J’me marie, j’me marie pas, j’fais une sœur…

Dans ma tendre jeunesse, on effeuillait la marguerite en récitant : « J’me marie, j’me marie pas, j’fais une sœur ». Évidemment, nous souhaitions que le dernier pétale tombe à la première option, même si au besoin on devait tricher un peu pour y arriver!

Religieuse au couvent de Deschambault, dans les années 40.

Religieuse au couvent, dans les années 40.

La jeune fille du temps passé avait trois choix de vie. Soit elle se mariait et élevait une famille, soit elle entrait en religion pour y exercer le métier d’enseignante ou d’infirmière, ou encore, et ce n’était pas vraiment un choix, elle demeurait célibataire. Souvent, la « fille de la maison » se retrouvait à s’occuper de ses parents vieillissants, après que les autres membres de la famille soient partis chacun de leur côté. Jusque dans les années soixante, je dirais, les filles étaient élevées en fonction de cette vocation de femme au foyer et de mère de famille. Même pour celles qui avaient étudié, soit pour devenir enseignante ou infirmière, ou qui avaient suivi le cours de sténo-dactylo pour devenir secrétaire, en général, on travaillait « en attendant ».

Élève du cours de dactylo, au couvent de Deschambault (1948-49).

Élève du cours de dactylo, au couvent de Deschambault (1948-49).

Aussitôt les études terminées, et même avant, on commençait à préparer notre trousseau. Dans les demeures où l’on possédait un métier à tisser, les filles apprenaient à fabriquer linges de vaisselle, couvertures et catalognes. Même si toutes n’avaient pas de coffre d’espérance en cèdre, chacune avait à cœur d’arriver au mariage avec un trousseau bien garni. À mon époque, la plupart des futures mariées avaient un emploi, ce qui leur laissait moins de temps pour tisser, tricoter ou broder. On offrait donc sur le marché un trousseau de base pour un certain montant à défrayer chaque mois. C’est ce que j’ai fait car je n’avais pas vraiment de talent pour les travaux délicats. Pour ce qui était de la cuisine, on l’apprenait à la maison, à moins d’avoir suivi le cours d’Enseignement ménager. Les écoles ménagères préparaient aussi aux professions de couturière, cuisinière et plus tard, de diététicienne.

Modern Bride Magazine, 1964.

Modern Bride Magazine, 1964.

Le mariage étant une chose sérieuse, on se devait d’être bien informé sur tous les aspects de cette nouvelle voie dans laquelle on s’engageait. Car, voyez-vous, on se mariait pour la vie! Les futurs mariés étaient fortement incités à suivre le cours de préparation au mariage qui était donné dans chaque paroisse par le curé ou le vicaire, assisté d’autres personnes qualifiées selon le sujet du cours. Comme mon fiancé travaillait sur les bateaux, nous avions choisi le cours par correspondance, c’était pas mal plus simple ainsi. Pour les préparatifs matériels (cérémonie, vêtements, noces), il y avait un incontournable, la revue Mon Mariage, qui traitait de tout, absolument tout! J’avais acheté ce magazine et aussi une revue américaine, Modern Bride; j’ai conservé cette dernière qui date du printemps 1964.

Photo de mariés datant de 1951.

Photo de mariés datant de 1951.

L’étiquette du mariage était pas mal plus compliquée que maintenant, où chacun porte ce qui lui plaît, peu importe le style de la cérémonie. Par exemple, jusque dans les années cinquante, quand une jeune fille se mariait passé vingt-cinq ans, il était d’usage qu’elle porte une robe de couleur, de longueur normale, avec chapeau assorti, tel que vous pouvez voir sur la photo qui date de 1951. Je précise que cette mariée portait une robe et des accessoires de couleur turquoise. La robe longue, blanche, avec voile et traîne plus ou moins « traînante », était réservée à celles qui n’avaient pas « coiffé Sainte-Catherine ». Remarquez, il y a avait déjà des demoiselles qui se fichaient pas mal de ces diktats, c’est d’ailleurs pourquoi ils sont petit à petit tombés en désuétude.

Mariage de ma sœur Élyane en 1957.

Mariage de ma sœur Élyane en 1957.

Au cours des années cinquante, on a trouvé un compromis pour la longueur des robes de mariées qui n’étaient ni courtes, ni longues, on appelait ça 7/8. La robe pouvait être de couleur pastel; celle de ma sœur était blanche, comme vous pouvez voir sur la photo de septembre 1957. C’était le premier mariage dans la famille et puisqu’on parle de mode, cet automne-là, le chic était la robe bleu Dior, autant que possible en velours! Aux noces de ma sœur, il y avait sept ou huit invitées vêtues de robe de cette couleur.

Vous vous demandez ce qu’on mangeait au cours des noces? J’ai assisté à une noce pour la première fois en 1951, il y a eu ensuite le mariage de ma sœur en 1957 et par la suite, j’ai assisté à plusieurs noces – on se mariait beaucoup à l’époque! La plupart du temps, on servait en entrée un jus de légumes, quelques crudités et ensuite des sandwiches, lesquelles variaient selon le coût du repas. Le tout était couronné par le gâteau de noces qu’on servait habituellement après que les mariés aient endossé leur costume de voyage de noces, juste avant le départ… alors que les nouveaux mariés faisaient le tour des invités pour remercier chacun et chacune, avec, évidemment, quelques larmes en prime!

Mon époux et moi, nous sommes mariés le 24 juin 1964. La mode des énormes crinolines était en perte de vitesse, aussi j’avais choisi de faire coudre ma robe dans un satin peau de soie que je trouvais plus sobre. Pour faire changement, nous avions commandé un repas chaud… Malheureusement, il faisait très chaud et humide ce jour-là. Tant pis! Nous n’avons tout de même que de beaux souvenirs, tant du mariage que de la noce, sans oublier le trajet après le mariage en Lincoln décapotable de l’année!

© Madeleine Genest Bouillé, juillet 2015

Moi et mon époux Jacques, dans la Lincoln (24 juin 1964).

Moi et mon époux Jacques, dans la Lincoln (24 juin 1964).

La « grotte » et le Mois de Marie

Monument à la Vierge érigé en 1954 (photo datant de 1955).  © Coll. Madeleine Genest Bouillé.

Monument à la Vierge, appelé communément la « grotte » (photo datant de 1955). © Coll. Madeleine Genest Bouillé.

La « grotte » sur le cap Lauzon a été érigée en 1954, à l’occasion de l’Année Mariale. Le curé de l’époque, l’abbé Paul-Émile Laliberté, avait une grande dévotion à Marie et il tenait à l’édification de ce monument dédié à la Vierge Marie. Quand la température le permettait, certaines célébrations, comme la fête de l’Assomption, le 15 août, et parfois le Mois de Marie, se tenaient en ce lieu magnifique, face au fleuve.

Parlant du Mois de Marie… je me rappelle ces moments de prières à l’église quand nous étions jeunes. Chaque soir du mois de mai, la célébration commençait par ce cantique : « C’est le Mois de Marie, c’est le mois le plus beau. À la Vierge chérie, offrons un chant nouveau. » Quand il fait beau au mois de mai, c’est vraiment le mois le plus beau! Je ne sais pas pourquoi, mais ce mois est associé dans mon esprit à mes dernières années d’étudiante. Sans doute parce qu’avec le printemps, venait une certaine liberté. À l’époque, durant l’année scolaire, pour la plupart, nous n’avions pas la permission de flâner dehors le soir. Les devoirs et les leçons prenaient beaucoup de place. En mai, les journées plus longues nous incitaient à passer plus de temps à l’extérieur. Je pouvais donc étudier sur la galerie, en regardant passer les autos, ce qui devait être très efficace, surtout si quelques amies se joignaient à moi. Souvent, nous assistions au Mois de Marie, encouragées en cela par nos parents et par les religieuses du couvent. Sur le chemin du retour, nous prenions plus de temps qu’il n’en fallait, en faisant des détours; nous n’avions évidemment pas hâte de rentrer. Je me souviens qu’on s‘arrêtait parfois pour cueillir des lilas près du vieux presbytère; il y avait pourtant une clôture passablement haute. Je suppose que certains arbustes étaient accessibles. Voilà que mes souvenirs se précisent… nous sortons de l’église, en riant et en chantant; quelques bonnes dames pieuses nous regardent en fronçant les sourcils sous leur chapeau noir. Nous rions plus fort! Il fait merveilleusement beau, le soleil est encore haut et je tiens un bouquet de lilas… Malgré les années, son parfum embaume encore ma mémoire! Que serait la vie sans souvenirs heureux!

La

La « grotte », de nos jours… la structure de pierres tout autour a été ajoutée lors du 250e anniversaire de la paroisse en 1963.

© Madeleine Genest Bouillé, 1er mai 2015

Une journée dans la classe de Mère Saint-Gérard

Couvent de Deschambault, autour de 1950

Couvent de Deschambault, autour de 1950

À huit heures vingt minutes, la cloche sonnait! Nous entrions dans la classe des grandes, qu’on appelait l’Académie, et prenions nos places, en silence. La journée commençait toujours par un cantique. Si on était lundi, c’était la journée consacrée au Saint-Esprit. Pauvre Saint-Esprit! Ce qu’il a dû se boucher les oreilles certains lundis, où, à cause de la mauvaise température, ou simplement parce que c’était lundi, nous chantions d’une voix traînante : « Ô Saint-Esprit venez en nous… » Le mardi était dédié à notre ange gardien, le mercredi à Saint Joseph, le jeudi étant jour de congé, le ciel était donc privé de nos louanges plus ou moins mélodieuses. Le vendredi, nous invoquions le Sacré-Cœur et le samedi, nous chantions un cantique à Marie. Nous y mettions un peu plus d’ardeur étant donné que c’était la fin de la semaine. Dans mes dernières années d’étudiante, nous avions enfin congé le samedi comme tout le monde. Curieusement, je ne me souviens pas du cantique qui devait être chanté le jeudi, peut-être que nous ne chantions plus? Il faut dire qu’en plus du cantique, nous faisions une prière. Après ces préliminaires censés nous rendre réceptives aux choses de l’esprit, il était exactement huit heures trente et Mère Saint-Gérard commençait la leçon de catéchisme.

Cette religieuse était une femme imposante. Grande, très droite, le regard de ses yeux de glace bleue, était tempéré par le petit sourire un peu moqueur qui flottait toujours sur ses lèvres minces. Quand elle ne souriait pas, il était préférable de travailler en silence et de ne pas faire de farces. Après le cours de religion, nous avions généralement le cours de mathématiques, qu’on appelait « arithmétique ». Mère Saint-Gérard excellait dans cette matière. Je n’avais aucune attirance pour ce cours et je n’y comprenais rien jusqu’à ce que cette chère Mère décide qu’il n’y avait pas de raison pour que je coule mes examens de neuvième année, étant donné que j’avais de bons résultats dans les autres matières. J’ai été en retenue plusieurs fois, soit le samedi et durant le congé de l’Ascension, j’ai tempêté, j’ai râlé… mais, oui, j’ai réussi mes examens d’arithmétique!

Heureusement, la récréation venait fort heureusement mettre fin à ce cours dont je me serais bien passée. Nous finissions l’avant-midi soit avec un cours d’histoire, de géographie ou une autre matière, tel l’anglais. La religieuse qui enseignait l’anglais était gentille et je me souviens qu’en décembre, elle nous apprenait un chant de Noël dans cette langue. J’ai encore en mémoire les paroles du premier couplet de Silent Night ainsi que celles du vieux Noël O Little town of Bethleem. À onze heures moins dix, la cloche nous libérait pour l’heure du dîner.

Les externes, dont je faisais partie, retournaient dîner à la maison. Les cours recommençaient à une heure moins dix. La première heure était dévolue au cours de langue française. Nous avions soit une dictée ou un texte à étudier dans notre manuel de Lectures littéraires, avec des questions sur le texte. Quelquefois, nous devions faire une rédaction. J’aimais le français et surtout j’aimais composer des textes, sauf quand il s’agissait de sujets imposés. Après la récréation, il y avait un autre cours qui variait selon les jours de la semaine, c’était le plus souvent un cours de science. Comme nous n’avions pas de laboratoire, nous nous contentions d’apprendre les leçons du manuel, sauf une fois par année, où pour le cours de chimie, nous avions la joie d’ouvrir le petit flacon de mercure, rangé dans une armoire fermée à clé. Après avoir versé par terre le contenu de la petite fiole, nous nous amusions à regarder cette curieuse matière se diviser en petites bulles qui roulaient sur le plancher de bois… Tout un cours de chimie!

Du temps où le congé hebdomadaire était le jeudi, le samedi avant-midi, nous avions le cours « d’enseignement ménager ». J’aimais assez cette matière, sauf s’il fallait broder ou tricoter; j’étais nulle pour ce genre de travaux. J’aimais par contre le cours de cuisine avec Mère Saint-Fortunat. Nous adorions cette religieuse si bonne, toujours souriante. Jamais je n’oublierai la fois où elle nous apprit à faire une sauce Béchamel. Déjà, le mot « Béchamel » sonnait comme quelque chose de velouté… Je n’avais jamais vu, ni goûté une sauce aussi onctueuse! Dans ce même cours, nous avions à étudier « l’économie domestique ». Ce manuel contenait entre autres, la liste de tous les ingrédients à utiliser pour détacher les vêtements, vitres, planchers, enfin tout! Cela ressemblait plutôt à une liste d’épicerie. La partie du livre que j’aimais bien était celle où on décrivait les tâches à exécuter dans la semaine de la maîtresse de maison. Chaque jour était consacré à une tâche différente, mis à part la préparation des repas, et qui ne semblait jamais devoir varier. Ça ne se passait pas vraiment ainsi à ce qu’il me semblait dans la vraie vie…

Pour terminer la semaine, nous avions parfois un cours de dessin… pas assez souvent à mon goût. Que de choses aurais-je encore à raconter sur ce propos! J’ai eu la chance de passer mes dernières années d’étudiante avec Mère Saint-Gérard, la meilleure des enseignantes. Je ne l’oublierai jamais.

© Madeleine Genest Bouillé, avril 2015