La rentrée…

En faisant du ménage, j’ai retrouvé un vieux cahier d’école. Je l’avais conservé parce que c’était un cahier de rédactions. Je n’ai gardé aucun livre ou cahier concernant les mathématiques, étant donné que c’était mon cauchemar!

À la date du 15 septembre  1955, j’étais en 10e année;  j’avais rédigé  ce texte qui avait justement pour titre : « La rentrée ».

« Nous sommes au matin du 7 septembre. Aujourd’hui c’est la rentrée. Finies les vacances! Finies les longues promenades et les excursions! Maintenant c’est la classe avec l’étude, les leçons, les devoirs. Mettons-nous-y avec ardeur pour une meilleure année scolaire. »

On dirait une publicité pour du matériel scolaire, mais je continue!

« Nous voilà dans la cour de l’école. Les élèves arrivent, quelques-unes en se traînant les pieds, la plupart en chantant et en riant. Les premières pensent encore à tout ce qu’elles viennent de quitter: «  Ah! Si les vacances pouvaient durer plus longtemps », dit Huguette » – « Finies les baignades, les jeux de toutes sortes », réplique Diane. Et l’on continue de regretter les vacances sans penser aux joies du retour, joie de se retrouver entre camarades. Comme c’est bon tout cela!  Les autres n’ont pas le temps de regretter : il y a tant de choses nouvelles. Premièrement la nouvelle maîtresse: «  Comment est-elle ?», questionne Pierrette, « Sera-t-elle sévère? » demande Aline, toujours craintive. Et les questions se poursuivent. Naturellement on regrette un peu l’ancienne maîtresse : « Elle était si gentille », dit Claudette. »

Et la rédaction continue; on énumère les matières scolaires, celles qu’on aime et celles qui nous donnent du fil à retordre. Comme je l’ai écrit dans ce texte :  « …jusqu’à ce que la cloche nous surprenne en train de bavarder. » Et alors je décrivais la classe, où je venais de passer deux années, toute rafraîchie, propre, le plancher reluisant… pas pour longtemps! Il semble que la statue de la  Sainte Vierge avait une nouvelle parure de fleurs – certainement des fleurs en papier  faites par les religieuses. On n’était pas encore à l’ère des fleurs en plastique.

 Je poursuis : « Maintenant, vous voulez  mes impressions: les voilà!  Je vous dirai bien en toute franchise que j’ai passé de très belles vacances, mais que je suis très heureuse de recommencer, parce que, à la longue, voyez-vous, les vacances, ça deviendrait monotone. »  Oui, c’est bien vrai, j’ai écrit cela!  Qu’est-ce qu’on ferait pas pour obtenir des bonnes notes!

Il fallait bien parler de la nouvelle religieuse: « Revenons aux élèves qui sont accueillies chaleureusement par leur nouvelle maîtresse. Tout de suite, elle fait bonne impression sur les élèves et nous avons confiance en l’avenir. »

Je terminais avec ceci: « Agenouillons-nous pour la prière du matin : Pater, Ave, invocation. On se relève pour offrir la nouvelle année scolaire au Saint-Esprit en chantant ::« Ô Saint-Esprit venez en nous, embrasez notre cœur de vos feux les plus doux. »

J’avais reçu un beau 85% et une note  qui disait: « Beau travail… surveillez l’écriture! »

Il y a de cela 64 ans!  Bonne année scolaire à vous tous, étudiants, parents et professeurs!

© Madeleine Genest Bouillé, 1 septembre 2019

Congés d’hier et d’aujourd’hui

Nous voilà enfin en février… petit mois court, mais parfois « rough and tough », si vous me passez l’expression. C’est curieux, dans mon jeune temps, il n’y avait pas grand monde qui pouvait se vanter d’être bilingue, pourtant on assaisonnait notre parler avec tout plein d’expressions anglaises, comme justement ces deux adjectifs, « rough » et « tough », qui étaient presque toujours accolés, sans doute pour leur donner plus de poids.

Soirée de Mardi gras à l’école du village en 1968 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Pour en venir aux congés, les étudiants du primaire et du secondaire débutent justement ce mois avec un congé. Quelqu’un me faisait remarquer ceci : « Ils sont toujours en congé!  Et dans un mois, ce sera la semaine de relâche! »  C’est certain que si on compare notre calendrier scolaire avec celui de maintenant, nous avions pas mal plus de jours de scolarité. Tout d’abord, comme je l’ai déjà mentionné, les congés de tempête n’existaient pas.  Pour fermer les écoles, il devait faire un temps « à ne pas mettre un chien dehors », et si la « maîtresse » résidait à l’école, elle pouvait recevoir les enfants qui demeuraient dans le voisinage.  Évidemment, le couvent était toujours ouvert; si parfois, en raison de la température, il n’y avait que peu d’élèves à part les pensionnaires, les religieuses donnaient des cours de rattrapage ou des périodes d’étude. La plupart de nos congés étaient définis par les fêtes religieuses; donc, après les Fêtes de Noël et du Jour de l’An, ça allait aux « Jours Gras », lesquels marquaient la fin des réjouissances hivernales. Il y a quelques jours, j’évoquais justement ces fameux « Jours Gras » devant une jeune femme dans la quarantaine, laquelle, étonnée, m’a demandé : « C’était quoi ça, des Jours Gras? »

J’ai déjà abordé ce sujet, mais il me plait d’y revenir… que voulez-vous, en vieillissant, on a tendance à se répéter, surtout que d’une fois à l’autre, il nous revient de nouveaux détails qu’on avait oubliés la fois d’avant. La vie quotidienne des gens d’autrefois était marquée par des fêtes qui étaient toutes inscrites au calendrier. On débutait l’année avec le Jour de l’An et les Rois, le 6 janvier.  Après un temps plus ou moins long selon la date de Pâques, qui varie entre le 24 mars et le 25 avril environ, venaient les fameux Jours Gras : dimanche, lundi et surtout mardi, dernier jour où tout – ou presque – était permis. Boustifaille, boisson – pas trop quand même! – déguisements, danse, la fête, quoi! Le Mardi Gras était beaucoup plus une fête pour les adultes que pour les enfants. Nous nous contentions d’assister à ces visites de personnages barbouillés, vêtus de guenilles, et qui allaient de maison en maison, riant, chantant et, à mesure que la veillée avançait, titubant plus ou moins selon la générosité des hôtes où ils avaient été reçus! Évidemment, nous profitions des friandises et pâtisseries offertes à ces visiteurs qui se comportaient parfois comme de vrais enfants.  Les réjouissances devaient se terminer à minuit tapant! Car il fallait être à jeun depuis minuit pour communier à la messe du Mercredi des Cendres… célébration où le prêtre, plus sérieux que jamais, nous rappelait d’une voix grave que « nous sommes poussière et que nous retournerons en poussière »!

Le Mardi-gras à la campagne, illustration de Edmond-J. Massicotte. Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2895476.

Et alors nous entrions en Carême. Ce temps liturgique qui évoque les 40 jours que Jésus passa dans le désert pour se préparer à sa vie publique, était à l’époque un temps de jeûne et de pénitences. Pénitences… mot évocateur de punitions, de sacrifices, de privations.  Un mot qui n’est plus beaucoup utilisé! Les adultes, à compter de 21 ans, devaient jeûner; le jeûne ne se pratiquait pas toujours de la même façon. Certaines familles plus « à cheval sur les principes » exagéraient, allant parfois jusqu’à peser leur assiette, le poids du repas principal ne devant pas dépasser celui des deux autres repas ensemble. Selon les sermons du curé, lesquels n’avaient pas tous la même notion du mot « sacrifice », et selon les familles où on avait la conscience plus ou moins étroite, on s’imposait des privations qui étaient parfois sévères. Pour nous, les enfants, il était recommandé de faire des sacrifices.  On nous le rappelait assez souvent, merci! On nous exhortait à assister à la messe en semaine, bien entendu si nous demeurions assez près de l’église. Il était conseillé de rendre de petits services à la maison, comme d’aider les plus jeunes frères et sœurs; la corvée de pelletage étant dévolue aux garçons de même que celle de la vaisselle était réservée aux filles! « Chacun son métier », comme disait ce cher Alphonse Daudet à propos de la chèvre de Monsieur Seguin!

Dans les dernières années où ma mère vivait, je passais mes lundis avec elle et elle me racontait les coutumes d’autrefois. À propos des privations du Carême, elle m’avait confié ceci : « Nous n’étions pas riches, aussi je ne vois pas pourquoi j’aurais privé ma famille de nourriture, déjà que nous n’en avions pas trop. » Pour ce qui était des bonbons, nous n’en avions pas à la maison, sauf de temps à autre, les jours de fête ou quand papa venait en congé et qu’il apportait des friandises. Inutile d’ajouter qu’il n’y avait pas de congé d’école durant le Carême. Même au couvent, où quand nous recevions la visite de la Mère Supérieure provinciale ou générale, nous avions droit à un congé qui s’ajoutait quelque part dans le calendrier. Quand ces visites avaient lieu durant l’hiver, le congé viendrait rallonger les vacances de Pâques ou le congé de l’Ascension. Vraiment, il était long l’hiver!  Heureusement qu’il y avait la patinoire, les glissades, les bancs de neige pour faire des forts et… de beaux glaçons à décrocher du bord des toits!

Patinoire Johansen, 1956.

© Madeleine Genest Bouillé, 2 février 2018

Petite annonce… Perdue: enfance.

J’ai perdu mon enfance…
Dans un autobus jaune orange.

J’avais entre cinq et six ans
Mes parents étaient bien contents!

J’étais maintenant un grand garçon
J’allais enfin apprendre ma leçon.

J’ai perdu mes dents de lait; j’ai grandi.
J’ai appris à compter jusqu’à samedi.

J’ai changé de classe, j’ai monté d’années
Ma vie se passait dans les escaliers.

D’une école à l’autre, je me suis trimballé,
Passé tous les examens, repassé, trépassé!

Un matin d’automne, j’ai cherché mon enfance;
J’ai dû l’oublier dans l’autobus jaune orange.

On m’a dit : « Mon gars, tes études sont finies.
Tu vas travailler; tu vas gagner ta vie! »

Docile, je m’en vais travailler.
Très fort! Je vais aller gagner

De quoi me racheter une enfance.
Savez-vous où ça se vend?

 

© Madeleine Genest Bouillé, septembre1981

L’école en d’autres temps

« Les choses ont bien changé… Dans mon temps… »

Plus on avance en âge et plus souvent on se surprend à répéter cette phrase! Par un beau matin, il y a quelques jours, nous étions en auto à l’heure où, un peu partout sur le bord de la route, on voyait des écoliers en attente de l’autobus. En bons grands-parents, on fait la remarque : « Mais ils ont donc de gros sacs à dos! Et comme ça semble lourd! » Et on ajoute : « Ils vont avoir mal dans le dos, plus tard! » C’est vrai qu’ils en transportent des affaires dans ce sac! Pour avoir souvent gardé nos petits-enfants – ce n’est certes pas fini! –  j’ai appris qu’à l’école primaire, en plus des effets scolaires, il y a dans le sac d’école le contenant du dîner et les deux collations, chacune dans son emballage. À l’école secondaire, même  s’ils prennent leur repas à la cafétéria, les sacs sont quand même toujours aussi remplis.

img_20160908_0001Quand j’étais étudiante,  j’étais externe, c’est-à-dire que je me rendais à pied au couvent, où j’ai fait toutes mes études. C’était bien différent de ce que nos jeunes vivent maintenant. D’abord, si le sac d’école était très léger au cours des premières années, il s’est alourdi petit à petit à partir de la  6e année. Les cours commençaient à 8 heures 20  et la classe finissait à 11 heures moins 10. Je retournais dîner à la maison; à midi trente, j’écoutais le début de l’émission radiophonique Le Réveil rural, avec le thème musical dont je me souviens très bien : « C’est le réveil de la nature… tout va revivre au grand soleil… » Une très belle chanson! Mais je reviens à mes moutons, c’est-à-dire, au couvent : à 1 heure moins 10, la cloche sonnait et nous retournions chacune à nos classes, les cours se terminant à 4 heures moins 10. Les grandes de l’Académie – élèves de la 8e à la 12 année – avaient une période d’étude de 4 heures 20 à 5 heures 20.  Durant la demi-heure qui précédait l’étude, les pensionnaires descendaient au réfectoire (on appelait ainsi la salle à manger) pour prendre une collation qui consistait généralement en une tartine de mélasse… sans doute que ce modeste goûter devait être accompagné d’un breuvage. Pour  la plupart des externes, en hiver ou quand la température était moins clémente, nous descendions au vestiaire, pour jaser et déguster le petit « en-cas » qu’on avait apporté de la maison. Quand il faisait beau, on se promenait dans la rue de l’Église et on allait parfois acheter quelques friandises au petit magasin de Mademoiselle Corinne Paris – aujourd’hui la Boulangerie « Soleil levain ».

sainte-enfance_jean_webParlant de friandises, il faut que vous raconte une de mes mésaventures. À l’époque, il existait beaucoup d’œuvres de bienfaisance destinées aux pays qu’on disait « sous-développés » – et qu’on appelle maintenant « en voie de développement ». Dans la même veine, plusieurs congrégations envoyaient des religieux et religieuses pour enseigner et soigner les gens dans ces contrées démunies tout en faisant connaître les bienfaits du christianisme. Les missionnaires avaient besoin d’être soutenus financièrement non seulement par leur communauté, mais aussi par les gens de leur pays, leur village natal. La religieuse qui était titulaire de l’Académie avait justement une sœur qui était missionnaire au Japon. Nous étions donc fortement incitées à contribuer aux œuvres missionnaires, surtout à la « Sainte-Enfance ».  Pour chaque pièce de 10 ou 25 sous, nous recevions une petite carte portant la photo d’un enfant de race noire ou asiatique. On disait qu’on « achetait » un petit noir ou une petite chinoise. On leur donnait un prénom… et c’était à qui aurait le plus d’enfants chinois ou africains!

acfa0Ma famille n’étant pas des plus fortunées, je ne donnais pas beaucoup de sous pour la « Sainte-Enfance », et on me le rappelait un peu trop souvent à mon goût. Surtout que, quand enfin j’avais un petit pécule, il était bien tentant d’utiliser ces quelques sous pour acheter une friandise chez Mademoiselle Corinne. Eh oui! Vous me voyez venir… Un beau jour de mai, il faisait beau, on approchait de la fin de l’année scolaire. J’avais reçu un beau 10 cents, pour je ne sais quel service rendu; on m’avait fortement conseillée de le donner pour la Sainte-Enfance. Mais voilà! Mes amies allaient toutes au petit magasin avant l’étude, j’y suis allée et… je n’ai pas résisté à l’envie de me payer une délicieuse Caramilk. Tout se savait dans cette sainte institution! J’aurais dû m’en douter… ma faute a été dénoncée à notre professeur. J’ai été réprimandée en pleine classe; j’ai reçu une punition, je ne sais plus laquelle, et bien entendu, mon nom a été effacé du tableau d’honneur! Jusqu’à la fin de l’année, fuyant la tentation, je ne suis plus retournée chez Mademoiselle Corinne… mais je n’ai pas non plus acheté ni petit chinois, ni petit noir!

© Madeleine Genest Bouillé, 10 septembre 2016

Mon vieux sac d’école

Autant le dire que le penser : je n’aime pas la rentrée! Du plus loin que je me souvienne, je n’ai jamais eu hâte que l’école recommence. Ni pour moi, ni pour mes enfants quand vint leur tour. Je crois que j’ai trouvé d’où ça vient.  Voici,  j’étais en 4e ou en 5e année. Chose certaine, je n’étais plus dans la classe des petits –  la classe des  1ère, 2e et 3e années, celle de Mère Ste-Flavie. On m’avait acheté un sac d’école tout neuf pour la rentrée. Auparavant, j’avais eu des petits sacs en imitation d’imitation de cuir – du carton, en fait. Tout juste si ça faisait l’année scolaire. Mais là, j’avais un vrai sac qui devait me durer tout au long de mes années d’études… et il a duré!

Maison de mon grand-père, Edmond "Tom" Petit, en 1903.

Maison de mon grand-père, le cordonnier Edmond « Tom » Petit, en 1903.

C’était un énorme sac en vrai cuir noir, épais, sans aucune garniture, avec un compartiment pour le coffre à crayons et deux longues courroies. Je le revois encore, je sens son odeur : la même que celle qui régnait dans la boutique de cordonnerie de mon grand-père. Je me souviens de la texture rugueuse, laquelle s’est je l’avoue, adoucie à l’usure. Quand j’étais petite, je n’étais pas grande et ce sac presqu’aussi gros que moi me battait les mollets à chaque pas. J’étais très timide et je me sentais ridicule avec mon  grand sac pas comme celui des autres petites filles.

Mon sac a vieilli avec moi; il était moins disproportionné à mesure que je grandissais. Mais s’il ne s’usait pas, à la longue, il était devenu encore moins beau – l’avait-il déjà été? Il m’a suivie tout au long de mes années d’études. Et je suis bien certaine maintenant qu’il a effacé pour moi les quelques charmes que pouvait avoir la rentrée scolaire.

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Au couvent, nous portions un uniforme. Au cours des premières années, il s’agissait d’une robe noire à manches longues, avec jupe à plis plats, la seule décoration étant une fine bordure blanche, de dentelle ou de toile, à l’encolure et au bord des manches.  Il va sans dire que cette garniture se devait d’être toujours immaculée… il fallait donc la découdre souvent pour la laver et la repasser et ensuite la recoudre à petits points, à la main, vous pensez bien! Plus tard, nous avons porté la tunique grise avec chemisier blanc, manches longues, toujours, et le « blazer » marine.  C’était ce qui se faisait de plus moderne!

Mado 1951L’uniforme était pratique en ce sens qu’il avait l’avantage de réduire la possibilité de compétition en matière de vêtements pour les filles surtout. Ainsi, les seules  nouveautés qu’il nous était permis d’exhiber à chaque début d’année étaient les cahiers, crayons et surtout un nouveau sac d’école! Comme j’enviais mes compagnes de classe qui arrivaient en septembre avec un beau sac coloré, décoré de bandes contrastantes, un sac à la mode! J’ai bien essayé de trouver de bonnes raisons pour demander un sac neuf, mais ça ne marchait jamais. On me disait : « Tu as le meilleur sac qui soit, c’est du bon cuir de vache; ces petits sacs à la mode, c’est bon à rien! »  Hélas, dans mon temps, les parents avaient toujours raison!

À la fin de mes études, je l’ai caché bien loin au grenier. Quelques années après mon mariage, ma mère ayant trouvé le fameux sac, me le remit en disant d’un air amusé : « J’ai trouvé ton sac d’école… je me suis dit que tu devais bien vouloir le garder en souvenir ». J’avais laissé dedans  plusieurs livres et cahiers. J’ai fait disparaître le manuel de mathématiques et j’ai gardé les autres, surtout mon livre de Lectures littéraires, et mes cahiers de rédaction. Quant au sac, je l’avais si bien rangé que lors de notre déménagement en 1971,  je l’ai oublié!

C’est de l’histoire ancienne, mais il fallait que je vous la raconte. Si mes enfants ont manqué de motivations pour la rentrée scolaire, c’est assurément la faute de mon vieux sac d’école…

© Madeleine Genest Bouillé, 19 août 2016

(Tiré d’un texte rédigé pour l’un de mes livres).

Congés d’école

Classe de Mère Sainte Flavie, au couvent, 1961.

Classe de Mère Sainte-Flavie, au couvent, 1961.

Je regardais le calendrier scolaire de mes petits-enfants qui sont à l’école primaire ou secondaire et je remarque que les « congés d’école », comme on disait dans mon jeune temps, n’ont rien de commun avec ceux qui nous étaient alloués. Les étudiants d’aujourd’hui ont des journées pédagogiques ou encore des journées prévues pour d’éventuelles tempêtes, qui certains hivers, deviennent finalement des congés tout court, faute de tempêtes! Et puis, il y a aussi des congés de grève… de mon temps, la seule grève qu’on connaissait était celle qui s’étend sur le bord du fleuve et où on allait jouer par les beaux jours d’été! Ils ont évidemment des congés à l’occasion de toutes les fêtes du calendrier. L’année scolaire est ainsi découpée d’une façon assez régulière. Si on ajoute à cela la semaine de relâche, nos jeunes sont, selon moi, assez choyés.

Église Saint-Joseph, le jour de la Toussaint 1963.

Église Saint-Joseph, le jour de la Toussaint 1963.

Dans les années 50, mes belles années d’étudiante, la plupart des congés étaient distribués selon le calendrier des fêtes religieuses. Tout d’abord, je dois dire que l’année scolaire ne commençait jamais avant la fête du Travail; il aurait été impensable d’aller à l’école avant le mois de septembre! Le congé de l’Action de Grâces a été décrété seulement en 1957, soit au cours de ma dernière année au couvent. Auparavant, nous n’avions donc pas de congé avant celui de la Toussaint, le 1er novembre, qui était suivi du Jour des Morts, le 2 novembre. Selon les jours de la semaine où tombaient ces fêtes, nous avions donc deux ou trois jours de congé. On ne fêtait pas l’Halloween, c’était une fête pour nos voisins Américains. On en entendait parler, on découpait les masques imprimés au dos des boites de Corn Flakes, mais on fêtait plutôt la Sainte-Catherine le 25 novembre, où la coutume était de déguster de la tire à la mélasse… friandise qu’on étire et qu’on étire et qui était fort appréciée des grands autant que des petits!

École de rang, près du #106, 2e Rang de Deschambault (coll. CARP).

École de rang, près du #106, 2e Rang de Deschambault (coll. CARP).

Dès le début de décembre, nous rêvions déjà aux vacances de Noël! Deux semaines de congé, ça mérite le nom de vacances. La longueur de ce congé était sensiblement la même que maintenant, sauf que comme la fête des Rois, le 6 janvier, était « fête d’obligation », c’était considéré comme un dimanche. Alors l’école ne recommençait jamais avant le 7 janvier. Tout comme pour les écoliers d’aujourd’hui, on trouvait que le congé des Fêtes était bien trop court. Lors des Jours Gras, il n’y avait pas de congé, mais le Mardi Gras, on se costumait après l’école et on allait chez les voisins faire cueillette de bonbons. Mais c’était surtout les adultes qui, en soirée, fêtaient le Mardi-Gras, costumés et déguisés… fête qui devait cesser à minuit tapant, puisque le lendemain c’était le mercredi des Cendres! Avec le Carême, nous entrions dans la plus longue période de l’année sans congé. Les congés de tempête étant inexistants, nul besoin de dire que l’hiver était long, long, long! Qu’est-ce qui se passait d’après vous quand il y avait une tempête? Les professeurs des écoles, avaient, soit un logement dans l’école même, ou encore ils demeuraient dans le voisinage de l’école. Les religieuses vivaient dans leur couvent. Les jours de mauvais temps, les professeurs enseignaient avec les élèves qui étaient présents, en évitant de donner des travaux importants, ce qui aurait eu pour effet de pénaliser les absents. Pour fermer une école, ça prenait toute une tempête!

Ma Profession de foi en mai 1952.

Ma Profession de foi en mai 1952, au couvent.

La fête de Pâques, la seule fête fixée selon le cycle lunaire, peut avoir lieu aussi tôt que le 24 mars et aussi tard que le 25 avril. Les années où Pâques arrivait à la fin d’avril, inutile de préciser que c’était le congé le plus attendu de l’année! Nous n’avions jamais moins que cinq jours, les jeudi, vendredi et samedi avant Pâques étant des « jours saints », avec office à l’église, de même que le jour de Pâques. Quarante jours après Pâques, c’était la fête de l’Ascension, toujours un jeudi, ce qui nous valait un congé de quatre jours. Très souvent, c’était lors de cette fête qu’avait lieu la Profession de Foi des élèves de 6e année. Et on finissait ainsi par arriver à la fin de l’année, qui se terminait le 20 ou le 21 juin, selon le jour de la semaine.

Nous avions aussi des congés en surplus, toujours tellement bienvenus! Dans toutes les écoles, lors de la visite de monsieur l’Inspecteur, celui-ci donnait congé de devoirs et de leçons et souvent une demi-journée ou une journée complète à prendre le jour même ou le lendemain, comme il convenait à l’instituteur ou l’institutrice. Au couvent, nous étions choyés, car nous avions en plus les visites des Supérieures provinciale et générale, qui nous valaient un congé à ajouter, soit à Pâques ou à l’Ascension. On acceptait ces congés-là comme de véritables cadeaux!

De tout temps, les « congés d’école » ont toujours été bien accueillis… Preuve que les écoliers n’ont pas changé tant que ça au fil des années!

© Madeleine Genest Bouillé, novembre 2015

« Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école? »

Vous rappelez-vous cette chanson? La réponse était dans le refrain: « C’est ce sacré Charlemagne! » C’est qu’il avait de drôles d’idées, ce Charlemagne, mais il faut avouer que la fois où il a imaginé l’école – si tant il est vrai que c’est à lui qu’on doit cette invention – c’en était une bonne!

Mon frère André, en 1949.

Mon frère André, en 1949.

Les études coûtaient cher autrefois… Dans les familles nombreuses comme la nôtre, on ne pouvait pas songer à faire de longues études. Mais nos parents tenaient à ce qu’on termine au moins des études équivalentes à ce qu’on appelle aujourd’hui le niveau secondaire. Parmi les plus jeunes, quelques-uns se sont rendus plus loin. Tous, nous avons donc été encouragés à étudier; les devoirs et les leçons ne devaient pas être négligés, les bulletins étaient soigneusement examinés et signés. Charlemagne serait content, nous avons tous été à l’école!

Notre mère en a passé du temps devant sa machine à coudre à défaire des vêtements ayant appartenu à mon père, pour en faire des habits pour ses nombreux garçons! Elle en a confectionné des chemises, elle en a rallongé des pantalons! Pour les filles, c’était plus facile; au couvent, nous portions la robe noire, inusable, à laquelle on avait d’abord fait un large bord pour pouvoir la rallonger l’année suivante! Elle a souvent du racler les fonds de tiroirs pour chausser tout ce petit monde et acheter les fournitures scolaires… Comme beaucoup de mères à cette époque, maman faisait des miracles parce qu’elle n’avait pas le choix. Vraiment, Charlemagne n’aurait rien à redire!

Ancienne école. L'actuelle école Du Phare a été construite juste à l'arrière en 1950-51.

Ancienne école. L’actuelle école Du Phare a été construite juste à l’arrière en 1950-51.

Mes grands frères ont connu la vieille école en pierre qui était située un peu en avant de l’école actuelle. Cette bâtisse était divisée en deux classes, la classe des petits, garçons et filles, et la classe des grands, les garçons de la 7e à la 10e année. En 1951, on construisit une école neuve; les plus jeunes de la famille y ont tous étudié. Cette école a été agrandie par la suite lors de la réforme scolaire, en même temps qu’on inaugurait le transport par autobus. Ça, je crois que Charlemagne ne l’avait pas prévu!

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Depuis que le système scolaire qu’on connait existe, le retour à l’école a toujours été un moment important pour les jeunes, qu’il s’agisse des petits qui commençaient leur vie d’écolier ou des plus grands qui changeaient de classe et aussi de professeur. Quand nous étions jeunes, que ce soit à l’école du village, dans les écoles des rangs ou au couvent, la rentrée n’avait jamais lieu avant la Fête du Travail. Le mois d’août, ce n’était pas fait pour aller à l’école! Un bon matin au début de septembre, tout le monde prenait le chemin pour l’un ou l’autre établissement scolaire, où nous attendait l’une des « maîtresse d’école » ou encore, pour les grands, le professeur, Côme Houde. Au couvent, les plus jeunes étaient reçus par Mère Sainte-Flavie et les autres, par une autre religieuse, je me souviens des titulaires de chacune des classes où j’ai étudié : Mère Saint-Joseph-Omer, Mère Sainte Reine-Odette, Mère Saint Jean-du-Saint-Sacrement et Mère Saint-Gérard. Des saintes femmes, comme leur nom l’indiquaient… bien que pas toutes rendues au même stade de la sainteté! Enseigner, ça peut conduire à la sainteté, ou vous en éloigner à jamais, n’est-ce-pas, Sire Charlemagne?

Moi, étudiante au couvent, en 1951...

Moi, étudiante au couvent, en 1951…

On se lamentait bien un peu, pour la forme; on disait qu’on n’avait pas envie de retourner à l’école, que c’était plate, etc… Mais au fond, on avait tout de même un peu hâte de savoir s’il y aurait des « nouveaux », des « nouvelles ». Et puis, comme on avait forcément une année de plus, ça faisait plaisir de se sentir plus grand… on regardait de haut les « petits » en oubliant qu’on était à leur place il n’y avait pas si longtemps! Le retour à l’école comportait certaines autres petites joies, par exemple, quand on pouvait exhiber un nouveau sac d’école ou faute de mieux, un coffre à crayons tout neuf. Une boite de crayons Prismacolor, ça faisait aussi son petit effet. On retrouvait des amis qu’on n’avait pas vus durant l’été et, ce qui n’était pas négligeable, on allait apprendre tout plein de choses nouvelles, selon la matière qu’on préférait. Avouons-le, qu’aurait-on fait, douze mois par année, si l’école n’avait pas été inventée? C’était une drôle d’idée, mais à bien y penser, c’en était une bonne. Merci Charlemagne!

© Madeleine Genest Bouillé, septembre 2015

Pour en savoir davantage sur les écoles à Deschambault, je vous invite à consulter le Musée virtuel du 300e, créé en 2013 par Culture et patrimoine Deschambault-Grondines.

« M’man, j’sais pas quoi faire! »

Le mois d’août s’achevait tranquillement, pas vite, avec des soirées de moins en moins longues. Déjà les hirondelles avaient fait leurs adieux, juchées sur les fils électriques en rangs serrés, prêtes pour le départ. Pendant ce temps, à la maison, mes jeunes frères se traînaient d’une chaise à l’autre en clamant sur tous les tons : « M’man, j’sais pas quoi faire! » Il n’y avait pourtant pas si longtemps qu’ils avaient garroché leur sac d’école au fond d’un placard par un bel après-midi de juin en hurlant de joie : « Hourra! L’école est finie! »

Mon frère Fernand, en vélo dans la rue Saint-Joseph,1958.

Mon frère Fernand, en vélo dans la rue Saint-Joseph,1958.

Avec toute la bonne volonté du monde, maman disait : « Les autres p’tits gars, qu’est-ce qu’ils font? D’habitude, vous jouez ensemble… » Il s’en trouvait toujours un pour répondre : « On n’a plus rien à faire! » Alors maman suggérait des choses  comme aller corder du bois tandis qu’il fait beau : « On en a cordé hier, en masse! »… Ramasser les patates dans le jardin : « Ah non! Pas ça! »… Aller se baigner, pendant qu’il fait encore assez chaud : « La mer est trop basse, ça adonne pas. » Ah oui! Vraiment, on était rendus à la fin d’août! Les jeux qui semblaient inépuisables au début des vacances n’intéressaient plus personne. On avait joué à la balle des soirées entières, on avait même cassé une vitre dans la fenêtre du hangar… moins grave que si ç’avait été une fenêtre de la maison. On avait joué aux « Quatre-Coins », au « Cinquante »; à ces jeux-là, les plus petits pouvaient jouer, ce qui finissait par ennuyer les plus grands. On avait joué à « En bas de la ville », dans la côte près du gros orme; on avait tellement de plaisir à ce jeu! Mais il y en avait toujours un qui déboulait en bas de la côte ou qui se faisait mal et qui « chialait », alors il fallait arrêter. Cet été-là, on avait surtout joué aux cow-boys et aux Indiens. Fernand avait pris des photos des combats avec le kodak qu’il avait eu à sa fête et c’était comme si on tournait de vrais films, pareil comme dans The Lone Ranger. On s’était fabriqué des fusils en bois, des arcs, des flèches – pas des vraies, voyons donc! Ceux qui jouaient les rôles des Indiens enlevaient leur chemise – maman aimait pas ça, elle disait qu’ils allaient attraper des coups de soleil – et ils se barbouillaient pour faire plus vrai. Fernand avait tourné au moins trois films. Si on compte qu’il y avait douze photos par film (en noir et blanc), ça donnait trente-six photos. Ça finissait par coûter cher!

On a épuisé tous les jeux, y compris ceux des jours de pluie : le Monopoly, les dames, le jeu de pichenotte, les jeux de construction, même les fameux scrapbooks que maman nous faisait confectionner avec de vieux cahiers et des images découpées un peu partout. Jusqu’aux plus jeunes qui avaient leurs cahiers de collage, dans lesquels ils mettaient n’importe quoi, n’importe comment. Juste pour vous donner un aperçu, dans un des scrapbooks, il y avait une image de Jésus qui était collée au-dessus d’un bol de soupe aux légumes Campbell… ce pauvre Jésus, il avait les pieds dans le plat! On l’a bien ri celle-là! On a lu tous les « petits comiques », pas rien qu’une fois… il y en a qui sont pas mal maganés, d’autres qui ont perdu des feuilles. On s’est promenés en bicycle, on a été aux framboises, aux bleuets et aux mûres. Les « môsusses » de mûriers! On en porte encore les égratignures! « Pour de vrai m’man, on sait plus quoi faire! » C’est comme si l’été n’était plus tout à fait l’été. Dire qu’au début on avait tellement hâte; on allait dans le jardin voir si les légumes poussaient… on trouvait que ça n’allait pas vite. Tout était amusant! On passait nos journées dehors quand il faisait beau, on rentrait juste pour les repas et pour aller se coucher.

On s'amuse au quai, août 1950.

On s’amuse au quai, août 1950.

Qu’est-ce donc qui s’est passé? C’est pourtant encore le mois d’août, les journées sont belles, moins chaudes un peu, mais on est bien dehors. Il y a plein de bons légumes dans le jardin, surtout du blé d’Inde. On en mange tant qu’on peut. Que peut-on désirer de plus! Les soirées sont superbes, même si le soleil se couche plus tôt. Les grands sortent le tourne-disque sur la galerie et on fait jouer les disques de rock’n’roll; on écoute Elvis Presley, Paul Anka, Dean Martin et tout plein de chanteurs à la mode. Mais, c’est plus pareil… Il y a quelque chose dans l’air qui est différent; c’est peut-être le « cri-cri » des criquets qui a remplacé le chant des oiseaux qui sont déjà partis.

Peut-être qu’on est rendus au temps où l’on commence à penser à l’école qui va débuter bientôt. Faudrait bien sortir les sacs, faire l’inventaire de ce qui est encore utilisable. « Ça va me prendre des crayons neufs, des effaces, certain. J’espère que je vais avoir une boîte de Prismacolor cette année… depuis le temps que j’en veux. Bon, demain on va voir à ça, demain… » Mais en attendant : « M’man, j’sais pas quoi faire! »

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

L'école Centrale (école du Phare), peu de temps après sa construction (début des années 50).

L’école Centrale (école du Phare), peu de temps après sa construction au début des années 50.

Ma saison et ma fleur préférées, 1955 et 2015…

Mars 1955, 10e année

Une photo de moi, à l'été 1955. © Coll. Madeleine Genest Bouillé.

Une photo de moi, à l’été 1955. © Coll. Madeleine Genest Bouillé.

« Ce n’est pas l’été; parce qu’en été la chaleur est torride et il y a souvent des orages. Ce n’est pas l’hiver parce qu’en hiver il y a des tempêtes et il fait froid; quand on pense que tant de malheureux en souffrent! Ce n’est pas non plus l’automne parce qu’en automne le soleil est absent et le temps est pluvieux. Voilà! Ma saison préférée, c’est le printemps, au réveil de la nature, quand les oiseaux reviennent de leur long voyage dans le sud, pour nous égayer de leurs chants, quand les feuilles commencent à pointer leurs petits bourgeons verts aux branches. Car voyez-vous, quand on est au printemps de la vie, comment ne pas aimer le printemps de l’année!

Maintenant j’en viens à ma fleur préférée : ce n’est pas la rose malgré sa beauté; parce que pour la cueillir on s’écorche les mains sur ses épines. Ce n’est pas la violette non plus parce que je n’aime pas le violet qui est une couleur de deuil. Ce n’est pas le muguet parce qu’il se fane trop vite. Voilà! Ma fleur préférée est le lilas, avec son parfum doux et léger, il embaume l’atmosphère; et j’aime le lilas parce que c’est une des premières fleurs du printemps et que le printemps est ma saison préférée! »

Avril 2015

Le très vieux cahier d’écolière dans lequel j’ai retrouvé des rédactions faites en dixième année, révèle une écriture inégale et peu soignée, mais au moins, je n’y trouve pas de fautes de grammaire, ni d’orthographe. Je me souviens très bien de ce texte, car j’en aimais le sujet. Cette rédaction étant datée de mars, bien évidemment, ma saison préférée était le printemps. Si le même devoir avait été donné en novembre, je me demande ce que j’aurais écrit…

Ma saison préférée est toujours le printemps, bien que je ne sois plus au printemps de la vie. L’espérance qui m’habite, même dans les heures les plus sombres, est fille du printemps. Pour ce qui est des autres saisons, disons qu’en novembre, j’ai hâte à l’hiver, parce que les jours gris de ce mois de mon anniversaire me font l’humeur chagrine et que j’ai hâte à Noël, comme les enfants et toutes les personnes qui, d’une façon ou d’une autre, croient encore au Père Noël! Après le temps des Fêtes, je trouve l’hiver très beau pendant un mois ou deux. Par la fenêtre, je me plais à regarder tempêter la neige, rugir le vent et tourbillonner la poudrerie. Sans doute est-ce un effet de l’âge, mais de plus en plus tôt en mars et souvent même en février, j’ai hâte au printemps. Cette saison est celle des nuances. On passe du blanc sale, au gris, puis au noir et timidement le vert fait son apparition, sur le sol et dans les arbres, du vert tendre jusqu’au vert le plus éclatant. Toute cette verdure semble avoir été mise en place pour préparer la venue du roi Été qui s’amène chargé de fleurs, dans toute sa gloire! Comment de pas l’aimer! C’est le temps des vacances, des promenades sur la terre et sur l’eau; cette saison a des splendeurs de carte postale. On est bien dehors à l’ombre, on ne s’en lasse pas et on voudrait que le temps s’arrête. Par contre j’avoue que je n’aime pas les chaleurs lourdes où on n’a plus envie de bouger. Heureusement, dans notre coin de pays au bord du fleuve, si la température est plus humide, elle est tempérée par le vent toujours plus ou moins présent. Puis les jours raccourcissent, les oiseaux font déjà leurs bagages, et voici l’automne, le magnifique, incontestablement le plus beau, avec ses couleurs qu’aucun peintre ne peut rendre avec justesse. Ses journées sont d’une douceur qu’on ne retrouve pas en été. Magnanime, il nous offre un assortiment de fruits et de légumes, pour se faire pardonner de devoir partir si vite. Mais voilà! L’automne, c’est la fin d’une histoire et je n’aime pas les choses qui finissent. C’est pourquoi je préfère le printemps et sa beauté qu’on devine à peine au début et qui se révèle petit à petit. Chaque jour fait éclore une nouvelle feuille, une fleur, tandis que dans un arbre, chante un oiseau qui n’était pas là hier. Printemps, saison de renaissance… ma saison préférée!

Le lilas, l'une de mes fleurs préférées. Crédit photo: Bernard Germain.

Le lilas, l’une de mes fleurs préférées. Crédit photo: Bernard Germain.

Ma fleur préférée n’est toujours pas la rose, trop parfaite, sans doute. Les pissenlits, même s’ils ne sont pas jolis, méritent notre admiration. Ce sont des fleurs courageuses, on ne les aime pas; mais les tondeuses ont beau les écraser de tout leur poids, les pissenlits se relèvent chaque fois et suivent le cours de leur existence jusqu’à devenir ces petites boules duveteuses dont les enfants – et les grands-mères un peu folles, s’amusent à souffler les graines au vent. Les marguerites se laissent effeuiller sans protester, comme si leur beauté ne devait servir qu’à ça. Évidemment, j’aime toutes les fleurs du printemps, dont les premières, les braves crocus, jacinthes et tulipes. Mais ce ne sont pas là mes préférées. Vraiment, il m’est impossible de choisir entre les muguets odorants, qui me rappellent de si jolies chansons, et les lilas, ces délicates grappes mauves dont le parfum est celui de mes jeunes années. Car voyez-vous, quand on n’est plus au printemps de la vie, on ne cesse jamais d’aimer le printemps de l’année ainsi que les fleurs qu’il nous offre si généreusement!

© Madeleine Genest Bouillé