Il y a de ces petites phrases qui nous accrochent, qui nous trottent dans la tête et qui nous reviennent parfois au détour d’une conversation ou à d’autres moments, opportuns ou non. Ainsi en est-il de celle que je cite ici et qui est tirée du film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain : « C’est l’angoisse du temps qui passe qui nous fait tant parler du temps qu’il fait ».
Y a-t-il quelqu’un qui ne parle jamais du temps qu’il fait? On y vient tous à un moment ou à un autre : « Il fait beau aujourd’hui, il faut en profiter, il paraît que ça durera pas! », « Il faudrait de la pluie… un automne trop sec, c’est pas bon pour la terre », « Non, mais c’est ben terrible si on a du temps plate… il pleut tout le temps! » Et on parle des automnes qu’on a connus, des bien pires que cette année, ou des bien plus beaux. La température c’est l’entrée en matière idéale quand on rencontre quelqu’un. Et c’est suivi de près par la politique… surtout en temps d’élection! Mais on s’aperçoit bien vite si notre interlocuteur est intéressé par ce dernier sujet…ou quand on constate qu’on n’est pas du même bord; alors on revient vite à la température. Ah! la température! Quel merveilleux sujet! C’est finalement ce qui meuble la conversation quand on n’a pas trop de points en commun et qu’on cherche ce qui pourrait bien intéresser la personne qui est avec nous, surtout si elle n’est pas trop jasante. Et puis, parler des variations de la température, c’est aussi une façon de cacher sa timidité ou d’abréger un dialogue mal parti.
Il y a quand même des personnes que les variations de la température intéressent pour vrai et qui peuvent nous entretenir sur ce thème pendant plusieurs minutes, que dis-je, des heures! Avec les passionnés de haute et de basse pression atmosphérique, les fervents de précipitations, les amoureux de stratus et de cumulo-nimbus, la conversation peut prendre une tournure sérieuse, voire scientifique! C’était le sujet préféré de mon frère Florent, dont les souvenirs étaient marqués par le temps qu’il avait fait à chaque occasion. Qu’il s’agisse de la pire tempête de neige en 1955 ou du gros orage de 1971, du jour de mon mariage le 24 juin 1964 ou bien du baptême de mon premier bébé, le jour de Pâques 1965, il se rappelait le temps qu’il faisait à cette date. Mais Florent était lui-même un phénomène! Il possédait une mémoire comme on en voit peu… ce fut d’autant plus triste de voir cette fabuleuse mémoire se dégrader.
« Le temps qui passe », il passe à une vitesse ahurissante et ça peut devenir vraiment angoissant. Quand j’étais petite, comme tous les enfants, je disais à tout propos : « J’ai hâte! » : hâte à ma fête, hâte à Noël, hâte à dimanche. Un vieil oncle d’au moins quarante ans m’avait répondu un jour où j’avais redis une fois de plus ma hâte à je ne sais plus quoi : « T’as donc bien hâte de vieillir! » J’étais restée interloquée. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire.
Maintenant que j’ai atteint un âge respectable, et j’ose le croire, une certaine maturité, je réalise que nos attentes, nos désirs, nos espoirs nous poussent en avant inexorablement. Difficile de vivre au jour le jour, comme on le conseille aux aînés que nous sommes! Je ne peux m’en empêcher, j’ai toujours hâte à quelque chose. Mon mari et moi, nous avons neuf petits-enfants. Quand ils étaient tout-petits, nous vivions dans la hâte du premier sourire, des premiers pas, des premiers mots. Puis, ce furent tous les premiers exploits : premier dessin qu’on expose fièrement sur la porte du frigo, premiers succès scolaires, artistiques ou sportifs, qu’on applaudissait à chaque fois. Et maintenant on suit avec bonheur le parcours de chacune et chacun, du premier emploi d’été à la première voiture. On a hâte de connaître leurs succès… et en même temps on trouve que ça va beaucoup trop vite!
Notre vie est un calendrier jalonné d’anniversaires; il y a les jours marqués par des événements heureux : les mariages, les naissances. Évidemment, il y a de plus en plus de dates qui rappellent ces moments plus tristes que sont les décès de nos proches. Avec l‘arrivée du mois de novembre, justement appelé le « mois du souvenir », même, si on n’a pas le choix de penser à nos chers disparus, dans notre famille, on a pour équilibrer la balance, plusieurs anniversaires. Alors, je ne peux pas m’en empêcher, j’ai hâte! Non, mais vraiment, comment fait-on pour vivre sans avoir hâte à quelque chose? Ça fait partie des petits bonheurs de la vie! Et tant pis pour le temps qui passe, qu’au moins, il soit bien employé!
© Madeleine Genest Bouillé, 27 octobre 2017