Question de parlure – 3e partie

Question de parlure… c’est bien beau, mais ça nourrit pas son homme! Jadis, cuisiner était le travail qui prenait la plus grande partie du temps des ménagères. Il n’y avait pas de cuisine rapide, pas de surgelés, pas d’autres conserves que celles qui étaient faites à la maison. On partait la soupe, sitôt la vaisselle du déjeuner lavée. Les recettes de nos grands-mères avaient leur franc-parler! De la « soupe à l’ivrogne », au « bœuf du rang 3 », en passant par le « jambon du nordet », et les « œufs dans le purgatoire », on avait la « truite de la visite des États » qui était pas piquée des vers, et les indispensables binnes, plorines, cipâtes et gibelottes, sans oublier les cochonnailles : boudin, tête fromagée, cretons et graisse de rôti. Et que dire des desserts! Le « pouding chômeur », le gâteau froid pour lequel il fallait absolument des biscuits « Village », la tarte à la « farlouche ». Je me souviens encore des « poulets à la rhubarbe » de ma grand-mère. Plus tard, j’ai su que ce qu’elle nommait ainsi était tout simplement des « grands-pères ». Mais quand j’étais petite, j’étais persuadée de manger des petits poulets, cuits avec de la rhubarbe! Évidemment, ce n’était pas tous les jours fête, souvent lors des nombreux jours sans viande, il n’y avait pas que chez Séraphin Poudrier qu’on mangeait de la galette de sarrasin. Dans le même genre, il y avait les galettes aux patates, qu’on mangeait d’abord, toutes chaudes avec du beurre et ensuite avec de la mélasse ou du sirop d’érable. Une chose était certaine, il était inutile de « farfiner », et de lever le nez sur l’un ou l’autre plat, encore moins de « ruer dans les ménoires »; la consigne était : « Tu manges ce qu’il y a dans ton assiette ou tu vas te coucher! »

En ces temps où les gens trimaient dur, les femmes autant que les hommes, la nourriture était importante; on n’avait pas le droit de la gaspiller; pour ma part, je crois toujours qu’on en a pas le droit… mais passons! La personne qui ne « nettoyait » pas son assiette était considérée comme capricieuse ou malade. Une certaine corpulence était considérée comme un signe de santé et de beauté. Une femme trop mince était qualifiée de « maignechigne » (mis pour maigne-échine). On disait qu’elle « n’avait que les quatre poteaux, puis la musique »… au pire, on ajoutait que « la musique était fausse ». Une autre expression qui conviendrait de nos jours à certains mannequins était celle-ci : « Elle s’en vient puis on dirait qu’elle s’en va ». Ça, c’était maigre en pas pour rire! Ma grand-mère, pourtant elle-même très mince, qualifiait une certaine dame de sa connaissance, justement grande, maigre et osseuse, de : « grand Jésus-Christ de tôle »… en référence à un crucifix suspendu au mur de sa cuisine, sur lequel le Christ faisait vraiment pitié!

On sait que la religion prenait une grande place dans la vie de nos gens. Mais cela ne comportait pas que des désagréments. Par exemple, à la grand’messe de Pâques, les femmes n’étaient pas peu fières d’arborer un chapeau neuf. Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige… au besoin ce matin-là, on portait pour la messe bottes et manteau d’hiver, mais on exhibait un joli chapeau de paille garni de fleurs. À la Fête-Dieu, fin mai ou début juin, c’était l’occasion d’étrenner la nouvelle petite robe qui ferait les beaux dimanches de l’été. Pour les hommes, la tenue vestimentaire ne variait pas tellement; l’habit de noces tenait lieu de costume du dimanche aussi longtemps que son propriétaire pouvait entrer dedans! Chapeau, cravate et souliers bien cirés… notre homme était ainsi endimanché. Un des dictons de ma mère disait ceci : « Un bon cheval porte son attelage : une femme endure sa chevelure et un homme, sa cravate! ». Je dois ajouter que ma mère n’a jamais aimé les cheveux courts pour les filles, ceci expliquant cela!

La messe dominicale avait certains autres agréments, entre autres, les rencontres sur le perron de l’église. Faute de téléphone, c’était l’endroit où on commentait tous les événements de la semaine. On entendait des : « Pas vrai! Vous m’en direz tant! »…  « Êtes-vous sûre? C’est-y Dieu possible! »… Et à l’autre bout du perron, dans la fumée des pipes et des cigares : « Oui mon vieux, je peux te garantir qu’il a achetée c’te jument-là chez Ti-Noir! »…  « Moé je vous le dis, le petit nouveau là, celui de Trois-Rivières, Duplessis, qu’il s’appelle?… en tous cas, il va aller loin! ». Pendant ce temps, les garçons reluquaient franchement les filles, qui leur rendait la pareille, sans trop d’ostentation… réputation oblige! Si la demoiselle était intéressée, sans trop en avoir l’air, elle pouvait inviter le jeune homme à « venir accrocher son fanal » le soir même ou un prochain « bon soir ». Bien des idylles débutaient ainsi à l’ombre du clocher! Avec l’accord des parents de la jeune fille, les fréquentations pouvaient alors commencer. Les mardi, jeudi, samedi et dimanche, étaient considérés comme les « bons soirs », dépendamment des familles. Parfois la demoiselle était autorisée à recevoir son cavalier seulement la fin de semaine. Cependant, il n’y avait pas de fréquentation sérieuse sans chaperon. Ce rôle ingrat était tenu soit par la mère ou bien une sœur ou un frère qui devait se tenir assis près de la porte ouverte du salon… de façon à voir les amoureux, sans avoir l’air de rien. Pour faire en sorte que le soupirant n’oublie pas l’heure du départ, la mère ou le plus souvent, le père, éteignait une lampe ou remontait ostensiblement l’horloge, indiquant ainsi qu’il était l’heure d’aller se coucher!

Question de parlure, avant le téléphone intelligent, les attitudes et les gestes étaient aussi expressifs que les mots!

© Madeleine Genest Bouillé 2015