« Personne, il n’y a plus personne
Mon âme qui s’affole, en prenant son envol
Me laisse inanimé… »
L’église est vide. Il y flotte encore un peu de fumée d’encens… On a tout ramassé : la photo du défunt, le bouquet, la bougie, la petite croix et la boîte en bois verni qui contient tout ce qu’il reste de celui qui était le héros de ce samedi de janvier. Fernand n’a pas souvent été le héros du jour. À part l’anniversaire de naissance, le 30 septembre, qui, dans sa jeunesse, devait sans doute être fêté en même temps que celui de son frère né un 28 septembre. Ça se passait comme ça dans les grosses familles. À l’époque, on fêtait aussi la première communion, la confirmation. Peut-être que je me trompe, mais je crois que la dernière grande fête que Fernand a vécue fut celle que ses compagnons de travail lui ont organisée quand il a pris sa retraite. Une vraie fête, avec un gros cadeau et une belle photo pour immortaliser ce moment heureux. C’est justement cette photo qui était tantôt sur la table, près de l’urne contenant les cendres de notre frère qui a pris son envol il y a déjà neuf jours. Bref, la cérémonie est terminée; il n’y a plus personne. Les vivants sont allés se réconforter à la chaleur de l’amitié, autour d’un repas, parce que, justement, ils sont vivants.
« Personne, j’ai besoin, j’ai personne.
Mon être dégringole, tous mes sens m’abandonnent.
Je n’sais pas si j’ai peur… »
J’essaie d’imaginer ce qui se passe…On est quelque part ou au milieu de nulle part. J’imagine qu’on voit s’éloigner ces lieux où on a vécu. On doit errer un bout de temps; on n’est pas sur l’autoroute, il ne doit pas y a voir beaucoup d’indications! Là, en bas, les gens sont rassemblés, ils parlent de celui qui n’est plus : « C’était de belles funérailles! » Les prières, la musique, les chants, sont censés l’accompagner sur cette route inconnue, qui le mène on ne sait où. On a rappelé des souvenirs de sa vie, uniquement de beaux souvenirs. On a énuméré ses qualités, juste ses qualités… avait-il des défauts? Sans doute, mais on les a déjà oubliés!
« Je regarde d’en haut, le corps de mon esprit.
Mon visage à l’envers, tout petit, tout petit… »
Je ne sais pas si Fernand avait le vertige… moi je l’ai, rien qu’à grimper sur une chaise! Je me vois mal voltiger dans un espace inconnu. Où s’en va-t-on quand on part? Certains disent qu’on ne se rend pas tout de suite vers cet autre monde auquel on donne toutes sortes de noms : « l’au-delà », « le paradis », « l’envers du ciel », « le pays d’où l’on ne revient pas »… J’aime assez l’idée qu’on « squatte » pour un temps les lieux qu’on a fréquentés. Vous connaissez sûrement le poème qui dit entre autres : « Je ne suis pas loin, je suis juste dans la pièce à côté ». Je ne connais pas l’auteur, mais c’est un texte réconfortant.
« Si Dieu existe, et qu’il t’aime
Comme tu aimes les oiseaux,
Comme un fou, comme un ange… »
C’est qu’après ce voyage intersidéral dont on ne connaît pas la durée, mon cher frère, tu vas atteindre quelque chose qu’on ne peut pas nommer, qui n’est pas vraiment un endroit, mais qu’on appelle le repos, la paix. Et moi, parce que j’ai l’espérance des entêtés, je crois que Dieu existe, et qu’Il est lui-même, ce repos, cette paix. Va mon frère, tu as gravi le pire des calvaires, « tu peux enfin marcher sur les étoiles ».
© Madeleine Genest Bouillé, 28 janvier 2018