Les élections

Ben oui, on va avoir des élections! Ça fait longtemps qu’on le sait, me direz-vous. C’est vrai. Autrefois la campagne électorale était plus courte, sauf qu’elle était pas mal plus amusante! Il n’y avait pas la télévision et encore moins les réseaux sociaux; on se contentait des journaux, de la radio et surtout les candidats du comté se faisaient connaître dans les assemblées où ils étaient souvent plus populaires que leur chef. Chez mon grand-père, ça parlait d’élection, mes tantes adoraient ça! Chez nous aussi, on s’y intéressait, même si papa était très discret sur ses intentions de vote; selon lui, c’était quelque chose qu’il ne fallait pas divulguer, un peu comme le secret de la confession. Si je ne m’abuse, dans le temps où il travaillait à la Ferme du Gouvernement provincial, c’était préférable qu’il en soit ainsi…

"Pamphlet" du candidat du Parti LIbéral du Canada, le Dr Pierre Gauthier, en 1957.

« Pamphlet » du candidat du Parti LIbéral du Canada, le Dr Pierre Gauthier, en 1957.

Ma mère était souvent engagée pour tenir le poste de « greffière » le jour du scrutin, parce qu’elle avait « une belle main d’écriture », mais elle faisait ce travail seulement quand c’était le parti Libéral qui était au pouvoir, car c’était bien connu que les Petit votaient « rouge ». L’esprit de parti, ça se transmettait de génération en génération comme la forme du nez et les taches de rousseur. Maman aimait bien travailler aux élections; ça lui apportait un petit revenu qui n’était pas négligeable. Mais surtout, elle aimait cette journée passée à inscrire les voteurs et, le soir venu, participer au décompte des bulletins de votes. Les bureaux étaient toujours situés dans une maison privée, dont les propriétaires étaient reconnus pour être «  du bon bord »! Quand le gouvernement changeait de parti, le bureau de vote changeait de maison.

Verso du pamphlet du Dr Pierre Gauthier. À remarquer: la "promesse" réalisée du quai de Portneuf!

Verso du pamphlet du Dr Pierre Gauthier. À remarquer: la « promesse » réalisée du quai de Portneuf!

Dans mes souvenirs, la période préélectorale durait quelques semaines, mais ça « brassait », je vous l’assure, surtout quand il y avait des « parlements » et des assemblées contradictoires. Chez nous, on a commencé tôt à s’intéresser aux élections. D’abord, on en entendait parler dans la famille et de plus, le père de mes amies était organisateur pour « l’autre parti », ce qui causait parfois quelques quiproquos lors des « parlements », ces assemblées politiques où les candidats venaient haranguer les électeurs. Ces réunions se tenaient le dimanche après-midi, en plein air, quand la saison le permettait évidemment; il y avait des haut-parleurs, qui faisaient entendre de la musique entraînante et généralement, un petit kiosque était installé où l’on pouvait se procurer liqueurs douces, chips et chocolats. Il y avait toujours une nombreuse assistance; les hommes se donnaient des airs de conspirateur, ils parlaient fort, s’engueulaient un peu, beaucoup parfois. Les femmes portaient leurs belles toilettes… et les enfants quémandaient des sous pour s’acheter des petites douceurs. Une vraie grosse foire! La vente de boissons alcooliques étaient prohibées autant à la salle que sur les terrains avoisinant l’église, mais la politique étant ce qu’elle est, lors de ces assemblées, miraculeusement, la bière et le « fort » coulaient à flot! C’était sans doute pour réchauffer l’ambiance afin de mieux acclamer les orateurs! Cependant, quand j’allais avec mes amies dans les « parlements » à l’extérieur, j’étais un peu mal à l’aise d’avoir à acclamer le candidat adverse de ma famille, mais je n’avais pas tellement le choix. J’avoue que je me sentais un peu traître à ma patrie!

Jean Lesage

Jean Lesage

Lors des élections provinciales de juillet 1960, je n’avais pas encore atteint l’âge requis pour voter – qui était alors 21 ans. Jean Lesage se présentait pour le Parti Libéral avec comme slogan « C’est le temps que ça change ». Ce fut une victoire éclatante pour les libéraux. De nouveau en élection en 1962, Lesage était bien parti pour une autre victoire avec son célèbre « Maîtres chez nous! » Cette fois-là, il me manquait dix-sept jours pour avoir droit de vote. J’étais donc déçue! Mais j’avais quand même participé à la campagne électorale. D’abord, quand j’allais faire un bout de veillée chez mes tantes, ça parlait d’élections et pas à peu près! Ma tante Gisèle écrivait des chansons pour ridiculiser les adversaires des Libéraux. Elle ne manquait jamais d’inspiration, on avait tellement de plaisir à chanter ces refrains où elle mettait tout son cœur de libérale pure laine! Et que dire des « transformations » de pancartes! On profitait de l’obscurité pour décrocher les affiches des candidats « bleus » et on s’amusait avec tante Gisèle à les maquiller; on leur mettait des lunettes s’ils n’en avaient pas déjà, des moustaches, des barbes, de gros sourcils… Et plus tard, les gars allaient raccrocher les affiches. Ni vu, ni connu! Bien entendu, on se faisait barbouiller et arracher nos pancartes nous aussi, c’était de bonne guerre!

Mon grand frère qui avait alors son « char » se plaisait à courir les assemblées contradictoires. J’y allais parfois avec lui, car on rencontrait des amis, lesquels n’étaient pas toujours du même parti que nous! L’assemblée contradictoire, comme son nom l’indique, permettait aux deux candidats – il n’y avait alors que deux partis – de faire connaître leur programme électoral au public. Je me souviens que parfois ces soirées se déroulaient à l’Auberge de Lachevrotière. Vers la fin de la veillée, quand je cherchais mon frère pour revenir à la maison, je le retrouvais généralement dehors, en train de discuter, ou plutôt de disputer avec beaucoup d’ardeur ses opinions politiques. Quand nous rentrions à la maison, le grand frère avait souvent quelques égratignures, mais ça ne le dérangeait aucunement. Il disait : « Attends que je le repogne la prochaine fois, lui, le maudit bleu! » Ah! je vous le dis, dans mon jeune temps, les élections, c’était bien plus intéressant que maintenant!

© Madeleine Genest Bouillé, septembre 2015

Maison où a habité le député Pierre Gauthier, au cœur du village de Deschambault (construite par Côme Dufresne). Figure marquante de l'histoire de Deschambault, le Dr Gauthier fut député au provincial de 1927 à 1935, puis au fédéral de1936 à 1958.

Maison où a habité le député Pierre Gauthier, au cœur du village de Deschambault (construite par Côme Dufresne). Figure marquante de l’histoire de Deschambault, le Dr Gauthier fut député au provincial de 1927 à 1935, puis au fédéral de1936 à 1958.

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