C’était en mai 1984

Comme je l’ai laissé entendre dernièrement, j’ai décidé de m’offrir un 4e livre. Évidemment, avec ce qui se passe actuellement, je ne sais pas quand je pourrai réaliser ce projet. Mais j’ai vraiment hâte!

J’ai fouillé dans mes vieux Phares (le mensuel d’information communautaire de Deschambault); étant donné que je les ai tous conservés, de 1978 à 2005 inclusivement. J’ai relu mes trois premiers livres aussi… C’est comme un vieux film qu’on n’a pas vu depuis longtemps. Il y a des bouts dont on ne se rappelle plus…

D’autres avec lesquels on est plus ou moins d’accord, on se dit : « J’ai écrit ça, moi? » Quoi qu’il en soit,  je dirais que c’est un voyage dans le temps. Un voyage nécessaire, un peu comme un grand ménage, si vous voyez ce que je veux dire.

J’ai choisi un « grain de sel » de mai, alors qu’on préparait l’anniversaire d’une association qui a eu beaucoup d’importance chez nous. Voici donc, l’éditorial du Phare de mai 1984 (ça fait juste 36 ans!). Le titre était :

Victoria, Élizabeth… ou Dollard?

Cette année, le 20 mai, on fête le 40e anniversaire de la Société Saint-Jean-Baptiste à Deschambault. Au cours de mes années d’études au couvent, je me souviens que la SSJB était l’organisme qui, entre autres choses, décernait les prix de fin d’année aux élèves méritants en français, diction, histoire. C’était encore cette association patriotique et culturelle qui organisait les fameux débats d’Histoire du Canada, débats au cours desquels s’affrontaient les élèves de la classe des « grandes » (l’Académie) du Couvent, contre les « grands » de l’école du village. C’était les gars contre les filles!  Comme on ne se rencontrait pas souvent, cela ajoutait de l’intérêt à la chose. Comme le temps passe: dire qu’il fut un temps où je pouvais réciter par cœur toute la liste des intendants de la Nouvelle-France, et avec les dates, s’il vous plaît!  Il faut croire que nous étions bien motivées.

La Société Saint-Jean-Baptiste, ce fut aussi au début des années 50, le Congrès de la Langue Française, qui donna lieu au couvent à une grande fête. Je me souviens que nous avions chanté Le Baiser de la Langue Française, une chanson qu’on retrouve dans les cahiers de l’Abbé Gadbois. Le personnage qui représentait la Langue Française était joué par une élève, la meilleure en français, il va sans dire. Elle trônait sur la scène, drapée dans les plis d’une tunique vaguement  grecque, alors que nous, ses humbles sujets, l’écoutions nous chanter : « Fière Jeunesse aux grâces conquérantes… je vous souris sous des cieux immortels… »  Nous reprenions le refrain : « Ô tes baisers, langue de poésie, sont enivrants de saveur, d’idéal… »  Saint-Ciel que c’était beau! On s’émouvait pour de bien belles choses dans le temps.

Mais la Société Saint-Jean-Baptiste, c’était surtout la fête de Dollard des Ormeaux, le 24 mai. Il n’y avait pas de congé, ce jour n’étant pas férié. Cependant, au couvent, on soulignait la fête pendant les cours. Belle occasion de stimuler notre patriotisme. On rappelait l’époque glorieuse – mais combien périlleuse – de Dollard et ses compagnons  au Long-Sault. On chantait Ô Canada, respectueusement et impeccablement, et nos voix vibraient d’accents patriotiques en chantant L’Hymne à Dollard : « Quitte à jamais l’immortelle tranchée… Reviens Dollard combattre jusqu’au bout. »

Ce combat de Dollard et de ses seize braves représentait pour nous l’incessant combat pour maintenir « notre langue, notre religion, nos droits ». Nos professeurs, aussi bien l’instituteur des garçons, qui était alors M. Côme Houde, que les religieuses du couvent, faisaient leur possible pour nous inculquer des notions de patriotisme. Il n’était pas question de fêter la reine, nous étions alors sous le règne de Georges VI. Ce fut plus tard que la reine Élizabeth instaura la Fête de la Reine Victoria, qui a lieu le troisième lundi de mai.

« Que reste-t-il de tout cela, dites-le-moi… »  Aujourd’hui pour la majorité des gens, ce qui compte c’est le congé. Peu importe qui on fête, l’important c’est la belle fin de semaine de trois jours, celle où souvent, quand la température le permet, on prépare le chalet, ou le terrain pour le jardin, le parterre. Ici, à Deschambault, on sait que nous fêterons le 20 mai l’anniversaire de fondation d’une association qui a fait beaucoup chez -nous depuis 40 ans, pour la culture et le patrimoine. C’est un événement paroissial à ne pas manquer.

© Madeleine Genest Bouillé, 22 mai 2020, à partir d’un article de mai 1984.

Ma mère disait toujours…

« Quand tu te lèves le matin, que tu as un tas de choses à faire, à ne plus savoir par quel bout commencer, assieds-toi, prends le temps de déjeuner et après, attelle-toi pour faire la soupe du dîner. Le temps de préparer ce qu’il faut, de couper les légumes, d’ajouter les assaisonnements, les idées vont se placer dans ta tête et le programme de ta journée va s’écrire tout seul! Évidemment, il peut arriver des contretemps, ça fait partie de  l’histoire, il faut s’arranger avec. » Ma mère était une femme sage!

Bien que n’ayant pas connu nos outils modernes de communication, sauf le téléphone, qui n’était pas encore intelligent, Jeanne Petit, ma mère était une femme cultivée.  L’écriture et la lecture, ça faisait partie de sa vie, autant que la soupe! Dans le temps où mon père travaillait à Montréal, ils s’écrivaient chaque semaine ou presque – mon père écrivait aussi très bien. Pour ce qui était de la lecture, c’était le sport favori de ma chère mère. Quand on allait la voir, elle demandait toujours : « Qu’est-ce que tu lis de ce temps-ci? »

Lors de notre 30e anniversaire de mariage à l’été 1994, deux ans avant que maman nous quitte…

Ma mère avait des recettes pour tout, pas seulement pour cuisiner. D’ailleurs, après son départ, on s’est aperçu qu’elle n’avait pas de vrais livres de recettes. Elle en avait déjà eus et elle les avait prêtés ou donnés. J’ai encore deux ou trois de ces petits livrets provenant de compagnies de produits alimentaires, qui me viennent de maman. Mais quand même, maman avait des recettes, beaucoup! On a trouvé des coupures de journaux et des bouts de papier sur lesquels étaient notées des recettes de cuisine On en a découvert un peu partout; dans les pages des romans qu’elle relisait régulièrement et qui, pour cette raison, demeuraient en permanence sur la petite table près de sa chaise berçante. On en a trouvé aussi dans les tiroirs de la machine à coudre – l’instrument que ma mère aimait le plus. Elle a fonctionné cette machine! Pas croyable! Parfois même jusque tard dans la nuit. Il y avait toujours quelque chose sur le « moulin », vêtement à raccommoder ou à terminer, ou une housse de coussin, ma mère aimait les beaux coussins. Ceux qu’elle fabriquait étaient des œuvres d’art!

Dans la vieille maison de pierre, l’embrasure des fenêtres était aussi un endroit où se ramassaient les revues et journaux que maman n’avait pas encore eu le temps de découper. Certaines fenêtres étaient dévolues pour la paperasse tandis que d’autres, mieux exposées au soleil recevaient les plantes en pot. D’autres encore servaient pour différents usages, telle la fenêtre de la « chambre à l’ouest », laquelle héritait des bananes trop vertes… Elles mûrissaient en paix, entre le beau panier à ouvrage que maman n’a jamais utilisé – il était trop beau – et le sac dans lequel elle conservait les exemplaires du « bulletin paroissial ».  Aujourd’hui, je regrette de ne pas avoir gardés ces feuillets, c’était une partie de l’histoire de Deschambault, car à cette époque, rares étaient les activités qui n’étaient pas publiées sur le semainier. Jusqu’au jour où on a fondé notre mensuel Le Phare en 1978.

Ma mère et mon père (été 1955).

Évidemment, maman a gardé aussi tous les Phares, qu’elle a lus et relus souvent, jusqu’à l’été 1996, où après une semaine à l’hôpital, aux soins palliatifs, son cœur malade depuis plusieurs années a décidé qu’elle avait assez lu, assez cousu… et que les bananes pouvaient aussi bien mûrir dans la cuisine que dans la « chambre à l’ouest ». On venait de fêter son 87e anniversaire à la maison où elle demeurait toujours; elle avait salué tout son monde, assise pour l’occasion dans sa berçante contre le poêle, car depuis quelques semaines, elle était plus souvent qu’autrement alitée. Je m’en rappelle comme si c’était hier…

Qu’aurait dit Jeanne de la pandémie qui bouleverse le monde entier aujourd’hui? Cette méchante bête invisible et silencieuse qu’on appelle Coronavirus l’aurait tellement inquiétée! Elle aurait eu peur pour tous les membres de sa famille. Elle n’aurait pas admis la façon dont beaucoup de personnes âgées ont été traitées – ces personnes qu’elle aurait désignées ainsi : « les vieux », parce que pour elle, le mot « vieux » ce n’était pas une insulte, simplement une vérité. Telle que je connaissais ma mère, elle aurait été vraiment choquée. Mais voilà! À l’époque où elle a vécu, elle a connu dans son enfance la première grande guerre, plus tard, alors qu’elle était jeune mère de famille, elle a vécu la « crise », suivie de la deuxième guerre, celle de 1939-1945. Si aujourd’hui on magasine ce dont on a besoin pour composer nos menus, ma mère a plus souvent qu’autrement composé ses menus avec ce qu’elle trouvait dans ses armoires. Comme on dit : « Autre temps, autres mœurs! ».

© Madeleine Genest Bouillé, 8 mai 2020

Doux printemps, quand reviendras-tu?

Avez-vous déjà chanté ça? « Doux printemps quand reviendras-tu? Faire pousser les feuilles, faire pousser les feuilles… » Si je me souviens bien, ça finissait par : « mettre du soleil partout. »  Pas chaud, ce début de printemps de l’année 2020! Il hésite, ne sait pas   quel bord prendre… et quand il croit faire de son mieux, il s’accompagne d’un vilain vent de nordet. Ma mère, qui avait des boutades pour toutes les occasions, disait: « Le vent de nordet, de n’importe quel côté qu’il vienne, il est toujours froid. » Le vent de nordet, parlons-en! Tout d’abord il ne vient pas vraiment du nord-est, il vient du fleuve et il apporte toujours de l’humidité.  Forcément, plus on est proche du fleuve, plus on se ressent de ses sautes d’humeur.

Malgré le confinement, je dois dire que mon époux et moi, nous sommes chanceux! En face de chez nous, de l’autre côté du chemin, un escalier mène sur la galerie du petit chalet dont je vous avais déjà parlé dans un Grain de sel précédent. Ce chalet construit sur un petit plateau à quelques pieds du fleuve, a jadis appartenu à monsieur Henry Bouillé, et plus tard à sa famille. Il a dû être rafistolé plusieurs fois – le chalet, pas monsieur Bouillé. Quel bonhomme sympathique c’était! Il semblait toujours de bonne humeur. Je me souviens quand il venait payer le compte du téléphone dans les premières années où je travaillais au Central. Oh! que c’est loin ça! Je reviens au chalet… en été parfois, après un souper en famille, il nous arrive de descendre sur la grève pour finir la journée avec un beau feu. J’écris ceci et c’est comme un rêve… Évidemment, je ne peux m’en empêcher, ça met de la brume dans mes lunettes. Et je me demande ce que nous réserve cet été?

Le mois d’avril, bien que froid, s’est débarrassé assez tôt de sa vieille neige toute sale. Ce qui nous a permis de descendre près du fleuve. Quand le nordet est trop violent, on s’installe sur le côté ouest de la galerie, où on est très bien, avec la présence des outardes et autres oiseaux de mer qui jacassent tout près, au bord de l’eau.  Évidemment, nos soupers en famille nous manquent. Vous dire à quel point? Pas possible! Heureusement qu’on s’en va vers le vrai printemps. Quand les enfants et petits-enfants viendront nous voir, nous sortirons sur la galerie et les visiteurs se tiendront dans le parterre, distanciation oblige! Ce sera un peu comme si on jouait une pièce de théâtre… sauf que les spectateurs seront sur la scène, tandis que les acteurs évolueront dans le parterre. On sera ensemble, c’est tout ce qui compte!

« Doux printemps, quand reviendras-tu? » … Bientôt, on l’espère. Tu peux être certain qu’on sera là pour t’accueillir. On ne t’aura jamais autant aimé que cette année. J’ai déjà sorti des vêtements légers, au cas où… Le muguet est tout près de pointer son nez frileux près de la maison, du côté est. Les crocus achèvent… les jacinthes s’en viennent. Près des lilas, en haut de la côte, il y a des pousses d’ail des bois, les plants de rhubarbe sont timides… manque de soleil? La pluie des derniers jours a mis du vert un peu partout; c’est déjà plus joli. Doux printemps, nous t’espérons et nous te promettons de faire attention à tout ce que tu nous offriras, parce que ça s’appelle la Vie!

 © Madeleine Genest Bouillé, 1er mai 2020