Lady Alys et le Château de Pierre

001Si vous avez 70 ans et plus, et que vous êtes né à Deschambault, vous avez sûrement entendu parler de ce superbe hôtel qui s’élevait tout près de l’embouchure de la rivière Belle-Isle. Si vous avez quelque dix ans de plus, vous y êtes peut-être déjà allé prendre un verre ou assister à un spectacle… Aujourd’hui, chacun peut voir les ruines – très bien entretenues – qui se dressent encore, mélancoliques témoins de l’époque glorieuse d’un hôtel dont on disait qu’il était « le plus beau entre Québec et Montréal »!

L’Histoire raconte qu’il y eut tout d’abord un moulin habité dans les années 1760 par Charles Raymond, qui exerçait le métier de meunier. Il acheta en 1769 avec Jean Bouillé une terre du côté ouest de la rivière. Vers la fin du XIXe siècle, Zéphirin Perreault aurait fait du moulin son atelier. Perreault, architecte de renom, habitait la belle maison victorienne, qu’on appelle aujourd’hui l’Auberge sur le Chemin du Roy.

L'hôtel Chateau de Pierre (coll. CARP).

L’hôtel Château de Pierre (coll. CARP).

Plus tard, un promoteur, conscient du potentiel touristique du lieu, érigea sur les ruines du moulin abandonné un luxueux hôtel appelé « Le Vieux Moulin ». Un article de journal de 1947 faisait ainsi la description de la propriété, alors à vendre : « Vaste bâtiment de construction solide, en pierre.  Intérieur flambant neuf, et fini moderne.  Cuisine ultra-moderne et complète.  Salle à dîner de 32 tables.  31 chambres avec eau courante.  Situé à mi-chemin entre Québec et Montréal, au bord du fleuve.  CENTRE TOURISTIQUE PAR EXCELLENCE.  Site pittoresque, avec possibilité d’agrandissement.  S’adresser à Lucien Charest, syndic licencié, 85, St-Pierre, Québec. »

Les photographies de l’époque nous révèlent une construction d’aspect monumental, avec trois étages d’occupation et un toit plat. L’hôtel sera plus tard coiffé d’un pignon à deux versants droits, ajoutant un quatrième étage d’occupation. L’hôtel porte alors le nom de « Château de Pierre ».

IMG_20160412_0010Le Château de Pierre a brulé une nuit d’avril 1952. Un article de journal fait état du sinistre : « La nuit dernière, le feu a consumé l’hôtel connu sous le nom de « Château de Pierre », causant des pertes évaluées à 100,000.$  Les flammes vraisemblablement allumées par un court-circuit ont forcé les résidents à sortir en vêtements de nuit.  L’hôtellerie renfermait  25 chambres et passait pour l’un des plus confortables entre Québec et Montréal.  Le propriétaire en est M. Louis Robert, homme d’affaires de Québec. »

Alys Roby en 1947, alors au sommet de sa gloire.

Alys Robi en 1947, alors au sommet de sa gloire.

Le Château de Pierre a brûlé, emportant avec lui l’écho des soirées endiablées qui s’y déroulaient. Ma sœur aînée m’a raconté qu’il se pourrait bien que les ruines paisibles conservent dans leur enclos le « jonc de mariage » de la chanteuse Alys Robi! En effet,  la célèbre artiste de cabaret est jadis venue chanter au Château de Pierre. Ce spectacle aurait eu lieu vers la fin des années quarante. On se souvient qu’Alys Robi avait la réputation d’être une femme de caractère, « tout feu, toute flamme »! Il semblerait que ce soir-là, après le tour de chant, quelqu’un de son entourage lui aurait appris – à tort ou à raison? – que son mari la trompait. Furieuse, la chanteuse lança alors son alliance au bout de son bras. On ne sait pas si cela se passait à l’intérieur ou à l’extérieur de l’hôtel. Le bijou s’est peut-être retrouvé dans la rivière, puis dans le fleuve… ou bien il a été égaré sur le terrain avoisinant l’hôtel, et soit avec les années, il s’est enfoncé dans le sol, soit quelqu’un l’a retrouvé et l’a gardé, ou encore l’a vendu. On ne saura sans doute jamais! Ce sont ces incertitudes qui ajoutent du mystère aux légendes.

Toujours à propos du Château de Pierre,  je vous raconte cette anecdote : le curé du temps avait mis ses paroissiens en garde contre ce qui se passait de « pas catholique » dans un certain endroit qu’il ne nommait pas, mais que chacun identifiait aisément. Il concluait en disant : « Il va sûrement arriver quelque chose ».  À ce qu’on m’a dit, ces paroles ont été prononcées peu de temps avant l’incendie de l’hôtel. Aurore Thibodeau Laplante, qui m’a raconté cette anecdote, aurait aujourd’hui 124 ans, et elle en racontait des choses! C’était un livre d’Histoire vivant : le ton, l’expression, le mime, tout y était. Elle est décédée en 1975 et comme vous pouvez le constater, je ne l’ai pas oubliée… il y a des gens comme ça!

© Madeleine Genest Bouillé, 12 avril 2016

En-tête de papier à lettre de l'hôtel Le Château de pierre.

En-tête de papier à lettre de l’hôtel Le Château de pierre.

De poèmes en Histoire…

photos jacmado 270809 162Si Deschambault est aujourd’hui salué surtout par maints photographes et artistes en arts visuels, il a jadis inspiré plusieurs auteurs. D’abord, Albert Ferland, auteur québécois né en 1872, et qui s’est fait connaître par ces œuvres : Mélodies poétiques, publié en 1893, Femmes rêvées, en 1899 et plusieurs fascicules, intitulés Le Canada chanté, entre 1908 et 1910. Dans un poème intitulé Visage du Pays dans l’aube, dont je cite un court extrait,  ce poète et dessinateur autodidacte, chante les beautés du fleuve, entre Deschambault et Lotbinière :

Visage du pays dans l’aube, je te chante
Je vous aime, ô caps bleus qui semblez dans l’attente
Du baiser du jour clair et des reflets de l’eau;
Vers vous, bords endormis, vole ce chant nouveau.
Salut, clochers muets qui guettez la lumière,
Vous dont le jet d’étain pointe sur Lotbinière,
Et vous, gravement gris sur ce cap sombre et beau,
Surgis parmi les pins, clochers de Deschambault!…

Bernard Courteau, auteur dont la famille est originaire de Deschambault, a publié plusieurs livres sur Émile Nelligan, sa vie et son œuvre. Dans un recueil de poésie  intitulé Les Labyrinthes, publié en 1975, il dédie « à son père » ce beau poème :

Lorsque sur Deschambault, les grands vents voyageurs
Grondent dans des brouillards que les rochers grafignent
Ou que les pluies d’hiver viennent tendre leurs lignes
Entre le phare et l’aube en de vagues blancheurs

photos jacmado 270809 149Qui dérivent sans bruit vers la nuit des falaises
Mon village est navire et porte les antans
Gestes faits de sagesse, au sein de ses haubans…

Inondant la batture en buissons de feu frais,
En amont des midis mon village est forêt
Où l’enfance est feuillage et les vieux sont racines.

Vers la fin du XVIIIe siècle, Charles-Denis Dénéchaud, alors curé de Deschambault, avait composé des vers qui, d’après un critique inconnu « nous donnent une description chaste et précise  de ce beau paysage ». Le poème était écrit en latin selon une coutume du temps. Le critique mentionne que « ces vers furent d’abord assez mal traduits en français, mais que,  finalement, on les a rétablis comme suit : »

Église Deschambault - Extérieur - nb - 010K1 845Deschambault
Sur un mont escarpé que cent beaux pins couronnent
De leur feuillage épais, les ombres t’environnent.
La vapeur et les vents conduisent les vaisseaux
Sur un fleuve profond orgueilleux de ses eaux.
Sur toi, séjour heureux, souffle le doux zéphir
Pour t’orner, avec art, la nature conspire.

 Une notice suit cette page. On y apprend que « cette traduction est due à la plume intelligente de M. Jacques Paquin, prêtre, décédé en 1847 à Saint-Eustache, Bas-Canada. »

Qui était ce Jacques Paquin, prêtre catholique et auteur? Jacques Paquin, né le 8 septembre 1791 à Deschambault, était le fils de Paul Paquin, cultivateur, et de Marguerite Marcot.  Ma recherche m’a appris que c’est dans une famille de cultivateurs que Jacques  a passé toute son enfance. Son père était aussi sacristain. Le jeune Jacques ayant exprimé à ses parents son désir de devenir prêtre, en bons catholiques, ceux-ci ne s’opposent pas à ce projet. Il est donc ordonné prêtre en 1814 et en 1815 il obtient la cure de Saint-François du Lac et de la mission d’Odanak qui y est rattachée. Plus tard, on le retrouve curé à Saint-Eustache durant les troubles de 1837.

Photo: Christopher Chartier Jacques 2009, © Ministère de la Culture et des Communications.

Photo: Christopher Chartier Jacques 2009 © Ministère de la Culture et des Communications.

Jacques Paquin est l’auteur d’une brochure intitulée Journal historique des évènements arrivés à Saint-Eustache, pendant la rébellion du comté du Lac des Deux-Montagnes (Montréal 1838).

Jacques Paquin,  fils de Paul, est donc apparenté aux Paquin de Deschambault.

© Madeleine Genest Bouillé, 28 mars 2016

C’était hier… à Deschambault

Je feuilletais des albums remplis de photos de notre village, prises entre 1956 et 1964… des images d’au moins un demi-siècle, pour la plupart en noir et blanc, bien qu’il y en ait quelques-unes en couleurs. Ça coûtait plus cher faire développer des photos en couleurs… et mon petit frère, le photographe, n’était pas riche! J’ai eu le goût d’en partager quelques-unes avec vous.

patinoire Johansen 1956L’équipe d’Étoiles 1956-57. La patinoire derrière la maison de monsieur le maire, C.H. Johansen. C’était l’endroit où se rassemblaient tous les jeunes garçons du coin. On peut voir l’arrière de la maison d’Honoré Courteau, aujourd’hui la maison Savard (au coin de la rue Saint-Joseph et du Chemin du Roy, à l’est).

reposoir Arthur Hamelin 1956Le reposoir de la Fête-Dieu, 1957. Le curé du temps avait eu l’idée de modifier l’itinéraire de la procession de la Fête-Dieu. Auparavant, le reposoir était toujours au même endroit chez M. Henry Bouillé, dans le haut du village. Peut-être dans l’idée de contenter tout le monde, le pasteur avait donc proposé qu’une année sur deux, la procession descendrait vers l’est du village, dans la rue Johnson – qui ne s’appelait pas encore ainsi. Il y avait un double avantage, soit de favoriser les pratiquants de cette partie de la paroisse tout en évitant la route nationale. Partant de l’église, la procession prenait la rue St-Joseph – qui s’appelait encore la « petite route », le cortège traversait la route principale et défilait dans la rue Johnson jusqu’au reposoir qui était installé devant la maison de M. Arthur Hamelin. Ce dernier vivait alors avec son fils, Omer, un menuisier qui ne refusait jamais de rendre service, surtout pour son église.

Pic de sableLe « Pic de sable », 1957. Cette photo ne représente rien pour vous, si vous avez moins de cinquante ans. Mes frères allaient faire des excursions à cet endroit qu’on appelait le « Pic de sable ». Avec un peu d’imagination, ils se croyaient au Far-West et faisaient la guerre aux Indiens. D’après ce que j’en sais, c’était sur la terre derrière l’école qu’on appelait autrefois la terre du curé (à ne pas confondre avec le « champ du curé » à l’arrière de l’hôtel de ville). Il s’agit probablement de la partie nord de la rue Janelle et de la rue Montambault. Et si c’est vraiment cette terre, ce serait alors l’endroit où avait été cachée la marmite d’or, lors du bombardement de la première église en 1759. (Pour en savoir plus long sur cette légende, lisez La marmite à Josaphat dans mon livre Récits du Bord de l’eau).

BrunoBruno dans la rue Johnson en 1958. Notre chien, Bruno, nous suivait partout. Il suivait surtout notre mère, peut-être parce qu’elle ne sortait pas souvent; il devait croire qu’elle avait besoin de protection. Le fait est qu’il la reconduisait quand elle allait à la messe. Il l’attendait près de la sacristie des sœurs et revenait de l’église avec elle. N’est-ce pas qu’il était beau le gros orme qui trônait sur le haut de la côte? Il y avait surtout pas mal moins de maisons dans notre vieille route…

QuaiUne vue prise du quai en 1959. Je vous suggère d’aller faire un tour sur le quai; on y a une belle vue, mais cela ne ressemble pas du tout à ce qu’on voit sur cette photo. On remarque bien quelques chalets, mais très peu d’arbres, là où maintenant il y a presque une forêt! L’Hôtel Deschambault, qui se dresse sur le haut de la côte, semble nous inviter à venir prendre un verre… ou deux. Voici donc une bâtisse qui a changé radicalement de vocation depuis 1985!

corde de boisChez nous en 1963. C’était l’automne, la cabane à pêche près de la maison est prête pour l’hiver… de gros tas de bois attendent d’être cordés; les garçons devaient sans doute être très occupés à plein de choses inutiles. Il me semble entendre maman qui disait : « Les p’tits gars, oubliez pas… il y a du bois à corder. Faudrait pas attendre qu’il neige! »

vieux presb 1963Le vieux presbytère avant les « majuscules » en 1963. À l’occasion des célébrations du 250e anniversaire de la paroisse, au cours de cet été, on l’avait ouvert au public et on y présentait une exposition d’objets anciens. Ce fut le début de sa deuxième vie!

© Madeleine Genest Bouillé, octobre 2015

Toutes les photos sont de Fernand Genest (collection privée).

Viens chanter avec nous…

J’étais très jeune quand on a commencé à m’emmener à l’église, mais déjà ce qui m’intéressait, c’était d’entendre la chorale. Mon rêve était de faire un jour partie du chœur de chant. Mes premières expériences de chant choral, je les ai cependant vécues au couvent. Nous préparions chaque année des récitals pour Noël et la fin de l’année. Dans mes dernières années d’étudiante, je suis allée une ou deux fois chanter la messe de Minuit au couvent, avec quelques-unes de mes compagnes. J’en garde un souvenir ému. Dans la chapelle joliment décorée de fleurs et de cierges, les cantiques anciens qu’on y chantait me semblaient plus pieux. Après cette messe, nous nous rendions à l’église, où nous chantions avec la chorale les chants traditionnels de la messe de l’Aurore. Je réalisais un de mes rêves d’enfant, quel bonheur!

Le Chœur Vive la Canadienne.

Le Chœur Vive la Canadienne.

En 1963, en prévision des festivités du 250e anniversaire de notre paroisse, un chœur à quatre voix mixtes a été créé. Cette chorale portait le nom de Chœur Vive la Canadienne. Nous étions une quarantaine de choristes, de quatorze à soixante ans et plus, et pour la plupart, nous étions novices en ce domaine. Autant pour l’apprentissage musical que pour la discipline, notre directrice, Odile Naud, n’a pas eu la tâche facile. Mais nous étions tellement heureux de faire partie de la chorale; chaque répétition était une fête! Pour plusieurs d’entre nous, c’est de cette époque que date notre goût immodéré pour le chant choral.

Qui dit chorale, dit concert de Noël! Alors que l’automne en est encore à ses toutes premières couleurs et que la température a gardé une tiédeur de fin d’été, il n’y a rien que j’aime autant que de retrouver mes amis choristes et de répéter Petit Papa Noël ou Noël blanc! Parlant de chant de Noël, jamais je n’oublierai le premier Noël du Chœur Vive la Canadienne ! Dans le cadre d’une émission où on invitait des chorales à l’occasion du temps des Fêtes, nous avions été à Trois-Rivières présenter des pièces de notre répertoire au studio de télévision. Ce fut très bref! Nous avons chanté un refrain et un couplet du cantique Nouvelle agréable… le temps d’un intermède! Finalement, ce voyage de groupe fut une vraie partie de plaisir! Parmi les nombreux chants de Noël que j’ai chantés en chœur depuis ce temps, je garde une préférence pour le beau chant composé, dit-on, par saint Alphonse de Liguori, Les Cieux ravis.

Chorale du Vieux Presbytère, dirigée à l'époque par Louise Montambault (extrême droite, première rangée).

Chorale du Vieux Presbytère, dirigée à l’époque par Louise Montambault (extrême droite, première rangée).

Le Chœur Vive la Canadienne n’a pas eu la vie longue! Notre directrice, travaillant à l’extérieur, a dû nous quitter. Comme c’est souvent le cas quand un chef de chœur est compétent et très apprécié de ses choristes, on n’a trouvé personne pour la remplacer. Ce problème a marqué le déclin de toutes les chorales dont j’ai fait partie. Il s’est écoulé dix années avant que soit créée la Chorale du Vieux Presbytère. À cette époque, nous présentions chaque printemps des « Soirées chantantes », dans l’une ou l’autre municipalité de la région. Plusieurs chorales participaient à ces concerts conjoints qui réunissaient plusieurs centaines de choristes, et attiraient évidemment une nombreuse assistance. Quels magnifiques concerts furent donnés dans ces églises, qui sont comme on sait, les meilleures salles de concert qui soient.

Chœur des Retrouvailles, en spectacle à l'église en 1988, pour le 275e anniversaire de Deschambault.

Chœur des Retrouvailles, en spectacle à l’église en 1988, pour le 275e anniversaire de Deschambault.

En 1988, la paroisse allait célébrer son 275e anniversaire… Il fallait une chorale! Pour diriger le Chœur des Retrouvailles, on fit appel à un ancien choriste, Gaston Bilodeau, qui, bien que demeurant à l’extérieur, consentit à prendre en mains la nouvelle chorale. Après deux années, Gaston n’étant plus disponible, certains choristes se sont joints à la chorale de Saint-Casimir, laquelle comptait déjà dans ses rangs des personnes de plusieurs municipalités voisines. Si bien qu’en 1992, ces adeptes de chant choral formèrent le chœur La Mosaïque, qui regroupait des choristes de plusieurs endroits dans la région de Portneuf. Fait inusité, ce chœur était dirigé par trois chefs. Malgré certains inconvénients, je dirais que pour la plupart des membres de cette chorale, ce fut une belle aventure!

Chorale La Mosaïque, formée de choristes de plusieurs municipalités de la région portneuvoise.

Chorale La Mosaïque, formée de choristes de plusieurs municipalités de la région portneuvoise.

À l’automne 1995, renaissait la Chorale du Vieux Presbytère, dirigée cette fois par une ancienne accompagnatrice, Jacinthe Montambault, alors directrice de l’École de Musique du couvent de Deschambault (aujourd’hui l’École de Musique Denys Arcand). Malgré quelques éclipses, dues à la naissance des bébés de la directrice, le groupe a connu de belles saisons de chant. Toutefois, il faut bien convenir que, chez nous du moins, les chorales ont une durée de vie plutôt brève! Au cours des années 2000, une autre chorale prit la relève. La Chorale des Jeunes de Cœur, dirigée par Manon Chénard-Marcotte, était composée de personnes du troisième âge et offrait des pièces de tout genre et de toutes époques.

En 2012, le 300e anniversaire de Deschambault s’annonçait. Impossible de célébrer sans chorale! Jacinthe reprit donc les rênes d’une chorale qui allait évidemment porter le nom de Chœur d’Eschambault. Un 300e anniversaire, ça exige du panache! Le concert du 30 juin 2013 fut mémorable, autant par le choix des pièces que par leur interprétation, le tout rehaussé d’accompagnement non seulement au piano, mais aussi à la flûte traversière et au violoncelle, avec support technique pour le son et les effets de lumière. C’était féérique! Une choriste, Linda Martel, avait pour l’occasion composé une chanson, harmonisée par Jacinthe, en hommage à la paroisse tricentenaire : « Grande Dame tricentenaire, Deschambault de toi on est fiers… Belle d’autrefois, belle à jamais! » Cliquez ici pour visionner le chant.

Nous étions aussi très fiers de notre chorale, si bien que nous avons continué une deuxième année. Comme nous n’avons pas dit « adieu », j’en conclus que nous sommes présentement « en pause »…

© Madeleine Genest Bouillé, juin 2015

 

Des lieux où s’écrit l’histoire

Si les lieux pouvaient parler, ils raconteraient peut-être l’histoire autrement. Ils ont été témoins d’épisodes qui ont eu une incidence heureuse ou malheureuse sur ceux qui les ont vécus. J’aurais pu m’attarder sur les endroits qu’on cite habituellement, tels l’église, le couvent, le Vieux Presbytère, les Jardins du cap Lauzon ou le Moulin de La Chevrotière. J’ai préféré aller vers d’autres lieux dont on parle moins. Certains témoins de la vie de notre village tricentenaire sont disparus, d’autres subsistent malgré le temps et les exigences de la vie moderne, tandis que de nouvelles structures ont été édifiées pour remplacer ce qui n’est plus.

Descente du quai (source: Centre d'archives régional de Portneuf).

Descente du quai (source: Centre d’archives régional de Portneuf).

Voici quelques-uns de ces lieux ou édifices qui ont jalonné l’histoire de notre patelin. Allons d’abord sur le quai, lequel a été construit en 1928 pour remplacer le vieux quai de bois, qui accueillait le navire l’Étoile. Dans l’édition spéciale du bulletin municipal Le Phare, parue au mois d’août 1988, ma mère racontait ses souvenirs de l’époque où «  ce paquebot blanc, actionné par un moteur à vapeur, desservait plusieurs paroisses de Québec à Montréal, entre autres, Cap-Santé, Grondines, Lotbinière, Deschambault et bien d’autres sans doute. » Dans cet article, ma mère parlait de l’animation qui régnait aux alentours du quai quand, à marée haute, l’Étoile prenait le chenal pour venir y accoster. Les voyageurs et les promeneurs empruntaient le petit trottoir de bois qui longeait la côte chez Alfred Petit (actuellement M. Vézina) pour se rendre sur la place du quai. Dans les années cinquante, même s’il n’y avait plus de navires qui venaient accoster au quai, celui-ci avait encore ses deux gros piliers et sa cabane, qui était utilisée pour ranger chaloupes et rames. De nos jours, à marée haute durant la belle saison, le quai rénové accueille toujours les pêcheurs tandis que les flâneurs y viennent pour admirer un des plus beaux points de vue de Deschambault.

Visite de Mgr Bégin en 1918 (source: Centre d'archives régional de Portneuf).

Visite de Mgr Bégin en 1918 (source: Centre d’archives régional de Portneuf).

Du quai, on a contemplé le cap Lauzon… allons donc y faire un tour! Un petit édifice construit en 1995 nous reçoit… s’il n’est pas trop achalandé! Qu’on l’appelle gazebo ou kiosque ou autrement, il cadre bien dans ce magnifique décor. Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est que ce kiosque – je préfère cette appellation – a eu un prédécesseur, lequel était situé plus près de la « grotte » (qui n’existait pas encore). Au début du vingtième siècle, le curé du temps, Ulric Rousseau, avait fait construire ce pavillon où les prêtres venaient se reposer; tout près, on avait aménagé un jeu de croquet. Les années ont passé et le petit édicule fut abandonné. Un jour de grand vent en 1945, il tomba en bas de la falaise; il était irrécupérable. À l’époque, un sentier longeait le cap jusque derrière le couvent et un escalier rudimentaire permettait de descendre sur la grève. Il n’y a plus de pensionnaires au couvent, mais comme elles auraient aimé descendre et monter l’imposant escalier érigé en 1995!

Toujours sur le cap, un monument de pierre édifié en 1963 attire l’attention. Comme un phare, sa lumière chaque soir s’allume et s’éteint pour rappeler que Deschambault a longtemps été un village de marins. D’ailleurs, sur la pierre, on peut lire ceci : « Naviguer c’est prévoir ». Il n’y a plus de phare sur l’îlot Richelieu, ni dans le fleuve au pied des rapides, mais le monument des marins continue de veiller.

Chapelle située au fond du cimetière, autour de 1970 (crédit photo: Fernand Genest).

Chapelle située au fond du cimetière, autour de 1970 (crédit photo: Fernand Genest).

Au début de notre histoire, il est dit « qu’une première chapelle fut érigée par le seigneur de La Chevrotière, peu après 1700, près de son manoir ». (Claude Paulette, Deschambault et son patrimoine, 1990). Cette chapelle située à l’endroit appelé « cap d’Ulysse », était dédiée à saint Antoine. Deux cents ans plus tard, une chapelle votive, elle aussi dédiée à saint Antoine, fut construite près de l’ancien relais de poste, à l’endroit où maintenant s’ouvre la rue Janelle. Elle servait de reposoir lors de la procession de la Fête-Dieu jusqu’au jour où, cette pratique étant devenue désuète, on décida de déménager la chapelle au fond du cimetière. Dès lors, elle fut utilisée comme charnier durant l’hiver. Cette décision favorisait ainsi l’ouverture d’une nouvelle rue et la création d’un nouveau développement domiciliaire. Pour la chapelle, le lieu était bien choisi : saint Antoine veillerait sur nos disparus. La petite chapelle aurait pu demeurer à cet endroit, mais, quelques années plus tard, elle fut vendue et transportée près du fleuve où elle est toujours. Dans une histoire, il arrive que certaines pages soient moins heureuses que d’autres!

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Monument des marins, 2013 (crédit photo: Jean-Marie-Bouillé).

Monument des marins, 2013 (crédit photo: Linda Brouillette, coll. Comité d’Embellissement Deschambault-Grondines).

Deux phares, une île

Le plus vieux des deux phares, en 1970 (photo: Fernand Genest).

Le plus vieux des deux phares, en 1970 (photo: Fernand Genest).

L’îlot Richelieu, situé dans le fleuve du côté sud du chenal des bateaux, a été pendant je ne sais combien d’années un lieu unique pour les jeunes de Deschambault en quête d’aventure! Pour les habitants de Lotbinière, l’île est facilement accessible à marée basse. Mais pour les gens d’ici, il y a le chenal à traverser et, à cet endroit, on est en plein dans le fort courant du Rapide Richelieu, ce qui rend le périple plus difficile.

L’histoire commence avec un écueil d’importance qu’on appelle la « Barre à Boulard », du nom d’un des premiers Arcand de Deschambault, qui s’appelait Arcand dit Boulard et dont la terre était située vis-à-vis cet endroit (actuellement la halte routière). Avant le creusage du chenal, la Barre à Boulard était un immense banc de pierre d’environ 1 800 pieds, qui traversait le fleuve du nord au sud. Monsieur Alexis Gauthier, ancien pilote de Deschambault, qui connaissait le fleuve comme le fond de sa poche, avait expliqué cette particularité dans le bulletin Le Phare en 1988. Il disait ceci : « Le Saint-Laurent n’était pas facile… autrefois, sur la Barre à Boulard, il y avait 27 pieds d’eau à marée basse, passé cet endroit, il y en avait 75. Et plus bas, on arrivait au « trou de Portneuf », qui lui, en avait 160. Nous avions des points de repère. En descendant le fleuve, quand on arrivait juste vis-à-vis la route à Bouillé, on commençait la Barre à Boulard. Et quand la statue de Saint Louis sur l’église de Lotbinière montrait son dos entre les deux clochers, on la terminait. » Les pilotes du Saint-Laurent connaissent tous cette partie du fleuve qu’on nomme le Rapide du Richelieu.

Il était difficile de naviguer dans le fleuve à cet endroit, donc à l’époque où on érigeait des phares, le site de l’îlot Richelieu, sur lequel Champlain avait déjà construit un fort en 1633, était l’endroit tout désigné pour recevoir une « lumière », pour parler le langage des anciens. Plus tard, le vieux phare de l’îlot Richelieu cessa d’être fonctionnel lorsqu’on construisit vers 1870, un de ces phares en bois comme on en voit tout au long du fleuve. On le trouvait majestueux, notre beau phare rouge et blanc!

Intérieur du phare de l'îlot, en 1963

Intérieur du phare de l’îlot, en 1963

Ma mère racontait que, dans sa jeunesse, il arrivait fréquemment que des jeunes gens traversent en canot jusqu’à la petite île, au gré des vents et des marées, évidemment. Plus tard, mes frères et leurs amis ont tous maintes fois effectué cette traversée jusqu’à « l’îlette », comme on disait alors. Moi-même, j’y suis allée une fois dans les années cinquante, avec un de mes grands frères. Nous pouvions entrer dans le phare, la porte n’étant pas verrouillée, et un premier escalier nous menait au deuxième étage. Ensuite, un autre plus étroit conduisait jusqu’à la tourelle. N’aimant pas particulièrement les hauteurs, je me suis contentée de monter au deuxième. L’intérieur était encore intact, les murs peints en vert pâle; aucun meuble ne subsistait. Je ne suis pas restée longtemps dans le phare… peut-être suis-je trop impressionnable, mais je n’étais pas à l’aise dans cet espace restreint, froid et désert.

Au cours de sa longue vie, le phare de l’îlot a connu des drames, tout d’abord, «…  en 1834, il a été pillé et son gardien, le capitaine Sivrac, après avoir été roué de coups, a été jeté dans la cave du phare » (Cambray et ses complices, F.-Réal Angers, 1837). Quant aux derniers occupants, un Lemay et son épouse, ils se sont noyés en 1949 dans des circonstances qui sont restées nébuleuses.

Le phare "rouge et blanc", en 1970 (photo: Fernand Genest).

Le phare « rouge et blanc », en 1970 (photo: Fernand Genest).

L’îlot Richelieu est désormais bien tranquille… Le phare a été détruit le 18 février 1971; les éléments naturels, tout autant que les multiples creusages du chenal, ont érodé les berges de l’île. À quelques encablures de là, le beau phare rouge et blanc a pour sa part été ravagé par un incendie en 1974. Sur l’île, il n’y a maintenant plus aucune trace du petit phare en pierres… et à côté, une tour tronquée, sans grâce, rappelle tristement l’élégant phare qui a jadis guidé les marins navigant dans les eaux capricieuses du Saint-Laurent.

© Madeleine Genest Bouillé, mai 2015

Les deux phares, dans un état pitoyable, autour de 1975 (photo: Fernand Genest).

Les deux phares, dans un état pitoyable, autour de 1975 (photo: Fernand Genest).

« Ah! C’était un p’tit cordonnier! »

Maison de mon grand-père, Edmond

Maison de mon grand-père, Edmond « Tom » Petit, le cordonnier, en 1903. © Coll. Madeleine Genest Bouillé.

« Ah! C’était un p’tit cordonnier, qui faisait fort bien les souliers… il les faisait si drette, si drette… pas plus qu’il n’en fallait! » Cette photo de la maison d’Edmond Petit, mon grand-père maternel, a été prise l’année de son mariage avec Blanche Paquin en 1903. Mon grand-père, que tout le monde appelait « Tom », était cordonnier, comme le témoigne l’enseigne suspendue au coin de la maison. Comme le petit cordonnier de la chanson, il n’était pas grand, mais « il faisait fort bien les souliers ». Autrefois, chaque village avait son cordonnier, de même qu’un forgeron, un boucher, un menuisier, une modiste de chapeau et combien d’autres gens de métiers, tous indispensables. Non seulement le cordonnier réparait les chaussures, mais au début du siècle, il fabriquait souliers et bottes. Au fil des ans, la commercialisation des vêtements et des chaussures, s’étant installée jusque dans les villages, le cordonnier ne faisait plus que des réparations. Je me souviens de la boutique de cordonnerie de mon grand-père… il y avait des formes en métal de différentes grandeurs qu’il posait sur un pied, puis, il y plaçait le soulier à réparer. Le travail le plus courant était le remplacement des talons usés, ou bien, des coutures à repriser. Pour que les chaussures s’usent moins vite, il posait au bout de la semelle et au talon un petit fer, qui claquait à chaque pas. Je me souviens qu’on m’avait fait mettre ces fers en dessous des souliers que je portais pour aller à l’école… Quand je m’entendais marcher, j’étais tellement gênée! Mais, effectivement, les chaussures duraient plus longtemps. Après le décès de ma grand-mère, en 1951, mon grand-père qui ne rajeunissait pas, a cessé graduellement de réparer les souliers des clients qui se faisaient plus rares… modernité oblige! Il est décédé en 1957 à l’âge de 87 ans. Avril 2015