Avec les mots de ma sœur…

De 1985 jusqu’en 1994, ma grande sœur Élyane avait écrit ses mémoires dans un petit cahier d’écolier à double interlignes. Elle n’écrivait pas tous les jours. Peut-être y a-t-il d’autres cahiers, mais elle ne m’a prêté que celui-ci. Dans le haut de la première page, elle avait écrit ceci : « Une nation sage conserve ses archives… Recueille ses documents… Fleurit les tombes de ses morts illustres… Restaure ses importants édifices publics et entretient la fierté nationale et l’amour de la patrie en évoquant sans cesse les sacrifices et les gloires du passé ». –  Joseph Howe

Elle débutait ainsi ses écrits le lundi 9 décembre 1985 :

« Des souvenirs, les plus beaux, surgissent à mon esprit;ils arrivent comme ça, par bouffées de fraîcheur. Car pour moi, les souvenirs de jeunesse, c’est toujours de la fraîcheur, une bonne odeur… comme celle du sapin que nous aurons bientôt. » Elle précisait que la veille, jour de l’Immaculée Conception, il neigeait à gros flocons qui tombaient en tournoyant et elle se rappelait ces paroles de notre mère : « Regardez dehors, les enfants, les petits anges secouent leurs casseaux! »  Et ma sœur, alors enfant, regardait tant qu’elle pouvait dans le ciel, afin de voir au moins un ange, secouant son casseau de neige. Maman disait aussi : « Soyez sages, si vous voulez que le Père Noël vous donne des cadeaux, parce qu’à tous les soirs, il y a un ange sur le toit qui écoute ce que vous dites et regarde ce que vous faites, et il va le dire au Père Noël. » Élyane se demandait alors si vraiment l’ange comprenait tout ce qu’il voyait, mais elle ajoutait que cela l’incitait à être plus sage. Et parfois le soir, avant de se mettre au lit, elle regardait par la fenêtre, se demandant si l’ange allait aussi sur le toit des cousins Dussault qui habitaient presque en face.

Les enfants de la famille Genest, 1942. Sur la photo, Claude est absent – il n’aimait pas de faire photographier… (Coll. privée, Madeleine Genest Bouillé).

Le récit des mémoires d’Élyane se poursuit le 9 juillet 1990.  Notre frère aîné, Claude, est décédé depuis janvier 1988. Les deux aînés, qui n’avaient qu’une année de différence, étaient très près l’un de l’autre, et ma sœur fut profondément affectée par ce départ.  Ce 9 juillet donc, Élyane écoutait des enregistrements de vieilles chansons en se remémorant les soirs où, avec Claude et quelques amis, ils sortaient sur la galerie le « guibou » – on appelait ainsi le gros gramophone à manivelle – et qu’ils faisaient jouer les disques de Georges Guétary, Luis Mariano et André Dassary, les chanteurs à la mode de ce temps-là.

Il n’y a rien comme les chansons anciennes pour raviver les souvenirs… En écoutant « Il n’y a qu’un Paris », chanson d’André Dassary, ma sœur se remémore la première fois où elle a entendu cette chanson. Je lui donne la parole : « J’étais chez Mémère, j’avais couché là, dans le lit entouré de rideaux, avec tante Irma. Cet air-là m’a poursuivi une partie de la nuit; il se mêlait au bruit des feuilles du gros peuplier qui était devant la fenêtre. Les soirs d’été, avant de se coucher chez Mémère, on allait chercher à tâtons dans le jardin, des feuilles de salade qu’on mangeait avec des beurrées de beurre. Hum! Que c’était bon! Pépère se levait la nuit pour jouer une « patience » et manger du pain et du lait. »  Elle ajoute qu’elle allait sentir sur le bord de l’escalier… Ça me rappelle que j’ai raffolé moi aussi d’aller écouter jaser les grandes personnes sur le bord de l’escalier quand j’étais petite!

Toujours en 1990, ma grande sœur revient à ses Mémoires, le 30 juillet. Elle raconte comment notre mère en a vu de toutes les couleurs avec nous « dix », lorsque nous demeurions sur le grand chemin – ainsi appelait-on alors, le Chemin du Roy. Voici quelques bons – ou plutôt mauvais – coups de quelques-uns des enfants Genest.  « Vers 1942 je crois, Lulu (Jacques), qui n’avait que 4 ans, s’était découvert des talents de peintre. Il avait été « taponner » dans la peinture rose destinée à une chambre et il y avait saucé le chapelet bleu à Maman qui était devenu « fleuri rose »… comme il s’était fait prendre sur le fait, tout gêné, il était allé se tapir dans un coin de la chambre tapissée; comme il était barbouillé de peinture rose, il avait laissé sa trace imprimée dans le coin. »

Plus loin, Élyane nous raconte que Fernand, le huitième de la famille, fouillait partout, silencieusement, en se glissant comme une belette, précise-t-elle. Maman a toujours adoré les bibelots. Sur les meubles et sur les étagères, on trouvait un peu de tout : des bergères et des princesses, des petits bonhommes et des animaux. Mais, comme le dit ma sœur, « Plusieurs bibelots (bonhommes et animaux) avaient déjà eu la tête « partie » et recollée avec une « mâchée de gomme ». Quand Fernand entendait arriver quelqu’un, il se dépêchait de reposer les têtes arrachées… mais dans sa hâte, il se trompait souvent et on retrouvait des bonhommes à tête de chien aussi bien que des chiens à tête de bonhomme! »

On m’a toujours dit que j’étais «  tannante ».  À ce propos, voici ce qu’en dit ma sœur : « Madeleine, elle, restait éveillée tard… elle descendait de son lit et s’en venait en bas. Malgré qu’elle était bien petite et légère, elle faisait assez de bruit que Maman l’appelait « les pieds de fer »… Elle aussi fouillait partout; un jour, elle s’était coiffée avec de la graisse « pur lard » (du saindoux). Elle avait les cheveux tout luisants! Une autre fois, elle avait trouvé de la colle de farine pour coller la tapisserie… elle s’en était fait un shampoing… il a fallu lui couper les cheveux tellement ils étaient collés. »

Je vous reviens avec d’autres souvenirs de ma grande sœur dans un prochain Grain de sel!

© Madeleine Genest Bouillé, 23 août 2018

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