« Ma rivière chantait,
Sous le ciel de mes vingt ans
Ma rivière chantait
Ses airs les plus charmants »
Il était une rivière qui serpentait de l’est à l’ouest et du nord au sud, sur une grande partie du territoire de Deschambault. Elle n’en finissait plus de multiplier les méandres, tantôt elle se cachait dans les sous-bois, plus loin, elle réapparaissait frôlant les champs et les jardins, en jetant un œil curieux par les fenêtres des maisons quand elle avait la chance de passer assez près… Sociable, elle a permis aux habitants du temps jadis d’ériger grâce à elle des moulins, à farine, à scie et à carder, une beurrerie et même une fonderie. Il lui est arrivé certaines années – et cela lui arrive encore – lors des crues de printemps ou d’automne, de sortir de son lit pour rappeler aux humains, que malgré toutes leurs inventions et leurs interventions, la nature demeure une force indomptée. Autrefois, on l’appelait la rivière « à Bélisle »; des linguistes s’en sont mêlés et maintenant on écrit « rivière Belle-Isle ».
« Qu’elle était belle ma rivière
Au pays d’autrefois.
Son onde pure, sa voix claire
Chantaient dans les sous-bois. »
Depuis si longtemps, je ne pourrais pas dénombrer tous les moulins qui ont été construits sur cette rivière. On m’a parlé, entre autres, du moulin « de Brod à Jim » au troisième rang, sur la terre des Dufresne. La beurrerie Bédard, au deuxième rang, garde fière allure malgré son âge; il faut dire qu’elle en a vu couler de l’eau sous le petit pont qui enjambe la route juste à côté! Dans la rue Saint-Laurent, qui était autrefois l’ancienne route, il y eut aussi un moulin près de la chaussée Germain; plus tard, ce moulin est devenu un magnifique hôtel, le « Château de pierre », qui s’est envolé en fumée une nuit d’avril 1952.
« Elle serpentait joyeuse
Dans les prés fleuris.
Puis disparaissait rêveuse
Dans l’ombre des tailles. »
Avant d’amorcer son dernier parcours, la rivière Belle-Isle dévalait la chaussée du moulin à scie Paquin, en haut de la vieille route qui rejoignait jadis le deuxième rang. Ce moulin qui fut d’abord un moulin à carde, devint en 1854 la propriété de Damase Naud. Avec son fils Alex et Hercule Perron, l’entreprise devint une fonderie où l’on fabriquait des moulins à battre, des plats et chaudrons de fer et surtout, les fameux poêles à deux ou trois ponts, célèbres dans tout le Québec et au-delà.

On retrouvait autrefois sur le site du moulin Paquin la fonderie de Damase Naud qui fabriquait les fameux poêles « Bijou ».
Sans doute un peu essoufflée de tous ces tours et détours, la rivière coupe ensuite à travers champs et après un dernier saut à la chaussée Germain, elle se jette dans le fleuve, juste en face de la Barre à Boulard. Elle en aura vu du monde sur son parcours! Les paysans qui, au temps des foins, s’arrêtaient pour se rafraîchir avant de continuer leur journée, ou les pêcheurs qui récoltaient quelques belles truites dans le détour, près du pont, ou encore les familles qui pique-niquaient sur ses bords le dimanche. Les amoureux, aussi, ont de tout temps apprécié les rives ombragées de la rivière où ils gravaient leurs initiales sur les troncs des arbres qui en gardent encore le secret… Combien d’enfants qui tout comme les miens ont joué sur les bords de ce cours d’eau et ont construit des cabanes de branches sur la petite île, en se prenant pour des Sioux! Belle rivière, rivière Belle-Isle, tu as vu naître notre patelin, tu sais notre histoire, tu as connu nos ancêtres, tu vois grandir nos enfants… Continue de nous chanter tes airs les plus charmants!
« Au matin clair, par les soirs tièdes
J’écoutais son refrain.
Ma rivière chantait
Ses airs les plus charmants! »
Ma rivière chantait, chanson qui faisait partie du répertoire du Chœur Vive La Canadienne en 1963.
© Madeleine Genest Bouillé, septembre 2015