Une amie me demandait la semaine dernière si j’avais fini mon grand ménage du printemps. Vivant depuis quelques années dans une résidence pour personnes âgées, elle n’a plus ce souci… elle n’a pas non plus ce contentement! Toutefois, cette question que les ménagères se posaient traditionnellement chaque année fait encore partie de la conversation : « Pis… as-tu fini ton grand ménage? »
Le grand ménage du printemps, à ce qu’il m’en souvient, était vraiment l’occasion de « virer la maison à l’envers, pour la remettre à l’endroit ». C’était du grand barda, et il faut bien le dire, une tâche qui, lorsqu’elle était terminée, apportait beaucoup de satisfaction. Les maîtresses de maison à l’époque, ne peinturaient pas les murs et les plafonds chaque année, non plus qu’elles ne changeaient les rideaux ou le papier peint. Tout était d’ailleurs plus durable. Pour Pâques, sauf parfois si la fête avait lieu en mars, le grand ménage devait être fait. La mère, aidée de ses filles, si elle avait le bonheur d’en avoir, lavait les planchers et les plafonds, de fond en comble. On sortait les tapis dehors et on les battait à l’aide d’un bâton ou d’un bon balai. Cette tâche pouvait être exécutée par les garçons, surtout dans les familles qui, comme chez nous en avait une bonne quantité – des garçons, pas des tapis! Ils y prenaient parfois même un peu trop de plaisir, cela pouvait devenir dangereux pour les pauvres tapis qui n’en demandaient pas tant! Pour que le dessus du poêle redevienne bien noir, on le frottait, si ma mémoire est exacte, à la mine de plomb, parfois on y passait aussi une couenne de lard, pour qu’il soit bien luisant. On lavait les rideaux en tissu délicat à la main et on les repassait soigneusement. Il faut dire qu’en ce temps-là, on repassait tout, des tentures jusqu’aux mouchoirs en passant par les chemises et les sous-vêtements. Parlant des mouchoirs, les première fois où j’ai tenu le fer à repasser, qu’on mettait à chauffer à l’arrière du poêle, c’était justement pour repasser des mouchoirs. Mes premiers points de couture à la main ont aussi été faits pour ourler des mouchoirs et des linges de vaisselle, cousus dans des poches de sucre. C’était ce qu’il y avait de mieux pour essuyer la vaisselle! J’étais alors très jeune, mais je voulais travailler comme « une grande fille ». Parmi mes premiers travaux ménagers, à part essuyer la vaisselle, je me souviens que je faisais de temps à autre l’époussetage des barreaux de chaises. Je me revois, assise par terre, essuyant précautionneusement les barreaux d’une chaise en chantonnant… je pouvais y passer de très longues minutes, sans doute que je pensais à autre chose. Je ne suis pas certaine non plus que je finissais la tâche.
Le grand ménage impliquait aussi qu’on étende sur la corde à linge les gros édredons qui n’étaient pas lavables. On les rangerait ensuite dans des coffres avec des boules anti-mites. On retournait les matelas de chacun des lits; pour ce faire on s’y mettait à deux, pour ne pas « s’éreinter ». Maman qui adorait les coussins, profitait de ses soirées pour refaire de nouvelles housses pour ses nombreux coussins. Elle y mettait beaucoup de fantaisie; parmi mes souvenirs, je revois un coussin recouvert d’une soie jaune vif, où elle avait cousu des fleurs rouges avec tiges et feuilles vertes. Pour cet autre coussin rond, elle avait choisi du satin noir et y avait appliqué des roses mauves. Sûrement que ce travail plus délicat la reposait pour ainsi dire des grosses besognes que lui imposait le grand ménage. Ma mère n’avait pas comme on disait dans le temps « une grosse constitution ».
Le grand barda, ça avait lieu aussi à l’extérieur. D’une année à l’autre, les cadres de fenêtres et la galerie devaient être repeints. Chez ma grand-mère, au printemps, on faisait du savon. Tout l’hiver on avait ramassé dans des boîtes de conserves vides, les résidus de graisse de cuisson; on y ajoutait les morceaux de savon cassés qu’on avait soigneusement récupérés. Quand venait le jour de la fabrication du savon domestique, on déposait ces résidus dans le gros chaudron que nous les enfants, on appelait le « chaudron de la sorcière » et qui était installé dans la cour en arrière. On suspendait le chaudron au-dessus d’un feu. On incorporait à cette préparation une solution de soude qu’on appelait du « lessi »; tout ça fondait, il fallait brasser assez longtemps, l’odeur de cette fumée était âcre et piquait les yeux… c’est ce dont je me souviens le plus. D’ailleurs, on n’endurait pas les enfants trop près du chaudron. Le liquide brûlant épaississait et quand il était jugé à point, on éteignait le feu et on versait le savon dans de grandes pannes où on le laissait refroidir. Le lendemain, on coupait en carrés cette matière d’un beau beige doré, qui ressemblait à du sucre d’érable. On avait alors pour l’année le savon qui servirait pour la lessive, le lavage de la vaisselle et aussi comme savon à main dans la cuisine. Ce qui n’empêchait pas les femmes de la maison – coquetterie oblige! – de se procurer des barres de savon parfumé pour la toilette… Quand même!
Le printemps pouvait venir, le grand barda était fini; la maison était propre, ça sentait bon… et ce qui importait le plus, c’était la satisfaction du devoir accompli!
© Madeleine Genest Bouillé, avril 2015