« C’est le mois de Marie, c’est le mois le plus beau… » La mémoire s’amuse souvent à embellir nos meilleurs souvenirs, tout comme elle noircit à plaisir les moins beaux. Mais aujourd’hui, en ce début de mai, j’ai le cœur en fête, comme chaque année à ce temps-ci. J’ai de si belles images des mois de mai de ma jeunesse!
Ainsi, quand j’étais étudiante et qu’on allait au « Mois de Marie », il me semble qu’il faisait toujours beau. Je me rappelle aussi qu’en sortant de l’église, on s’attardait pour cueillir des lilas derrière le vieux presbytère; curieusement, les photos de cette époque indiquent que le terrain était entouré d’une clôture pas mal haute et difficile à enjamber. Sans doute y avait-il un passage quelque part, car dans le film tout droit sorti de ma mémoire, je marche en riant et en chantant avec quelques jeunes aussi folles que moi et on a chacune un bouquet de lilas! On était très assidues au « Mois de Marie » qui avait lieu tous les soirs de mai, sauf peut-être le dimanche, sur ce point, mon souvenir n’est pas clair. Évidemment, n’ayant pas l’habitude de sortir le soir les jours de classe, ces exercices de piété étaient pour nous une occasion rêvée! À bien y penser, il y avait certainement des soirs où il pleuvait et certaines années, forcément il devait bien arriver que la floraison des lilas soit en retard. Comme quoi la mémoire ne conserve dans son album de photos que ce qu’elle veut bien garder!
Durant mes dernières années d’étudiante au couvent, je me souviens que parfois, au mois de mai, on s’installait sur la galerie le soir pour étudier; les examens de fin d’année approchaient, il fallait redoubler de zèle. Mais quel plaisir nous avions! Comme dans la chanson interprétée par Dominique Michel, En veillant sur l’perron, on se moquait des gens qui passaient et on riait beaucoup pour tout et pour rien. J’avais un petit poste de radio à « transistor », que je plaçais pas loin de la porte, car ce bidule n’avait pas une grande portée et il fonctionnait mieux à l’intérieur qu’à l’extérieur. On écoutait les chansons du Hit Parade américain. Il y avait un nouveau chanteur, canadien celui-là, il s’appelait Paul Anka; à ma connaissance, il est toujours vivant; je l’espère bien, il a mon âge ! Alors quand on entendait un des succès de ce chanteur, soit Diana ou Put your head on my shoulder, c’était l’euphorie! On chantait à tue-tête, sans connaître les paroles, mais ça n’avait aucune importance. Finalement, je ne crois pas qu’on étudiait très fort. De ces moments de notre jeunesse où nous étions, selon les adultes, « pas raisonnables » et « énervées », je ne garde que des souvenirs heureux. Oui, vraiment, je ne regrette rien de nos folies de jeunes étudiantes. C’était le bon temps!
Un souvenir plus lointain se pointe… il date de mai 1949. Au cours de l’année scolaire, je demeurais chez Aurore et Lauréat Laplante, soi-disant parce que c’était plus près pour aller au couvent, mais en plus, cette année-là, ma famille était occupée par le déménagement qui à l’époque, avait toujours lieu le 1er mai. J’avais gagné lors d’un concours un cabaret décoré d’une image sous verre représentant l’Angelus de Millet. Aurore m’avait suggéré de donner ce cabaret à maman pour la fête des Mères, qui avait lieu le dimanche suivant. Je ne gagnais jamais rien dans les multiples tirages pour les œuvres missionnaires des Sœurs, et cette fois j’avais reçu un prix; je ne me souviens plus pourquoi, sans doute pour un concours de français. Inutile de dire que j’en étais très fière! Mes parents venaient d’emménager dans la vieille maison de pierre, sur la rue qui s’est appelée plus tard Johnson. C’était la première fois où j’allais dans cette nouvelle demeure, et de plus la première fois où je sortais non-accompagnée, sauf pour aller à l’école ou à l’église. Je revois encore Aurore et Lauréat, debout sur le coin de la galerie, qui me suivaient du regard jusqu’à ce que j’aie tourné le coin de l’hôtel Deschambault, lieu de perdition et endroit dangereux en raison des autos qui arrivaient et repartaient à toute heure du jour. C’était aussi la première fois où je marchais dans la vieille route, j’avais 7 ans… Imaginez, c’était toute une aventure! Par la suite, j’ai pris l’habitude de me rendre chez nous à chaque congé et pour les vacances. En 1957, à la fin de mes études au couvent, je suis revenue dans ma famille pour y demeurer, et ce, jusqu’à mon mariage.
La vie est drôlement faite… après avoir réintégré le cercle familial, dès 1958, je retournais chez les Laplante pour travailler au Central du téléphone, d’abord comme remplaçante et après l’intermède « presseuse » à Ville Le Moyne, je repris le chemin du Central jusqu’en mai 1964. J’étais prédestinée à fréquenter la vieille maison sise aujourd’hui au 215, sur le Chemin du Roy, puisque mon frère et sa famille y habitent depuis 1974. À chaque fois que j’y vais, le souvenir des personnes que j’ai connues me revient… et encore plus, depuis le départ de ma petite belle-sœur Diane, qui nous a quittés il y aura bientôt un an.
Aujourd’hui, il n’y a plus de célébration du « Mois de Marie » à l’église et quand je m’assois sur la galerie, c’est pour lire ou pour admirer le paysage, le même depuis plus de 45 ans, mais dont jamais je ne me lasse. J’aime toujours autant le mois de mai et quand je cueille mes lilas sur le bord de la côte en face de chez moi, il me semble que je retrouve un peu de l’insouciance de mes jeunes années!
© Madeleine Genest Bouillé, 27 avril 2017