Du temps de « Madame Chose »

Autrefois, il était d’usage pour les femmes mariées de porter le nom du mari.  Et pas juste le nom, le prénom aussi. Ma mère, Jeanne Petit, s’appelait donc Madame Julien Genest, et comme sa sœur Alice avait elle aussi épousé un Genest, pour les différencier, on disait Madame Julien et Madame Léo. Quand je me suis mariée, cette façon de faire était  encore en usage. J’étais née et j’avais grandi dans ce même village où nous demeurons encore; comme je travaillais « au téléphone » – même si on ne me voyait pas, on m’entendait –, la plupart des gens connaissaient mon nom. Et voilà, que du jour au lendemain, je devenais Madame Bouillé… pas Madame Zéphirin, ni Madame Louis-Joseph, non, Madame Jacques!

Papa et Maman, 1942 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

À cette époque, il y avait aussi une mode vraiment ridicule; les femmes s’adressaient à leur voisine, en l’appelant « Madame Chose »… en langage courant, ça donnait plutôt « Mame Chose ». On entendait ça couramment. Une fois, je ne sais plus quelle dame s’était adressée à ma mère en utilisant l’expression « Mame Chose »; ma mère avait répondu : « Genest, Madame Genest ».

Il n’y a pas longtemps, j’ai regardé la retransmission d’une des fameuses « Soirées du Bon Vieux Temps », qui était télédiffusées au canal 7, le poste de Sherbrooke. Ces soirées étaient animées par Louis Bilodeau. Je crois que tous les villages du Québec y sont passés. L’émission que j’ai visionnée présentait le village de Saint-Marc-des-Carrières. C’était en 1976, l’année où nos voisins fêtaient le 75e anniversaire de fondation de leur municipalité. J’ai revu des gens que je connaissais… plusieurs sont disparus; pensez donc, il y a quarante et un ans de ça! L’animateur présentait tout ce beau monde, en commençant par les notables, Monsieur le curé Beauchemin, Monsieur le Maire, Alcide Rochette, accompagné de son épouse, qui fut présentée ainsi : « Madame la Mairesse »! Elle n’avait pas besoin d’autre présentation. Puis ce fut le tour du président des Fêtes, Monsieur le Docteur Antoine B. Dussault, accompagné aussi de son épouse, Madame Docteur Dussault. Que dire de plus? Ensuite on présenta les musiciens, les danseurs et autres artistes. Madame Robert Légaré que je connaissais pour l’avoir souvent rencontrée au cours des soirées Lacordaire, a chanté une chanson à répondre de sa belle voix de soprano, qui était plutôt habituée aux  mélodies plus classiques. C’était quelqu’un Madame Légaré! Quel beau souvenir! Et que de belles dames, dans cette assemblée… toutes vêtues de robes longues et joliment coiffées. Mais pas un seul prénom à mettre sur les visages de toutes ces femmes… Dommage!

Comité historique du 75e anniversaire de St-Marc-des-Carrières (image du programme souvenir).

Un peu plus tôt cet automne, je vous ai parlé des maires qui ont jalonné l’histoire de notre municipalité. S’il fallait que j’essaie de nommer le prénom de chacune des épouses, je devrais chercher pas mal loin!  À commencer par le Sieur Paul Benoît, dont il n’est nulle part fait mention qu’il ait eu une épouse… et pourtant, il a quand même eu une belle descendance. Celle qui a eu la chance de porter son nom le plus longtemps fut certes l’épouse de notre maire Louis-Philippe Proulx. Marie-Louise Marcotte était une « demoiselle attardée », très connue par chez nous, quand elle convola avec M. Proulx, qui n’était pas non plus de la première jeunesse. Comme celui-ci ne survécut pas longtemps à son mariage, Marie-Louise reprit donc son nom… qu’on n’avait pas eu le temps d’oublier!

Louis-Philippe Proulx et son épouse, Marie-Louise, 1947 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Je n’ai pas très bien connu Madame J.B.H. Gauthier, mais je sais qu’elle s’appelait Marie-Ange. À ce qu’on m’a raconté, cette femme qui tenait sa maison et sa famille de main de maître (ou plutôt de maîtresse), me laisse croire qu’elle aurait mérité qu’on l’appelle par son prénom. Par contre, j’ai bien connu l’épouse du maire C.H. Johansen, Madame Simone. Dans mon premier livre, Grains de sel, grains de vie, j’ai parlé de cette femme admirable, qui était la mère de mes amies d’enfance, Colette et Madeleine, ainsi que de sept autres enfants. J’ai parlé de sa patience, de son accueil chaleureux. À la fin du texte qui lui est consacré, j’ai écrit : « Sans bruit, sans longs discours, tout simplement, vous avez pris votre place : ni devant, ni derrière votre « notable » de mari, mais à côté de lui, toujours. » Elle méritait son titre de « Madame la Mairesse », mais elle préférait qu’on l’appelle Madame Johansen, comme c’était encore la coutume.

Au cours des années soixante-dix, il a été décrété que les femmes mariées porteraient leur nom de baptême, évidemment, elles reprenaient aussi leur prénom. Dans les débuts de cette nouvelle loi, il arrivait parfois qu’on doive appeler deux fois les femmes qui attendaient leur tour dans une salle d’attente, soit chez le médecin ou chez le dentiste; il y avait tellement longtemps qu’on ne les avait pas appelées par leur nom!  Plusieurs dames ne se sentaient pas à l’aise d’utiliser leur nom de « jeune fille »  dans la vie courante; au téléphone surtout, elles continuaient de se nommer  du nom de leur mari.  Mais au moins,  le terme « Madame Chose » avait disparu!

© Madeleine Genest Bouillé (ou Madame Jacques…), 22 octobre 2017

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