Un papillon bleu

Souvenir de 1952.

J’aime les épinglettes, et j’en ai beaucoup. Mes plus anciennes datent des années quarante. Plusieurs de ces bijoux représentent des papillons. J’ai un faible pour les papillons, voici pourquoi…

Ma première épinglette « papillon » m’avait été offerte par mon père pour ma Profession de Foi. Cet évènement qu’on appelait aussi Communion solennelle, était une étape importante dans la vie des écoliers et écolières du temps jadis, j’en parle d’ailleurs dans la première partie du texte Aurore. Cette année-là, la cérémonie prévue pour le jeudi de l’Ascension, le 15 mai, avait lieu au couvent. Malheureusement, comme la fête avait lieu en milieu de semaine, mon père ne pouvait pas être présent puisqu’il travaillait à Montréal. Il m’avait écrit une belle lettre comme il savait si bien le faire. Et il y avait joint un petit présent, le plus précieux que j’ai reçu à cette occasion. Il s’agissait d’une épinglette en forme de papillon émaillé de bleu, en argent sterling. Je voyais le mot « sterling » pour la première fois et ça m’impressionnait. Mon père avait acheté le bijou à l’Oratoire Saint-Joseph; une minuscule médaille de saint Joseph était insérée au centre. Dans sa lettre, papa m’avait recommandé de prendre grand soin de mon épinglette, car c’était un bijou « de qualité » et surtout parce qu’il l’avait fait bénir à l’Oratoire.

Mes parents, Julien Genest et Jeanne Petit

Mes parents, Julien Genest et Jeanne Petit

Mon père avait de ces attentions. Il n’était pas riche, c’était un simple ouvrier qui travaillait dur… un ouvrier avec une âme de poète; il avait écrit entre autres choses, un Chemin de Croix et une Méditation sur les Mystères du Rosaire. C’était aussi un ouvrier qui chantait de bien jolies chansons; quand je pense à lui, je l’entends chanter la Sérénade de Toselli : « Viens, le soir descend… et l’heure est charmeuse ». Non, il n’était pas riche, mais il aimait faire de beaux cadeaux. Il avait du goût et savait découvrir le « petit quelque chose » de qualité qui ferait plaisir à coup sûr. J’ai souvenir de quelques présents qu’il avait offert à ma mère, telle cette miniature encadrée, représentant un charmant paysage hivernal. Et surtout un petit flacon de parfum « Soir de Paris ». Des années plus tard, on a retrouvé la petite bouteille, vide depuis longtemps, dans le tiroir de la coiffeuse de maman.

Comme je l’ai mentionné déjà, mon père a travaillé à Montréal et ce, durant plusieurs années. Quand il venait à la maison, c’était de la grande visite. Loin d’être un père sévère, il jouait avec nous, les plus jeunes. Il nous chantait des chansons, il aimait nous faire rire. L’été pendant les vacances, il nous emmenait nous baigner au fleuve. D’une patience inlassable, il répondait à nos nombreuses questions; s’il nous reprenait parfois, c’était sans élever la voix. Je ne me souviens pas de l’avoir vu en colère… sauf beaucoup plus tard, pendant les dernières années de sa vie, alors qu’à la suite d’un accident, il était devenu impotent, cloué dans un fauteuil pendant dix-neuf longues années. S’il lui arrivait alors de perdre patience, c’était compréhensible. Pour retrouver son calme, il priait. Il a toujours beaucoup prié.

Chaque année, le 15 mai. Je me souviens… Je revois le petit papillon bleu que j’ai malheureusement perdu un jour, je ne me souviens plus quand, n’étant pas très soigneuse dans mon jeune temps! Et j’ai une tendre pensée pour ce père que j’aurais tellement aimé connaître mieux, mais qui demeure dans mon souvenir, un homme de qualité.

© Madeleine Genest Bouillé, février 2015