Quand j’étais enfant, je regardais les bandes dessinées dans les journaux, surtout Philomène, ma préférée! Comme j’avais hâte d’apprendre à lire, justement pour faire connaissance avec tous ces personnages des bandes dessinées du journal L’Action Catholique! On était tellement fier quand on pouvait enfin lire un vrai livre « avec pas d’images ». Cela faisait sans doute travailler notre imagination; on se forgeait nos propres images. Quand je me rappelle mes premières lectures, je revois les volumes de l’Encyclopédie de la Jeunesse, que mon père avait achetés pour nous. Les images étaient rares; elles servaient principalement à illustrer les pages où l’on décrivait les oiseaux, les fleurs et les papillons entre autres, et sur lesquelles on se penchait longuement – ces pages ont d’ailleurs été usées plus vite que les autres! Les histoires étaient illustrées de dessins en noir et blanc au début ou à la fin des chapitres; j’ai souvenir surtout des images qui ornaient l’histoire extravagante d’Alice au Pays des Merveilles. Pendant les vacances, les treize volumes de l’encyclopédie remplissaient les moments creux des jours de pluie, ou même ceux où il faisait soleil mais où rien d’autre nous tentait que lire… et encore lire! Maman s’entêtait à nous exhorter d’aller dehors, afin de profiter du beau temps; invariablement, nous disions : « Oui… j’achève ce chapitre. Après ça, j’y vais. »
Il y en avait des livres, chez nous. Un peu partout… et un peu de tout. Nous avons commencé à lire très tôt, encouragés en cela par nos parents, surtout notre mère qui avait toujours une revue ou un roman qui attendait ses rares moments libres. Je revois très bien mes frères, Florent ou André, dans quelque recoin de la maison, de préférence dans l’embrasure d’une des larges et profondes fenêtres de notre vieille maison de pierre, un livre à la main… c’étaient nos petits salons de lecture!
D’après mes souvenirs, mes premiers livres ont été les volumes de la série Perrine et Charlot, de Marie-Claire Daveluy. J’ai conservé un volume de cette série qui nous transportait à l’époque de la colonisation de la Nouvelle-France, le titre est très évocateur : Charlot à la Mission des Martyrs; on y retrouvait des personnages de notre manuel d’Histoire du Canada. Parmi mes vieux trésors, il y a cet autre livre, un de mes préférés, qui a pour titre Autour de la Maison, l’auteur était Michelle Le Normand. J’avais aussi reçu en prix de fin d’année Contes et propos divers ainsi que Chez Nous, d’Adjutor Rivard, des livres de récits… j’aimais ces histoires courtes. Je me souviens du premier texte, La Maison, qui commençait ainsi : « Il y en avait de plus grandes, il n’y en avait pas de plus hospitalières… » Plus loin, l’auteur écrit : « Je ferme les yeux, et je la revois encore, la maison de nos gens, blanche dans la lumière, sur le chemin du roi ». Coïncidence, sûrement, j’ai toujours habité des vieilles maisons, elles n’étaient pas toutes blanches, mais celle où nous vivons depuis bientôt quarante-cinq ans est située sur le chemin du Roy et elle est devenue blanche depuis les années quatre-vingt!
Avec André, j’ai connu ensuite les romans scouts, deux titres me reviennent Le Prince Éric et la suite, Le bracelet de vermeil. Comme nous aimions ces histoires où l’amitié était synonyme de courage et d’honnêteté. Au couvent, nous avions le loisir de puiser dans une bibliothèque bien garnie. Comme la plupart des filles de ma génération, j’ai fait connaissance avec Berthe Bernage, auteure française, dont la série la plus connue est sans aucun doute celle des Brigitte. De cette écrivaine, j’ai quand même préféré les six volumes du Roman d’Élisabeth, que j’ai relu cinq ou six fois. À la maison, nous avions aussi des bandes dessinées, dont le premier héros fut Tintin. Mais ça se lit très vite une B.D.! Alors qu’avec un livre, on plonge, pour n’en ressortir que longtemps après, un peu abasourdi, comme après un décalage horaire, en se frottant les yeux… Quand nous étions en compagnie de nos amis les livres, il fallait nous appeler plusieurs fois pour l’heure des repas, et plus encore, pour l’heure du coucher.
J’ai neuf petits-enfants. Les trois derniers ne lisent pas encore… mais ils se font raconter des histoires par leurs parents ou par les grandes sœurs, il arrive que la même histoire soit redemandée trois ou quatre fois! Les cinq autres, âgés de neuf à presque vingt ans aiment tous la lecture. La deuxième de mes petites-filles vient de publier le premier volet d’un roman fantastique qui en comptera trois. Ai-je besoin de vous dire que j’en suis très fière?
Il y a quelques années, pour l’anniversaire de notre bibliothèque municipale, nous avons fait imprimer un signet qui porte cette phrase de Jacques Folch-Ribas : « Quand tu sauras lire, tu ne seras jamais plus seul. » Les livres sont des amis discrets, qui révèlent leurs secrets lentement au fil des pages qu’on tourne une à une… C’est vrai qu’on ne s’ennuie jamais dans une maison où il y a des livres!
© Madeleine Genest Bouillé, 25 janvier 2016