On a les vers d’oreille qu’on peut! Depuis quelques jours, je m’éveille avec une chanson des années 40 qui a pour titre Sombreros et mantilles. Allez savoir pourquoi! L’artiste qui interprétait cette chanson s’appelait Rina Ketty; elle avait un fort accent italien, étant née à Sparzana, en Italie. Elle avait pour prénom Cesarina… dont elle avait gardé seulement les deux dernières syllabes, comme nom d’artiste.
Maman aimait bien cette chanteuse qui avait une jolie voix claire. J’étais toute jeune encore alors que Rina Ketty était déjà une vedette très connue. Ses chansons passaient fréquemment à la radio. Je me rappelle que maman fredonnait souvent en écoutant ces refrains, soit : Sérénade sans espoir, La Madone aux fleurs, et évidemment Sombreros et mantilles. J’essayais bien d’apprendre les paroles pour chanter moi aussi ces chansons, mais je ne les comprenais qu’à moitié… et encore!
Voici les paroles du début de la chanson Sombreros et mantilles : « Je revois les grands sombreros et les mantilles, j’entends les airs de fandango et seguedilles, que chantent les senoritas si brunes, quand luit sur la plazza, la lune ». Et voici à peu près ce que je comprenais: « Je revois les grands sombreros et les frémilles… j’entends un air de vent dans le dos et des guenilles… qui chante la senorita des prunes… quand on est loin là-bas, la lune. » C’était n’importe quoi! Mais j’aimais tellement chanter que ça ne dérangeait nullement de ne pas avoir les bons mots.
Je dois ajouter que chez nous, avec quelques frères plutôt moqueurs, c’était un jeu de changer les paroles des chansons qu’on entendait à la radio ou sur les disques qu’on écoutait à la maison, surtout qu’on n’y comprenait pas grand’chose. On plaçait n’importe quel mot, du moment que ça rimait, ça faisait l’affaire. Et certains de mes frérots avaient un vrai talent pour rendre la chanson comique et parfois même un peu méchante, mais si peu! On avait du plaisir à peu de frais, surtout quand il s’agissait de chanteurs et chanteuses qui possédaient un accent étranger, tels Rina Ketty, Tino Rossi et surtout Luis Mariano, qui était originaire du pays Basque espagnol. C’était alors le chanteur préféré de ma grande sœur et elle n’aimait pas ça du tout quand on virait les chansons de son beau Mariano à l’envers. Ce pauvre Luis! Il écorchait le français tellement qu’on ne saisissait presqu’aucune des paroles qu’il s’efforçait pourtant de bien chanter, de sa superbe voix de ténor. Il me revient justement la chanson du film Andalousie, dans lequel Mariano incarne un toreador; alors qu’il est porté en triomphe juste avant de livrer un combat sans merci avec le taureau, il chante « Ole torero! C’est l’honneur des gens de cœur et de courage… » Je crois que c’est la seule phrase complète dont on saisissait les mots. Les couplets de cette chanson parlent entre autres, du « fier torero Dominguez Romero, dont la vaillance sans défaillance est le drapeau ». Ce pauvre torero! Il était méconnaissable, quand nous chantions ses exploits!
Les chansons de Luis Mariano étaient pour la plupart truffées de mots espagnols. Entre autres, la chanson thème du film La Belle de Cadix, où on parle de caballeros, de posada, des hidalgos, Juanito de Cristobal et Pedro le matador. Ce n’était vraiment pas étonnant si la Belle de Cadix, à la fin du premier couplet « ne voulait pas d’un amant » et à la fin du deuxième, « est entrée au couvent »!
Je me suis égarée avec Luis Mariano… rien que de très normal! Mais je reviens à Rina Ketty dont les mélodies rythmées étaient aussi sujettes à des changements de paroles de notre part lorsque nous étions enfants. Une de ses plus belles chansons a pour titre Montevideo, qu’on s’amusait à nommer « Montez vider l’veau ». Et pourtant, quelques années plus tard, alors que je commençais à connaître les chansons à la mode et que je me faisais un devoir d’apprendre consciencieusement toutes les paroles, c’est justement Montevideo que j’ai interprété pour ma première soirée d’amateurs. Ce genre de veillée était très à la mode. Tous ceux et celles qui chantaient ou jouaient d’un instrument donnaient leur nom pour participer à ce concours, où les gagnants recevaient un prix, jamais bien gros; mais ce qui importait, c’était de participer et d’être applaudi, comme de vrais artistes! Ma tante Rollande était l’accompagnatrice attitrée. Elle jouait du piano à l’oreille et pouvait accompagner presque n’importe quelle pièce… même quand l’interprétation était plus ou moins juste. C’était elle qui m’avait suggéré cette chanson, dont la musique, sur un rythme sud-américain, est assez difficile. C’était toutefois une pièce qui mettait en valeur autant le talent de l’accompagnatrice que celui de l’interprète. Vous me demandez si j’ai gagné? Je ne m’en souviens même pas… mais il me semble que je portais une robe mauve.
Pour terminer, j’emprunte quelques-unes des paroles de Sombreros et mantilles :
« J’ai quitté le pays de la guitare… Mais son doux souvenir en mon âme s’égare… Dans un songe souvent, tandis que mon cœur bat… Il me semble entendre tout bas… Une chanson qui vient de là-bas. » Il me faudrait plutôt dire, « une chanson qui vient de ce temps si lointain ». À une prochaine parlure!
© Madeleine Genest Bouillé, 20 juillet 2017