Tom" Petit et ma grand-mère Blanche (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Mon grand-père Edmond « Tom » Petit et ma grand-mère Blanche (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Pour mettre un peu de joie dans ce mois plutôt sévère, le 25 novembre on fêtait la Sainte-Catherine. La tradition voulait qu’en ce jour, on fasse de la tire à la mélasse. On nous avait raconté à l’école que Marguerite Bourgeois, une des fondatrices de Ville-Marie, avait utilisé cette friandise pour attirer les jeunes amérindiennes et ainsi parvenir à leur donner quelques rudiments d’instruction. Je ne sais pas quel rapport il y a entre la dégustation de tire et la Sainte-Catherine, qui était jadis la fête des « jeunes filles prolongées »! Mais je me souviens de cet écheveau de belle tire blonde qu’on étirait tant et plus, et qu’on coupait ensuite en petits morceaux. Friandise collante s’il en est, mais délicieuse! Chez nous, la fin de novembre, c’était surtout trois anniversaires, le 24, le 27 et le 28, qu’on célébrait en une seule fête la plupart du temps. Avec les années, la famille s’est agrandie et il y a maintenant trois anniversaires de plus en novembre, le 8, le 12 et le 18.

Extrait des cahiers de la Bonne Chanson: La Tire, d'Albert Larrieu.

Extrait des cahiers de la Bonne Chanson: La Tire, d’Albert Larrieu.

Quand les premières bordées de neige nous arrivent en novembre, il me semble que ça atténue le côté sombre de ce mois. La neige… ça fait penser à Noël, au temps des Fêtes. Même maintenant, rien ne me fait plus plaisir que quand il neige le jour de mon anniversaire. C’est le plus beau présent que je puisse recevoir! Malheureusement, personne ne peut me le garantir, ce cadeau-là. Comme au dernier acte de la pièce, novembre réserve toujours quelques surprises!

© Madeleine Genest Bouillé, 22 octobre 2016

Élégie

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Les feuilles qui tombent au bois,
Comme des oiseaux dorés
Aux ailes blessées,
Emportent avec elles, les larmes, les joies,
Tout ce qui fut l’espace d’un été
Et restera au cœur, à jamais gravé.

Les feuilles qui tombent en silence,
S’étalent au sol en un tapis
Où pêle-mêle, regrets et nostalgie,
Forment tissu de souvenance…

automne-2015hiver-2016-011Étincelant un instant au soleil,
Les feuilles d’or ou de vermeil
Dans leur course folle,
Sont pareilles à ces paroles,
Qui s’accrochent à la mémoire
Y apportant lueur d’espoir.

Quand vous danserez, toutes belles,
Votre farandole dans le ciel,
Ô feuilles! Un matin vous viendrez
Hélas! mourir sur la terre gelée…

Feuilles qui tombez au bois,
Comme ces oiseaux dorés
Aux ailes abimées,
Emportez  mes rires, mes soupirs,
Tout ce que fut cet été passé,
Mais laissez-moi mes souvenirs!

© Madeleine Genest Bouillé, 11 octobre 1996

Ils sont nombreux les bienheureux…

C’est un chant de Robert Lebel, donc un « chant d’église ». Les paroles sont tellement belles, que je trouve dommage qu’il n’y ait que les pratiquants qui l’entendent, et encore, pas souvent… puisqu’on ne le chante qu’une fois par année, le dimanche où l’on rappelle les noms des défunts de l’année, et qui remplace ce qui était autrefois le Jour des Morts.

L'église de Deschambault et ses anciens bancs, vers 1880 (Archives nationales du Québec).

L’église de Deschambault et ses anciens bancs, vers 1880 (Archives nationales du Québec).

« Ils sont nombreux les bienheureux,
qui n’ont jamais fait parler d’eux
et qui n’ont pas laissé d’image.

 Tous ceux qui ont depuis des âges
Aimé sans cesse et de leur mieux
Autant leurs frères que leur Dieu. »

 Quand on chante ces paroles, j’ai toujours l’impression tout à coup que l’église est pleine. Je crois qu’ils sont là parmi nous, tous ces gens; des vieux, beaucoup… mais aussi des enfants, des hommes dans la force de l’âge, des mères qui sont mortes en donnant naissance à un enfant – ça arrivait souvent autrefois! Par centaines, dans leur costume du dimanche, celui qu’ils enlevaient aussitôt revenus de la messe, ils occupent le banc où ils avaient coutume de se placer, le banc de famille, qu’on avait à cœur de payer chaque année, en même temps que la dîme, parce qu’on était fier d’être un bon paroissien.

chandeleur-ou-chandelle« Ceux dont on ne dit pas un mot
Ces bienheureux de l’humble classe 
Ceux qui n’ont pas fait de miracle

 Ceux qui n’ont jamais eu d’extase
Et qui n’ont laissé d’autre trace
Qu’un coin de terre ou un berceau. »

Ceux-là n’occupaient pas les bancs d’en avant, ni même dans la grande allée. Ils avaient leur banc soit dans les galeries en haut, ou bien, dans l’autre jubé, celui qu’on appelait le « troisième ciel »; on l’a démoli lors des rénovations des années cinquante. Il avait été ajouté plus tard, parce qu’il fallait bien; à Noël et dans les autres grandes fêtes, l’église était pleine à craquer! Dans ce petit jubé, de chaque côté de l’orgue, si on était placé dans un banc en arrière, il fallait se mettre debout pour voir la procession avec le petit Jésus à la messe de Minuit. Par contre, on entendait chaque vibration de l’orgue… comme un grand cœur qui battait. Et quand arrivait le moment de la communion, on avait deux escaliers à dégringoler… on s’y prenait donc un peu à l’avance, quitte à attendre en arrière de l’église que les propriétaires des bancs de la grande allée aient regagné leur place.

Beurrerie Bédard, au 2e Rang, en 1898 (source: Musée virtuel du 300e de Deschambault, Culture et patrimoine Deschambault-Grondines).

Beurrerie Bédard, au 2e Rang, en 1898 (source: Musée virtuel du 300e de Deschambault, Culture et patrimoine Deschambault-Grondines).

« Ils sont nombreux, ces gens de rien
Ces bienheureux du quotidien
Qui n’entreront pas dans l’histoire

 Ceux qui ont travaillé sans gloire
Et qui se sont usé les mains
À pétrir, à gagner le pain. »

Ils sont tous  là : ceux qui ont construit nos belles vieilles maisons, ceux qui ont cultivé nos terres, et tous les autres : les pilotes, les marins, les menuisiers, les marchands, le cordonnier, le forgeron…. Il me semble les voir; les hommes, souvent, restaient en arrière de l’église et ils sortaient fumer leur pipe quand le sermon menaçait d’être trop long. Mais, voilà que je suis distraite par les chapeaux des femmes! Il y en a tellement et de toutes sortes, pensez donc! Depuis les débuts de la paroisse jusqu’en 1965, alors que les femmes pouvaient entrer dans l’église nu-tête. Elles étaient fières, nos paroissiennes! La messe étant souvent la seule sortie où elles pouvaient exhiber leur toilette du dimanche; c’était un bien petit péché. Sûrement que Dieu n’en a pas tenu compte, pas plus d’ailleurs que pour les hommes, qui allaient « prendre l’air » pendant l’homélie!

« Ils ont leur nom sur tant de pierres
Et quelquefois dans nos prières
Mais ils sont dans le cœur de Dieu!                          

Et quand l’un d’eux quitte la terre
Pour gagner la maison du Père
Une étoile naît dans les cieux. »

Je trouve ce dernier couplet rassurant, apaisant. Tous ces gens, certains depuis des siècles, d’autres depuis peu, qui ont quitté notre monde pour entrer dans cette autre vie dont on ne sait rien, sinon que, comme il est dit dans les Écritures, « Ils sont éternellement heureux, dans Son Royaume! » Je l’espère!

© Madeleine Genest Bouillé, novembre 2015

Des histoires de peur…

Quand nous étions enfants, lorsqu’arrivait le changement d’heure en novembre, il faisait nuit plus tôt et on aurait dit que les adultes faisaient exprès pour choisir ce moment-là pour nous raconter toutes les histoires épeurantes de leur répertoire avant qu’on aille se coucher. Les histoires de fantômes étaient celles qui revenaient le plus souvent. Et comme ce mois commençait justement par la fête de la Toussaint, qui était suivie par le Jour des Morts, inutile d’ajouter que ça nous mettait dans l’ambiance, « drette là »!

Crédit photo: ©Marie-Noël Bouillé

Crédit photo: ©Marie-Noël Bouillé

Dans la famille de ma mère, les histoires « à dormir debout », c’était pas ce qui manquait. J’ai parlé de « l’homme gris » dans mon livre Récits du bord de l’eau. Je résume, pour ceux qui ne connaissent pas cette histoire qui a effrayé au moins trois générations d’enfants. C’est arrivé du temps de mon arrière-arrière-grand-père Grégoire Paquin. C’était l’été, il s’en allait au champ avec sa fille Angèle, âgée de 7 ou 8 ans, quand il vit, recroquevillé près d’une clôture, un homme vêtu de gris qui semblait dormir. Le cheval renâclait et ne voulait pas passer, le chien aboyait… il n’aimait pas ça lui non plus. Grégoire réussit à rassurer ses bêtes et poursuivit sa route vers le haut du champ. À la tombée du jour, il fallut bien repasser à cet endroit; « l’homme gris » était toujours là. Le phénomène s’est reproduit « une couple de jours », comme on disait dans le temps. « Une couple de jours », cela pouvait signifier aussi bien 2 jours qu’une semaine… peu importait. Le temps autrefois n’avait pas la même valeur que maintenant! Toujours est-il que chaque fois qu’ils passaient par là, le cheval et le chien manifestaient leur crainte bruyamment. Grégoire, en bon chrétien, décida de se rendre au presbytère où il conta son aventure au curé, qui lui recommanda de faire chanter une messe pour une âme abandonnée du purgatoire. Ce que mon aïeul fit aussitôt. On ne revit jamais « l’homme gris »!

La prière en famille (Edmond-J. Massicotte, Les Canadiens d'autrefois, 1924).

La prière en famille (©Edmond-J. Massicotte, Les Canadiens d’autrefois, 1924).

Il y avait bien aussi cette autre histoire dont le début du moins, est assez effrayant… Le soir de la Toussaint, on disait que les défunts se promenaient sur la terre et qu’ils revenaient aux endroits où ils avaient vécu. Si on entendait des bruits inexplicables, il était recommandé de faire des prières pour les âmes errantes. Un soir de Toussaint, donc, un fermier des alentours se reposait dans sa maison avec sa femme et ses enfants, quand ils entendirent gémir au dehors. Le père de famille ordonna à toute la maisonnée de s’agenouiller pour réciter les prières pour les défunts. Les De Profundis et les Requiem Aeternam alternaient avec les Aves. Les gémissements continuaient… la famille redoublait d’ardeur dans ses prières. D’heure en heure, finalement, les gémissements faiblirent, puis cessèrent. Il était temps : il passait minuit! Parents et enfants purent enfin aller se coucher. Quelle ne fut pas la surprise de notre brave fermier le lendemain matin, alors qu’il sortait pour se rendre à l’étable, de trouver l’une de ses vaches morte, la tête prise dans la clôture. Cette histoire qui commençait bien mal avait au moins le mérite de nous faire rire à la fin.

Photos Blanche et autres 025Combien d’histoires de peur se sont ainsi transmises d’une génération à l’autre! Tout contribuait à faire croire aux revenants, aux sorcières et aux feux-follets. Tout d’abord, il n’y avait pas d’éclairage dans les rues; les soirs sans lune, les chemins étaient bien sombres, à peine éclairés de loin en loin par la lueur tremblotante d’un fanal. Les gens avaient beau ne pas être peureux, parfois, il suffisait de peu de choses pour se faire des « accroires »! Le vent soulevant un tourbillon de feuilles mortes, ou faisant grincer la porte mal fermée d’un hangar… le cri d’une chouette, un chien qui aboie dans le noir, une ombre furtive qui se déplace sans bruit. À l’intérieur, ce n’était guère mieux; un courant d’air qui éteignait la chandelle, une marche d’escalier qui craquait… une souris courant sur le plancher du grenier. C’était sûrement une âme qui demandait des prières!

La maison en pierre de taille au début des années 50, avec l'appentis à l'est. La cave de la maison, probablement plus vieille, ainsi que l'appentis en pierre des champs seraient les vestiges d'une ancienne poudrière.

Durant les premières années où notre famille habitait la vieille maison de pierre, il n’y avait pas de lumière dans l’escalier qui conduisait à l’étage où nous nous avions notre chambre, ma sœur et moi. J’ai le souvenir très précis de l’escalier qui grimpait raide le long du mur de pierre, et aussi de la noirceur qui régnait dans le grenier, jusqu’à ce qu’enfin je trouve la chaînette de la lumière… elles me paraissaient longues, ces minutes! J’étais tellement peureuse. Alors, imaginez ce que ça pouvait être quand on venait de se faire raconter une histoire de peur et qu’il fallait ensuite monter se coucher! Je n’ai jamais oublié cette impression de froid dans le dos. Depuis mon enfance je n’aime pas l’obscurité. Quand je suis seule, j’allume des lampes partout… et toujours je garde une veilleuse pour dormir.

© Madeleine Genest Bouillé, novembre 2015

L’automne, saison d’espérance

Réflexion.

L’automne, saison d’espérance? Une saison qui débute en nous offrant ses plus riches trésors, ses plus belles couleurs, pour nous laisser ensuite dans la grisaille et le dénuement le plus complet. J’aurai du mal à vous faire admettre que cette saison-là parle d’espérance.

138Et pourtant, oui, je persiste et je dis que l’automne est une saison d’espérance. Comme l’automne, l’espérance, ma vertu préférée, passe par toutes les nuances. Du rouge d’un beau matin qui nous fait croire que tout est possible, au désolant crépuscule ennuagé, en passant par le morne jour gris où l’on ferme les rideaux plus tôt, pour ne pas voir dehors. L’espérance, comme la température automnale, n’est pas toujours au beau fixe. C’est un mélange de rouge et de noir, de hauts et de bas. L’espérance?… il faut en avoir trop pour être sûr d’en avoir assez!

027 (2)L’automne qui débute avec la rentrée scolaire, me semble le parfait symbole de l’espérance. Qu’il s’agisse des petits qui prennent le chemin de l’école pour la première fois ou des plus grands qui s’orientent vers des études qui engageront leur vie, ils auront besoin d’une forte dose d’espérance pour résister aux tentations de la facilité, de la contestation ou du décrochage.

C’est aussi en automne qu’on retrouve les joies du foyer. Au cours de l’été, on a déserté notre chez-soi, que ce soit pour les voyages de vacances, le chalet, ou simplement pour vivre dehors. Voici qu’un jour on prend plaisir à réintégrer la maison. On la fait revivre, on fait le ménage, on vérifie l’isolation des fenêtres – si on habite une vieille maison, on change les doubles fenêtres – et on met le chauffage, on allume les lumières pour chasser l’obscurité qui a commencé à tomber plus tôt. C’est qu’on la veut accueillante, notre demeure! L’hiver peut venir, parée pour les longs mois de froidure, la maison sera confortable. Tout ça, vous en conviendrez, ce sont des gestes d’espérance !

photos 8janv.2015 098C’est de Charles Péguy qu’on tient ces paroles : « L’espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera. » Les paysages dépouillés de fin d’automne nous révèlent des perspectives plus larges, plus nettes : les feuillages ne cachant plus la vue, on pense aussi plus loin… plus profondément. D’une certaine façon, les soirées plus longues invitent à l’intériorité. Ce n’est pas un hasard si on a placé le mois des morts en novembre. La saison qui glisse inexorablement vers l’hiver nous rappelle que nous ne sommes pas immortels, cependant, comme la nature qui renaîtra au printemps, nous connaîtrons aussi un jour, une autre vie… en tout cas, moi j’y crois! De même, le souvenir des personnes qui nous ont quittés pour un autre monde nous parle aussi d’espérance.

photos 8janv.2015 122Pour terminer sur une note poétique, voici une belle phrase que j’ai conservée dans mon vieux carnet de pensées; je ne connais malheureusement pas l’auteur : «  Quand le rayon de soleil s’est posé sur la dernière fleur qui pointait sous la première neige, j’ai entendu un ange souffler : ESPÈRE! »

© Madeleine Genest Bouillé, novembre 2014

L’arbre du jardin de ma voisine

L’arbre du jardin de ma voisine
Juste en face de la fenêtre de ma cuisine
A depuis hier, bien mauvaise mine!

Toutes ses feuilles l’ont quitté
Sur la pointe des pieds…
Sans même le saluer.

Par terre elles sont tombées
On va les piétiner, les écraser,
À moins que le vent ne vienne les éparpiller.

L’arbre du jardin de ma voisine
Que je vois de la fenêtre de ma cuisine
Me semble avoir l’humeur chagrine

« Non, mais de quoi j’ai l’air, ainsi déshabillé? »
L’entendis-je murmurer.
« Je vais sûrement m’enrhumer. »

« Vais-je demeurer longtemps ainsi?
Dites-moi, je suis déjà transi. »
Il appelait en vain les oiseaux, ses amis.

L’arbre du jardin de ma voisine
Que je contemple de la fenêtre de ma cuisine
Reprendra très bientôt meilleure mine…

Quand la neige viendra le décorer
Qu’il sera tout de blanc paré
Heureux, les oiseaux viendront s’y percher!

© Madeleine Genest Bouillé, octobre 2015

Les binnes au canard

ChasseVous souvenez-vous de ce matin de fin d’octobre, l’année passée, la fois où l’on a fait une de ces chasses… comme on en fait une sur mille! Une des dernières belles chasses de l’automne. Il faisait un temps de canard : ciel gris, temps frisquet et humide, petit crachin… on avait décidé d’aller « planter » quelques canards, surtout que le « gros noir » était arrivé. On s’était préparé la veille, pour ne pas perdre de temps, tout était prêt : fusil, cartouches, appelants. On était greyés pour « toffer la runne ». Il faisait encore noir quand on s’est embarqués; on est allés se poster dans la cache au large, pas loin de la troisième île. On a disposé les canards artificiels, de façon à ce que les vrais canards prennent ça pour du « cash », et on a attendu. Les oiseaux volaient bas comme s’ils savaient qu’ils étaient invités! Je sais pas si vous le savez, mais on n’a pas attendu longtemps. À 9 heures, on avait déjà notre quota : six beaux noirs, une couple de malards et quelques sarcelles. Et là, le beau temps s’est levé, ça ne servait plus à rien de rester là. On est donc revenus à terre; après un solide déjeuner, on a plumé et nettoyé les oiseaux. Il restait plus qu’à les préparer pour les conserver au congélateur. C’est là que j’ai décidé que ce serait ces bêtes-là qui entreraient dans la composition des « binnes au canard » pour le déjeuner de l’ouverture de la chasse en septembre 2015!

Ça passe vite, la saison de chasse. Et les saisons qui suivent s’enfilent les unes derrière les autres, à la queue, leu, leu… On a fait plusieurs festins de canard, ainsi que d’autres gibiers. On s’en est raconté des peurs… et on a veillé tard des fois! Avec tout ça, une année est passée, nous voici rendus encore une fois à la veille de l’ouverture de la chasse. Drôle de température cette année; il fait trop chaud et trop beau pour un mois de septembre normal. Mais, l’ouverture de la chasse, c’est un incontournable, et peu importe le temps, on y sera!

binnesLa veille, il faut donc préparer la recette de « binnes au canard », qui font traditionnellement partie du déjeuner de l’ouverture de la chasse. On sort le chaudron de fonte et on commence bien entendu par faire tremper deux tasses de haricots blancs secs dans l’eau froide. Puis on amène à ébullition. Ensuite on égoutte les fèves. On coupe en dés une tasse de lard salé, on tranche un gros oignon en fines rondelles, on ajoute tout ça aux fèves, avec une cuillerée à thé de sel, une demi-cuillerée de poivre, une cuillerée de moutarde sèche et un bon trois-quarts de tasse de sirop d’érable. J’haïs pas ça ajouter un peu de persil haché finement… Ça fait un petit quelque chose de plus. On mélange le tout et on recouvre d’eau à égalité.

Au début de la veillée on a fait décongeler deux ou trois canards, en morceaux; l’automne dernier on avait inscrit la date sur ce paquet-là, justement, dans l’intention de les utiliser pour les binnes de ce déjeuner. Ça fait que là, on tasse les morceaux de canards sur les fèves et on met le tout au four à couvert, à 225 degrés, et ce pour la nuit.

Tôt levés, on vérifie la cuisson des binnes et on ferme le four. Les premiers chasseurs arrivés n’auront qu’à mettre réchauffer le tout. Seulement à en parler, c’est bien simple, j’ai faim!

Bon appétit!

© Madeleine Genest Bouillé, 18 septembre 2015