« M’man, j’sais pas quoi faire! »

Le mois d’août s’achevait tranquillement, pas vite, avec des soirées de moins en moins longues. Déjà les hirondelles avaient fait leurs adieux, juchées sur les fils électriques en rangs serrés, prêtes pour le départ. Pendant ce temps, à la maison, mes jeunes frères se traînaient d’une chaise à l’autre en clamant sur tous les tons : « M’man, j’sais pas quoi faire! » Il n’y avait pourtant pas si longtemps qu’ils avaient garroché leur sac d’école au fond d’un placard par un bel après-midi de juin en hurlant de joie : « Hourra! L’école est finie! »

Mon frère Fernand, en vélo dans la rue Saint-Joseph,1958.

Mon frère Fernand, en vélo dans la rue Saint-Joseph,1958.

Avec toute la bonne volonté du monde, maman disait : « Les autres p’tits gars, qu’est-ce qu’ils font? D’habitude, vous jouez ensemble… » Il s’en trouvait toujours un pour répondre : « On n’a plus rien à faire! » Alors maman suggérait des choses  comme aller corder du bois tandis qu’il fait beau : « On en a cordé hier, en masse! »… Ramasser les patates dans le jardin : « Ah non! Pas ça! »… Aller se baigner, pendant qu’il fait encore assez chaud : « La mer est trop basse, ça adonne pas. » Ah oui! Vraiment, on était rendus à la fin d’août! Les jeux qui semblaient inépuisables au début des vacances n’intéressaient plus personne. On avait joué à la balle des soirées entières, on avait même cassé une vitre dans la fenêtre du hangar… moins grave que si ç’avait été une fenêtre de la maison. On avait joué aux « Quatre-Coins », au « Cinquante »; à ces jeux-là, les plus petits pouvaient jouer, ce qui finissait par ennuyer les plus grands. On avait joué à « En bas de la ville », dans la côte près du gros orme; on avait tellement de plaisir à ce jeu! Mais il y en avait toujours un qui déboulait en bas de la côte ou qui se faisait mal et qui « chialait », alors il fallait arrêter. Cet été-là, on avait surtout joué aux cow-boys et aux Indiens. Fernand avait pris des photos des combats avec le kodak qu’il avait eu à sa fête et c’était comme si on tournait de vrais films, pareil comme dans The Lone Ranger. On s’était fabriqué des fusils en bois, des arcs, des flèches – pas des vraies, voyons donc! Ceux qui jouaient les rôles des Indiens enlevaient leur chemise – maman aimait pas ça, elle disait qu’ils allaient attraper des coups de soleil – et ils se barbouillaient pour faire plus vrai. Fernand avait tourné au moins trois films. Si on compte qu’il y avait douze photos par film (en noir et blanc), ça donnait trente-six photos. Ça finissait par coûter cher!

On a épuisé tous les jeux, y compris ceux des jours de pluie : le Monopoly, les dames, le jeu de pichenotte, les jeux de construction, même les fameux scrapbooks que maman nous faisait confectionner avec de vieux cahiers et des images découpées un peu partout. Jusqu’aux plus jeunes qui avaient leurs cahiers de collage, dans lesquels ils mettaient n’importe quoi, n’importe comment. Juste pour vous donner un aperçu, dans un des scrapbooks, il y avait une image de Jésus qui était collée au-dessus d’un bol de soupe aux légumes Campbell… ce pauvre Jésus, il avait les pieds dans le plat! On l’a bien ri celle-là! On a lu tous les « petits comiques », pas rien qu’une fois… il y en a qui sont pas mal maganés, d’autres qui ont perdu des feuilles. On s’est promenés en bicycle, on a été aux framboises, aux bleuets et aux mûres. Les « môsusses » de mûriers! On en porte encore les égratignures! « Pour de vrai m’man, on sait plus quoi faire! » C’est comme si l’été n’était plus tout à fait l’été. Dire qu’au début on avait tellement hâte; on allait dans le jardin voir si les légumes poussaient… on trouvait que ça n’allait pas vite. Tout était amusant! On passait nos journées dehors quand il faisait beau, on rentrait juste pour les repas et pour aller se coucher.

On s'amuse au quai, août 1950.

On s’amuse au quai, août 1950.

Qu’est-ce donc qui s’est passé? C’est pourtant encore le mois d’août, les journées sont belles, moins chaudes un peu, mais on est bien dehors. Il y a plein de bons légumes dans le jardin, surtout du blé d’Inde. On en mange tant qu’on peut. Que peut-on désirer de plus! Les soirées sont superbes, même si le soleil se couche plus tôt. Les grands sortent le tourne-disque sur la galerie et on fait jouer les disques de rock’n’roll; on écoute Elvis Presley, Paul Anka, Dean Martin et tout plein de chanteurs à la mode. Mais, c’est plus pareil… Il y a quelque chose dans l’air qui est différent; c’est peut-être le « cri-cri » des criquets qui a remplacé le chant des oiseaux qui sont déjà partis.

Peut-être qu’on est rendus au temps où l’on commence à penser à l’école qui va débuter bientôt. Faudrait bien sortir les sacs, faire l’inventaire de ce qui est encore utilisable. « Ça va me prendre des crayons neufs, des effaces, certain. J’espère que je vais avoir une boîte de Prismacolor cette année… depuis le temps que j’en veux. Bon, demain on va voir à ça, demain… » Mais en attendant : « M’man, j’sais pas quoi faire! »

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

L'école Centrale (école du Phare), peu de temps après sa construction (début des années 50).

L’école Centrale (école du Phare), peu de temps après sa construction au début des années 50.

La maison où j’ai grandi

Maison où j'ai grandi 1« Quand je me tourne vers mes souvenirs

Je revois la maison où j’ai grandi

Il me revient des tas de choses

Dans un jardin, je vois des roses… »

(Chanson de Françoise Hardy)

1955

La maison où j’ai grandi…

La maison où j’ai grandi n’est pas celle où je suis née. Je n’ai en fait que peu de souvenirs de la maison où je suis née; celle en face de l’école qui porte maintenant le numéro civique 249. Je me rappelle la porte-fenêtre qui donnait sur l’étroit perron en arrière; aussi l’escalier qui montait à l’étage où il y avait les chambres. Ce dont je me souviens vraiment, c’est d’abord la chambre de ma sœur, avec les poupées de papier étalées sur un meuble et auxquelles je ne devais pas toucher. Et aussi la chambre de maman, avec la chaise berçante en osier et la lucarne, placée trop haut; on devait monter quelques marches pour regarder par la fenêtre. Et le salon où il y avait le piano, je trouvais cette pièce très grande… Voilà, c’est à peu près tout. C’est que, voyez-vous, j’avais à peine trois ans quand j’ai commencé à « me faire garder » ailleurs (voir Aurore et moi, un de mes premiers textes).

La maison en pierre de taille au début des années 50, avec l'appentis à l'est. La cave de la maison, probablement plus vieille, ainsi que l'appentis en pierre des champs seraient les vestiges d'une ancienne poudrière.

La maison au début des années 50, avec l’appentis à l’est. La cave de la maison, probablement plus vieille, ainsi que l’appentis en pierre des champs seraient les vestiges d’une ancienne poudrière.

La maison où nous avons achevé de grandir – physiquement, parce que pour le reste, ce n’est jamais fini! – celle d’où nous sommes partis chacun vers notre destin, c’est celle de la rue Johnson, la vieille route, comme on disait. Une maison où enfin nous étions seuls, toute la famille, sans personne d’autre et pas non plus de voisins collés, une vieille maison en pierre, sombre, froide… que tous ensemble nous avons su rendre chaude et vivante! Cette maison est très vieille. On ne sait pas au juste quand elle a été construite. Quand nous avons emménagé en 1949, la cave était divisée par des murs de pierres très épais; on nous a dit que c’était jadis une poudrière. Lors de sa construction, cette bâtisse était, paraît-il, beaucoup plus longue. Toujours selon les dires, c’était la caserne de la milice, l’endroit où l’on stockait les munitions. Le petit appentis en pierre, accolé à la partie et qu’on appelait « la laiterie », est aussi très vieux.

Dans les premières années où nous avons vécu dans cette maison, nous n’en étions pas propriétaires. Mais pour nous, les enfants, cela ne faisait aucune différence. C’était chez nous. La porte en avant ouvre toujours sur la grande cuisine. Comme dans la plupart des maisons anciennes, c’est la pièce où l’on vit; en fait, tout se passe dans la cuisine! Les poutres énormes font paraître le plafond encore plus bas. La table entourée de multiples chaises occupe le centre de la pièce; près du mur, côté ouest, le poêle à bois trône tout près de la chaise berçante de maman. Le salon, c’est l’endroit où l’on va pour jouer du piano, écouter de la musique, lire ou causer tranquillement; jadis, je m’en souviens, j’y ai veillé avec mon amoureux… Autrefois, un escalier rudimentaire grimpait le long du mur de pierre jusqu’à l’étage qui n’était qu’un vaste grenier, dans lequel on avait construit une chambre, un peu comme une cabane. C’était la chambre de ma sœur; la pièce ayant une ouverture grillagée dans le plancher, elle était ainsi réchauffée par le poêle de la cuisine. La porte arrière de la maison donne sur le hangar. Quand nous sommes arrivés dans cette maison, au fond du hangar, il y avait encore ce qu’on appelait les « bécosses ». C’était ingénieux, au moins les gens n’avaient pas à sortir dehors en hiver… quoique, le hangar, c’était presque aussi froid que l’extérieur! Durant les premiers temps où nous l’habitions, elle n’était vraiment pas luxueuse la vieille maison des Morin… pour tout dire, elle manquait de commodités. On dit que « tout vient à point à qui sait attendre »… c’est ce qui est arrivé!

Mes frères Florent et Roger, et moi, vers 1955. La maison à l'arrière plan est celle de feu Jean-Yves Vézina

Mes frères Florent et Roger, et moi, vers 1955. La maison à l’arrière plan est celle de feu Jean-Yves Vézina (127, rue Johnson).

Graduellement, quoiqu’un peu en retard, le vingtième siècle est entré dans la maison. Salle de bain, escalier, deux autres chambres à l’étage, installation d’une fournaise dans la cave, réfection du toit, de la galerie. C’était devenu « notre » maison! Nous en aimions tout autant l’extérieur que l’intérieur. Quatre gros saules délimitaient la cour arrière, où on était si bien par les chaudes journées estivales. Quand maman sortait pour étendre sa lessive, elle s’arrêtait un peu à l’ombre des saules pour profiter de leur ombrage; elle s’y sentait bien! Plus loin à l’arrière, s’étalaient des champs où paissaient des vaches… il y avait aussi une grange, où l’on entassait le foin et encore un peu plus loin, coulait un petit ruisseau qui au printemps se gonflait et se prenait pour un torrent.

Que dire de plus? Cette maison nous a abrités, protégés des intempéries, elle nous a tenus au chaud durant les longs hivers, tandis qu’elle nous offrait sa fraîcheur par les journées torrides de l’été. Elle a entendu nos dires, nos rires et nos soupirs… sans jamais rien répéter. Ses vieilles pierres connaissent tous nos secrets… Comment ne pas l’aimer!

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

Du temps où les autos étaient des « chars »…

Le Dodge Crusader rouge 1954.

Le Dodge Crusader rouge 1954.

Mon père n’a jamais eu d’auto. À l’époque où il s’est marié, ce n’était pas rare. Plus tard, quand il travaillait à Montréal, il disait ne pas en avoir besoin; en ville, il y avait les « p’tits chars » et les tramways. Et quand il venait à Deschambault, les premiers temps, il prenait le train, puis plus tard, il voyagea par autobus. Mon frère aîné, Claude, n’a jamais eu d’auto. C’est Jacques, le quatrième de la famille, qui a eu la première automobile après qu’il eut commencé à naviguer. Cette voiture était une Dodge Crusader rouge 1954. Nous en étions tous très fiers! Enfin, nous avions nous aussi un « char » comme tout le monde dans le voisinage.

Le Monarch 1949, modèle acheté par mon beau-frère Odilon...

La Monarch 1949, modèle acheté par mon beau-frère Odilon…

Quelque temps après, notre grande sœur Élyane nous présentait son fiancé. Ce qui signifiait : une deuxième auto dans la famille. Notre beau-frère Odilon conduisait une Monarch de couleur beige et brun. Cette auto avait connu des jours meilleurs puisqu’elle datait de 1949, si je me souviens bien. C’était l’ancêtre des autos de la famille. Elle a tenu bon tout au long du voyage de noces de ma sœur et de mon beau-frère et elle a fait encore un bon bout après. Tout un « char »! Je ne pourrais nommer toutes les autos de mon beau-frère, mais je me rappelle surtout la camionnette de « Jacques-Cartier Cleaner », l’entreprise pour laquelle Odilon a travaillé durant plusieurs années. C’est avec ce véhicule que nous allions pique-niquer sur les bords du Richelieu, au Parc Roman (auquel je fais référence dans un article précédent, Images d’été).

Les plus jeunes de mes frères ont eu eux aussi différentes autos, plus souvent qu’autrement usagées. Georges a eu d’abord un camion; il n’était pas beau, mais il était très utile. Il eut par la suite une Pontiac qu’il avait repeinte lui-même en noir et rouge. Ça faisait tout un effet! Puis, après son retour de la Baie James où il avait été travailler, il s’est payé une petite folie et il a acquis sa superbe Camaro Z28… C’était du « char », ça, oui monsieur! Mais il a ensuite changé ses priorités : il s’est marié et il est devenu marchand général! Mon jeune frère Roger avait pour sa part un penchant pour les petites voitures sport, il a ainsi eu en sa possession deux autos de marque MG, une jaune et une verte. Il en parle encore avec un brin de nostalgie… Un jour, il a enfin possédé une voiture neuve, il s’agissait d’une Toyota 1972. Je ne pourrais vraiment pas faire la nomenclature de toutes les autos qui ont succédé. Mon autre frère – je rappelle que j’en avais huit – André, qui est mon cadet de 364 jours, a commencé à conduire un peu plus tard. Il fréquenta tout d’abord mon amie Francine qui enseignait à l’école primaire de Deschambault. Francine avait de grandes qualités… et elle avait aussi une auto, une Chevy II 1967. Un professeur, c’est habituellement quelqu’un de patient; elle a donc entrepris d’apprendre à André à conduire une automobile. Elle a très bien réussi. La preuve, il conduit toujours et il n’a pas d’accident à son actif. Je crois cependant qu’il est toujours escorté de trois ou quatre anges gardiens…

La première auto de mon mari, une Buick LeSabre 1959.

La première auto de mon mari, une Buick LeSabre 1959.

Quand mon futur époux et moi avons commencé à nous fréquenter, il ne possédait pas encore d’auto. Parfois il venait chez moi avec le camion de son frère aîné Louis-Joseph, parfois, faute de mieux, à bicyclette. Il arrivait aussi qu’il ait la chance de conduire la belle Chevrolet 1959 de son grand frère Gabriel. Durant le premier hiver de nos amours, notre vieille route n’était pas toujours bien entretenue, les tempêtes se succédaient à un rythme que les déneigeurs ne pouvaient pas suivre, mon soupirant devait donc parfois faire un bout de chemin à pied. Si ce n’est pas de l’amour… c’est sûrement quelque chose d’approchant!

Moi et la Oldsmobile 1960 dans la vallée de la Matapédia.

Moi et la Oldsmobile 1960 dans la vallée de la Matapédia.

Au début de l’été 1963, alors que mon prétendant prenait un petit congé entre deux bateaux, il a acheté son premier « char », une Buick Le Sabre blanche 1959. Selon moi, les plus belles autos ont été celles de l’année 1959 et la Buick était LA plus belle!   C’était une auto qui « flashait »! Même si je dois admettre qu’à l’usage, on s’est rendu compte que celle que Jacques avait achetée ne valait pas cher… C’est pourquoi, l’année suivante, comme nous avions décidé de faire notre voyage de noces en Gaspésie, il fallait être certain que notre auto soit capable de nous y conduire et de nous ramener à la maison. Cette deuxième voiture, achetée au réputé Garage Brassard de St-Marc-des-Carrières, était une Oldsmobile 98 noire 1960. Comme on disait alors, ça vous avait une allure de « char de ministre »!

Plymouth Duster '73. Nos trois p'tits gars l'aimaient bien celle-là!

Plymouth Duster ’73. Nos trois p’tits gars l’aimaient bien celle-là!

Nous avons eu par la suite quelques autos de marque Oldsmobile, toujours des voitures usagées, jusqu’en 1973, alors que mon époux, qui travaillait à Québec, a jugé bon d’acquérir une voiture neuve, bien que plus petite et économique. Cette première auto neuve était une Plymouth Duster 1973, bleue avec des bandes blanches. Nos trois petits gars la trouvaient bien belle! Elle a rendu de bons et loyaux services jusqu’en 1978. Par la suite, nous avons usé quelques petites autos… qui ne méritaient vraiment pas le terme de « char ». Jusqu’à ce que mon mari revienne en 1994 au style « char de ministre » avec d’abord la Chrysler Dynasty 1992, de couleur gris foncé. Cette merveille a été suivie en 2000 d’une Chrysler Eagle Vision 1995, noire, une voiture magnifique qui a tenu bon jusqu’en 2005. De 1963 à aujourd’hui, mon époux a eu quinze voitures, dont quatre qui étaient neuves à l’achat. Mais je dois dire que seulement sept ou huit parmi ces véhicules méritaient le titre honorifique de « chars »!

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

La vie était belle… dans les années 30

Mon père, Julien, à 21 ans.

Mon père, Julien, à 21 ans.

« La vie était belle,

Au temps joyeux des balalaïkas…

Dans l’air flottait un parfum de lilas

Que c’est loin tout ça »

Mon père ne jouait pas de la balalaïka, mais plutôt de la guitare, de la guitare hawaïenne, pour être plus précis. C’était très à la mode en ces années-là. Un soir, j’ai eu le plaisir d’entendre cette chanson, au cours d’un spectacle présenté par le regretté Yves Cantin, au Théâtre du Lac Beauport. Très rythmée, cette mélodie enlevante donne envie de remonter le cours du temps, de revivre cette époque où « la vie était belle ».

Hôtel de la Ferme en 1980.

Hôtel de la Ferme (Station de recherches agricoles, actuellement le CRSAD) en 1980.

En 1930, mon père avait vingt ans. Avec ses frères Léo et Maurice, il était arrivé à Deschambault et selon les dires de ma mère, ils pensionnaient à l’hôtel de la Ferme-école provinciale où ils avaient obtenu un emploi. Comment ces trois jeunes hommes en étaient-ils venus à se retrouver dans notre village, je l’ignore. Orphelins depuis leur jeune âge, ils avaient déjà pas mal bourlingué, chacun de leur côté tout comme les trois autres garçons de la famille Genest, Georges, Laurent et Gérard.

Mon père Julien, avec son frère Jean-Paul et un ami, 1930.

Mon père Julien, avec Jean-Paul et un ami, 1930.

Mon père était affable et il aimait la compagnie. Le frère de maman, Jean-Paul, travaillait lui aussi à la Ferme. Mon oncle a donc invité Julien et ses frères à venir veiller à la maison de mon grand-père où il y avait six filles, dont trois en âge de rencontrer un prétendant. C’était une maison très vivante que celle de mes grands-parents, une maison où il y avait de la musique et de la bonne humeur! Construite sur le haut de la côte en bordure du fleuve, cette maison défie depuis plus d’un siècle, le vent de nordet qui dans cette petite rue se déchaîne comme s’il voulait tout jeter par terre! Le vent de nordet? Et quoi encore! Maman racontait que, dans son enfance, la foudre était tombée dans la maison, entrée par une fenêtre pour ressortir par une autre. C’est tout ce que je sais de cette anecdote et je serais bien incapable de l’expliquer. Toujours est-il que mes grands-parents n’étaient pas des peureux! D’ailleurs ma grand-mère avait tout ce qu’il fallait pour contrer le mauvais sort : la croix de tempérance, les cierges de la Chandeleur, les rameaux bénits, l’eau de Pâques et cela, sans compter les images du Sacré-Cœur et de la Bonne Sainte-Anne. Mon grand-père, un homme qui ne s’énervait pas pour rien, travaillait dans sa boutique, tranquillement pas vite, en fumant sa pipe et en fredonnant une petite chanson à l’occasion. Tous ceux qui venaient dans la maison des Petit étaient bien accueillis, sans cérémonie comme c’était la coutume à cette époque!

Rangée du bas: une amie, tante Alice, ma mère Jeanne; rangée du haut: Jean-Paul, Léo et Julien.

Rangée du bas: une amie, tante Alice, ma mère Jeanne; rangée du haut: Jean-Paul, Léo et Julien.

Mon père et mes oncles ont ainsi fait leur entrée dans la maison du cordonnier. Léo a bien vite jeté son dévolu sur Alice, la plus jeune des trois filles  « en âge de se marier ». Maurice, de son côté, avait rencontré une jeune fille de Portneuf, Marguerite Couture, qui se trouvait être la nièce du curé; mon oncle Jean-Paul destinait donc son nouvel ami Julien à ma tante Thérèse, qui était joviale et qui aimait rire et danser. Mais comme on le sait, le petit dieu malin qu’on appelle Cupidon s’amuse parfois à déjouer les plans des humains. Julien, un garçon qui aimait les livres et qui écrivait des poèmes, s’aperçut qu’il avait plus d’affinités avec Jeanne, qui aimait aussi la lecture, la musique et la poésie. Jeanne ne dansait pas, mais elle jouait du piano et chantait. Elle avait aussi du talent pour le dessin. Jeune fille accomplie, elle était de plus excellente couturière. Comme elle avait eu son diplôme au couvent, elle avait « fait l’école » quelques années avant de travailler quelque temps au Central du téléphone

Mariage Julien JeanneDurant la belle saison, par les bons soirs, Julien allait voir Jeanne à bicyclette. En hiver, il se trouvait sans doute un bon samaritain avec un cheval et une voiture pour le conduire au village. Après le décès de notre père, nous avons retrouvé des cahiers où il avait conservé des bribes de poèmes qu’il composait pour sa bien-aimée au cours de leurs fréquentations, avec les réponses de Jeanne, en poésie comme il se doit. Quelle belle histoire! Enfin, Jeanne et Julien se sont mariés le 30 août 1932.

Quand Je regarde les photos qui illustrent le présent texte, j’entends dans ma tête ce refrain d’autrefois et je me dis que vraiment, « La vie était belle… au temps joyeux des balalaïkas ».

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

Que sont mes amis devenus?…

Réflexion sur l’amitié.

J’ai rencontré ces derniers jours une amie que je n’avais pas vue depuis longtemps, elle m’a abordée ainsi : « Comme ça fait longtemps! Qu’es-tu donc devenue? » Ces mots m’ont rappelé les paroles d’une vieille chanson. Elle avait été reprise par Nana Mouskouri dans les années 80. Sur un petit air tristounet, ça dit entre autres choses : « Que sont mes amis devenus, que j’avais de si près tenus, et tant aimés… Ce sont amis que vent emporte, et il ventait devant ma porte, les emporta. »

Une amie qui venait de loin, Lucienne, en 1946.

Une amie qui venait de loin, Lucienne, en 1946.

Dans ma mémoire ont alors défilé les enfants avec qui je jouais dans mon enfance. Et ces garçons et filles, avec qui j’ai « jeunessé » – j’aime bien ce mot, je trouve qu’il exprime bien ces relations amicales et sans conséquence qui sont le lot de notre adolescence et des débuts de notre vie d’adulte. Puis, plus tard, les personnes que j’ai rencontrées au gré des différentes activités auxquelles j’ai participé. Que sont-ils tous devenus? J’avoue que j’en ai perdu plusieurs de vue, et ce, depuis longtemps. Comme dans la chanson : «  Le vent les a emportés ». Par contre, demeurant dans le village où je suis née, je rencontre quand même souvent d’anciennes compagnes de classe ou des amis que je connais depuis de nombreuses années. En vieillissant, je remarque qu’on se rapproche des gens avec qui on a partagé des tranches de vie, et c’est normal. On a des souvenirs en commun, on a écouté les mêmes chansons, on est allés voir les mêmes films, on a ri ensemble, on a échafaudé des projets d’avenir. Plus tard, nos enfants ont fréquenté la même école. Même si nous n’étions pas des amis intimes auparavant, tout cela a créé des liens. Et ces liens qui nous rattachent les uns aux autres, c’est de la chaleur pour le cœur. Ma mère disait : « En vieillissant, on devient frileux; pour avoir plus chaud, on a besoin de compagnie. » En réalité, qu’est-ce donc que l’amitié? Une autre chanson me revient, elle était chantée par Françoise Hardy : « Beaucoup de mes amis sont venus des nuages… ils ont fait la saison des amitiés sincères, la plus belle saison des quatre de la terre. » Déjà, quand j’étais enfant, j’hésitais toujours un peu avant de dire qu’une autre fillette était mon amie. Je me souviens que j’avais peur de me tromper; j’attendais d’être certaine. Selon moi, l’amitié était comme une maison où l’on est invité; on frappe à la porte, mais on attend pour entrer que quelqu’un vienne ouvrir.

En 1960, avec mes amies du

En 1960, avec mes amies du « Cap Blanc », Nicole et Murielle.

Au cours de mes années d’étudiante, j’ai noué des relations amicales avec plusieurs compagnes, en tenant compte toutefois qu’il était dans l’ordre des choses que nos chemins se séparent à la fin de nos études. Plus tard, au fil des années, j’ai connu des amis que je nomme des « étoiles filantes », des personnes rencontrées dans différents groupes, comme la chorale, le théâtre ou une association quelconque. Des « amis »… en devenir, qui pour une raison ou une autre, n’ont fait que traverser ma vie. Il y a eu des déménagements. On sait ce que c’est, on se promet de demeurer en contact et le cours des choses en décide autrement. Parfois on s’éloigne parce que malgré certaines affinités, on n’est pas sur la même longueur d’ondes, on n’a pas les mêmes valeurs. C’est dommage! Aussi, comme beaucoup de gens de mon âge, je déplore la perte de quelques amis qui sont déjà partie pour l’autre monde. Il y a encore heureusement des personnes qui « font la saison des amitiés sincères ». Ils et elles ne sont pas légion; certains sont des amis depuis très longtemps, d’autres moins, mais tous me sont chers. Que ces amitiés se soient forgées au fil des ans ou au gré des activités qui nous ont rapprochés, j’espère de tout mon cœur que le vent ne les emportera pas! L’amitié, c’est comme le soleil, on n’a pas besoin de le voir tous les jours, mais on s’ennuie quand il se fait trop rare. Pour les vrais amis, l’essentiel c’est que chacun sache qu’il peut compter sur l’autre. En terminant je vous cite deux pensées tirées de mon vieux petit carnet, d’abord celle-ci : « Les vrais amis attendent la réponse quand ils demandent : comment ça va? » Et celle-là : « Un ami, quelqu’un qui sait tout de toi et qui t’aime quand même. »

Madeleine Genest Bouillé, août 2015

L,amie Madeleine et son cousin Jean-Maurice, 1947.

L’amie Madeleine et son cousin Jean-Maurice, 1947.

Beau, bon… pas cher!

IMG_20150731_0001Quand j’étais jeune, beaucoup de nouveaux produits de consommation étaient offerts sur le marché. De sorte que les ménagères possédaient tout plein d’appareils pour alléger leurs tâches quotidiennes, sans compter que tous ces produits étaient de plus en plus diversifiés. Si on ajoute à cela les aliments préparés dont la popularité ne cessait d’augmenter, on peut dire que le travail des maîtresses de maison devenait un peu plus aisé. Tout prenait moins de temps et comme on le sait, « le temps c’est de l’argent »!

IMG_20150730_0005La cuisine moderne 1940 que vous pouvez voir sur l’image ci-contre a certainement dû prendre quelques années avant de s’installer dans nos foyers campagnards. J’imagine mal ce concept très américain dans une de nos vieilles maisons. Le linoleum, les armoires, l’évier et le comptoir – qu’on appelait « pantry » – ont vite été adoptés dans nos cuisines, mais on a longtemps gardé le poêle à bois et la grande table au centre de la pièce, entourée d’autant de chaises qu’il y avait de personnes à asseoir. Une chose est sûre, le modernisme avait mis un pied dans la porte et il allait envahir le quotidien des familles québécoises.

Si quelques grand-mères continuaient de faire leur savon domestique au printemps, ce n’était plus que du folklore! Les jeunes femmes n’utilisaient ce savon que pour des grosses tâches comme le lavage des planchers. Pour la toilette, on achetait du « savon d’odeur », vendu en barres blanches ou de teintes pastel et enveloppées d’un beau papier. Pour la vaisselle et la lessive, il y avait le savon en paillettes qui était offert dans des boites de différents formats. On retrouvait tous ces produits au magasin général, en plus des brosses et des balais, de la peinture et des pinceaux, et tout plein d’objets hétéroclites. On y achetait évidemment de la nourriture, soit des conserves, des marchandises sèches, vendues en vrac ou en paquet ainsi que les denrées périssables qui étaient conservées dans la glacière.

IMG_20150730_0003Les grands magasins vendaient des vêtements à bas prix, si bien que ça coûtait quasiment moins cher que de les confectionner. Même chose pour le linge de maison : nappes, serviettes, linges de vaisselle qui se vendaient à la douzaine. Les ménagères étaient fières de garnir leurs étagères de ces piles de beau linge de couleurs variées… même si ces nouvelles acquisitions se révélaient par la suite pas mal moins durables que les linges tissés au métier! Les grosses chaînes de produits de nettoyage aussi bien qu’alimentaires rivalisaient de publicité et d’offres alléchantes. C’est ainsi que sont arrivées les « boîtes à surprise »! Quand on achetait une boîte de savon à vaisselle ou à lessive, on y trouvait en prime une serviette de différente grandeur selon le format de la boîte. Il arrivait qu’on offre aussi des pièces de vaisselle, soit une tasse, une soucoupe ou une assiette. Avec le temps, on pouvait se monter un trousseau! Certains aliments se vendaient dans des contenants réutilisables, tels les célèbres verres à moutarde Schwartz décorés de cœurs, piques, trèfles et carreaux. Plusieurs familles en possèdent encore… sinon on peut en trouver chez les antiquaires.

IMG_20150730_0004Pour inciter les cuisinières à acheter les nouvelles préparations alimentaires, les magazines présentaient des recettes préparées avec différents ingrédients, le tout illustré d’images alléchantes, telle celle-ci : « Qui dit RITZ dit chic! » En collation ou en entrée, c’était tellement pratique de servir ces petites biscottes avec à peu près n’importe quoi. Tout le monde les aimait, des tout-petits jusqu’aux grands-parents. Cette invention qui date d’environ soixante ans est toujours populaire même si, depuis, on a inventé tout plein d’autres biscottes de toutes formes et de différentes saveurs. Mais il faut avouer que les Ritz sont toujours de mode!

IMG_20150730_0001Est-il possible que vous n’ayez aucun produit de marque Heinz dans votre garde-manger? Cela serait surprenant. Les premières publicités de cette compagnie mentionnaient toujours le fameux chiffre 57… pour les 57 variétés Heinz! Comme il fallait vendre ces nombreux produits, on ne lésinait pas sur la publicité. On insistait surtout sur les mets prêts à cuire ou les soupes à réchauffer. On a dit du XXe siècle qu’il était le siècle de la vitesse, ça valait aussi pour la cuisine. Je termine avec cette image qui date de 1956. On y voit une fillette toute fière de servir à son papa un délicieux spaghetti Heinz. Voyez comme les parents sont contents! Une famille heureuse, grâce à une des 57 variétés Heinz! Comme image publicitaire, c’est aussi bien que ce qu’on nous passe à longueur de journée à la télévision. Sauf que ce qui nous semble beau, bon et pas cher, n’est pas toujours à la hauteur de nos attentes.

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

Destination: voyage de noces!

Bateau l'Étoile.

Bateau l’Étoile.

Le voyage de noces est une coutume qu’on retrouve d’abord en Europe vers le milieu du XIXe siècle et surtout chez les gens faisant partie d’une certaine classe sociale. Chez nous, il fut un temps où seulement les couples fortunés allaient passer leur lune de miel dans un endroit de villégiature, au Québec, aux États-Unis ou plus rarement, en Europe. Je ne sais pas si mes grands-parents, tant paternels que maternels ont fait un voyage après leur mariage, j’en doute. Je sais par contre que, du temps du navire l’Étoile, qui s’arrêtait au quai de Deschambault, plusieurs couples choisissaient ce moyen de transport pour leur voyage de noces. Ils faisaient l’aller-retour jusqu’à Ste-Anne-de-Beaupré, en s’arrêtant à Québec, évidemment. Aurore et Lauréat Laplante, dont je vous ai parlé déjà, sont allés passer quelques jours à Montréal où Aurore avait de la famille, lors de leur voyage de noces en 1915. C’était loin Montréal à l’époque!

Mon père et ma mère, prêts pour leur voyage de noces!

Mon père et ma mère, prêts pour leur voyage de noces!

Très souvent les couples de nouveaux mariés qui avaient de la parenté dans une ville, soit Montréal, Québec ou ailleurs, profitaient de cette opportunité pour faire un voyage pas trop onéreux, puisqu’ils étaient la plupart du temps reçus chez des gens de la famille. D’ailleurs, c’est ce qu’ont fait mes parents, Jeanne et Julien, qui se sont mariés à la fin d’août 1932. Après la noce qui avait lieu chez mes grands-parents, comme c’était la coutume, les mariés ont pris le train pour Ottawa où ils ont passé quelques jours chez l’oncle Edmond Genest. Sur le chemin du retour, ils se sont arrêtés à Montréal, où maman avait plusieurs tantes, toutes très « recevantes »!

Nouveaux mariés en voyage de bnoces, devant l'église de Deschambault, 1944.

Nouveaux mariés en voyage de noces, devant l’église de Deschambault, 1944.

S’il était fréquent de voir des jeunes couples de la campagne faire leur voyage de noces à la ville, l’inverse se produisait aussi parfois. Le couple de jeunes mariés que vous voyez photographiés devant l’église en 1944, demeuraient à Trois-Rivières et ils étaient justement venus chez une tante à Deschambault à l’occasion de leur lune de miel. En contrepartie, ils ne demandaient pas mieux que de faire essayer leur nouvelle auto aux parents et amis de la campagne… Une promenade en auto, ça ne se refuse pas et l’expression en usage dans le temps pour qualifier ce geste, était : « Ils sont ben blod! ». Malheureusement, je ne sais pas à quel mot anglais ceci fait référence, et encore moins comment l’orthographier!

Nouveaux mariés à Niagara Falls en 1951

Nouveaux mariés à Niagara Falls en 1951

À partir des années cinquante, certains endroits de prestige comme le nord de Montréal, les Chutes du Niagara, la Gaspésie et les stations balnéaires de la Nouvelle-Angleterre, telle Old Orchard, commencent à publiciser leurs établissements hôteliers dans les magazines et les journaux avec les forfaits offerts aux nouveaux mariés. Les jeunes couples sont attirés par ces endroits de rêve. Le voyage de noces est prévu dans le budget et souvent, les familles des fiancés ont contribué pour une part plus ou moins importante. Surtout, les futurs mariés ont le désir d’être « enfin seuls », pour vivre leur lune de miel! C’est alors qu’on verra beaucoup moins de nouveaux mariés en visite dans la parenté.

Même mariés que photo précédente, en "costume" de voyage.

Mêmes mariés que photo précédente, en « costume » de voyage.

Les modes changent et c’est parfois pour le mieux. À l’époque où les jeunes époux devaient aller revêtir leurs habits de voyage avant leur départ de la noce, il était important que ce costume soit le plus chic possible. C’est pourquoi on voyait des jeunes femmes vêtues d’un tailleur de lainage rehaussé de fourrure, et portant chapeau de feutre, en plein mois de juin, alors que le couple partait pour les Chutes du Niagara… Heureusement, au premier tournant de la route, rien n’empêchait d’enlever veste, fourrure et chapeau. En fait, ce costume était porté surtout quand les nouveaux mariés revenaient de voyage. À la grand’messe du dimanche suivant le retour, ils étaient le point de mire de l’assemblée… tout le monde pouvait admirer leurs beaux atours et ainsi passer leurs commentaires! Pourquoi croyez-vous qu’on a inventé les perrons d’église, si ce n’est pour se rencontrer, jaser et se raconter les nouvelles, surtout en milieu rural, bien entendu. Cela fait partie des charmes de la campagne!

© Madeleine Genest Bouillé, juillet 2015