Le dernier acte

Peut-être est-ce parce que je suis née à la fin de ce mois, mais quand arrive novembre, j’ai l’impression d’assister au dernier acte d’une pièce de théâtre. On voudrait que ça continue, mais en même temps on sait bien que la finale s’en vient. On peut presque la prévoir. On se surprend à regarder l’heure… il reste 20 minutes; on voudrait que ça finisse bien, c’est tellement décevant une pièce qui finit mal! On est un peu anxieux. On regarde encore l’heure… plus que quinze minutes. Ces dernières scènes sont très importantes, les gestes, les répliques resteront dans notre mémoire et ce sont souvent ces minutes-là qui détermineront l’appréciation que nous garderons de toute la pièce.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Crédit photo: Jacques Bouillé.

Ainsi en est-il du mois de novembre. Pour moi, c’est un mois déterminant dans l’histoire de l’année en cours. Dans ma jeunesse, comme tous les enfants, j’avais hâte à ma fête et tout de suite après, je me permettais d’avoir hâte à Noël. Maintenant, j’aimerais mieux oublier mon anniversaire, mais je ne le puis, alors je m’occupe, je tourne, je vire, je commence une chose, puis une autre. D’ailleurs il y a tant à faire en cette fin d’automne, et comme en vieillissant on ralentit quelque peu, je commence donc plus tôt mes préparatifs pour la fête de Noël. Mine de rien, je vérifie la quantité et l’état des décorations, je trie mes recettes … je n’aime pas me faire dire : « Tu trouves pas que c’est un peu tôt? »

Certains livres de ma bibliothèque sont pour moi des références sur différents sujets. Et périodiquement, j’aime à en relire des passages, selon les saisons. C’est le cas pour le livre de Jean Provencher Les quatre saisons dans la vallée du Saint-Laurent. J’aime surtout le chapitre qui parle de l’automne. Ces jours derniers, je relisais donc les pages qui décrivent les multiples travaux que nos ancêtres devaient effectuer avant l’hiver.  Seulement pour les activités domestiques, on compte cinquante pages. Je vous fais grâce des nombreuses tâches décrites dans ce chapitre, mais à partir du moment où on s’apprêtait à quitter la cuisine d’été pour réintégrer la maison proprement dite, il y en avait de l’ouvrage à faire. Cela sans compter les récoltes et la conservation des aliments.

Écossage et mise en conserve des haricots. Source: blogue Potagers d'antan.

Écossage et mise en conserve des haricots. Source: blogue Potagers d’antan.

Cette lecture me ramène longtemps en arrière, quand j’étais enfant. Les travaux d’automne, c’était tout d’abord la fabrication des conserves et confitures; ce travail qui occupait presque tout le monde. Même les enfants pouvaient participer; je me souviens d’avoir coupé des légumes en petits morceaux pour les mettre ensuite dans des pots, je ne sais pas quel âge je pouvais avoir… je me revois aussi tournant une manivelle, peut-être celle de la sertisseuse. Une autre étape des travaux d’automne dont j’ai souvenance, c’est la pose des « châssis doubles ». Toutes les fenêtres, sauf celles de la façade, qui donnaient sur la route, avaient une moustiquaire, qu’on appelait un « scring » (pour screen, un des multiples mots anglais qu’on disait tout de travers). J’aimais ce changement de fenêtre, il me semblait qu’il faisait plus clair. Il fallait la plupart du temps remettre du mastic pour tenir les vitres en place et parfois, je me souviens qu’on mettait des lisières de coton « à fromage » pour empêcher l’air froid d’entrer par les interstices. Bien entendu, avant d’installer les fenêtres d’hiver, il fallait d’abord les laver et au besoin repeindre les boiseries. Tant qu’à y être, on lavait aussi les rideaux et les tentures. Je me rappelle aussi qu’on sortait les gros édredons et les manteaux qui n’allaient pas dans la laveuse, et on les mettait sur la corde à linge pour les aérer et enlever l’odeur des boules à mites. C’était tenace cette odeur!

Cimetière de Deschambault. Crédit photo: Patrick Bouillé.

Cimetière de Deschambault. Crédit photo: Patrick Bouillé.

Dans mes souvenirs, novembre c’était surtout le « mois des morts ». On entendait parler de l’Halloween, mais pour nous, ça ne voulait pas dire grand-chose. Je me rappelle qu’on découpait des masques épeurants à l’endos des boîtes de Corn Flakes, rien de plus! Nos fêtes du début de novembre étaient pas mal plus sérieuses. Le 1er du mois, c’était la Toussaint, une fête d’obligation, et comme son nom l’indique, la fête de tous les saints.  Le lendemain, Jour des Morts, il y avait encore une messe, cette fois pour tous les défunts de la paroisse. Autrefois, après cette messe, se tenait la Criée pour les âmes. Sur certaines photos anciennes, on peut voir le kiosque de la criée qui était placé au coin du cimetière, du côté de la rue de la Salle. Chaque jour de ce mois, on nous invitait à prier pour nos défunts. À 7 heures du soir, à l’église, on sonnait le glas pour nous rappeler de réciter les Paters; ces oraisons consistaient en cinq Paters, cinq Aves, cinq Gloria Patri et autant d’invocations pour les âmes des défunts. À cette heure en novembre, il fait déjà nuit, le glas résonnait lugubrement entre les lamentations du vent dans les arbres dépouillés; on ne pouvait absolument pas oublier les parents partis pour l’autre monde! Mon grand-père est décédé au début de novembre en 1955; nul besoin d’ajouter que ce mois-là, à chaque soir, je ne pensais qu’à lui! Si seulement je m’étais alors rappelé les blagues qu’il lançait et les airs joyeux qu’il fredonnait assis sur son vieux banc de cordonnerie, mais non, je le revoyais dans sa tombe, endimanché et solennel… Ça ne lui ressemblait pas vraiment.

Mon grand-père Edmond "Tom" Petit et ma grand-mère Blanche (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Mon grand-père Edmond « Tom » Petit et ma grand-mère Blanche (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Pour mettre un peu de joie dans ce mois plutôt sévère, le 25 novembre on fêtait la Sainte-Catherine. La tradition voulait qu’en ce jour, on fasse de la tire à la mélasse. On nous avait raconté à l’école que Marguerite Bourgeois, une des fondatrices de Ville-Marie, avait utilisé cette friandise pour attirer les jeunes amérindiennes et ainsi parvenir à leur donner quelques rudiments d’instruction. Je ne sais pas quel rapport il y a entre la dégustation de tire et la Sainte-Catherine, qui était jadis la fête des « jeunes filles prolongées »! Mais je me souviens de cet écheveau de belle tire blonde qu’on étirait tant et plus, et qu’on coupait ensuite en petits morceaux. Friandise collante s’il en est, mais délicieuse! Chez nous, la fin de novembre, c’était surtout trois anniversaires, le 24, le 27 et le 28, qu’on célébrait en une seule fête la plupart du temps. Avec les années, la famille s’est agrandie et il y a maintenant trois anniversaires de plus en novembre, le 8, le 12 et le 18.

Extrait des cahiers de la Bonne Chanson: La Tire, d'Albert Larrieu.

Extrait des cahiers de la Bonne Chanson: La Tire, d’Albert Larrieu.

Quand les premières bordées de neige nous arrivent en novembre, il me semble que ça atténue le côté sombre de ce mois. La neige… ça fait penser à Noël, au temps des Fêtes. Même maintenant, rien ne me fait plus plaisir que quand il neige le jour de mon anniversaire. C’est le plus beau présent que je puisse recevoir! Malheureusement, personne ne peut me le garantir, ce cadeau-là. Comme au dernier acte de la pièce, novembre réserve toujours quelques surprises!

© Madeleine Genest Bouillé, 22 octobre 2016

L’économie domestique, 2e partie

IMG_20160408_0003Dans le deuxième volume, on apprend d’abord que « la maison est l’abri et la protection de la famille. » On n’y va pas par quatre chemins : « L’individualisme, le communisme, la fascisme, le nazisme, le capitalisme mal compris et mal exercé sont les ennemis de la maison et de la famille. » Dans le premier chapitre, on nous met tout de suite sur la défensive : « La sécurité matérielle et économique exige des travaux de défense contre les multiples attaques qui sont d’abord, l’alcoolisme, la tuberculose, les maladies contagieuses, l’absence d’hygiène. Ensuite vient l’excès dans les amusements, les veillées trop nombreuses et trop prolongées, les sports qui s’attaquent aussi à la santé, les bavardages et les commérages. Un péril plus grand encore, peut-être, c’est la pression des réclames et des annonces… qui se traduit par la démangeaison d’acheter et de renouveler trop tôt certains articles. » On pointait déjà du doigt les ravages de la publicité abusive!

L’alternative à ces périls qui menacent la famille, c’est l’offensive pour promouvoir le bien. Je résume; c’est d’abord la morale et la religion : « Les parents feront la lutte à l’immoralité, en assurant  la bonne observance au jour du Seigneur… La famille fera une large part aux bonnes et simples vertus naturelles, telles la franchise, la sincérité et l’honneur. La vie intellectuelle mérite aussi une offensive. On donnera aux enfants l’avantage de fréquenter longtemps les écoles, le goût de la lecture; dans les programmes radiophoniques, on accordera la préférence aux causeries instructives. On surveillera les conversations pour en éliminer les propos risqués; les « illustrés » de certains journaux seront relégués à l’ombre ou jetés à la poubelle… »   

IMG_20160405_0005On en vient enfin à l’organisation matérielle de la famille. Un horaire journalier est proposé, qui ne laisse aucune place à l’improvisation : « 6h00 : lever des grandes personnes, toilette, prière et préparation du déjeuner.  6h30 : déjeuner des grandes personnes et lever des enfants. 7h00 : départ du père pour l’ouvrage. Les enfants déjeunent puis repassent leurs leçons. Les jeunes filles lavent la vaisselle du déjeuner. La mère lave les bébés et fait leur toilette. 7h30 : déjeuner des bébés suivi de leur « somme ». 8h00 : départ des enfants pour l’école et nettoyage quotidien des chambres par les jeunes filles, autre travail pour la mère. 9h00 à 10h30 : occupation hebdomadaire (voir le tableau suivant). 10h30 : préparation du dîner. Midi : dîner. 12h30 : lavage de la vaisselle, la mère couche les bébés. 1h00 : rangement de la vaisselle et de la salle à manger. 1h30 : toilette de l’après-midi.  2h00 : promenade des bébés, couture ou travail d’imprévu, les bébés sont confiés aux jeunes filles ou installés pour jouer à portée de la vue. 4h30 : retour des enfants de l’école. Goûter. Récréation au grand air. 5h00 : étude des enfants, la mère et les filles préparent le souper, le père revient du travail. 5h30 : souper des bébés et leur coucher. 6h00 : souper de la famille. 6h30 : lavage de la vaisselle, rangement de la cuisine et de la salle à manger, les enfants jouent. 7h30 : prière du soir en famille. Veillée dans la salle, les enfants font leurs devoirs, la mère et ses filles causent ou font quelque travail d’agrément. Le père lit son journal. Entre 9h00 et 10h00 : coucher de la famille. » Espérons que le père n’a pas été dérangé dans la lecture de son journal…

IMG_20160405_0003Le manuel décrivait ensuite l’horaire hebdomadaire de la maîtresse de maison. Cet horaire précis m’intriguait car il ne ressemblait en rien à ce que nous vivions chez nous, sauf le lavage du lundi… qui se prolongeait parfois le mardi!  « Lundi : lavage. Mardi : repassage. Mercredi : raccommodage et confection. Jeudi : Confection ou sortie pour emplettes et visites. Vendredi : ménage d’une partie de la maison : les chambres et le salon. Samedi : Ménage des autres pièces : salle, cuisine, chambre de bain, toilette, etc. » On ne parle évidemment pas du dimanche qui étant le jour du Seigneur, implique la messe, le dîner en famille; dans l’après-midi,  on reçoit ou on visite la parenté… et le soir on assiste aux Vêpres!

IMG_20160405_0007Un des derniers chapitres parle des RÈGLES DU SAVOIR-VIVRE. L’enseignement s’étend du « salut à la poignée de main, de la politesse au téléphone, et on en vient aux réceptions et relations de société. » On y parle des « soirées intimes », des « fêtes de famille », des « visites » et même de la « correspondance ». L’étiquette était très précise selon qu’on recevait des parents, des amis intimes ou d’autres personnes, et c’était la même chose pour les visites. Je vous livre un extrait du paragraphe « soirées intimes » : «Ces réunions révèlent plutôt un caractère d’intimité. Tout en causant on partage le temps agréablement entre les travaux à l’aiguille, les jeux d’esprit, le chant et la musique; des cartes et des tables sont à la disposition des amateurs de jeux. »

Au chapitre des Fêtes de famille, on souligne ceci : « Il est du devoir de la maîtresse de maison de maintenir et de respecter les liens de la plus douce fraternité, et de voiler tout ce qui contrarie l’affection entre les frères et les sœurs. Les principaux anniversaires, célébrés en commun, sont des évènements qui auréolent de joie le front parfois trop attristés de nos aïeuls. » Ensuite vient le délicat chapitre des « visites ». Des visites « du jour de l’An aux visites de condoléances, on passe par les visites de départ et de retour de voyage, visites aux malades, visites de retour de noces et visites de convenances ». Il y en a pour trois pages!

Nous arrivons enfin au chapitre de la correspondance. Au temps où le téléphone encore récent était utilisé surtout pour affaires et conversation urgentes, donc brèves, on écrivait beaucoup!  On écrivait aux membres de la famille absents, on écrivait aussi des « lettres de civilité » : lettres de remerciements, annonce d’un événement heureux ou malheureux, pour exprimer nos vœux de bonne année ou d’anniversaire, invitation, etc. Il y avait évidemment les lettres d’affaires, telles les lettres de demande d’emploi, pour lesquelles je me souviens qu’il existait des formules spéciales. Il me revient une anecdote; en 9e année, nous avions eu comme devoir d’écrire une lettre pour postuler un emploi. Une élève, un peu moins habile, avait débuté ainsi sa lettre : « Bien-aimé Monsieur… » La religieuse aurait pu lui faire ses remontrances en privé, mais non, elle avait lu le début de la lettre en pleine classe, en soulignant  la bévue. Toutes, nous avions éclaté de rire! Sauf l’élève en question qui était devenue rouge comme une tomate… et qui s’efforçait de sourire, gênée, ayant plutôt envie de pleurer.  Le genre de situation dont on se souvient et dont on n’est pas très fière…

IMG_20160405_0001Il y aurait encore beaucoup à dire sur les cours d’Économie Domestique. Quand nous finissions nos études, nous étions supposées avoir toutes les qualités nécessaires pour être des femmes accomplies, prêtes à occuper un emploi, d’enseignante, d’infirmière ou de secrétaire… évidemment, en attendant le « prince charmant », qui nous transformerait en épouse et mère de famille!

© Madeleine Genest Bouillé, 8 avril 2016

L’économie domestique, 1ère partie

Quand j’étudiais au couvent, les élèves de l’Académie – 8e à 12 années – avaient comme matière de cours, l’Économie Domestique, avec deux majuscules! J’ai encore les trois manuels avec lesquels nous devions étudier cette science, car science il y a! Dans l’avant-propos du livre que nous avions en 9e année, on décrit ainsi l’économie domestique : « …la science de la vie pratique, qui comprend toutes les connaissances nécessaires à la femme pour produire autour d’elle le bien-être, l’aisance, le bonheur : pour établir dans son foyer, l’ordre, la dignité, la paix. » Avouez que c’est tout un programme!

Illustration tirée d'une revue de 1958.

Illustration tirée d’une revue de 1958.

Dès la première page, nous  abordons « le rôle de la femme au foyer », tout d’abord avec écrit en majuscules, MISSION DE LA FEMME. Quelques lignes seulement : « D`après le plan divin, la femme, comme la flamme, est donc faite pour le foyer; si elle y reste, a dit quelqu’un, elle éclaire, réchauffe et réjouit… De même, le foyer est fait pour la femme.  C’est son domaine, elle y règne sans autre sceptre que sa vertu et sans autre édit que ses exemples. » Je vous fais grâce des vertus de l’épouse. Le manuel date de 1950; à cette époque, la guerre qui a fait sortir bien des femmes de leur maison pour travailler dans les usines, leur a aussi fait découvrir qu’elles pouvaient se réaliser à l’extérieur de leur foyer, et que de plus, ça rapportait! On veut donc tenter de leur faire reprendre le chemin du foyer… et les convaincre de l’importance du rôle qu’elles y jouent.

La "cuisine idéale" de l'époque!

La « cuisine idéale » de l’époque!

Dans le chapitre premier, on aborde le choix de la maison : « La maison, c’est le sanctuaire des plus pures affections, l’héritage que l’homme reçoit de ses ancêtres. Dans le plan divin, elle est destinée à être le sanctuaire de la famille. » Les auteurs de ces manuels ne laissaient rien au hasard. On parle de l’acquisition de la maison, du choix, soit de la construction d’une nouvelle habitation ou de l’achat d’une maison déjà construite. À propos du choix d’un logement, après les considérations financières, on énumère les autres considérations que voici : « 1. Le lieu du travail du chef de famille et la recherche, si possible, d’un logement à proximité d’un marché et des différents fournisseurs, sans oublier l’église et l’école. 2. Prendre en considération la facilité et la rapidité des communications ainsi que le voisinage d’une gare d’autobus ou de tramway. 3. Choisir son habitation de manière à y faire le plus long séjour possible. » Et on conclut avec ceci : « Un homme qui déménage souvent ne peut prospérer autant que celui qui est stable. » Au chapitre suivant, on fait le tour de la maison, de la cave au grenier, murs, plafonds, éclairage et chauffage compris. Ensuite on s’arrête dans chacune des pièces, pour parler du mobilier, de la décoration et de l’entretien, sujet qui s’étend sur plusieurs dizaines de pages.

Illustration de 1944.

Illustration de 1944.

Le chapitre 4, consacré au vêtement, parle des tissus, de leur entretien, de l’art de s’habiller, et bien entendu, de la confection de ces vêtements, sans oublier le rangement des armoires. Si les tissus de l’époque étaient plus résistants, ils étaient aussi plus difficiles d’entretien, aussi ce chapitre nous fait des recommandations pour les soins journaliers : « 1. Secouer les vêtements mis la veille ou donner un brossage superficiel, sans exagérer pour ne pas user le linge.  2. Suspendre les vêtements qui ne seront plus portés le jour même.  3. Le soir, au coucher, accrocher les robes, les paletots et même les sous-vêtements, afin qu’ils s’aèrent.  4. Examiner les vêtements des enfants tous les soirs, remplacer les effets qui sont tachés ou usés par d’autres plus propres.  5. Ne pas déposer à plat sur la table des chapeaux mouillés, les placer sur un support (bouteille ou pot, à défaut d’une patère).  6. Remplir les souliers mouillés d’un chiffon sec, les laisser sécher lentement loin du feu. »  Et j’en passe! On constate que la journée de la ménagère devait parfois finir très tard!

Dans ce manuel, j’ai trouvé une feuille d’examen pliée en quatre… L’écriture est encore enfantine; il est vrai que je n’avais que 13 ans. J’ai reçu pour ce travail une note de 93%; j’avais 98%, mais j’ai perdu 5 points pour des fautes d’orthographe, dont deux oublis d’accent aigu. Les fautes comptaient dans toutes les matières. Voilà, pour la première partie de ce grain de sel sur l’économie domestique!

Je vous reviens bientôt pour vous parler de l’horaire de la maîtresse de maison, ainsi que des sorties et autres distraction familiales.

© Madeleine Genest Bouillé, 7 avril 2016.

Image de printemps

Numériser0003La fabrication du savon.
Dans un grain de sel du printemps dernier, où je vous parlais du « grand barda du printemps », j’ai mentionné la fabrication du savon domestique. Sur la photo ci-jointe, on peut voir Madame Élise Proulx-Thibodeau, en train de brasser son savon. Elle avait plus de 80 ans, la photo datant de la fin des années 30; je n’ai malheureusement pas de précision à ce sujet. Madame Thibodeau était la mère d’Aurore Thibodeau, mariée à Lauréat Laplante en 1915, ils demeuraient dans la maison bâtie par les Thibodeau, au 215, Chemin du Roy. Une petite anecdote en passant… Quelques-uns des frères de Madame Thibodeau avaient, comme beaucoup de Québécois de cette époque, émigré aux États-Unis, dans les environs de Boston, à Lowell et Fall-River. Comme on le sait, quand « la visite des États » s’amenait, ils apportaient avec eux des anglicismes qu’ils étaient très fiers de parler devant la parenté. Ainsi, ils avaient anglicisé le nom de leur sœur; Élise était donc devenue Lyser… Et je me souviens, étant enfant, de la façon dont les gens rappelaient cette petite femme, qui avait paraît-il beaucoup de caractère; on la nommait « Memére Liseur ». Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai su son vrai prénom.

fete sucreLe temps des sucres.
La belle jeunesse de Deschambault, en 1944. Cette photo comme plusieurs de la même époque, me vient de Marie-Paule Laplante, fille des précédents, qui a demeuré à Trois-Rivières après son mariage en 1951. La fête avait lieu à la sucrerie de la famille Bouillé, étant donné que Marie-Paule était l’amie de Marie-Claire Bouillé, la deuxième fille de la famille de mon époux. D’ailleurs je reconnais quelques membres de cette famille, ainsi que Rolande Paré, fille de Louis. Quand je cherche une ou l’autre photo ancienne, je m’arrête toujours sur celle-ci. Le photographe qui a croqué cette scène a sans le savoir fixé dans le temps une image qui raconte un moment de vrai plaisir! C’est l’une de mes photos préférées.

IMG_20160313_0004Le printemps est arrivé!
Derrière cette photo, maman avait écrit « Le printemps est arrivé, mars 1950 ». C’était le premier printemps où nous demeurions dans la maison de la rue Johnson. Les deux jeunes, Georges et Fernand, portent encore manteau et chapeau d’hiver, mais il devait y avoir des signes de printemps déjà, car Florent ne porte pas de manteau et il est nu-tête. Florent était le météorologue de la famille. Dans les dernières années où il vivait, je lui avais rappelé cette photo et il m’avait confirmé que le mois de mars de cette année-là était particulièrement doux. Et si Florent l’a dit… c’est parce que c’était vrai!

IMG_20160209_0006Ah! la mode!
La mode a toujours eu de ces extravagances…. dans les magazines, on voit des choses que moi je ne trouve absolument pas portables. Mais il y a 50 ans et plus, la mode nous imposait aussi ses bizarreries. Par exemple, passé le 15 août, on rangeait les chapeaux de paille ainsi que les accessoires blancs, et cela même s’il faisait aussi chaud sinon plus qu’en juin. On sortait les chapeaux de velours ou de feutre et les accessoires noirs ou bruns. Au printemps, on faisait l’inverse. À Pâques, on sortait le tailleur de couleur pastel et un chapeau de paille, autant que possible avec profusion de fleurs, et cela même s’il gelait ou s’il neigeait! Vous voyez sur cette photo une image découpée dans la Revue Populaire d’avril 1946. Aimez-vous le chapeau, style « tarte »? C’était ça, la mode!

IMG_20160313_0005Ce qui arrive quand Pâques tombe en mars…
La photo date de 1955. Elle a été prise le jour de Pâques. Vous voyez ce que ça donne un chapeau de paille avec un manteau d’hiver! J’étrennais ce petit chapeau qui était rose. J’étais supposée le porter avec mon manteau de printemps qui était beige. Pâques tombait comme cette année à la fin de mars. Je sortais d’un de mes interminables rhumes… et maman avait dit : « Non! Tu mets ton manteau d’hiver, il fait pas assez chaud pour sortir ton manteau de printemps. D’ailleurs tout le monde est encore habillé en hiver! » Je boudais et je ne voulais pas que ma sœur prenne la photo. Pour me donner le bon exemple, elle s’était fait photographier avec son manteau gris – celui d’hiver, et son chapeau de paille blanc. Mais moi, je trouvais qu’avec le col en fourrure (du lapin ou je ne sais quoi), le chapeau de paille avait l’air incongru. Un de mes frères, qu’on ne voit pas… tente de me faire rire et je ne veux pas. En plus la photo a été prise après la messe, juste avant dîner; étant ainsi face au soleil, j’ai fermé les yeux… Pour moi, c’est une photo qui parle beaucoup!

On n’a pas fini de parler de Pâques… à bientôt!

© Madeleine Genest Bouillé, 13 mars 2016

Les recettes de cuisine d’autrefois

DomesticNos recettes du temps des Fêtes nous viennent le plus souvent de notre mère, qui elle les tenait de sa mère; de sorte que nous cuisinons des mets qui sont dans la famille depuis parfois trois ou même quatre générations. Bien sûr, certains ingrédients ont changé. Ainsi, nous utilisons de plus en plus des huiles végétales ou de la margarine, là où nos mères n’avaient que la « graisse pur lard », de marque « Domestic », si je me rappelle bien. Il demeure que même si nos mets sont allégés en gras, nous avons conservé pour nos menus du temps des Fêtes, beaucoup des recettes de la bonne cuisine d’autrefois.

Quand on parle repas des Fêtes, on pense aussitôt aux tourtières ou pâtés à la viande. Qu’ils soient faits uniquement de viande de porc, ou qu’on y mêle du bœuf ou du veau, aux Fêtes, dans toutes les familles, on sert des pâtés à la viande! Qu’il s’agisse du buffet du réveillon ou du dîner du Jour de l’An, il manquerait quelque chose s’il n’y avait pas ces fameux pâtés; grands ou petits, qu’on les nomme tourtières ou pâtés, c’est indiscutable!

IMG_20151211_0002Et que dire des desserts! Là encore, on utilise les recettes de nos aïeules. Vous aurez beau avoir une grande variété de tartes et de biscuits, si vous n’avez pas de beignes, votre grand-mère vous regardera du haut du ciel avec une grosse déception. Vous ne voudriez quand même pas décevoir votre grand-mère! Alors, on se lance! On sort le rouleau, la planche, le coupe-beigne, la friteuse… et on y va pour les beignes. On roule, on découpe et on fait cuire. Une recette normale donne trois ou quatre douzaines de beignes. De quoi passer les Fêtes… Et se rappeler grand-maman!

IMG_20151211_0003Je vous ai sorti de mes archives personnelles quelques recettes qui ont un âge certain! Tout d’abord, deux mets qui datent de 1943, dans le temps de la guerre, où tout était « à la ration », ce qui veut dire qu’il ne fallait pas que ça coûte cher! Il s’agit du « roulé aux œufs », lequel se mange froid pour un repas estival, ou chaud pour un gros déjeuner hivernal ou un brunch. De toute façon, c’est consistant et c’est excellent! Quant aux « brioches », quand j’étais écolière, c’était ma collation préférée. Pour ce qui est du gâteau aux fruits, cette recette date de 1950. C’était celui que cuisinait Aurore – je vous ai parlé d’Aurore dans l’un de mes premiers grain de sel. Elle n’allait pas jusqu’à faire la décoration qu’on voit sur l’image, elle trouvait ça trop « fancy »! Mais, même sans cette garniture, son gâteau était délicieux. Dans mon enfance, Noël n’aurait pas été Noël sans le traditionnel gâteau aux fruits.

Pour terminer, je vous ai recopié une recette qui date, parait-il, des années 1800. Je l’ai écrite en conservant rigoureusement l’orthographe. Voici les « galettes au sirop » :

1 louche de mélase
1 louche de castonade
2 zeux tu choisira lé plus gros du poulayer
1 petite culière de soda
Tu comencera par mettre une petite afaire de farine, pi ten rajoutera pour fére une pate mole. Tu lé coupera de la groceur du verre à gin de ton mari. Tu donera une bonne atisé pour que ton four soye a 375. Cuir 25 minute.

Bonne cuisine des Fêtes!IMG_20151211_0004

© Madeleine Genest Bouillé, décembre 2015

« Mais où sont passées les neiges d’antan? »

(Paroles tirées de Ballade des Dames du temps jadis, de François Villon)

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Le champ entre notre maison et celle de notre voisin, la demeure ancestrale de la famille Bouillé, en 1986 (soit l’année précédant la construction de la maison de notre neveu Germain).

Oui je m’ennuie de la neige! Je l’avoue sans honte, même avec une certaine fierté. Je suis une vraie québécoise, native d’un pays où il y a quatre saisons, dont l’une, l’hiver, qui empiète habituellement sur celle qui la précède et pas mal aussi sur celle qui la suit. Mais voilà : aujourd’hui, 2 décembre, c’est comme si on était en novembre. C’est gris, c’est laid… même la musique de Noël que je fais jouer pendant que mon homme s’affaire aux pâtés à la viande pour la Vente de Pâtisseries des Lions, et même cette bonne odeur de fête ne parviennent pas à me faire oublier qu’il pleut à boire debout. Pas du verglas, non, de la pluie, de l’eau!

pate_viande_recetteJ’ai quand même de quoi m’occuper et sinon, quelqu’un à admirer. Car, qu’y a-t-il de plus réconfortant, je vous le demande, que de voir un brave cuisinier mélanger avec application les viandes avec les oignons et les épices, et cuire tout ça dans un grand chaudron? Tandis que la ménagère de service, en l’occurrence moi, vaque à des occupations routinières : ménage, lavage, avec séchage à l’intérieur, forcément! Donc, notre cuisinier prépare ensuite sa pâte et la roule avec un tel acharnement sur le rouleau, on jurerait qu’il se défoule sur cette pauvre pâte molle, qui ne lui a pourtant jamais rien fait! Dommage, je n’ai pas de photos de mon cuisinier, vous auriez aimé voir cette ardeur au travail… avec pas loin, un petit verre de scotch qui attend. Le scotch est au cuisinier ce que l’essence est à l’auto! Quand les pâtés vont dorer au four, il s’en dégagera un tel arôme, je vous le dis, c’est quasi céleste! Au fait, croyez-vous qu’il soit possible qu’au Paradis on retrouve tout ce qu’on a aimé sur terre, senteurs et saveurs incluses ? Moi, j’aimerais bien. Ceci me fait penser à cette pensée un peu légère: «  Si au ciel on ne peut pas rire, moi, je préfère ne pas y aller ! »

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Le cap Lauzon enneigé, début des années ’90.

Concernant cet hiver qui tarde, quelqu’un va sûrement me rétorquer : « ben voyons donc, c’est la faute aux changements climatiques! » D’autres diront: « c’est le phénomène El Nîno. » Je veux rien savoir! Je veux de la NEIGE! Après mon opération au genou, et tout au long de ma convalescence, je disais pour m’encourager : « j’ai hâte à l’hiver, j’ai hâte à Noël! Sûrement qu’alors, ça va aller comme sur des roulettes». Décembre est là, les décorations dans la maison ont l’air aussi incongrues que si on était en juillet et dehors, les boucles de ruban rouge pendent tristement… elles n’aiment pas la pluie, ça ne leur va pas au teint. Les gourous de la météo prédisent qu’on aura l’hiver à la mi-janvier… pas possible! Devrons-nous subir ce désolant paysage encore plus d’un mois?

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Chansonnier anglais que j’ai reçu en cadeau en 1951, publié par la compagnie Loneys…

J’enfile l’une derrière l’autre toutes les chansons d’hiver que je connais : C’est la première neige, jolie chanson de mon enfance… Noël blanc : je n’y peux rien, les paroles me font pleurer! Le sentier de neige, j’ai toujours aimé cette chanson des Classels, ça donne envie de cheminer le soir, sous une petite neige douce… Le bonhomme de neige, La promenade en traîneau : on n’irait pas loin aujourd’hui! Même en anglais, la neige est belle : Let it snow, Winter wonderland, Deck the Halls. Que de belles chansons, dont plusieurs qui nous rappellent des fêtes de Noël ou du Jour de l’An, des rencontres en famille ou entre amis! On a chacun notre petit air préféré pour le temps des Fêtes, celui qui bourdonne à nos oreilles à tout moment… même et surtout quand c’est pas le temps!

Si comme moi, cette température vous rend morose, écoutez les chansons du temps des Fêtes que vous aimez, chantez-les en même temps et si vous faussez quelque peu, personne ne vous en tiendra rigueur! Et puis, espérons, le grand Boss de la température aura peut-être un peu pitié de nous et nous enverra quelques pouces de belle neige, avec assez de froid pour que le tapis résiste jusqu’à la première vraie bordée…

© Madeleine Genest Bouillé, 2 décembre 2015

L’automne, saison d’espérance

Réflexion.

L’automne, saison d’espérance? Une saison qui débute en nous offrant ses plus riches trésors, ses plus belles couleurs, pour nous laisser ensuite dans la grisaille et le dénuement le plus complet. J’aurai du mal à vous faire admettre que cette saison-là parle d’espérance.

138Et pourtant, oui, je persiste et je dis que l’automne est une saison d’espérance. Comme l’automne, l’espérance, ma vertu préférée, passe par toutes les nuances. Du rouge d’un beau matin qui nous fait croire que tout est possible, au désolant crépuscule ennuagé, en passant par le morne jour gris où l’on ferme les rideaux plus tôt, pour ne pas voir dehors. L’espérance, comme la température automnale, n’est pas toujours au beau fixe. C’est un mélange de rouge et de noir, de hauts et de bas. L’espérance?… il faut en avoir trop pour être sûr d’en avoir assez!

027 (2)L’automne qui débute avec la rentrée scolaire, me semble le parfait symbole de l’espérance. Qu’il s’agisse des petits qui prennent le chemin de l’école pour la première fois ou des plus grands qui s’orientent vers des études qui engageront leur vie, ils auront besoin d’une forte dose d’espérance pour résister aux tentations de la facilité, de la contestation ou du décrochage.

C’est aussi en automne qu’on retrouve les joies du foyer. Au cours de l’été, on a déserté notre chez-soi, que ce soit pour les voyages de vacances, le chalet, ou simplement pour vivre dehors. Voici qu’un jour on prend plaisir à réintégrer la maison. On la fait revivre, on fait le ménage, on vérifie l’isolation des fenêtres – si on habite une vieille maison, on change les doubles fenêtres – et on met le chauffage, on allume les lumières pour chasser l’obscurité qui a commencé à tomber plus tôt. C’est qu’on la veut accueillante, notre demeure! L’hiver peut venir, parée pour les longs mois de froidure, la maison sera confortable. Tout ça, vous en conviendrez, ce sont des gestes d’espérance !

photos 8janv.2015 098C’est de Charles Péguy qu’on tient ces paroles : « L’espérance voit ce qui n’est pas encore et qui sera. » Les paysages dépouillés de fin d’automne nous révèlent des perspectives plus larges, plus nettes : les feuillages ne cachant plus la vue, on pense aussi plus loin… plus profondément. D’une certaine façon, les soirées plus longues invitent à l’intériorité. Ce n’est pas un hasard si on a placé le mois des morts en novembre. La saison qui glisse inexorablement vers l’hiver nous rappelle que nous ne sommes pas immortels, cependant, comme la nature qui renaîtra au printemps, nous connaîtrons aussi un jour, une autre vie… en tout cas, moi j’y crois! De même, le souvenir des personnes qui nous ont quittés pour un autre monde nous parle aussi d’espérance.

photos 8janv.2015 122Pour terminer sur une note poétique, voici une belle phrase que j’ai conservée dans mon vieux carnet de pensées; je ne connais malheureusement pas l’auteur : «  Quand le rayon de soleil s’est posé sur la dernière fleur qui pointait sous la première neige, j’ai entendu un ange souffler : ESPÈRE! »

© Madeleine Genest Bouillé, novembre 2014

Pas déjà l’automne!

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C’est pas déjà l’automne!

Sur le calendrier,

Il reste encore deux semaines d’été…

 

Aujourd’hui, l’air sentait la pomme,

Quand je suis allée marcher.

Je vais faire ma confiture d’automne,

Pommes, poires, pêches et prunes sucrées.

 

confitures_c_thinkstockC’est pas vraiment l’automne!

J’ai bien regardé,

Il reste deux bonnes semaines d’été…

 

J’ai rangé ma petite robe en rayonne

Et plusieurs vêtements trop légers.

Si c’est pas l’automne, c’est tout comme!

Aujourd’hui les fenêtres sont demeurées fermées.

 

Voyons donc! Pas déjà l’automne?

À bien y penser,

L’été vient à peine de commencer…

 

On sent passer un petit vent qui frissonne

Et nous donne le goût de s’encabaner.

Comme ça serait bon, une tarte aux pommes,

Toute chaude avec de la crème glacée!

 

Ne me dites pas que c’est l’automne!

Certain, on s’est pas trompé?

Hier encore, c’était l’été.

 

IMG_20150907_0001Sors les « châssis doubles », mon homme!

Puis oublie pas de les calfeutrer.

Le chat fait des manchons et il ronronne

Ça sera pas long qu’il va y avoir une gelée!

 

Vraiment, il est bien là, l’automne!

C’est seulement sur le calendrier

Qu’on est encore en été…

 

© Madeleine Genest Bouillé, 8 septembre 2014

Beau, bon… pas cher!

IMG_20150731_0001Quand j’étais jeune, beaucoup de nouveaux produits de consommation étaient offerts sur le marché. De sorte que les ménagères possédaient tout plein d’appareils pour alléger leurs tâches quotidiennes, sans compter que tous ces produits étaient de plus en plus diversifiés. Si on ajoute à cela les aliments préparés dont la popularité ne cessait d’augmenter, on peut dire que le travail des maîtresses de maison devenait un peu plus aisé. Tout prenait moins de temps et comme on le sait, « le temps c’est de l’argent »!

IMG_20150730_0005La cuisine moderne 1940 que vous pouvez voir sur l’image ci-contre a certainement dû prendre quelques années avant de s’installer dans nos foyers campagnards. J’imagine mal ce concept très américain dans une de nos vieilles maisons. Le linoleum, les armoires, l’évier et le comptoir – qu’on appelait « pantry » – ont vite été adoptés dans nos cuisines, mais on a longtemps gardé le poêle à bois et la grande table au centre de la pièce, entourée d’autant de chaises qu’il y avait de personnes à asseoir. Une chose est sûre, le modernisme avait mis un pied dans la porte et il allait envahir le quotidien des familles québécoises.

Si quelques grand-mères continuaient de faire leur savon domestique au printemps, ce n’était plus que du folklore! Les jeunes femmes n’utilisaient ce savon que pour des grosses tâches comme le lavage des planchers. Pour la toilette, on achetait du « savon d’odeur », vendu en barres blanches ou de teintes pastel et enveloppées d’un beau papier. Pour la vaisselle et la lessive, il y avait le savon en paillettes qui était offert dans des boites de différents formats. On retrouvait tous ces produits au magasin général, en plus des brosses et des balais, de la peinture et des pinceaux, et tout plein d’objets hétéroclites. On y achetait évidemment de la nourriture, soit des conserves, des marchandises sèches, vendues en vrac ou en paquet ainsi que les denrées périssables qui étaient conservées dans la glacière.

IMG_20150730_0003Les grands magasins vendaient des vêtements à bas prix, si bien que ça coûtait quasiment moins cher que de les confectionner. Même chose pour le linge de maison : nappes, serviettes, linges de vaisselle qui se vendaient à la douzaine. Les ménagères étaient fières de garnir leurs étagères de ces piles de beau linge de couleurs variées… même si ces nouvelles acquisitions se révélaient par la suite pas mal moins durables que les linges tissés au métier! Les grosses chaînes de produits de nettoyage aussi bien qu’alimentaires rivalisaient de publicité et d’offres alléchantes. C’est ainsi que sont arrivées les « boîtes à surprise »! Quand on achetait une boîte de savon à vaisselle ou à lessive, on y trouvait en prime une serviette de différente grandeur selon le format de la boîte. Il arrivait qu’on offre aussi des pièces de vaisselle, soit une tasse, une soucoupe ou une assiette. Avec le temps, on pouvait se monter un trousseau! Certains aliments se vendaient dans des contenants réutilisables, tels les célèbres verres à moutarde Schwartz décorés de cœurs, piques, trèfles et carreaux. Plusieurs familles en possèdent encore… sinon on peut en trouver chez les antiquaires.

IMG_20150730_0004Pour inciter les cuisinières à acheter les nouvelles préparations alimentaires, les magazines présentaient des recettes préparées avec différents ingrédients, le tout illustré d’images alléchantes, telle celle-ci : « Qui dit RITZ dit chic! » En collation ou en entrée, c’était tellement pratique de servir ces petites biscottes avec à peu près n’importe quoi. Tout le monde les aimait, des tout-petits jusqu’aux grands-parents. Cette invention qui date d’environ soixante ans est toujours populaire même si, depuis, on a inventé tout plein d’autres biscottes de toutes formes et de différentes saveurs. Mais il faut avouer que les Ritz sont toujours de mode!

IMG_20150730_0001Est-il possible que vous n’ayez aucun produit de marque Heinz dans votre garde-manger? Cela serait surprenant. Les premières publicités de cette compagnie mentionnaient toujours le fameux chiffre 57… pour les 57 variétés Heinz! Comme il fallait vendre ces nombreux produits, on ne lésinait pas sur la publicité. On insistait surtout sur les mets prêts à cuire ou les soupes à réchauffer. On a dit du XXe siècle qu’il était le siècle de la vitesse, ça valait aussi pour la cuisine. Je termine avec cette image qui date de 1956. On y voit une fillette toute fière de servir à son papa un délicieux spaghetti Heinz. Voyez comme les parents sont contents! Une famille heureuse, grâce à une des 57 variétés Heinz! Comme image publicitaire, c’est aussi bien que ce qu’on nous passe à longueur de journée à la télévision. Sauf que ce qui nous semble beau, bon et pas cher, n’est pas toujours à la hauteur de nos attentes.

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

Ma mère et les framboises

Ma mère, Jeanne, et moi (été 1959).

Ma mère, Jeanne, et moi (été 1959).

Que serait l’été sans les petits fruits? Les fraises, framboises, bleuets et mûres… ce sont des cadeaux du ciel. C’est délicieux, c’est beau et ça sent bon! L’odeur que je préfère est celle des framboises; c’est l’odeur même de l’été. Et surtout, ce petit fuit aussi succulent qu’odorant me rappelle ma mère.

Maman est née un 20 juillet, justement au temps des framboises, petit fruit qu’elle aimait par-dessus tout. Maintenant, on trouve sur le marché tous les fruits et légumes à l’année longue. À l’époque où ma mère a élevé sa famille, on cueillait les fruits chacun en son temps, les fraises fin juin ou début juillet, les framboises vers la fin de juillet et les bleuets et les mûres, plus ou moins tôt en août, dépendamment de la température. Il en allait de même pour les récoltes du potager. On cueillait d’abord laitue et radis, ensuite les fèves puis les concombres, ensuite venaient les tomates et les cerises de terre, ce drôle de fruit caché dans un petit sac. Plus tard, on récoltait les légumes racines : carottes, betteraves et enfin, les patates. Tout au long de l’été, nous regardions pousser le maïs, nous l’espérions ardemment… on avait tellement hâte d’en manger! Les étés moins chauds ou pluvieux, on devait parfois attendre les derniers jours du mois d’août pour cueillir enfin les premiers épis. Du maïs, du pain, du beurre, ça nous faisait un repas, et quel repas!

Maman n’était pas gourmande, mais elle avait tout de même ses préférences, dont les framboises. Ayant élevé dix enfants, elle avait l’habitude de se servir en dernier, surtout quand il s’agissait du dessert. Il y avait toujours un jeune affamé qui réclamait : « Je peux en avoir encore un peu maman? » C’était le cas quand un dessert était particulièrement apprécié; alors maman se privait en disant qu’elle n’avait plus faim. Les petits goinfres autour de la table ne s’apercevaient de rien! Nous ne portions pas attention au fait que maman finissait son repas avec seulement une tasse de thé.

Ma mère et mon père (été 1955).

Ma mère et mon père (été 1955).

Mis à part l’orange et la pomme des bas de Noël et plus tard, l’ananas et la noix de coco – ces fruits que papa nous apportait de Montréal pour Pâques et qui étaient pour nous le comble de l’exotisme, la façon la plus courante de consommer les fruits en hiver, c’était sous forme de confitures. Ainsi, quand nous allions cueillir des petits fruits, la plus grande part de notre cueillette était donc destinée à être mise en pots. Quand je regardais les pots de confitures et de marinades alignés dans la dépense, j’avais l’impression que c’était un peu du soleil de l’été que nous conservions ainsi… Encore aujourd’hui, ça me fait toujours le même effet! Avec les fruits tout frais cueillis, maman faisait aussi des tartes, même s’il fallait pour cela chauffer le poêle à bois par les jours de grande chaleur, mais cela en valait largement la peine. Les années où les récoltes étaient très abondantes, on se permettait quelques bols de fruits nature, avec du sucre et un peu de crème, qu’on prélevait sur le dessus de la pinte de lait, un pur délice! Évidemment, l’anniversaire de maman était l’occasion idéale pour savourer des framboises, d’une manière ou d’une autre. C’était une des rares gourmandises que nous lui connaissions. Et c’est ainsi que, dans mon souvenir, les framboises sont restées associées à ma mère.

Lors de notre 30e anniversaire de mariage à l'été 1994, deux ans avant que maman nous quitte...

Lors de notre 30e anniversaire de mariage à l’été 1994, deux ans avant que maman nous quitte…

Plus tard, après que la marmaille eut tour à tour, quitté la maison, le jour de la fête de maman, nous ne manquions pas de lui apporter un contenant de framboises qu’elle pouvait déguster à sa guise, sans se sentir obligée d’en laisser pour les autres. Quand on lui souhaitait « Bonne Fête » » avec des framboises à chaque 20 juillet, sa joie faisait tellement plaisir à voir! En 1996, elle était très affaiblie, son cœur trouvait qu’il avait assez travaillé. Elle était presque toujours alitée et ne mangeait que très peu, mais le jour de sa fête, quelqu’un lui a quand même apporté un petit contenant de ses fruits préférés. Elle avait tenu à se lever, pour recevoir sa famille et je la revois, toute menue, dans sa chaise près du poêle. Quand elle a reçu ses framboises, elle nous a offert son plus beau sourire, elle a goûté quelques fruits… et elle s’est recouchée après avoir salué chacun des membres de sa famille. Maman nous a quittés deux semaines plus tard, tout doucement, sans bruit… comme elle avait vécu.

© Madeleine Genest Bouillé, février 2015