L’école en d’autres temps

« Les choses ont bien changé… Dans mon temps… »

Plus on avance en âge et plus souvent on se surprend à répéter cette phrase! Par un beau matin, il y a quelques jours, nous étions en auto à l’heure où, un peu partout sur le bord de la route, on voyait des écoliers en attente de l’autobus. En bons grands-parents, on fait la remarque : « Mais ils ont donc de gros sacs à dos! Et comme ça semble lourd! » Et on ajoute : « Ils vont avoir mal dans le dos, plus tard! » C’est vrai qu’ils en transportent des affaires dans ce sac! Pour avoir souvent gardé nos petits-enfants – ce n’est certes pas fini! –  j’ai appris qu’à l’école primaire, en plus des effets scolaires, il y a dans le sac d’école le contenant du dîner et les deux collations, chacune dans son emballage. À l’école secondaire, même  s’ils prennent leur repas à la cafétéria, les sacs sont quand même toujours aussi remplis.

img_20160908_0001Quand j’étais étudiante,  j’étais externe, c’est-à-dire que je me rendais à pied au couvent, où j’ai fait toutes mes études. C’était bien différent de ce que nos jeunes vivent maintenant. D’abord, si le sac d’école était très léger au cours des premières années, il s’est alourdi petit à petit à partir de la  6e année. Les cours commençaient à 8 heures 20  et la classe finissait à 11 heures moins 10. Je retournais dîner à la maison; à midi trente, j’écoutais le début de l’émission radiophonique Le Réveil rural, avec le thème musical dont je me souviens très bien : « C’est le réveil de la nature… tout va revivre au grand soleil… » Une très belle chanson! Mais je reviens à mes moutons, c’est-à-dire, au couvent : à 1 heure moins 10, la cloche sonnait et nous retournions chacune à nos classes, les cours se terminant à 4 heures moins 10. Les grandes de l’Académie – élèves de la 8e à la 12 année – avaient une période d’étude de 4 heures 20 à 5 heures 20.  Durant la demi-heure qui précédait l’étude, les pensionnaires descendaient au réfectoire (on appelait ainsi la salle à manger) pour prendre une collation qui consistait généralement en une tartine de mélasse… sans doute que ce modeste goûter devait être accompagné d’un breuvage. Pour  la plupart des externes, en hiver ou quand la température était moins clémente, nous descendions au vestiaire, pour jaser et déguster le petit « en-cas » qu’on avait apporté de la maison. Quand il faisait beau, on se promenait dans la rue de l’Église et on allait parfois acheter quelques friandises au petit magasin de Mademoiselle Corinne Paris – aujourd’hui la Boulangerie « Soleil levain ».

sainte-enfance_jean_webParlant de friandises, il faut que vous raconte une de mes mésaventures. À l’époque, il existait beaucoup d’œuvres de bienfaisance destinées aux pays qu’on disait « sous-développés » – et qu’on appelle maintenant « en voie de développement ». Dans la même veine, plusieurs congrégations envoyaient des religieux et religieuses pour enseigner et soigner les gens dans ces contrées démunies tout en faisant connaître les bienfaits du christianisme. Les missionnaires avaient besoin d’être soutenus financièrement non seulement par leur communauté, mais aussi par les gens de leur pays, leur village natal. La religieuse qui était titulaire de l’Académie avait justement une sœur qui était missionnaire au Japon. Nous étions donc fortement incitées à contribuer aux œuvres missionnaires, surtout à la « Sainte-Enfance ».  Pour chaque pièce de 10 ou 25 sous, nous recevions une petite carte portant la photo d’un enfant de race noire ou asiatique. On disait qu’on « achetait » un petit noir ou une petite chinoise. On leur donnait un prénom… et c’était à qui aurait le plus d’enfants chinois ou africains!

acfa0Ma famille n’étant pas des plus fortunées, je ne donnais pas beaucoup de sous pour la « Sainte-Enfance », et on me le rappelait un peu trop souvent à mon goût. Surtout que, quand enfin j’avais un petit pécule, il était bien tentant d’utiliser ces quelques sous pour acheter une friandise chez Mademoiselle Corinne. Eh oui! Vous me voyez venir… Un beau jour de mai, il faisait beau, on approchait de la fin de l’année scolaire. J’avais reçu un beau 10 cents, pour je ne sais quel service rendu; on m’avait fortement conseillée de le donner pour la Sainte-Enfance. Mais voilà! Mes amies allaient toutes au petit magasin avant l’étude, j’y suis allée et… je n’ai pas résisté à l’envie de me payer une délicieuse Caramilk. Tout se savait dans cette sainte institution! J’aurais dû m’en douter… ma faute a été dénoncée à notre professeur. J’ai été réprimandée en pleine classe; j’ai reçu une punition, je ne sais plus laquelle, et bien entendu, mon nom a été effacé du tableau d’honneur! Jusqu’à la fin de l’année, fuyant la tentation, je ne suis plus retournée chez Mademoiselle Corinne… mais je n’ai pas non plus acheté ni petit chinois, ni petit noir!

© Madeleine Genest Bouillé, 10 septembre 2016