Pour bien débuter ce mois d’avril, voici un essai de fable que n’aurait pas reniée ce bon Monsieur de La Fontaine.
Vous connaissez le dicton : « Quand le chat n’est pas là, les souris dansent ». Je le comprends comme ceci : dès que les parents, les professeurs, les patrons, ainsi que tous ceux qui détiennent une certaine autorité ont le dos tourné, les enfants, les étudiants, les employés et toutes les ouailles que vous voudrez, s’en donnent à cœur joie et souvent, virent tout à l’envers!
Je me suis amusée à inverser ce dicton. Ça donne ceci : « Quand les souris ne sont pas là, les chats dorment et engraissent ». Je m’explique. Quand il n’y a pas de souris, les chats, n’étant jamais dérangés, deviennent paresseux; ils mangent, ils dorment, ils engraissent! Un gros chat paresseux, à quoi ça sert dans une maison, je vous le demande! Il vient se faire flatter, il ronronne juste ce qu’il faut pour qu’on le trouve gentil et qu’on lui donne à manger; il se fait les griffes sur les fauteuils. Quand le besoin viscéral de chasser le prend, il tente d’attraper une mouche, une coccinelle qui s’est trompée d’adresse, ou encore une araignée très occupée à tisser sa toile. Minou s’énerve, saute partout, grimpe aux rideaux s’il le faut. Mais comme il manque d’exercice, il fait plus de dommages que de victimes. On le trouve drôle… en réalité, il est pitoyable! Nous avons eu jadis quelques spécimens de ce genre, dont un qui s’appelait « Pansu » et un autre qui avait pour nom tout simplement « Gros imbécile »…
Voyez-vous, pour qu’un chat conserve ses qualités de félin – instinct de chasseur, curiosité, souplesse, agilité – il faut nécessairement qu’il y ait des souris dans les alentours. Bien entendu, je parle d’un vrai chat, entier, avec griffes et tout l’arsenal du bon chat de gouttière. Il me revient des souvenirs émus, entre autres de notre bon Victor et aussi d’Alfred, un valeureux chat jaune, qui s’était attaqué à l’arbre de Noël avec une ardeur dévastatrice. Il faut dire que ces animaux ont eu une vie aventureuse. Quand, au printemps, ils disparaissaient pour quelques jours, ils nous revenaient amaigris, la queue en bataille, l’oreille déchirée… témoignant de combats épiques. Hélas! Ils n’ont pas fait « de vieux os »! Tous les chats que nous avons eu ont toujours été irrésistiblement attirés par l’autre côté du chemin. La traversée de cet espace rempli de dangers a été fatale à plusieurs d’entre eux…
La morale de cette histoire, car il faut bien qu’il y en ait une, la voici : quand il n’y a pas d’opposants, ceux qui détiennent le pouvoir, qui font les règles et les lois, deviennent moins vigilants, plus complaisants. Comme personne ne discute leurs idées et leurs décisions, ils ne remettent jamais rien en question; ils s’assoient sur leurs lauriers – un très mauvais endroit pour porter les lauriers – et ils se congratulent, se flattent la bedaine. Ils sont trop sûrs d’eux… et comme les chats inoccupés, ils dorment et engraissent! Quand, par malheur, ils se réveillent (une puce qui les a piqués?), ils sont grognons, ils critiquent tout, rien ne leur convient. Il ne faut pas les contrarier… ils peuvent même devenir méchants! Est-ce à dire que les gouvernements minoritaires seraient plus productifs? Tirez-en vos conclusions!
Et pour terminer cette histoire de chats, pour que ceux-ci puissent remplir correctement leur rôle de chat, forcément, il doit y avoir des souris!
© Madeleine Genest Bouillé, 31 mars 2016