Le trèfle qui croyait avoir quatre feuilles

Il avait grandi dans un terrain vague, en bordure du fleuve, là où la tondeuse n’a jamais mis le pied. Il faut savoir que la vie normale d’un brin de trèfle, comme celle d’un brin de chiendent ou autre herbe du même genre, ça dure un été… à moins d’avoir la malchance de pousser sur un terrain où il y a des humains, donc des tondeuses à gazon!

champ trèfle

En ce lieu béni des dieux, en général tout poussait et vivait librement. Je dis bien « en général », car comme il y poussait aussi des petites fraises des champs, il arrivait donc que des gens viennent cueillir ces petits fruits, et en même temps quelques fleurs sauvages. Les humains, ça ne fait pas attention, ça pose leurs gros pieds n’importe où et forcément, il arrive qu’ils détruisent d’innocentes plantes qui ne leur ont pourtant jamais rien fait.

Le brin de trèfle dont je vous parle avait ceci de particulier qu’il croyait avoir quatre feuilles. Lui et ses frères vivaient tellement rapprochés les uns des autres, pour ainsi dire, imbriqués les uns dans les autres, qu’il était vraiment difficile de savoir quelle feuille appartenait à qui. Ils se balançaient tous ensemble au gré du vent, se couchant tous du même côté, pour se relever d’un même geste, comme en un ballet bien ordonné. Leurs feuilles pendaient tristement toutes ensemble sous la pluie, puis reprenaient vie d’un commun accord sous les chauds rayons du soleil. Pourquoi ce petit brin se croyait-il différent? Nul n’aurait pu le dire. Mais c’était ainsi. Et ça lui faisait comme on dit « un petit velours »!

kiosque et trèfle 2

Sur ce terrain où, je le répète, tout poussait comme au paradis d’Adam et Ève, il y avait aussi plusieurs églantiers. Un jour, une jeune fille du village vint pour cueillir des églantines, une douzaine exactement, les plus belles, bien sûr. Elle choisissait les fleurs avec grand soin et prenait bien garde de ne pas écraser les autres plantes. Elle allait légère et court vêtue comme la Perrette de la fable, sauf qu’elle était toute à sa cueillette et ne rêvait pas à d’improbables fortunes. Après avoir ramassé les fleurs dont elle avait besoin, elle se mit à chercher des fleurs de trèfle, une douzaine de blanches et une douzaine de mauves, comme le mentionnait la recette du miel de trèfle. Notre petit brin de trèfle, voyant venir la jeune fille, tentait de relever la tête afin qu’elle le choisisse, lui qui, croyait-il, possédait quatre feuilles. Il disait : « Si tu me cueilles, tu auras la chance tout au long de ta vie, penche-toi un peu plus, regarde par ici… non pas par-là, je te dis : par ici! »  Mais les brins de trèfle ont une toute petite voix et la jeune fille n’entendait rien.  Justement elle se mit à chanter une bien jolie ballade où il était question « d’une fille blonde et douce, qui aimait à se reposer dans les bois, couchée sur la mousse, écoutant les oiseaux chanter ». Les oiseaux semblaient aimer ce chant puisqu’ils l’accompagnaient de leurs trilles les plus mélodieuses.

La jeune fille ramassait toujours ses trèfles et bien entendu, quelques feuilles se mêlaient aux caboches blanches et mauves. Soudain, notre petit brin rempli de prétention se sentit frémir, puis il perdit pied et se vit soulevé par des doigts légers mais solides. Il en fut tout étourdi, il se voyait monter, monter…jusqu’au ciel, lui sembla-t-il!  Il secoua la tête, puis s’aperçut alors qu’il n’avait que trois feuilles comme presque tous ses frères. Il n’en croyait pas ses yeux et il fut tout d’abord très déçu. Mais ce qui lui arrivait était tellement extraordinaire qu’il n’eut pas le loisir de pleurer longtemps sur son sort, cette aventure lui parut même plutôt excitante. Finalement il n’était pas si malheureux que cela. Il faisait maintenant partie d’un joli bouquet rose, mauve et blanc, égayé du vert des feuilles de trèfle et d’églantines. Du haut de son perchoir, il vit tous les trèfles encore sur le sol, si près les uns des autres, qu’il était bien difficile de savoir s’ils avaient trois ou quatre feuilles.

Avant d’être déposé soigneusement par les mains de la jeune fille dans un grand sac de toile avec les autres plantes, il eut le temps de se souvenir de la vie qu’il avait menée, là en bas, tout près de ses semblables. Il se rappela la force du lien qui les tenait unis, lui et ses frères, face aux intempéries et aux grands vents; il revit les beaux jours de l’été où ils se gorgeaient de soleil tous ensemble. Et il comprit combien il avait été heureux. Il ne savait pas ce que lui réservait l’avenir – y avait-il seulement un avenir? Alors il envoya vers le ciel un « merci », seulement merci, pour ce cadeau qui s’appelle la vie!

© Madeleine Genest Bouillé, 17 juillet 2017

(Tiré de Récits du bord de l’eau, 2008.)

Une réflexion sur “Le trèfle qui croyait avoir quatre feuilles

  1. Dans la vie, il faut toujours espérer. Devenir ce que l’on croit être, laisser la chance aux autres de nous découvrir tel que nous sommes. Sans rien changer cette main nous transforme et nous fait grandir en nous guidant vers le meilleur.

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s