Un dimanche matin, où il faisait très beau, ayant le goût de « m’endimancher », j’avais épinglé sur le revers de ma veste un bijou qui date de 1952. Un papillon doré avec des ailes émaillées aux couleurs de l’arc-en-ciel et dont le corps est fait de pierres turquoise. Je ne connais pas la valeur de cette broche, mais même après 64 ans, elle est toujours aussi jolie! J’ai reçu ce bijou en 1996, après le décès de ma « presque sœur », Marie-Paule Laplante.
Si vous suivez « mon grain de sel » depuis les débuts en mars 2015, vous savez que j’ai vécu une bonne partie de mon enfance dans la famille Laplante. À la naissance du huitième bébé de ma mère, ma grand-mère qui me trouvait pas mal plus « tannante » que mes frères, avait aimablement suggéré à ces amis de la famille, déjà parrain et marraine d’un de mes frères, de me garder le temps des relevailles de maman. Ce qu’ils acceptèrent avec autant de joie que de générosité. Puis, il y eut le neuvième bébé, puis le dixième. Maman en avait plein les bras… et ma sœur aînée n’avait pas encore 15 ans! Les Laplante aimaient les enfants; n’ayant eu qu’une fille, il y avait donc toujours place dans leur maison pour les enfants des autres. Ainsi ils trouvaient de plus en plus de bonnes raisons pour me garder chaque fois un peu plus longtemps. Jusqu’au déménagement de ma famille dans la rue Johnson en 1949, alors que je commençais à aller au couvent et que c’était plus pratique pour moi de demeurer au cœur du village au moins pendant l’année scolaire.
Aurore et Lauréat, n’ayant pas encore d’enfant après quelques années de mariage, se tournèrent vers l’adoption. Les crèches étaient pleines de bébés, orphelins de mère, ou abandonnés pour une raison ou pour une autre. À cette époque, l’adoption de ces enfants en bas âge était facile. Généralement, dans le cas des mères célibataires, on leur avait fait signer un papier où elles renonçaient à connaître leur enfant, et acceptaient à l’avance qu’il soit un jour adopté par une famille. Il ne faut pas jeter trop vite la pierre à ces jeunes femmes, qui souvent avaient cru aux déclarations d’amour d’un beau parleur… parfois déjà marié, et qui disparaissait très vite quand la situation devenait compromettante.
Quand Marie-Paule est arrivée dans la vieille maison des Thibodeau – la famille d’Aurore – la grand-mère Élise Thibodeau vivait encore. Ils étaient donc trois adultes pour choyer cette solide petite fille aux cheveux et aux yeux bruns. Déjà, cette maison accueillait des pensionnaires de toutes sortes : les travailleurs de la construction du chemin de fer, des filles « engagères », comme on disait, pour désigner les demoiselles qui étaient engagées comme bonnes ou pour un autre travail. Il y avait aussi des enfants qui, demeurant à l’extérieur du village, voulaient continuer leurs études au couvent ou à l’école « des grands », ou ceux qui pensionnaient le temps de « marcher au catéchisme ». Du temps où j’étais chez les Laplante, il y a eu aussi quelques orphelins qui ont été hébergés, le temps que le père, veuf, puisse se « revirer de bord », selon l’expression en usage quand quelqu’un devait s’adapter très vite aux nouvelles circonstances de la vie.
Marie-Paule était une personne de bonne humeur, qui aimait s’entourer d’amis, garçons et filles. Après ses études au couvent, où en plus de son diplôme de fin d’études, elle avait obtenu le diplôme de sténo-dactylo, elle pouvait alors postuler pour un emploi de secrétaire. Mais presqu’en même temps, le central du téléphone étant installé chez le deuxième voisin, on cherchait une « opératrice ». Marie-Paule suivit alors un court stage avant de débuter dans ce métier, qu’elle a exercé jusqu’à son mariage en 1951.
Marie-Paule était adroite en tout… ou presque! Elle était habile couturière, bonne cuisinière, et elle ne dédaignait pas au besoin d’user de la scie et du marteau. Elle avait comme maxime préférée : « Si j’ai les bons outils, pourquoi ne serais-je pas capable de faire du bon travail! » C’était une femme à l’esprit pratique, elle était ordonnée et ne voulait surtout pas dépendre de quelqu’un d’autre. Elle pouvait démontrer une grande patience, en autant qu’elle était certaine d’atteindre son but. J’ai comme souvenir les efforts qu’elle a déployés, dans les premières années où je me « faisais garder » chez elle, pour redresser mes jambes qui étaient vraiment croches… j’ai d’ailleurs une photo où c’est bien visible! Elle me faisait faire des exercices et me montrait à marcher comme Charlie Chaplin, en me plaçant les pieds tournés vers l’extérieur. Pour ne pas me rebuter avec ces exercices, elle en avait fait une sorte de jeu.
Après son mariage, elle est allée demeurer à Trois-Rivières… je me souviens de ce petit appartement, un troisième étage sur la rue Bonaventure, juste en face du poste de radio CHLN, où Jean-Louis et Marie-Paule sont demeurés plusieurs années. Plus tard, ils ont emménagé sur la même rue, mais dans un logement plus grand, où ils ont accueilli Aurore, quand celle-ci a « cassé maison », comme on disait alors. Et un dernier déménagement les a conduits sur la rue Royale, où la « santé de fer » de Marie-Paule a commencé à décliner alors qu’en 1993, elle apprit qu’elle était atteinte de la SLA. Elle est décédée de cette terrible maladie le 22 juin 1996.
Après le décès de son épouse, Jean- Louis m’avait donné la plupart de ses bijoux. Comme elle ne jetait jamais rien, certains joyaux dataient du temps où elle était jeune. J’ai gardé tous les bijoux anciens qui me rappelaient de beaux souvenirs, alors que, toute petite, je m’amusais à fouiller dans ce que j’appelais le « coffre au trésor ». Parmi les trésors que contient ce coffre, « le papillon arc-en-ciel » est sans contredit celui que je préfère. C’est une broche délicate, colorée, un bijou fait pour l’été! Et il me rappelle en plus une femme qui a compté beaucoup pour moi dans ma jeunesse.
À bientôt pour d’autres souvenirs…
© Madeleine Genest Bouillé, 23 juin 2016