Toute jeune, je rêvais d’être une actrice. J’entendais les comédiens à la radio qui jouaient dans les radioromans que j’écoutais soit le midi ou le soir : Jeunesse dorée, Rue Principale, Un homme et son péché. Je ne comprenais pas toujours les intrigues, mais j’écoutais les dialogues et je trouvais ça beau. Je feuilletais la revue RadioMonde, où s’étalaient les photos des vedettes. On voyait les acteurs en train de lire leur rôle à la radio; ils avaient leur texte en mains, ça ne devait donc pas être si difficile!
Au couvent, on présentait de courtes pièces de théâtre, pour Noël ou pour la fin de l’année. Le premier rôle que j’ai joué, c’était en 1954. Nous présentions un texte dialogué de Félix Leclerc intitulé, La Grande Nuit, extrait d’Andante. À vrai dire, ce n’était pas vraiment une pièce de théâtre, en ce sens qu’il n’y avait pas d’action. Sur la scène, trois étoiles; l’étoile des Bergers et l’étoile des Marins, racontent à la plus jeune, l’étoile des Amours, la nuit du premier Noël. J’étais l’étoile des Marins. Nous étions juchés sur je ne me rappelle plus quoi, au-dessus d’une rangée de sapins couronnés de neige ouatée; on ne voyait de nous que la figure qui était encadrée d’une grande étoile brillante. Peu m’importait, j’étais heureuse de jouer ce rôle si beau! Le texte était magnifique, mais passablement long, alors on avait ménagé des pauses, pendant lesquelles la chorale chantait des cantiques de Noël.
L’année suivante, on devait monter une vraie pièce en trois actes, avec décors, costumes et tout le tralala! Si je me souviens bien, le titre était : L’orpheline des Pyrénées, œuvre d’un auteur français. J’avais de bonnes notes en français, selon moi, je pouvais donc espérer avoir un rôle, si petit soit-il, j’en serais ravie! On apprenait des récitations pour toutes sortes d’occasions et quand arrivait mon tour, la bonne Mère me gardait quelquefois après l’école pour me faire répéter. Lors d’une de ces répétitions, Mère me demanda, à brûle-pourpoint : « Avez-vous pensé à ce que vous vouliez faire plus tard ? » Il ne m’est pas venue à l’esprit que la réponse à faire était la suivante : « J’aimerais devenir religieuse ». Naïvement, je répondis: « Je voudrais devenir une actrice! » Coup de théâtre! Roulement de tambour… et comme on dit « e finita la commedia »! J’eus droit à tout un sermon dans lequel il était clair que je ne devais pas rêver à cette vie de perdition où je devrais tout d’abord m’expatrier, et où les plus grands malheurs m’attendaient. En terminant avec cette phrase célèbre : « Vous savez, la gloire, c’est le deuil éclatant du bonheur! » Voilà! Je n’ai évidemment pas eu de rôle dans la pièce dont curieusement, je n’ai aucun souvenir. On m’a confié la tâche de « maître de cérémonie ». Et à compter de ce jour, j’ai souvent tenu cet emploi, ce qui m’a été bien utile, plus tard quand j’eus à parler en public dans les différentes associations dont j’ai fait partie.
Après mes études, alors que je travaillais au Central, j’ai enfin commencé à faire du théâtre, en amateur comme c’est la tradition à Deschambault et ce, depuis très longtemps. En fouillant dans les nombreux papiers de ma mère, j’ai appris qu’il y avait eu déjà dans le passé une troupe masculine, composée d’étudiants qui présentaient du théâtre pendant les vacances d’été. À une certaine époque, il y eut aussi une troupe féminine, sous la direction de Mme E.V. Paris, la mère de Rachel Paris-Loranger, à qui, plus tard, on devra plusieurs magnifiques pièces de théâtre, dont Évangéline, pièce qui relatait la déportation des Acadiens en 1755. Quand j’ai débuté, c’était Louis-Joseph Bouillé qui était metteur en scène. Il avait lui-même été un des plus brillants comédiens avec Lionel Brisson, dans la troupe de Madame Loranger. À cette époque, le Cercle Lacordaire, mouvement antialcoolique alors très florissant, organisait chaque année en mai, à l’occasion de l’anniversaire du cercle, une soirée où il y avait tout d’abord une partie « sérieuse ». On honorait les membres méritants de 5, 10 ans et plus et ensuite, pour la partie récréative, il était d’usage de présenter une pièce de théâtre qui exploitait, autant que faire se peut, les malheurs causés dans les familles par l’alcoolisme, histoire de faire valoir les bienfaits de l’abstinence.
On était donc en 1961. La pièce qu’on préparait avait pour titre L’Absolution, c’était l’œuvre d’un auteur franco-américain du nom de Victor Vekeman. Nous avons d’ailleurs joué plusieurs pièces de ce même auteur, autant des comédies que des tragédies. Avec un titre comme L’Absolution, il est évident qu’il s’agissait d’une tragédie! Je jouais le rôle de l’épouse d’un ivrogne, mère de deux enfants, je me souviens que Jacqueline Chénard jouait le rôle de ma fille; nous vivions dans la misère et je m’effondrais dès la fin du premier acte. À la fin du 2e acte, mon fils, devenu prêtre, donnait l’absolution à un moribond alcoolique, dans lequel il reconnaissait avec stupeur son propre père! La pièce se terminait sur cette réplique lancée par le jeune abbé : « C’était Hubert! C’était mon père! » C’était vraiment pathétique! Le jeune homme qui tenait ce rôle s’appelait Robert Deshaies; c’était son premier rôle et il le rendait très bien. Je n’ai pas malheureusement pas de photos de cette pièce, qu’on a jouée plusieurs fois, entre autres à Cap-Santé et à Saint-Gilbert.
Ce même été, les 15, 16 et 17 juillet, avaient lieu les célébrations du Centenaire du Couvent de Deschambault. Ces fêtes grandioses étaient rehaussées par un jeu scénique intitulé Un phare sur la côte, où se retrouvait un nombre impressionnant d’élèves anciennes et actuelles, interprétant des rôles où se rencontraient des astronomes célestes, des archanges, les sœurs fondatrices du couvent et plusieurs autres personnages historiques. Je crois me souvenir que cette œuvre magistrale était présentée sur une scène installée à l’extérieur. J’interprétais justement le rôle d’un astronome céleste, une sorte d’ange… sans les ailes! Bizarrement, je n’ai pas de souvenir de cette pièce, je me rappelle plutôt certaines répétitions, avec les deux compagnes qui me donnaient la réplique, Lorraine Marcotte et Annette Pelletier, avec qui j’avais bien du plaisir.
Mon deuxième exploit en théâtre s’est produit en 1962. On jouait Bichette, une comédie pleine de quiproquos dans laquelle jouaient Élisabeth Montambault, Huguette Dussault, René Montambault, Claude Groleau, Louis-Joseph Bouillé, Lionel Brisson et moi. J’ai une photo pas très bonne, datée du 18 février 1962… ce qu’on ne voit pas sur la photo, ce sont les « techniciens », dont le petit frère de notre metteur en scène, Jacques, qui ne manquait pas une répétition!
1963 étant l’année du 250e anniversaire de fondation de la paroisse, il va sans dire que tout était mis en œuvre pour que cet anniversaire soit souligné avec tout le faste possible. Un jeu scénique relatant l’histoire de Deschambault depuis la visite de Jacques Cartier à Ochelay, jusqu’après la guerre qui mit fin au Régime français, était sans contredit le clou de ces fêtes qui eurent lieu les 2, 3 et 4 août. Le texte de la pièce était tiré de la toute nouvelle Petite Histoire de Deschambault, de M. Luc Delisle. J’eus l’honneur d’interpréter le rôle de la seigneuresse Éléonore de Grand’Maison, épouse de François de Chavigny. Dans un tableau décrivant la descente des Anglais à Deschambault en 1759, le petit frère du metteur en scène, devenu mon amoureux, figurait un soldat anglais capturé par les miliciens. Comme on dit, « il s’adonnait » à être à Deschambault, ayant laissé le bateau pour profiter des Fêtes… Quelle belle coïncidence! Au cours de l’hiver, nous avions présenté une comédie de Jean des Marchenelles, un auteur belge, que mon futur beau-frère Louis-Joseph appréciait particulièrement. Intitulée Le Château des Loufoques », cette pièce cocasse et absolument hilarante était magistralement interprétée par Louis-Joseph et Lionel Brisson dans les rôles du propriétaire et du majordome d’un vieux château belge, tandis que Gérard Naud et moi formions le couple de nouveaux mariés, pas tellement heureux de passer leur nuit de noces dans un château hanté! Encore une fois, malheureusement pas de photos!
En 1964…. je préparais mon mariage. Mais contrairement aux fiancées de l’ancien temps, je ne brodais ni ne cousais… Je travaillais au Central, et ce jusqu’à la mi-mai. Dans mes temps libres, je faisais partie de la chorale et j’avais écrit une pièce de théâtre pour l’anniversaire Lacordaire. D’abord un titre accrocheur : Au fond du verre. C’était l’histoire d’une jeune fille alcoolique menacée de perdre son emploi, ses amis et son fiancé, quand une amie généreuse lui vient en aide afin de l’aider à vaincre son problème d’alcoolisme. Ayant assisté quelques fois aux sessions d’été des Jeunesse Lacordaire, j’étais assez bien documentée. Partant du fait qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, je m’étais allouée le rôle principal… Mon frère Georges était de la distribution, de même que Raymonde Pelletier, Jacqueline Chénard et mon fiancé, qui jouait le rôle de… mon fiancé!
Dans les années qui vont suivre, j’ai été plus souvent metteur en scène que comédienne, ce que j’ai adoré. Je vous reviens donc avec la suite de mon histoire de théâtre!
© Madeleine Genest Bouillé, 24 mai 2017