J’aimais les dimanches…

J’ai retrouvé les paroles d’une chanson de Félix Leclerc qui a pour titre Les dimanches. Je ne sais pas de quand date cette chanson. Certainement du temps où le dimanche était jour de repos, fait pour la messe, les visites, les promenades… et les fréquentations sérieuses!

« Ceux qui disent que les dimanches
Sont jours d’ennui, d’espoir qui flanche
N’ont donc jamais mal dans le dos
Pour n’avoir pas besoin de repos. »

J’aimais les dimanches, du temps où les commerces étaient fermés, sauf le Magasin Général, qui ouvrait une heure avant la messe et une heure après, pour accommoder les gens qui venaient de loin. On avait plaisir à s’endimancher. En été surtout, quelle joie c’était de porter une jolie robe, avec un chapeau assorti. Les mères de famille aussi s’endimanchaient, mais au retour de la messe, elles s’empressaient de remettre leur tablier, leur journée n’étant pas finie, loin de là! Les messieurs se distinguaient par leur bel habit « du dimanche », chapeau de feutre bien brossé et chaussures fraîchement cirées, sans oublier la cravate! Comme disait ma mère : « Un bon cheval porte son attelage : les hommes doivent endurer leur cravate, et les femmes leur chapeau! » Ces hommes qui toute la semaine étaient vêtus « d’overalls », avec sur la tête, une vieille casquette aplatie, avaient fière allure le dimanche, rasés de près, les cheveux lissés au « brylcream ». Le dimanche, tout le monde « se mettait sur son 36 »!

« Mais c’est dimanche que s’arrêtent
Ceux qui ont pain et amitié
Ceux qui n’ont rien regardent couler
Le son des cloches sur les toits. »

J’aimais les dimanches, c’était jour de famille, de parenté. Dans notre enfance, c’était dimanche que l’oncle Maurice nous arrivait dans la vieille guimbarde où s’entassaient six ou sept enfants, avec tante Yvette, toujours pimpante! Des années plus tard, les beaux dimanches nous rassemblaient, frères et sœur, avec chacun notre marmaille pour souper « chez grand-maman ». Ma mère craignait toujours de ne pas avoir assez de nourriture pour tout le monde, invariablement vers la fin du repas elle disait: « Allez-vous réchapper votre vie? » Quand  pour une raison ou une autre, on « sautait » un dimanche, maman téléphonait lundi ou mardi au plus tard, pour s’informer s’il y avait quelqu’un de malade…

« Mais c’est dimanche que Ti-Jean
Va voir Marie, sa souveraine
En complet bleu, c’est le seul temps
Qu’il tourne le dos à la semaine »

J’aimais les dimanches au temps de nos « fréquentations pour le bon motif », de préférence bien sûr, quand je ne travaillais pas. Que voulez-vous! Le Central du téléphone, ça fonctionnait jour et nuit, sept jours par semaine! Alors il arrivait que je doive être au poste, de jour ou de soir; mais j’avais le droit de recevoir mon prétendant! Ce jeune homme patient s’asseyait sur le divan, tandis que moi, sur ma chaise haute, face au standard téléphonique qu’on appelait « switchboard », je répondais aux clients, entre deux  compliments. J’avoue que ce n’était pas l’idéal pour se conter fleurette… mais c’était dimanche, journée à ne pas gaspiller!

« Mais c’est dimanche qu’on s’arrête
Comme dans le creux vert d’une baie
Et qu’on enlève son collier
Pour oublier qu’on est des bêtes »

J’aimais les dimanches du temps où les enfants étaient encore à la maison.  Ce n’était pas jour de ménage, ni de lavage, ni non plus de repassage. C’était encore moins jour d’épicerie, de boucherie, de pharmacie… Si on sortait, c’était pour aller voir la parenté ou pour se promener, tout bonnement! En été, au cours de nos balades, on s’arrêtait pour manger une crème glacée, petits et grands étaient contents! Les soirs d’hiver on regardait la télévision, c’était nos « Beaux Dimanches » à nous. Après souper, quand on avait de la visite, il nous arrivait de jouer tous ensemble à des jeux de cartes ou de société, tel le jeu de « pichenottes » ou le Crible… sans oublier la Correspondance!

Oui vraiment, j’aimais et j’aime encore  les dimanches!  Et comme je ne suis pas la seule à les aimer, il nous arrive de temps à autre en famille, de « s’arrêter pour le pain et l’amitié »,  alors,  je bénis ces moments de bonheur!

© Madeleine Genest Bouillé, 3 août 2017

Il était une fois des gens heureux

Vous connaissez sûrement cette chanson Il était une fois des gens heureux. Ça raconte l’histoire des gens qui ont vécu avant nous dans ce pays, ceux qui nous ont fait ce que nous sommes, qui nous ont légué tout ce qu’ils avaient et tout ce qu’ils savaient. Des gens heureux… du moins c’est ce qu’il nous semble, quand on regarde les albums de photos. C’est l’une de mes chansons préférées. Elle est de Stéphane Venne, un de nos meilleurs auteurs. Je vous livre la réflexion que cette chanson m’a inspirée.

« C’était en des temps plus silencieux… » Il n’y avait pas cette foule d’appareils électriques qui fonctionnent tous en même temps dans la maison, avec la télévision toujours présente, même quand personne ne l’écoute,  et ces tablettes et ces téléphones intelligents qui mobilisent l’attention, tellement qu’on ne se parle plus! La radio jouait en sourdine, on augmentait le son seulement pour les programmes qu’on écoutait religieusement : les romans-fleuve, les nouvelles, et le soir, le chapelet en famille, puis le samedi, la soirée du hockey. Quand les programmes étaient terminés, on tournait le bouton. Le silence avait du prix et il mettait en valeur les conversations des gens de la maison. On avait le temps de se regarder, de se parler. Autour de la table, à l’heure du repas du soir, on se racontait sa journée. Les enfants manifestaient leur présence en faisant semblant de se chamailler; si le ton montait, on les réprimandait un peu, pour la forme. « Parlez à ceux qui s’en souviennent… »

 « Ils disaient toutes choses avec leurs yeux si pleins de confiance… » Dans la famille, on se faisait confiance. Les explications duraient moins longtemps, il n’était pas nécessaire d’en dire trop. D’un regard on se comprenait. Chacun faisait son métier : le père gagnait le pain de la maisonnée, certaines décisions lui revenaient de droit. La mère, eh bien, c’était la mère, le cœur de la famille et c’était elle qui avait en définitive, le dernier mot. Elle disait au père : « Tu as bien fait », ou « C’est une bonne idée ». Ils étaient d’accord; sinon elle disait seulement : « On en reparlera ». C’était aussi à elle que les enfants se confiaient, souvent à demi-mot.

« Tout était si simple et merveilleux… » On se fréquentait entre voisins sans cérémonie : « Assoyez-vous donc… Vous prendrez bien une tasse de thé? » Et on se racontait les nouvelles de la paroisse.  On ne s’inquiétait pas tellement de ce qui se passait ailleurs dans le monde… c’était si loin le monde! Il y avait moins de journaux, donc moins de journalistes pour compliquer les événements et leur donner une ampleur démesurée. Et les nouvelles arrivaient avec beaucoup de retard. On attachait plus d’importance à ce que le curé disait dans son sermon qu’aux boniments des annonceurs de radio!

« C’était quand les mystères pouvaient rester mystérieux… »  Pour les gens de ce temps-là, les mystères, ça faisait partie de la vie. Maintenant on veut tout expliquer, tout décortiquer, tout comprendre. Pourtant il y a des choses qui doivent rester comme elles sont, où elles sont. Une vie sans mystère, c’est comme une longue route trop droite, ça peut devenir ennuyant, endormant même!

« Il était une fois des gens de paix. Puis vinrent les années de vent mauvais… » Elle était pourtant loin, la guerre. Ça se passait de l’autre côté de l’océan. Le gouvernement avait promis qu’on n’enrôlerait personne de force. Seulement les gouvernements, ça dit une chose un jour et parfois, le lendemain, ça dit le contraire.  C’est selon si on est en période d’élection ou non. On est allés cueillir les hommes dans leurs foyers. Certains se sont cachés pour éviter la conscription, d’autres se sont mariés, à toute vitesse, pour l’éviter… quitte à le regretter après.

« À table il y eut des chaises vides, aux yeux vinrent les rides… » La guerre, elle en a fait des ravages! Beaucoup de nos soldats sont tombés sur les champs de bataille en Europe. Après, dans les campagnes et dans les villes, se comptaient maintes familles endeuillées. Et puis, les femmes avaient commencé à travailler à l’extérieur de la maison, dans les usines de guerre. On s’habitue vite à gagner de l’argent! On s’aperçoit qu’on a besoin d’un tas de choses dont on se passait très bien avant. Pour ceux qui étaient revenus de « l’autre bord », comme on disait dans le temps, autant que pour leur famille, la vie n’a plus jamais été la même.

« …il ne resta plus rien de vrai… » Les humains ne changent pas, du moins pour certaines choses. Voilà que maintenant encore, il y a des chaises vides autour de la table, dans les maisons, où des hommes ont choisi d’aller se battre, pour empêcher d’autres hommes de venir chez nous répandre la terreur. Mais la terreur traverse les océans, elle est partout, elle change de costume, de visage… les bons ne sont plus tous bons et on s’aperçoit que les méchants ne sont pas toujours ceux qu’on croit!

« Il ne faut pas chercher à savoir où s’en va le temps.  Il s’en va pareil aux glaces sur le Saint-Laurent… » Comme les glaces, les années passent et se fondent dans l’océan de toutes les vies passées. Il ne faut pas chercher à savoir où s’en va le temps… on doit juste en profiter, l’utiliser le mieux possible, sans le gaspiller.

« On fait toute la vie semblant qu’on va durer toujours. Pareil au fleuve dans son cours… » Vivre d’espoir, c’est la seule façon de vivre heureux. On le sait bien qu’on ne durera pas toujours, mais au fond on espère qu’il restera quelque chose de ce qu’on a été, de ce qu’on a donné, de ce qu’on a vécu. Le fleuve sait lui aussi qu’il s’en va se perdre dans la mer, il n’arrête pourtant pas de couler pour ça!

« Et c’est peut-être rien que pour ça qu’on fait des enfants… » Dans le temps, on se mariait et les enfants venaient tout naturellement, parce que le mariage était fait pour ça. Au commencement, il a bien fallu peupler ce pays si dur à défricher. Les enfants, c’était la main d’œuvre, la relève, la continuité de la famille, de la terre, de la patrie. C’est toujours vrai. Pourquoi préparer un avenir s’il n’y a personne à mettre dedans!

« Il était une fois des gens heureux… » Et c’est en se souvenant de ces gens-là qu’on travaille, qu’on va de l’avant, qu’on aime et qu’on vit en essayant d’être heureux, nous aussi.  Parce qu’aujourd’hui comme hier, malgré tout, « le monde est beau! »

 © Madeleine Genest Bouillé, 5 mars 2017

N.B. Toutes les photographies proviennent de ma collection privée.

 

(Texte paru dans Récits du Bord de l’eau, 2008)

Quand on s’endimanchait…

Jadis le dimanche était un jour de repos… quand même, il n’y avait pas juste Dieu qui avait le droit de se reposer le 7e jour! Tout d’abord, on « s’endimanchait ». Ce qui signifie qu’on sortait nos vêtements « du dimanche ». Cette journée commençait par l’assistance à la messe, et pour cette sortie hebdomadaire, les femmes – des fillettes jusqu’à la grand-mère – portaient leur plus beau chapeau, en paille et garni de fleurs, à partir de Pâques jusqu’à la fin d’août; en velours, pour l’automne et en feutre orné de plumes, pour l’hiver.  Les hommes endossaient leur habit propre, sans oublier la cravate. À ce propos, ma mère avait coutume de dire : « Un bon cheval porte son attelage… un homme doit endurer sa cravate et une femme, son chapeau! » Toutefois, maman assaisonnait parfois les adages à sa manière. Ainsi pour ce dicton, quand j’ai eu envie de faire raccourcir mes cheveux, selon la mode, la fin de la phrase était plutôt : « …une femme doit endurer ses cheveux. »  Allez donc savoir quelle était la version originale!

Demoiselle endimanchée en 1944 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Le samedi, les jeunes filles de la maison avaient la tâche de préparer les vêtements du lendemain. Il s’agissait, entre autres, de repasser les chemises blanches des petits garçons qui  étaient  enfants de chœur aussi bien que celles du père et des frères; il y avait aussi le pressage des habits. Généralement les hommes avaient chacun un habit; dans la plupart des cas, le père qui avait conservé le même tour de taille que dans sa jeunesse, portait encore son habit de noce. Quand ça n’allait plus, l’épouse qui était bonne couturière posait un « rossignol » pour agrandir la taille du pantalon à l’arrière et elle rapprochait les boutons au bord du veston; dans les cas extrêmes, on en achetait un neuf, que monsieur porterait jusqu’à la fin de sa vie! Autrefois, les tissus étaient très résistants, alors souvent, les plus jeunes étaient vêtus d’un habit confectionné par la mère, et qui était cousu dans un costume usagé dont on avait retourné le drap. Dans certaines familles, les filles ne pouvaient sortir le samedi soir, ou recevoir leur prétendant, tant que les vêtements des hommes n’étaient pas tous prêts pour le lendemain!  De même, les cavaliers n’avaient pas d’autre choix que d’attendre que leur promise ait terminé sa tâche. Alors, soit ils prenaient l’habitude d’arriver un peu plus tard, où ils en profitaient pour jaser avec les parents…. pour avoir la fille, il était important de faire la conquête des futurs beaux-parents!

Photo de 1938 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Pour la plupart des familles, en milieu rural, la messe était LA sortie du dimanche! D’abord, il n’était pas question de manquer ce rendez-vous dominical à l’église. Évidemment, il y avait des curés qui faisaient des « sermons à rallonge »; alors quand la température le permettait, certains hommes profitaient de ce moment pour sortir fumer une pipe et jaser de politique ou des travaux de la ferme. Il me revient une boutade racontée par je ne sais plus quel oncle et qui nous faisait bien rire.  Un beau dimanche, un homme entrant à l’église, était tellement absorbé par ce qu’il disait à son voisin, qu’il avait trempé ses doigts dans l’eau bénite en prononçant ces mots: « Si t’avais vue ce cheval :  quatre – belles pattes – bien – blanches! »  Les derniers mots, étant dits en accord avec le signe de croix! Mais trève de plaisanterie, lorsque ces messieurs reprenaient leur place dans le banc familial, ils se faisaient regarder de travers par leur épouse.

La sortie de la messe, c’était en quelque sorte « l’heure des nouvelles »! Les hommes continuaient leurs conversations sérieuses… Les mères se saluaient et parlaient de tout ce qu’elles avaient fait au cours de la semaine, ainsi que des projets pour les prochains jours: « Si la température se maintient, on va aller ramasser les framboises; il paraît qu’elles sont mûres. Les enfants en ont mangé hier en allant au pêcher au ruisseau…» Elles jasaient tout en gardant un œil sur leurs filles qui bavardaient et riaient avec leurs amies, s’exclamant les unes, les autres, sur la robe ou le chapeau neufs. Parfois, une demoiselle s’éloignait du groupe avec un jeune homme… cherchant un peu d’intimité. La mère devait alors s’arranger pour surveiller sans en avoir l’air, et si les tourtereaux semblaient trop près l’un de l’autre, elle envoyait un enfant annoncer que « le père nous attend dans la voiture »! Dès lors, le soupirant qui désirait passer au stade de prétendant devait faire la demande aux parents, afin d’avoir la permission « d’accrocher son fanal les bons soirs».

Jeunes gens en toilettes du dimanche (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Quand on s’endimanchait, surtout durant la belle saison, les dimanches où la température était douce et ensoleillée, c’était chaque fois la fête! Une fête qui débutait sur le perron de l’église et aux abords, une fête gratuite, où toute la paroisse était invitée!

© Madeleine Genest Bouillé, 9 février 2017

 

(Texte original produit pour le bulletin Le Phare de mars 2017)

Soirée de Mardi gras

Vous souvenez-vous du Mardi gras? Évidemment, ça dépend de l’âge que vous avez. Pour ma part, j’ai des souvenirs de cette soirée de veille de Carême qui remontent très loin. Quand j’étais enfant, j’avais hâte d’être une grande personne pour pouvoir m’amuser comme ces jeunes gens qui semblaient avoir un plaisir fou à se déguiser et à aller de maison en maison pour fêter le Mardi gras!

J’ai retrouvé une composition française, rédigée alors que j’étais en onzième année. Pour ceux qui ne le savent pas, c’était l’équivalent du cinquième secondaire. Tout d’abord, dans le haut de la page était inscrit la devise de l’année scolaire en cours : « Ma vie, un service! » Tout un programme! Je ne savais pas à l’époque qu’un jour je ferais partie du Club Lions dont le devise est « Nous servons »…

Le Mardi gras à la campagne, illustration d'Edmond J. Massicotte (source: Bibliothèque et Archives Canada).

Le Mardi gras à la campagne, illustration d’Edmond J. Massicotte (source: Bibliothèque et Archives Canada).

Voici donc, textuellement, ce que j’écrivais en 1957. « C’est le soir du Mardi-Gras »! Vers huit heures, les premiers visiteurs apparaissent au tournant de la route. Quelque temps après, la maison s’emplit déjà de joyeuses salutations et de rires. Les jeunes gens et jeunes filles s’interpellent et essaient de s’identifier dans leurs costumes tous plus bizarres les uns que les autres : ici un diable, plus loin, une chinoise, dans un petit groupe là-bas, un mendiant, une reine égyptienne – peut-être Cléopâtre! – et un Indien. C’est un rassemblement de toutes les nations, de tous les âges et de toutes les classes. L’hôtesse souhaite la bienvenue et propose une danse, la « Boulangère ». Tout le monde acquiesce et les musiciens s’ébranlent. La joie et la musique tourbillonnent avec les couples, sous l’œil bienveillant des aînés. Après la « Boulangère », se succèdent un quadrille et un « Brandy ». On est vraiment gai parce qu’on s’amuse franchement. Les vieux assis un peu à l’écart, ressassent leurs souvenirs : « Te souviens-tu quand on allait veiller chez Untel? Là on avait du plaisir! » Un autre fait écho : « Oui, dans notre temps, on avait du plaisir! » La danse prend fin et on décide de jouer aux cartes. On joue à « la Poule », au « Rummy » ou au « Coeur », suivant les groupes. On s’amuse ferme jusqu’à ce que la maîtresse de maison vienne interrompre les joueurs en leur rappelant que demain, c’est le Mercredi des Cendres et qu’il faut réveillonner avant minuit. »

Étant donné que je n’ai jamais eu beaucoup d’ordre, la première feuille se termine sur ces mots : « La table est dressée dans la grande cuisine dont elle occupe le centre. Une nappe immaculée courre d’un bout à l’autre de la table, recouverte des vingt-deux couverts et des plats appétissants… »  Et ça s’arrête là! J’ai perdu la deuxième feuille.

Ma tante Thérèse et un ami, dans les années 40. Ils avaient interchangé leurs vêtements! (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Ma tante Thérèse et un ami, dans les années 40. Ils avaient interchangé leurs vêtements et elle s’était dessiné une moustache! (Coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Quand j’ai rédigé ce texte, j’ai sûrement brodé quelque peu sur le thème du Mardi gras. J’essayais toujours d’embellir la vérité… croyant que cela me donnerait de meilleures notes. Mais dans mes souvenirs, ce dernier soir avant le Carême, maman nous envoyait nous coucher. Il y avait de l’école le lendemain, qui était le Mercredi des Cendres. Si les plus jeunes s’endormaient, il n’en était pas de même pour nous, les « moyens ». On se dissimulait pas loin de l’escalier, de façon à pouvoir regarder entre les barreaux ces joyeux personnages, lesquels étaient de plus en plus joyeux à mesure que la veillée avançait. Pour ce qui est des costumes, vraiment, les princesses étaient rares, les chinoises et les Indiens aussi. Les joyeux  fêtards  s’habillaient plutôt de vieux vêtements, parfois portés à l’envers, et ils se barbouillaient la figure de fard à joue, de farine ou de cirage à chaussure. Hommes et femmes se confondaient, les uns portant les habits des autres… c’était à qui auraient les costumes les plus bizarres! Pour écrire ma rédaction, je m’étais sans doute inspirée de lectures choisies par notre professeur, et parfois les descriptions d’intérieur de maison ou de vêtements recherchés me faisaient rêver. Lors de la vraie soirée de Mardi gras, la musique et les danses étaient cependant bien réelles, car dans la famille de ma mère, tout le monde jouait de l’un ou l’autre instrument, piano, violon, accordéon; je peux vous garantir que ça dansait et ça chantait! Des chansons à répondre, dont certaines n’étaient pas faites pour les jeunes oreilles… Mais, voilà! On n’y comprenait pas grand-chose, on se demandait même ce que les « veilleux » pouvaient bien trouver de si drôle! Et quand, à la fin de mon texte, j’évoque le goûter de fin de soirée, je m’éloigne vraiment de la réalité. Ma mère, aidée d’une de mes tantes, ne mettait pas la table comme pour un réveillon, elle servait du sucre à la crème, des galettes, du thé et parfois un petit vin maison. Ce qui est bien réel, c’est que les réjouissances devaient cesser un peu avant minuit, car alors on entrait en carême, et ça c’était sérieux!

Soirée de Mardi gras à l'école du village en 1968 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Soirée de Mardi gras à l’école du village en 1968 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

J’avais écrit je ne sais où et quand cette phrase d’une chanson que chantait Nana Mouskouri : « C’est incroyable, la mémoire, comme ça déforme la vue. Ça vous raconte une autre histoire que celle que l’on a vécue ». Plus tard, quand je fus d’âge à m’y amuser, j’ai assisté à des soirées de Mardi-gras. Je n’ai aucun souvenir ni des costumes, ni des jeux ou des danses. Dans ma mémoire, le Mardi gras, c’est ce soir où nous regardions entre les barreaux de l’escalier, évoluer les adultes qui riaient et chantaient, et qui nous faisaient un peu peur tellement ils étaient affreux, avec leurs guenilles et leurs barbouillages. Il n’y a pas à dire, la mémoire, ça nous joue des tours!

© Madeleine Genest Bouillé, 25 février 2017

Images d’une autre époque

J’ai un jour reçu plusieurs albums de photos. Les plus vieilles datent des années 30 et les plus récentes, de la fin des années 40. La personne qui possédait ces photos n’écrivait que rarement la date, soit à l’endos de l’image ou dans l’album et il n’y a aucun fil conducteur. J’en ai déjà publié avec quelques-uns de mes « grains de sel ». Cette fois, j’ai fait une sélection plus variée, en me guidant sur mes préférences ou sur des personnes ou des lieux qui me rappelaient quelque chose.

* * * * *

Pour débuter, deux photos qui datent des années 30; on y voit madame Élise Proulx, épouse de monsieur Marcellin Thibodeau. Sur la première image, elle pose fièrement sur la galerie de sa maison, aujourd’hui le 215 sur le Chemin du Roy. La belle décoration de la balustrade a malheureusement été changée quelques années plus tard. La deuxième photo a été prise à l’arrière de la maison, alors que madame Thibodeau surveillait le savon en train de bouillir dans le gros chaudron. Je me souviens, quand j’étais enfant, d’avoir assisté à la fabrication du savon… on nous interdisait d’approcher de l’énorme marmite qui, pour nous, était un vrai chaudron de sorcière!

Vous reconnaîtrez sûrement cette maison à logements située au cœur du village. D’après les vêtements, on doit pouvoir situer la photo au début des années 40. Des travaux sont en cours… mais je n’en sais pas plus long. Je reconnais le propriétaire de cette maison, monsieur Louis Marcotte – l’homme en chemise blanche avec bretelles et cravate – ainsi que son épouse, Béatrice Naud, debout sur une marche de l’escalier. À l’époque, madame Béatrice chantait à l’église et dans les soirées organisées par l’une ou l’autre association paroissiale. Elle avait une jolie voix et elle était très en demande, dans les mariages surtout. Elle aimait beaucoup les enfants, n’en ayant jamais eu. Alors elle nous invitait chez elle et elle nous apprenait des chansons… nous ne nous faisions pas prier étant donné qu’elle avait toujours des bonbons pour nous récompenser!

maison-louis-marcotte

Maison Louis Marcotte, années 40 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Une photo datée du 1er janvier 1941. Lauréat Laplante avait installé sa cabane sur la glace, comme on peut le constater. Je ne sais si la photo a été prise avant ou après la pêche. M. Laplante pose ici avec son beau-frère, Paul Thibodeau, et leur neveu, Paul Jr. Thibodeau. Il ne semble pas faire trop froid… ou c’est qu’on a déjà commencé à prendre le  petit  « remontant », que tout pêcheur doit toujours avoir dans son attirail !

Cabane à pêche de Lauréat Laplante, 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Cabane à pêche de Lauréat Laplante, 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Derrière  cette photo, il est noté « Partie de plaisir, souvenir de ce 7 août 1941 ». Je l’ai choisie justement en raison cette inscription. Que fêtaient ces jeunes filles? … À part les premières communions, les mariages ou les anniversaires, il est rare que le bonheur ait une date!

Marie-Paule Laplante au centre, avec deux amies, août 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Marie-Paule Laplante au centre, avec deux amies, août 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

En regardant cette photo, on constate qu’il faisait encore assez chaud ce 13 septembre 1944… Autrefois, ouvrir un petit magasin, ce n’était pas compliqué! On plaçait un comptoir dans une pièce à l’avant de la maison et on vendait des journaux, des friandises et un peu de « grocerie », comme on disait alors. Ici on est devant la maison qui porte aujourd’hui le numéro civique 208, sur le Chemin du Roy. Madame Henri Savard, Adrienne Courteau, possédait ce petit magasin où je me souviens être allée souvent acheter  une liqueur ou une barre de chocolat… J’étais du même âge que le petit garçon, Jean, et il nous arrivait de jouer ensemble, jusqu’à ce qu’on soit assez grands pour aller à l’école. Dès lors, les garçons et les filles ne jouaient plus ensemble, sauf dans la famille!

Magasin de Mme Henri Savard, 1944 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Magasin de Mme Henri Savard, 1944 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Je vous ai aussi parlé à quelques reprises de l’ancien maire, monsieur Louis-Philippe Proulx. Cette photo a dû être prise juste avant le départ de Louis-Philippe et Marie-Louise pour leur lune de miel, si l’on en juge par leurs vêtements. La noce avait lieu dans la maison des Morin dans la rue Johnson, où nous habitions, la famille Morin étant apparentée aux Proulx. C’était le 21 juin 1947. Les nouveaux mariés avaient fière allure… j’aime surtout le chapeau de Marie-Louise!

Louis-Philippe Proulx et son épouse, Marie-Louise, 1947 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Louis-Philippe Proulx, maire de Deschambault de 1940 à 1947, et son épouse, Marie-Louise, 1947 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Toujours dans les années 40, l’équipe de balle de Deschambault, où paraît-il se retrouvaient les meilleurs joueurs du comté! Il y a sûrement quelques membres de la famille Gauthier, je reconnais entre autres, Monsieur Ovide Mayrand, debout à l’arrière et monsieur Raymond Paré à l’avant. Cette photo a environ soixante-dix ans… Je ne sais pas pourquoi, mais elle me fait penser au film Le champ des rêves. J’aime tellement la dernière réplique : « Le ciel, c’est l’endroit où les rêves se réalisent. »

Équipe de balle de Deschambault, avec certains des meilleures joueurs du comté! (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Équipe de balle de Deschambault, avec certains des meilleurs joueurs du comté! (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

 J’ai déjà mentionné que parmi les passe-temps des jeunes gens d’autrefois, la correspondance avec des étrangers, le plus souvent de France ou de Belgique, était très répandue, surtout pendant la guerre. À l’endos de cette dernière photo, d’une belle écriture fine, on lit: « À ma lointaine petite amie, en toute sympathie, Didier. »  Et au bas : « Rabat, le 30-5-1948. »  Sur la photo, deux matelots; on ne saura jamais lequel était Didier… Je vous laisse rêver la suite de cette histoire!

deux matelots, inconnus, 1948... (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Deux matelots, inconnus, 1948… (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Pourquoi ai-je l’impression que le bonheur était plus simple au temps jadis? C’est peut-être que ça coûtait moins cher pour s’amuser. Quelqu’un a dit un jour « Quand le bonheur coûte cher, ce n’est plus du bonheur »… J’adore fréquenter ces témoins du passé que sont mes vieilles photos. C’est un peu comme faire un voyage dans le temps. Je garde toujours un brin de nostalgie quand je fais un petit tour « par la porte d’en arrière » dans la vie d’autrefois de mon village.

© Madeleine Genest Bouillé, 18 janvier 2017

Dans mon jeune temps, il y avait…

Quand mes enfants étaient petits, ils me demandaient souvent si, quand j’avais leur âge, il y avait la télévision, des autos, le téléphone, etc. Tout juste s’ils ne croyaient pas que j’étais née au temps des dinosaures! Tous les enfants posent ces questions, notre enfance leur semble tellement loin. Avec les petits-enfants, les mêmes questions se posent, mais maintenant on parle de tablette, iPod et téléphone cellulaire. Même les autos s’identifient avec des lettres, VUS, CR-V, HR-V et quoi encore!

Ancienne glacière

Ancienne glacière

Dans le dernier « grain de sel » en deux parties, intitulé Trois quarts de siècle à Deschambault, j’ai raconté l’histoire de ma famille et un peu de la mienne aussi, par le fait même, dans ce beau village que j’habite toujours. Je vais maintenant tenter de me remémorer les choses qui existaient « dans mon temps ». Tout d’abord, oui, il y avait des autos; mais pas à toutes les portes, loin de là! J’ai mentionné à quelques reprises les voitures à cheval qu’utilisaient les divers commerçants qui livraient à domicile, tels le laitier, le boulanger, le boucher, qui en hiver apportait aussi la glace.  Quand je parle du livreur de glace, là, j’ai vraiment l’air d’être née au XIXe siècle! Eh oui, j’ai connu l’époque de la glacière, ce meuble en métal, qui était muni d’un compartiment où l’on plaçait le gros bloc de glace qu’on renouvelait à chaque semaine, si je me souviens bien.

Le téléphone était inventé depuis un bon bout de temps… mais jusqu’en 1964, à Deschambault  pour téléphoner, que ce soit à Québec, à Chicoutimi, à St-Basile ou chez le voisin, on devait tourner la manivelle de la boite du téléphone; la téléphoniste du Central vous répondait ainsi : «Quel numéro désirez-vous? », et elle vous donnait la communication. La ligne était souvent occupée, car il y avait parfois huit ou dix abonnés sur la même ligne.

mado tel (2)

Moi, au « Central »… (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

L’électricité nous a apporté la lumière!… On s’éclairait avec des lampes; nos salons étaient dotés d’un ensemble comprenant généralement une ou deux lampes de table avec la lampe sur pied assortie. De plus, dans chaque pièce, il y avait une ampoule au plafond, de différentes intensités, soit une 100w ou une 60w. Dans les premiers temps, pour ménager l’électricité, on se contentait souvent d’une « petite 15w » dans les chambres à coucher… pas plaisant quand on voulait lire au lit! De toute façon, on se faisait dire d’éteindre et de dormir. On s’éclairait alors avec une lampe de poche, qu’on plaçait sous la couverture!

Avec l’électricité, au cours des années 40 et 50, sont arrivés les différents électroménagers : réfrigérateurs, poêles, laveuses, fer à repasser, radio, etc. Chez nous, je crois bien que c’est la laveuse «  à tordeurs » qui est entrée la première dans la maison et aussi le vieux poste de radio Hallicrafter. Il me semble avoir toujours vu cette boite noire qui nous offrait quand même pas mal de postes. Je revois surtout mes frères agglutinés autour du poste de radio, le samedi soir, écoutant la partie de hockey du Canadien! On aurait juré qu’ils la voyaient! Le réfrigérateur a suivi de près. Les cuisinières électriques sont arrivées plus tard, mais je me souviens qu’en été, nous utilisions un petit poêle électrique à deux ronds; c’était bien pratique par les jours de grande chaleur de ne pas avoir à allumer le poêle à bois..

elvis-2012-723x1024Pour la musique, comme dans beaucoup de foyers, nous avions un piano; chez nous il était toujours ouvert et il ne manquait pas d’utilisateurs… même si nous n’étions pas des virtuoses! Nous avions aussi un gramophone, avec une manivelle qu’on devait « crinquer »… sinon le « record » ralentissait, et la voix du chanteur ou de la chanteuse nous parvenait toute déformée.  Nous, les plus jeunes, nous trouvions ça très drôle! Je ne me souviens pas quand nous avons eu un appareil électrique, mais je crois me rappeler que c’est en 1955 que mon frère Jacques a acheté son tourne-disque qu’on appelait un « pick-up ». On faisait jouer des disques 78 tours ou des « longs-jeux », à 33 tours. Nous avions aussi quelques nouveaux 45 tours, ces petits disques qui se vendaient vraiment pas cher, qui étaient surtout plus légers, donc moins fragiles. Il y en avait de la musique, chez nous! Pour tous les goûts! Comme les écouteurs n’étaient pas encore à la mode, et que nous avions des goûts très diversifiés, il arrivait assez fréquemment qu’on se fasse dire de « baisser le son ».

Gilles Pelletier, de l'émission Cap aux sorciers, sur la couverture de la revue Le samedi en 1958.

Gilles Pelletier, de l’émission Cap-aux-Sorciers, sur la couverture de la revue Le samedi, en 1958.

C’est en 1952 qu’est arrivée la télévision. Encore là, seulement quelques privilégiés l’avaient. Inutile d’ajouter que ceux qui possédaient un appareil recevaient beaucoup de visite certains soirs!  Je me rappelle qu’au cours des premières années, j’allais le mercredi soir regarder La Famille Plouffe chez mes amies, dont le père a été un des premiers à posséder un téléviseur. Après cette émission, nous regardions la « lutte ». On avait chacune notre lutteur préféré; soit Yvon Robert, Johnny Rougeau ou Larry Moquin. Il y avait aussi un méchant qui s’appelait Wladek Kowalski, comme on avait du plaisir à l’haïr! Quand nous avons eu enfin la télévision, je n’ai plus jamais regardé la lutte! J’aimais surtout les téléromans, Les belles histoires des pays d’en haut, Cap-aux-Sorciers, le Survenant… Quelquefois, le dimanche soir, on regardait le Ed Sullivan Show. Je me souviens de la première fois où nous avons vu Elvis Presley, c’était justement au cours de cette émission. J’étais chez une de mes amies, on ne s’est pas roulées par terre… mais si on le trouvait beau! Nous avions déjà quelques-uns de ses disques. On dansait sur Blue Suede shoes et Don’t be cruel, mais on préférait quand même les slows, dont  Love me tender et Loving you. La télévision a chamboulé les habitudes des familles; désormais les gens passaient plus de temps à la maison, surtout les soirs où étaient présentées les émissions les plus populaires. En peu de temps, la « boite à images », que mon oncle Jean-Paul appelait « la boite à grimaces », s’est propagée dans tous les foyers!

La télévision a pris des couleurs… L’Expo 67 et les Jeux Olympiques de 1976 nous ont fait découvrir le Monde… en même temps que le Monde nous découvrait. En 1978, j’ai commencé à écrire mes « grains de sel » dans notre petit journal Le Phare sur une dactylo manuelle. J’utilisais du scotch tape en quantité industrielle pour monter mon journal; j’en ai passé du temps à couper, coller, recommencer, fignoler. Au cours des années 80, j’ai eu enfin une dactylo électrique, quelle merveille! En 2000, j’ai dû m’habituer à utiliser un ordinateur… j’en ai arraché! J’en faisais des cauchemars! Mais j’ai appris à me servir de cet outil qui m’est devenu indispensable.

Et me voici, rendue en 2017. Je pourrais chanter: « Non, rien de rien, non je ne regrette rien… » Je me trouve chanceuse d’avoir vécu mon trois-quarts de siècle. On est riche de tout ce qu’on a vécu, bien plus que de ce qu’on possède. On vieillit quand on cesse d’être curieux du lendemain, quand on cesse de croire que la vie nous réserve encore de belles surprises!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 janvier 2017

Buick LeSabre 1959...

Buick LeSabre 1959…

Bonjour Noël!

Une autre chanson de Noël qui me rappelle des souvenirs de mes jeunes années: Bonjour Noël, une chanson joyeuse, qui était chantée au couvent lors du récital de Noël par les élèves de la classe des petits.

« Bonjour Noël! Voici que dans les rues
La neige est revenue
Comme un tapis tout blanc… »

Enfin! Cette année, tout annonce un Noël blanc! Mais il ne faut pas crier « victoire! » trop vite. Si vous avez lu Les caprices de l’hiver, vous savez que Dame Nature peut parfois nous réserver des surprises. Mais quand même, espérons que la neige demeure en place au moins jusqu’après le Jour de l’An, les décorations des Fêtes sont tellement plus belles dans ce décor blanc.

« Bonjour Noël! Bonjour belles vitrines
Qui le soir s’illuminent
Pour la joie des passants… »

maggen_photo

Source photo: Tourisme Portneuf

Ah! les vitrines! Après les catalogues des magasins Eaton et Simpson’s, les vitrines concrétisaient nos espérances de cadeaux. Quand j’étais enfant, il était très rare qu’on nous emmène magasiner à Québec. Ça prenait une excellente raison, soit par exemple, la nécessité d’acheter des chaussures, qu’il fallait essayer. Alors les seules vitrines qu’on connaissait, c’était celles des magasins de Deschambault. La grande fenêtre au deuxième étage du Magasin Paré était toujours joliment décorée pour Noël! J’aimais beaucoup aller au « deuxième » chez Paré, surtout à ce temps de l’année. En bas, on trouvait les choses utiles : la « grocerie », les « cannages », les outils, la peinture; la seule denrée intéressante pour les enfants, c’était les bonbons. En décembre, il y en avait pour tous les goûts! Des « tuques » en chocolat, des bonbons français, des bonbons durs de toutes les couleurs, sans oublier les petits poissons rouges et blancs, à la cannelle ou au clou de girofle. Au « deuxième », il y avait toutes sortes de belles choses : de la vaisselle et des bibelots, des coutelleries, de la lingerie fine, et puis, évidemment, des jouets! Je me souviens de l’épouse de Monsieur Narcisse Paré – c’était du temps où les femmes portaient le nom de leur époux – elle régnait sur son étage, comme une actrice sur une scène. Plus tard est arrivée Madame Jeannette, l’épouse de Monsieur Raymond, moins gênante et toujours si gentille et souriante. Elle était secondée par Mademoiselle Bibiane, une personne un peu effacée, qui ne parlait pas fort, mais qui cadrait bien elle aussi dans ce décor victorien. Vraiment, le deuxième étage de notre magasin général, c’était un étage « pour Dames »!

« Les petits nez s’écrasent
Pour mieux les admirer.
Et les yeux pleins d’extase
Sont tout émerveillés. »

Juste en face de la rue de l’Église, était situé le magasin de Mademoiselle Corinne Paris, celui que mes enfants appelaient « le petit magasin vert ». Au temps des Fêtes, la vitrine était illuminée et Mademoiselle Corinne y exposait diverses choses à offrir en cadeaux. Sur l’annonce publicitaire, on lisait « marchandises sèches et cadeaux ». L’expression « marchandises sèches » désignait une foule de choses, dont les seules qui étaient comestibles étaient les bonbons, chocolats et pastilles pour la toux! Elle avait du choix, Mademoiselle Corinne! Elle tenait des livres, format « poche »… plus tard, je suis devenue une fidèle cliente des « Marabout Mademoiselle ».  On y trouvait aussi du papier à lettre, des cartes de souhaits, des bibelots, des jouets – je me souviens qu’elle vendait de beaux cahiers à découper. Elle avait aussi de la lingerie … qu’elle tenait rangée dans les tiroirs derrière le comptoir.  Elle sortait ses trésors de nylon ou de coton sur demande, et seulement s’il n’y avait pas d’enfant dans le magasin, ou pire encore, un homme!

« Bonjour Noël!  Chacun fait sa demande
Toutes les mains se tendent
Vers les jouets rêvés… »

sears1955À l’époque, on ne faisait pas de liste de cadeaux. On se contentait de mettre des « X » sur les choses qu’on préférait dans le catalogue de Noël… et on espérait! Parfois, quand nous étions allés faire des commissions à l’un ou l’autre magasin, en revenant, on parlait des jouets qu’on avait vus. Mine de rien, on disait: « Mamzelle Corinne, elle a un petit  téléphone, presque pareil que celui dans le catalogue…» ou encore : « En haut, chez Paré, il y a un beau jeu de Serpent-Échelles, je pense qu’il coûte pas trop cher. » On savait déjà qu’il ne fallait pas choisir des objets trop chers! Jusqu’à la veille de Noël, on rêvait en feuilletant le catalogue… Les pages de jouets étaient racornies et marquées de « X » un peu partout, sans compter les barbouillages laissés par les plus jeunes qui ne savaient pas encore faire de beaux « X » ! Heureuse enfance, dont les rêves, étant accessibles, deviennent presque toujours réalité…. Et sinon, c’est que la réalité est encore plus belle que le rêve!

 « Bonjour Noël!  Sonnez, sonnez clochettes!
C’est aujourd’hui la fête de la terre et du ciel.
Bonjour Noël!

IMG_20141128_0001_NEW

 © Madeleine Genest Bouillé, 19 décembre 2016

Les quêteux

 De temps à autre, je regarde les reprises des Belles histoires des Pays d’en haut, à 15h, du lundi au vendredi. Je commence à connaître tous les épisodes par cœur… mais qu’importe, je ne m’en lasse pas! Souvent au cours de ces émissions, on rencontre le quêteux « Jambe-de-bois », un homme qui semble avoir beaucoup bourlingué et qui, surtout, est fier de son titre de « quêteux », un titre honorable dit-il ! Quelquefois, on rencontre un autre de ces personnages légendaires, celui-là s’appelle « Grand-Capot ».

les-queteuxJe vous ai déjà dit que, dans ma tête il y a des chansons pour tout. Voilà donc qu’il me vient à l’oreille une chanson qui parle justement des quêteux. C’est une des nombreuses compositions d’Albert Larrieu, un Breton. Lors de la guerre de 1914-18, il s’est enrôlé, mais des problèmes de santé l’ont obligé à revenir à la vie civile en 1916. En 1917, il arrive au Canada où il se fait connaître grâce à ses chansons, une bonne centaine, dont plusieurs font partie du répertoire de La Bonne Chanson. Entre autres titres, on retrouve La bénédiction paternelle, Les crêpes, L’épluchette, La feuille d’érable et celle qui m’a inspiré le grain de sel que je vous offre aujourd’hui : Les quêteux.  Albert Larrieu n’aura pas une longue carrière, puisqu’il s’éteint dans l’oubli et l’anonymat en 1925, à 53 ans.  Les chansons de Larrieu sont simples, faciles à retenir et de plus, elles nous parlent des coutumes et des gens d’autrefois. Le refrain de la chanson Les quêteux est très entraînant: « C’est nous qui sommes les quêteux, de braves gens, d’honnêtes gueux. Nous vivons sans rien faire, comme des millionnaires. Toujours contents, toujours heureux, roule ta bille, va, mon vieux! Voilà! les honnêtes quêteux! »

Le quêteux Ti-Jean Gagnon, image tirée du site Internet de la municipalité de Saint-Pacôme.

Le quêteux Ti-Jean Gagnon, image tirée du site Internet de la municipalité de Saint-Pacôme.

Au cours des années 60, d’après mes souvenirs, il y avait encore des mendiants qui passaient régulièrement une ou deux fois par année. Je dirais que jusqu’à ce que les gouvernements créent des allocations pour aider les personnes sans ressources, forcément, il y avait des quêteux. Durant le temps « de la crise », avant la guerre de 1939-45, dans les villes, il existait déjà des refuges pour les itinérants, mais tout comme maintenant, ils n’étaient jamais assez nombreux, surtout en hiver. En campagne, certaines familles démunies vivaient à l’écart des villages, dans des cabanes insalubres au sol en terre battue. De temps à autre, ces gens allaient de maison en maison, quémandant  nourriture et vêtements. Il arrivait que certains offrent leurs services pour maints petits travaux. En plus du curé et des Sœurs du couvent, il se trouvait heureusement des âmes charitables qui aidaient les pauvres, surtout en hiver. Ceux qu’on appelait « quêteux »,  étaient plutôt des itinérants venus on ne sait d’où, qui n’avaient qu’un prénom et parfois aucune appellation. On leur donnait des surnoms, ainsi « le quêteux à poche noire » avait toujours un grand sac noir sur le dos, tandis que « le quêteux au capot brun » portait inévitablement, été comme hiver, un paletot brun, qui avait de toute évidence connu des jours meilleurs. Habituellement, le mendiant s’arrêtait toujours aux mêmes maisons;  ceux dont je me souviens étaient très polis, ils nous abordaient en disant : « La charité pour l’amour du bon Dieu ». En général on leur donnait quelques « cennes noires »… mais à certains endroits, ils devaient se contenter d’une seule petite pièce d’un sou!  Parfois, ils demandaient quelque chose à manger, ils remerciaient et repartaient.

La maison de mes parents vers 1955.

La maison de mes parents vers 1955.

Un été, à la fin des années 50,  j’étais à la maison avec ma mère et mes plus jeunes frères, lesquels étaient déjà au lit. Il devait être assez tard, lorsqu’on frappa à la porte. C’était un mendiant qu’on n’avait jamais vu; il entra et contrairement aux autres quêteux, il demanda à coucher; il n’était visiblement pas à jeun. Ma mère n’était pas rassurée; je me souviens qu’elle était assise à sa machine à coudre, elle répondit donc qu’il n’y avait pas de place.  L’homme, pas le moins du monde rebuté par la froideur de l’accueil, rétorqua qu’il coucherait par terre à côté du poêle. Maman était mal à l’aise; j’étais assise près de la table et nous ne parlions presque pas.  On surveillait l’intrus qui s’était effectivement étendu par terre et qui ronflait déjà. Mon grand frère Claude était « veilleux », mais ce soir-là, sans doute alerté par un sixième sens, il revint plus tôt de sa soirée chez mes tantes. Aussitôt entré, il aperçut le bonhomme couché à  côté du poêle… ce fut très bref; il empoigna l’homme par le col de son veston et le mit debout en lui disant : « Dehors, on garde personne à coucher ». Le malheureux quêteux n’a même pas eu le temps de dire quoi que ce soit… il s’est retrouvé très vite au bas de l’escalier. Mon grand frère, en se lavant soigneusement les mains, dit : « En plus, il puait!»

La chanson d’Albert Larrieu se termine ainsi : « Dans le bon foin de la grange, nous trouvons un lit très doux… Jamais on ne nous dérange, partout nous sommes chez nous!  Quoiqu’on chante et qu’on dise, quêteux ! c’est un très bon métier. »  Mais ça, c’était à une autre époque!

© Madeleine Genest Bouillé, 15 novembre 2016

À propos d’une chanson…

« Derrière les volets, de ma petite ville,
Des vieilles en bonnets, vivent tout doucement.
Et comme un chapelet, entre leurs mains dociles
Les mois et les saisons, s’égrènent lentement.
Quand l’Angelus du soir, troublera l’air tranquille
Elles se signeront, et sans faire de bruit
Elles enfermeront le silence et la nuit
Derrière les volets de ma petite ville. »

Rue de Deschambault (CARP).

Rue de Deschambault (CARP).

Derrière les volets : Quelle belle chanson! Maman la chantait et je l’écoutais comme on écoute une histoire. Parce que les paroles de cette chanson de Jean Lumière racontent vraiment la vie dans une petite ville… ou si vous aimez mieux, un village. De nos jours, les vieilles ont l’air plus jeunes, n’ayant plus de bonnets ni de fichu noir sur les épaules. J’ai aussi l’impression qu’avec la vie trépidante d’aujourd’hui, les mois et les saisons s’égrènent beaucoup plus vite. Elles sont tellement occupées, ces dames! Au clocher de notre vieille église, on ne sonne plus l’Angelus, et je trouve ça bien dommage.  Au moins, j’ai la chance d’avoir l’église de Lotbinière, en face de chez nous, juste de l’autre côté du fleuve, et parfois, le vent m’apporte le son de l’Angelus du midi.

1er couplet :
« Dans la petite rue, de ma petite ville,
De l’aurore à la nuit les volets des maisons,
Restent à demi clos et des vieilles tranquilles
Derrière ces volets depuis tant de saisons
Écoutent s’écouler des heures si pareilles
En tricotant leurs bas, ou disant leurs Aves.
Sans même se pencher, rien qu’en tendant l’oreille,
Elles savent le pas qui frappe le pavé. »

Élise Proulx-Thibodeau (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Élise Proulx-Thibodeau (coll. Madeleine Genest Bouillé).

Certaines de nos « vieilles pas si vieilles » tricotent et cousent encore, et c’est tant mieux!  J’en connais qui font de très beaux ouvrages « de dames », comme on disait dans le temps. Chaque année, au marché aux puces, on retrouve des centres de table  crochetés, ou brodés, des lavettes de vaisselle presque trop jolies pour être utilisées comme telles.  On y trouve aussi des poignées pour les chaudrons, des essuie-mains assortis et des tabliers quasiment trop beaux pour être portés autrement que « pour la visite ». Je ne sais pas s’il y en a encore beaucoup qui égrènent des Aves en travaillant. Peut-être qu’elles regardent plutôt leurs émissions de télévision préférées, surtout les éternelles Histoires des Pays d’en haut, avec une Donalda vêtue comme les dames de la chanson qui se poursuit comme ceci :

«… Car depuis des années, on entend la laitière
Toujours à la même heure, arriver le matin.
Et Monsieur le Curé, sortir du presbytère
Tandis que dans la rue, s’ouvrent les magasins… »

Magasin Général Paré (CARP).

Magasin Général Paré (CARP).

Ah! le bon temps où le matin était salué par le bruit des sous tintant dans les bouteilles de lait vides, déposées près de la porte, et qui attendaient bien sagement d’être remplacées par des bouteilles pleines! Ensuite, c’était le boulanger qui faisait sa tournée; et le boucher, qui livrait aussi les blocs de glace qu’on plaçait dans la glacière. Toutes ces visites accompagnées  des « clac-cloc » des sabots des chevaux, attelés aux voitures des  multiples marchands. Dans ma lointaine enfance, quand je partais pour l’école, je me faisais toute petite sur le trottoir qui longeait la route où il y avait toujours un cheval  arrêté attendant son conducteur qui piquait une jasette ici et là… et moi qui avais peur des chevaux !

2e couplet :
« Et plus tard, quand lassée de gaspiller ma vie,
Je laisserai mon cœur écouter ma raison,
J’irai me reposer, sans regrets, sans envies,
Derrière les volets de ma vieille maison.
J’aurai beaucoup appris, ayant des cheveux blancs.
Je me dirai : la vie dépend de tant de choses
Qu’aux fautes du prochain, il faut être indulgent.
Avec moi, les enfants pourront tout se permettre,
Je serai faible et bonne avec les amoureux
Et je leur sourirai, le soir de ma fenêtre
Songeant au bon vieux temps où je faisais comme eux! »

Ce couplet est magnifique! Effectivement, « la vie dépend de tant de choses, qu’aux fautes du prochain, il faut être indulgent ».  On devrait répéter cela chaque jour, comme une oraison.

001Dernier refrain :
« Derrière les volets, de ma petite ville
Un jour je reviendrai vivre tout doucement.
Et je me souviendrai d’histoires puériles
Que je raconterai à mes petits-enfants.
Quand l’Angelus du soir troublera l’air tranquille
Je m’enfermerai seule, avec mes souvenirs.
Puis un jour doucement, me laisserai mourir
Derrière les volets, de ma petite ville. »

Que dire de plus? C’est vraiment une des chansons les mieux écrites que je connaisse… et je la sais par cœur!

© Madeleine Genest Bouillé, 6 octobre 201

Les remèdes de l’ancien temps

Dernièrement, au cours d’une conversation où l’on parlait un peu de tout, quelqu’un a abordé le sujet des multiples « bobos » d’enfant, et surtout des remèdes qu’on apportait autrefois à ces maladies plus ou moins sérieuses. Pour ce qui est des éraflures et coupures, je crois que le remède qui a subsisté le plus longtemps fut le fameux « mercurochrome ». On badigeonnait les blessures de ce beau liquide rouge, qui, contrairement à la teinture d’iode, ne brûlait pas quand on l’appliquait sur une plaie. Le mercurochrome (merbromine), qu’on appelait « le pansement des héros », a été créé en 1917, le brevet appartenait à la firme Juva Santé. Après plus de 80 ans de commercialisation, on a cessé la fabrication de ce populaire liquide rouge, car il présentait, paraît-il, des risques d’empoisonnement au mercure. Quand nos enfants étaient petits, mon époux avait plutôt l’habitude d’enduire les éraflures de gomme de pin, comme sa mère lui avait appris. Comme quoi, dans ce domaine comme dans bien d’autres, chaque famille avait ses remèdes de prédilection, et dans la plupart des cas, depuis plusieurs générations!

z1u7ve1oDans mon enfance, j’ai connu plusieurs remèdes, dont certains plutôt farfelus. Tout d’abord, il y avait une règle que tout le monde observait. Quand on attrapait une des nombreuses maladies infantiles, il fallait absolument administrer au patient une purgation. C’était la panacée. Il semblait important de «  nettoyer » l’organisme, alors on nous faisait prendre soit de l’huile de castor (huile de ricin), ou pire encore, du « sel à médecine ». C’était horrible! Comme je ne faisais jamais les choses à moitié, j’ai eu la rougeole et la coqueluche en même temps. J’ai donc dû passer plus d’un mois au lit, le store baissé, car on disait que si la rougeole tombait dans les yeux, on risquait de devenir aveugle. On était au printemps, il faisait chaud dans la petite chambre à l’étage et, quand les grandes personnes étaient occupées en bas, je me risquais à jeter un œil par la fenêtre, en soulevant le store, surtout à l’heure où les autres enfants s’en allaient à l’école. Une minute, pas plus!  Ça ne devait pas être si dangereux. Puis vint le jour de la purgation. On avait tenté par tous les moyens de me faire prendre le fameux sel à médecine.  Je pleurais, je me débattais « comme un diable dans l’eau bénite », je recrachais l’affreuse potion. J’ai quand même fini par en absorber un peu. Ne me demandez pas si le remède a agi…je ne m’en souviens plus!

smith-brothersPar la suite, je suis restée sujette aux rhumes. Dès qu’il en passait un, je l’attrapais, et ça durait! J’ai essayé tous les sirops, le plus efficace étant évidemment celui qui avait le plus mauvais goût, le sirop Buckley. Presqu’aussi pire que le sel à médecine! Par contre, j’adorais les pastilles Smith, surtout celles à la réglisse, qu’on pouvait se procurer les jours de « magasin » au couvent. Une journée par semaine, les Sœurs tenait un petit éventaire où elles vendaient des cahiers, crayons et aussi des pastilles pour la toux.  J’achetais donc presque chaque semaine une boite de pastilles… jusqu’à ce que la religieuse téléphone chez moi pour savoir si j’avais réellement toujours le rhume. Ce fut la fin de ma thérapie de pastilles! Lors d’un autre rhume particulièrement tenace, on m’avait administré une autre potion assez radicale; il s’agissait d’eau très chaude avec du miel et dans laquelle on avait mis quelques gouttes de térébenthine. Je ne me souviens plus du goût, ni non plus du degré d’efficacité!

Et que dire des « mouches de moutarde »! Quand je vous dis que j’ai testé tous les remèdes pour le rhume… Le cataplasme à la moutarde  était  simplement un morceau de flanelle sur lequel on étendait une pâte faite de moutarde en poudre avec un peu de farine, le tout délayé dans une petite quantité d’eau. On appliquait ce tissu sur la poitrine. Il ne fallait pas garder la « mouche » plus de 15 ou 20 minutes. Quand on l’enlevait, on devait étendre sur la peau de la poudre pour bébé ou du talc, pour éviter la brûlure. Je n’aimais pas non plus cette médecine, car l’odeur de la moutarde me piquait les yeux et me faisait pleurer.

17265787636_12dc9baa12_cIl existait des médicaments  pour tout. Pour le mal de dent, on utilisait de l’huile de clou de girofle. J’en aimais le goût, mais l’effet calmant ne durait pas longtemps. Pour la constipation, on nous faisait prendre du Castoria; ce nom laisse croire qu’il devait bien y avoir de l’huile de castor là-dedans! On frictionnait les foulures et les rhumatismes avec du liniment Minard ou de l’ Antiphlogistine. Pour la digestion, il y avait le lait de magnésie ou tout simplement, un peu de bicarbonate dans un verre d’eau. Comme vous pouvez le constatez, on ne dérangeait pas le docteur pour rien; on avait tout ce qu’il fallait à la maison!

En plus des rhumes, j’avais des saignements de nez intempestifs, fort dérangeants et qui duraient parfois assez longtemps. Quelqu’un avait affirmé que le remède le plus efficace consistait à ramasser au grenier ou à la cave une poignée de fils d’araignée poussiéreux et les appliquer sur le nez du patient ou de la patiente. Quand on a voulu essayer cela avec moi, je me suis évanouie… j’avais – et j’ai toujours – une peur bleue des araignées! Finalement, le meilleur remède est de diluer de l’alun râpé dans un peu d’eau tiède et de le respirer. C’est infaillible!  Mais ce que j’ai connu de mieux, c’était quand M. Lauréat Laplante arrêtait le sang. Il arrêtait aussi le mal de dent. Je n’ai jamais rien compris à cela, mais j’ai eu maintes fois l’occasion de bénéficier de ce don particulier. Décédé en 1967, ce brave homme est certainement au paradis… il l’a bien mérité!

© Madeleine Genest Bouillé, 14 septembre 2016