Que sont mes amis devenus?

Une ancienne compagne de classe, qui a fait sa vie aux Iles de la Madeleine, est venue se ressourcer, ou se refaire une santé – ou les deux – dans son village natal. Quelle bonne idée! Nous nous sommes d’abord parlé au téléphone, puis nous nous sommes rencontrées, avec les inévitables : « Comme ça fait longtemps! » suivi de : « Qu’es-tu devenue tout ce temps? »  Ces mots m’ont rappelé les paroles d’une vieille chanson. Dans les années 80, Nana Mouskouri avait repris cette complainte du Trouvère Rutebeuf; sur un petit air tristounet, la chanson dit : « Que sont mes amis devenus, que j’avais de si près tenus et tant aimés… Ce sont amis que vent emporte, et il ventait devant ma porte, les emporta. »

Avec Colette et Madeleine, 1948 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Dans ma mémoire sont d’abord apparues les premières amies avec lesquelles j’ai joué dans mon enfance, elles ont évidemment une place de choix! Et alors ont défilé les compagnes de classe, de la 3e à la 11e année, ça en fait du monde! Inévitablement, sont revenus à ma mémoire les rires et les plaisanteries des filles et garçons avec qui j’ai « jeunessé », du temps où je travaillais au Central du téléphone. On se rencontrait soit à la salle, au restaurant ou au terrain de jeux, lors des parties de balle-molle, en été et de ballon-balai en hiver. J’aime bien ce terme, « jeunesser », je trouve qu’il exprime parfaitement ces relations amicales et sans conséquence qui sont le lot de notre adolescence  et des débuts de notre vie d’adulte. C’est souvent de ce temps que datent les  vraies amitiés, celles qui durent toujours!

Profession de foi, 1952 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Et ensuite se succèdent les personnes que j’ai rencontrées au gré des différentes activités auxquelles j’ai participé.  Que sont-ils tous devenus?  J’avoue que j’en ai perdu plusieurs de vue, et ce depuis longtemps.  Comme dans la chanson «  le vent les a emportés ». Par contre, demeurant dans le village où je suis née, je rencontre quand même souvent d’anciennes compagnes de classe ou des amis que je connais depuis de nombreuses années. En vieillissant, je remarque qu’on se rapproche volontiers des personnes avec lesquelles on a partagé des tranches de vie et c’est normal. On a des souvenirs en commun; on a fait du théâtre, de la pastorale, on était ensemble dans la chorale, nos enfants sont allés à l’école ensemble… on a ri ensemble! À plus forte raison, quand il s’agit des gens avec qui on a « bénévolé », un autre mot qui en dit long! Alors forcément, ça tisse des liens. Et ces liens qui nous rattachent les uns aux autres, c’est de la chaleur pour le cœur. Mais, comme le dit une autre chanson : « Avec le temps, va… tout s’en va ». Alors, quand l’un ou l’une part pour le dernier voyage, qu’importe la saison, on sent un courant d’air tout à coup, on a froid. On sent surtout le besoin de se rapprocher de ceux qui restent.

La chorale du 250e anniversaire en 1963 (collé privée Madeleine Genest Bouillé).

Lors du 50e anniversaire de vie religieuse de Sœur Louisette en 2003 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Qu’est-ce donc que l’amitié? Une autre chanson me revient, elle était chantée par Françoise Hardy : « Beaucoup de mes amis sont venus des nuages… ils ont fait la saison des amitiés sincères, la plus belle saison des quatre de la terre. » Déjà, quand j’étais enfant, j’hésitais toujours un peu avant de dire qu’une autre fillette était mon amie. Je me souviens que j’avais peur de me tromper; j’attendais d’être certaine. Pour moi, l’amitié était comme une maison où on est invité; on frappe à la porte, mais on attend pour entrer que quelqu’un vienne ouvrir.

Au cours de mes années d’étudiante, j’ai noué des relations amicales avec plusieurs compagnes en tenant compte toutefois qu’il était dans l’ordre des choses que nos chemins se séparent à la fin de nos études. Plus tard, au fil des années, j’ai connu des personnes que je nomme « des  étoiles filantes ». Rencontrés dans différents groupes, ces «  amis »  en devenir, pour une raison ou une autre, n’ont fait que traverser ma vie.  Il y a eu des déménagements. On sait ce que c’est, on se promet de demeurer en contact, et le cours des choses en décide autrement. Parfois on s’éloigne parce que, malgré certaines affinités, on n’est pas sur la même longueur d’ondes, ou on n’a pas les mêmes valeurs. C’est dommage!

Il y a encore heureusement des personnes qui « font la saison des amitiés sincères ». Ils et elles ne sont pas légion; certains sont des amis depuis très longtemps, d’autres  depuis peu, mais tous me sont chers. Que ces amitiés se soient forgées au fil des ans ou au gré des activités qui nous ont rapprochés, j’espère de tout mon cœur que le vent ne les emportera pas! L’amitié, c’est comme le soleil; parfois il se cache; mais on sait qu’il n’est pas loin, et qu’il va revenir. Pour les vrais amis, l’essentiel c’est que chacun sache qu’il peut compter sur l’autre.

En terminant  je vous cite deux pensées tirées de mon vieux petit carnet, d’abord celle-ci : « Les vrais amis attendent la réponse quand ils demandent : Comment vas-tu? » Et celle-là : « Un ami : quelqu’un qui sait tout de toi et qui t’aime quand même. »

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015 et 2018

De portraits en chansons…

Je fouille dans mes albums de photos, je cherche quels portraits je pourrais bien vous présenter. J’ai très peu de photos des amies de mon enfance et de celles avec lesquelles j’ai « jeunessé ». Leur photo, elle est dans ma mémoire et ne s’en effacera jamais!

Me voici donc rendue dans mes années d’étudiante au couvent… je cherche. Je regarde les photos de groupe dans l’album du Centenaire en 1961 Je tombe sur une photo prise lors d’une fête qui avait eu lieu en mai ou en juin, avant la fin des classes. Je ne sais pas ce qu’on fêtait, plusieurs groupes d’élèves sont vêtues comme pour une mascarade. La photo qui date de 1953 est tellement mauvaise qu’on peut à peine distinguer les visages. Je me souviens vaguement que j’étais déguisée en servante noire; la scène se passait en Afrique. Nous avions fabriqué un éléphant avec des sacs de jute rembourrés de papier et nous devions le tenir pour qu’il ne tombe pas! C’est tout ce dont je me rappelle. Mon maquillage fait de suie coulait sur ma figure et sur mes bras, tachant ma robe. Pour donner un air de fête à cette journée qui devait être mémorable, on nous avait dit de venir en classe avec une robe ordinaire. Moi, j’avais choisi ma belle robe en taffetas à carreaux rouges… quelle mauvaise idée! Pas de photo, mais un souvenir ineffaçable!

Faute d’images, je peux toujours rappeler quelques-unes des chansons qu’on chantait pendant les récréations. Il y avait toujours des chansons. Même si je n’ai pas de photos des événements, ces souvenirs en musique me rappellent les compagnes avec lesquelles je chantais en chœur. Une des plus connues, et peut-être des plus chantées, est sans nul doute Les cloches du hameau, avec ses « tra, la, la » au refrain, que tout le monde reprend en chœur. Cette mélodie me ramène à ces derniers jours de classe, en juin; la période des examens approchait et nous avions parfois la permission d’aller dehors pour étudier… c’était à l’époque où nous portions encore la robe noire à manches longues, qui n’était pas vraiment une robe d’été!

La période d’études était entrecoupée de chansons, poussées à tue-tête, et il me semble entendre notre chœur improvisé : « Les cloches du hameau, chantent dans la campagne, le son du chalumeau égaye la montagne. On entend… les bergers… chanter dans la prairie, ces refrains si légers qui charment leurs amis ».  Et on entonnait les « tra, la, la» allègrement, avec les voix d’alto qui s’ajoutaient et faisaient un effet si joli!

Voici un chant qui évoque les camps d’été de la Jeunesse Étudiante Catholique, (JEC). En septembre, les grandes qui avaient assisté au camp, avaient toujours de nouvelles chansons à nous apprendre. Il n’y avait rien qui me plaisait plus que d’apprendre une nouvelle chanson! Je suis certaine que vous allez avoir envie de fredonner avec moi  La Bohême : « Chante et danse la Bohème, Faria, Faria-oh… Vole et campe où Dieu te mène, Faria, Faria-oh! Sans soucis au grand soleil, coule des jours sans pareils… Faria… Faria… Faria oh! »

 L’avant-dernière ou la dernière année, la chanson à la mode était Belle alouette grise. Elle avait d’ailleurs été publiée dans un des derniers cahiers de La Bonne Chanson. Il s’agit d’une histoire ancienne, avec un marin qui veut marier la fille du Roi. Quand le Roi répond « Petit marin, tu n’es pas assez riche », celui-ci répond : « J’ai trois vaisseaux dessus la mer jolie. L’un chargé d’or, l’autre d’argenterie, et le troisième pour promener ma mie ». Le Roi se ravise alors et lui dit : « Petit marin, tu auras donc ma fille! ». Le marin  voulant avoir le dernier mot répond : «  Sire le Roi, je vous en remercie. Dans mon pays, il y en a de plus jolies! » Alors on chantait allègrement en chœur, voix d’alto comprise : « Va, va ma petite Jeannette, va, va, le beau temps reviendra…. »

Plusieurs portraits défilent dans ma tête au rappel de ces chansons. Nous étions heureuses et nous ne le savions pas!

© Madeleine Genest Bouillé, 3 août 2018