Dans mon jeune temps, la plupart des gens ne parlaient que le français, je précise qu’il s’agissait du français de par chez nous! Avec le temps, il faut avouer que notre langage ressemblait de moins en moins à la langue parlée en France. Si nous avons gardé les accents des diverses régions d’où sont partis nos ancêtres, nous avons aussi intégré des expressions et des mots anglais qui nous ont été rapportés par les voyageurs autant que par ceux qui s’exilaient aux « États », comme on disait. Ces parents qu’on ne voyait pas souvent prenaient plaisir, quand ils revenaient au pays, à émailler leur français de mots anglais, qu’on répétait ensuite, fièrement, mais plus souvent qu’autrement, tout de travers! Comme on le sait, au fil des ans, l’anglais est devenu couramment utilisé dans les domaines commercial et industriel. Évidemment, pour les commerces qui s’adressaient à la clientèle touristique, il était important de s’afficher en anglais. À Deschambault, les touristes anglophones qui voyageaient de Québec à Montréal ou l’inverse, étaient très bien reçus! Ils pouvaient s’arrêter soit au Winterstage – l’ancien relais de poste, ou au Maple Leaf; cet hôtel annonçait qu’on pouvait y louer des « log-cabins » sur le bord du fleuve. Chaque été, ces petits chalets accueillaient régulièrement leur lot de touristes. Une de ces cabines est encore debout… si elle parlait, elle aurait certes beaucoup de choses à nous raconter!

« Log-cabin » de l’auberge Maple Leaf, près du fleuve à la hauteur du calvaire Naud (photo: J. Bouillé).
Plusieurs établissements aux noms bien français arboraient fièrement une affiche qui disait « Ici on parle anglais ». Notre petite localité était fort bien pourvue pour ce qui concerne les établissements hôteliers. Citons le Manoir du Boulevard et à l’entrée du village, l’Hôtel Deschambault – devenu l’Oasis Belle-Vie. L’Hôtel le Vieux Bardeau, qu’on appelait autrefois l’Hôtel Bellevue, a une longue histoire; cet endroit étant jadis très fréquenté en raison de sa proximité avec la traverse Deschambault-Lotbinière. Plus haut, dans le rang du même nom, l’Auberge de La Chevrotière, située en face de la gare du Canadien Pacifique, accueillait les voyageurs qui descendaient du train. À l’extrémité ouest de Deschambault, de l’autre côté du pont de la rivière La Chevrotière, M. Lauréat Paquet louait des cabines pour les touristes; il n’y a pas si longtemps, une clientèle régulière y venaient encore chaque été pour quelques jours ou quelques semaines.

Manoir du Boulevard, à l’est de Deschambault (ancienne carte postale, coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Hôtel Bellevue, maintenant Hôtel Au Vieux Bardeau, avec ses « cabines » (ancienne carte postale, coll. privée Madeleine Genest Bouillé).
Qu’il s’agisse des hôtels et des garages ou encore des petits magasins de souvenirs comme celui de M. Roland Goudreault, lequel était situé tout près de la voie ferrée, en bas du village, les touristes anglophones étaient servis en anglais! Dans ces étalages, en bordure du chemin, en plus des cartes postales représentant le plus souvent le Château Frontenac, on pouvait se procurer différents objets tels porte-clés, tasses et assiettes décorées, arborant pour la plupart l’étiquette « made in Japan ». Heureusement, les dames qui tenaient ces petits commerces, en profitaient pour vendre leurs propres travaux d’artisanat, catalognes, couvertures, tricots ou broderies; tous ces ouvrages étaient d’une qualité qui dépassait largement le coût demandé. On vendait en anglais… mais on vendait!
À la maison aussi, la langue anglaise s’est glissée tout doucement, sans faire de bruit… et s’est installée de la cave au grenier! La cuisine était équipée d’une « pantry » et d’un « sink »; et comme on était fier de notre « toaster » électrique! L’été on mettait des « screens » dans les fenêtres pour empêcher les mouches d’entrer; en hiver, cependant on remettait les châssis doubles. Quand on entrait dans la maison, on était accueilli par le sifflement du « boiler » sur le poêle. On gardait toujours du thé dans le « teapot » sur l’arrière du poêle; quand il arrivait quelqu’un du voisinage, on l’accueillait ainsi : Ben le bonjour! Assisez-vous donc une minute… vous prendrez ben une tasse de thé, avec un petit « cookie », je viens juste de les sortir du four! Tout le monde connaissait depuis longtemps les « bines », mais personne n’aurait utilisé le terme de « fèves blanches au lard », non, ça n’aurait pas eu le même goût! De même, quand on servait un « rosbif », on y ajoutait du « grévé » c’était tellement meilleur ! L’anglais ne s’est pas invité qu’à la cuisine; indiscret, il est allé jusqu’aux « closets » où il a testé la chaîne pour « flusher ». Ensuite il est passé au salon où il s’est extasié sur le nouveau « chesterfield » ainsi que le beau « rug » qui recouvrait le plancher, sans oublier le « pick-up », avec sa pile de disques! Curieux, en sortant de la maison, il est allé voir dans la « shed »; j’aurais de la difficulté à nommer tous les outils, mais il y avait sûrement une « chainsaw », une « drill », un « jack » et combien d’autres.
L’endroit où notre cours d’anglais accéléré a eu le plus d’élèves assidus, c’est sans contredit dans le domaine de l’automobile! Du « bumper » jusqu’aux « tires », en passant par la « clutch », le « dash », le « windshield » – on disait « wind shire », le « steering » et les « sealbeams », et j’en passe… on s’est rendus aux nouvelles autos « power-break –power-steering », ça c’était du char! Pour finir, on a appris qu’il nous manquait un « car-port » pour mettre notre auto à l’abri, l’hiver prochain. Parce que dans la « shed », y a pas de place! En terminant plus sérieusement, aujourd’hui, les enfants parlent, lisent et écrivent en anglais dès le cours primaire, mais cela ne les empêche aucunement de posséder un bon français. Il faut seulement leur en donner le goût!
© Madeleine Genest Bouillé, 8 avril 2018