C’est donc de valeur!

Oui, c’est ben de valeur que personne ne sache d’où vient cette expression, que nous, les natifs des années quarante et cinquante, disons encore assez souvent quand on veut exprimer un regret, ou déplorer certaine chose. Par contre, en parlant d’un bébé qui n’était pas tannant ou qui faisait ses nuits, autrefois on disait qu’il n’était pas de valeur. Cette expression aurait donc deux significations. Comment expliquer ça? Mystère et boule de gomme!

Pour nous, les « seniors », il y a ainsi tout plein de ces vieux mots ou tournures de phrases que nous utilisons encore par habitude. Quand il fait froid et qu’on entend péter les clous, on dit qu’il faut mettre une attisée dans le poêle… Que voulez-vous, on a grandi dans des maisons où le froid faisait péter les clous et alors la mère disait : « Mettez donc une attisée quelqu’un… on gèle! » Le langage des anciens faisait aussi beaucoup référence à la nature, aux animaux. Ainsi, quand on tenait à une chose en particulier, on disait qu’on ne l’échangerait pas pour une terre en bois debout. Il était d’usage autrefois de prendre le temps de bien faire les choses et de ne pas brûler les étapes, ainsi on disait de ne pas mettre la charrue en avant des bœufs. Tout le monde connaît le vent à écorner les bœufs ou le temps à ne pas mettre un chien dehors. Ces expressions avaient l’avantage d’être très imagées! Comme celle de ma mère quand elle faisait cuire un rôti de porc au four; lorsque la viande commençait à grésiller elle disait : « le cochon crie, c’est le temps de l’arroser! »

Il est loin le temps où l’on disputait les enfants tannants en les appelant petit insécrable (une déformation du mot « exécrable ») ou espèce de pas de service!  Et en définitive, on disait : « t’as donc pas de jarnigoine! » Les troubles de comportement devaient bien exister, mais quand il y avait six, huit ou dix enfants dans une maison, on n’avait pas le temps de se pencher sur les particularités de chacun; ils étaient tous élevés de la même manière. Parfois on disait en parlant d’un jeune plus turbulent : « Je sais pas ce qu’il a celui-là, y a pas moyen de le faire tenir tranquille, une vraie queue de veau! » Le diagnostic était prononcé, la sentence tombait, froide et implacable : « Quand ça comprend pas par un bout, ça comprend par l’autre! »

Il n’est que de voir l’expression interrogative ou étonnée dans le regard de nos petits-enfants qui ne sont plus petits, pour comprendre que notre parlure est parfois quelque peu désuète. Par exemple, par un jour de grand vent d’automne, on demande au jeune qui nous arrive sur son vélo : « As-tu au moins un bon coupe-vent ?  – Un quoi ? – Une veste, un manteau.Aaaah! oui. » Compréhensif, le grand-père ajoute: « Tu pédalais vent devantVent… quoi ? Grand-père traduit : « Tu avais le vent dans la face! » À la jeune étudiante qui doit écourter sa visite dominicale aux grands-parents parce qu’elle a un devoir de maths à terminer, c’est la grand-mère qui dira, compatissante et se souvenant du temps de ses études : « J’espère que t’as pas trop de misère ?  –  De la misère ? Non, ce n’est pas si difficile. »  Il ne se passe pas d’année sans que les étudiants aient une ou deux campagnes de financement pour des activités parascolaires; évidemment, les grands-parents sont des clients tout désignés. Ils ne disent jamais non! Lors d’une de ces campagnes, grand-papa, sortant son portefeuille pour payer les achats, a laissé tomber tout bonnement: « Au moins, vous êtes pas trop chèrants ! » … Il aurait parlé en russe que la jeune vendeuse n’aurait pas eu l’air plus perplexe.

Les jeunes comprennent plus vite que nous les complexités de l’informatique, d’Internet et des réseaux sociaux. Il y a là un langage particulier qu’on adopte difficilement. Quand il est question d’application, de fonctionnalité, de site, de page, de lien, de menu (rien à voir avec la bouffe!) et j’en passe, ça devient vraiment trop compliqué! On est alors tenté de laisser tomber en disant: « Tu parles d’un aria! » Chose curieuse, ce mot qui signifie « désagrément » et qui se retrouve régulièrement dans les mots croisés est très rarement utilisé… sauf par nous, les « aînés »!

Bon, on peut pas dire que c’est un soir où il fait un frette noir, au point que les clous pètent… mais c’est assez pour avoir envie de rester encabané. Ça fait que je vais mettre ma jaquette et m’en aller dans ma couchette! Bonne nuit!

© Madeleine Genest Bouillé, février 2016

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