Quand on sort d’un rhume de printemps, pendant un bout de temps, on n’est pas « d’équerre ». Oui, je sais, c’est pas la bonne expression, mais bonne ou mauvaise, je l’utilise, car c’est ce qui me convient le mieux actuellement. « Je suis pas d’équerre », par là je veux dire, que je suis toute croche. Pas en forme, je me fatigue vite, j’ai pas de goût pour grand-chose, alors évidemment, pour reprendre une autre expression de par chez nous, « Je suis à pic! » Ce qui s’explique peut-être par ceci : cet hiver trop long m’a maganée, et pas rien qu’un peu! Voilà, c’est dit et on peut passer à autre chose!
Au moins, la neige est pas mal toute fondue, tant sur le bord du chemin que dans l’escalier qui descend au chalet en face de chez nous. Ce chalet qui a été rénové à plusieurs reprises a une longue histoire. Ce fut tout d’abord, selon les personnes qui m’ont renseignée, soit un poulailler; un hangar ou une cabane à patates frites! Vous avez le choix. Il y a de ça entre 60, 70 ans, M. Henry Bouillé, un pilote qui demeurait au village, avait acquis cette construction pour en faire un chalet. À l’époque, l’intérieur était, m’a-t-on dit, revêtu de « Donnacona Board », matériau qui était alors très à la mode. Je me souviens de M. Henry Bouillé, son allure débonnaire, son petit sourire moqueur; il n’avait jamais l’air pressé. Je me rappelle un peu moins son épouse, une dame distinguée qui, comme toutes les femmes mariées de ce temps-là, portait le nom de son mari. On connaissait donc Madame Henry Bouillé… et beaucoup moins Olivine! À la fin de sa vie, devenue veuve, elle est allée demeurer au couvent de Deschambault, après avoir été longtemps une des bienfaitrices de cette institution qui n’a pas toujours roulé sur l’or.
Olivine et Henry avait deux filles, Simone, mariée à M. Antoine Roy, un agronome, et Colette, mariée, tout comme sa mère, à un pilote, M. Horace Arcand. Simone a eu deux enfants, un fils et une fille, et Colette, en a eu quatre, trois fils et une fille. Le chalet était un lieu de rassemblement pour toute la famille, et on s’imagine sans peine les joyeuses rencontres entre cousins, cousines et amis par les beaux jours d’été! Jean-Paul Roy, fils de Simone, fut le dernier propriétaire issu de la famille de M. Henry Bouillé. Après être passé entre plusieurs mains, le chalet est finalement revenu à un Bouillé; lointain cousin d’Henry, le propriétaire actuel est aussi un descendant de ce Jean Bouillé arrivé à Deschambault aux environs de 1763.
Je disais donc que cet après-midi, je suis descendue au chalet pour la première fois cette année. Enfin, je me retrouvais près du fleuve pour assister au spectacle des outardes qui jacassent groupées sur la grève, où elles tiennent de longues discussions. Tout à coup, une dizaine d’entre elles se sont envolées vers l’ouest, tandis que quelques-unes s’obstinaient pour enfin se décider à partir vers l’est. Curieusement, un groupe de « placoteuses », se tenaient un peu plus haut que les ilets, certaines tournant le dos aux autres, tandis que trois ou quatre se détachaient complètement du groupe. J’ai supposé que ces dames fomentaient peut-être une révolution, qui sait? Pour ne pas les déranger, je suis remontée vers la maison. De retour sur ma galerie, j’ai jeté un coup d’œil vers mes voyageuses. Je voyais maintenant quatre groupes d’outardes; les deux plus nombreux se laissaient descendre au gré de la marée, en bavardant comme de raison. Un troisième groupe remontait vers le large, sans se préoccuper des autres. Celles-là avaient l’air décidé des gens qui savent où ils vont. Les quelques commères qui restaient s’en allaient à contre-courant, nageant assez près du bord; j’ai eu l’impression que leurs discussions étaient loin d’être terminées!
Et savez-vous quoi? J’ai trouvé que ça ressemblait aux partis politiques qui ont déjà commencé leur voyage vers les élections qui seront tenues en octobre. Comme les outardes, certains politiciens se laissent porter par la marée… c’est moins fatigant! D’autres travaillent fort pour remonter le courant, quitte à être essoufflés avant le temps, tandis que certains passent un temps fou à discuter, se contredire, se reprendre, virer de bord et recommencer. Un seul groupe sera vainqueur… et les autres? Vous savez aussi bien que moi, qu’en octobre, c’est le temps de la chasse! Malheureusement, plusieurs oiseaux n’y survivront pas! Ainsi en sera-t-il de nos politiciennes et politiciens…
En écoutant les outardes… je suis passée de la fatigue de fin d’hiver, à l’histoire du chalet, pour terminer avec les prochaines élections! Et mon humeur va déjà beaucoup mieux. Portez-vous bien, on s’en va vers le vrai printemps!
© Madeleine Genest Bouillé, 25 avril 2018