Images d’une autre époque

J’ai un jour reçu plusieurs albums de photos. Les plus vieilles datent des années 30 et les plus récentes, de la fin des années 40. La personne qui possédait ces photos n’écrivait que rarement la date, soit à l’endos de l’image ou dans l’album et il n’y a aucun fil conducteur. J’en ai déjà publié avec quelques-uns de mes « grains de sel ». Cette fois, j’ai fait une sélection plus variée, en me guidant sur mes préférences ou sur des personnes ou des lieux qui me rappelaient quelque chose.

* * * * *

Pour débuter, deux photos qui datent des années 30; on y voit madame Élise Proulx, épouse de monsieur Marcellin Thibodeau. Sur la première image, elle pose fièrement sur la galerie de sa maison, aujourd’hui le 215 sur le Chemin du Roy. La belle décoration de la balustrade a malheureusement été changée quelques années plus tard. La deuxième photo a été prise à l’arrière de la maison, alors que madame Thibodeau surveillait le savon en train de bouillir dans le gros chaudron. Je me souviens, quand j’étais enfant, d’avoir assisté à la fabrication du savon… on nous interdisait d’approcher de l’énorme marmite qui, pour nous, était un vrai chaudron de sorcière!

Vous reconnaîtrez sûrement cette maison à logements située au cœur du village. D’après les vêtements, on doit pouvoir situer la photo au début des années 40. Des travaux sont en cours… mais je n’en sais pas plus long. Je reconnais le propriétaire de cette maison, monsieur Louis Marcotte – l’homme en chemise blanche avec bretelles et cravate – ainsi que son épouse, Béatrice Naud, debout sur une marche de l’escalier. À l’époque, madame Béatrice chantait à l’église et dans les soirées organisées par l’une ou l’autre association paroissiale. Elle avait une jolie voix et elle était très en demande, dans les mariages surtout. Elle aimait beaucoup les enfants, n’en ayant jamais eu. Alors elle nous invitait chez elle et elle nous apprenait des chansons… nous ne nous faisions pas prier étant donné qu’elle avait toujours des bonbons pour nous récompenser!

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Maison Louis Marcotte, années 40 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Une photo datée du 1er janvier 1941. Lauréat Laplante avait installé sa cabane sur la glace, comme on peut le constater. Je ne sais si la photo a été prise avant ou après la pêche. M. Laplante pose ici avec son beau-frère, Paul Thibodeau, et leur neveu, Paul Jr. Thibodeau. Il ne semble pas faire trop froid… ou c’est qu’on a déjà commencé à prendre le  petit  « remontant », que tout pêcheur doit toujours avoir dans son attirail !

Cabane à pêche de Lauréat Laplante, 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Cabane à pêche de Lauréat Laplante, 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Derrière  cette photo, il est noté « Partie de plaisir, souvenir de ce 7 août 1941 ». Je l’ai choisie justement en raison cette inscription. Que fêtaient ces jeunes filles? … À part les premières communions, les mariages ou les anniversaires, il est rare que le bonheur ait une date!

Marie-Paule Laplante au centre, avec deux amies, août 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Marie-Paule Laplante au centre, avec deux amies, août 1941 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

En regardant cette photo, on constate qu’il faisait encore assez chaud ce 13 septembre 1944… Autrefois, ouvrir un petit magasin, ce n’était pas compliqué! On plaçait un comptoir dans une pièce à l’avant de la maison et on vendait des journaux, des friandises et un peu de « grocerie », comme on disait alors. Ici on est devant la maison qui porte aujourd’hui le numéro civique 208, sur le Chemin du Roy. Madame Henri Savard, Adrienne Courteau, possédait ce petit magasin où je me souviens être allée souvent acheter  une liqueur ou une barre de chocolat… J’étais du même âge que le petit garçon, Jean, et il nous arrivait de jouer ensemble, jusqu’à ce qu’on soit assez grands pour aller à l’école. Dès lors, les garçons et les filles ne jouaient plus ensemble, sauf dans la famille!

Magasin de Mme Henri Savard, 1944 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Magasin de Mme Henri Savard, 1944 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Je vous ai aussi parlé à quelques reprises de l’ancien maire, monsieur Louis-Philippe Proulx. Cette photo a dû être prise juste avant le départ de Louis-Philippe et Marie-Louise pour leur lune de miel, si l’on en juge par leurs vêtements. La noce avait lieu dans la maison des Morin dans la rue Johnson, où nous habitions, la famille Morin étant apparentée aux Proulx. C’était le 21 juin 1947. Les nouveaux mariés avaient fière allure… j’aime surtout le chapeau de Marie-Louise!

Louis-Philippe Proulx et son épouse, Marie-Louise, 1947 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Louis-Philippe Proulx, maire de Deschambault de 1940 à 1947, et son épouse, Marie-Louise, 1947 (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Toujours dans les années 40, l’équipe de balle de Deschambault, où paraît-il se retrouvaient les meilleurs joueurs du comté! Il y a sûrement quelques membres de la famille Gauthier, je reconnais entre autres, Monsieur Ovide Mayrand, debout à l’arrière et monsieur Raymond Paré à l’avant. Cette photo a environ soixante-dix ans… Je ne sais pas pourquoi, mais elle me fait penser au film Le champ des rêves. J’aime tellement la dernière réplique : « Le ciel, c’est l’endroit où les rêves se réalisent. »

Équipe de balle de Deschambault, avec certains des meilleures joueurs du comté! (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Équipe de balle de Deschambault, avec certains des meilleurs joueurs du comté! (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

 J’ai déjà mentionné que parmi les passe-temps des jeunes gens d’autrefois, la correspondance avec des étrangers, le plus souvent de France ou de Belgique, était très répandue, surtout pendant la guerre. À l’endos de cette dernière photo, d’une belle écriture fine, on lit: « À ma lointaine petite amie, en toute sympathie, Didier. »  Et au bas : « Rabat, le 30-5-1948. »  Sur la photo, deux matelots; on ne saura jamais lequel était Didier… Je vous laisse rêver la suite de cette histoire!

deux matelots, inconnus, 1948... (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Deux matelots, inconnus, 1948… (coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Pourquoi ai-je l’impression que le bonheur était plus simple au temps jadis? C’est peut-être que ça coûtait moins cher pour s’amuser. Quelqu’un a dit un jour « Quand le bonheur coûte cher, ce n’est plus du bonheur »… J’adore fréquenter ces témoins du passé que sont mes vieilles photos. C’est un peu comme faire un voyage dans le temps. Je garde toujours un brin de nostalgie quand je fais un petit tour « par la porte d’en arrière » dans la vie d’autrefois de mon village.

© Madeleine Genest Bouillé, 18 janvier 2017

Un petit papillon « arc-en-ciel »

Un dimanche matin, où il faisait très beau, ayant le goût de « m’endimancher », j’avais épinglé sur le revers de ma veste un bijou qui date de 1952. Un papillon doré avec des ailes émaillées aux couleurs de l’arc-en-ciel et dont le corps est fait de pierres turquoise. Je ne connais pas la valeur de cette broche, mais même après 64 ans, elle est toujours aussi jolie! J’ai reçu ce bijou en 1996, après le décès de ma « presque sœur », Marie-Paule Laplante.

Moi et ma "grande soeur" Marie-Paule, 1946 (photo: coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Moi et ma « presque sœur » Marie-Paule, 1946 (photo: coll. privée Madeleine Genest Bouillé).

Si vous suivez  « mon grain de sel » depuis les débuts en mars 2015, vous savez que j’ai  vécu une bonne partie de mon enfance dans la famille Laplante. À la naissance du huitième bébé de ma mère, ma grand-mère qui me trouvait pas mal plus « tannante » que mes frères, avait aimablement suggéré à ces amis de la famille, déjà parrain et marraine d’un de mes frères, de me garder le temps des relevailles de maman. Ce qu’ils acceptèrent avec autant de joie que de générosité. Puis, il y eut le neuvième bébé, puis le dixième. Maman en avait plein les bras… et ma sœur aînée n’avait pas encore 15 ans! Les Laplante aimaient les enfants; n’ayant eu qu’une fille, il y avait donc toujours place dans leur maison pour les enfants des autres. Ainsi ils trouvaient de plus en plus de bonnes raisons pour me garder chaque fois un peu plus longtemps. Jusqu’au déménagement de ma famille dans la rue Johnson en 1949, alors que je commençais à aller au couvent et que c’était plus pratique pour moi de demeurer au cœur du village au moins pendant l’année scolaire.

Aurore et Lauréat, n’ayant pas encore d’enfant après quelques années de mariage, se tournèrent vers l’adoption. Les crèches étaient pleines de bébés, orphelins de mère, ou  abandonnés pour une raison ou pour une autre. À cette époque, l’adoption de ces enfants en bas âge était facile. Généralement, dans le cas des mères célibataires, on leur avait fait signer un papier où elles renonçaient à connaître leur enfant, et acceptaient à l’avance  qu’il soit un jour adopté par une famille. Il ne faut pas jeter trop vite la pierre à ces jeunes femmes, qui souvent avaient cru aux déclarations d’amour d’un beau parleur… parfois déjà marié, et qui  disparaissait très vite quand la situation devenait compromettante.

Quand Marie-Paule est arrivée dans la vieille maison des Thibodeau – la famille d’Aurore – la grand-mère Élise Thibodeau vivait encore. Ils étaient donc trois adultes pour choyer cette solide petite fille aux cheveux et aux yeux bruns. Déjà, cette maison accueillait des pensionnaires de toutes sortes : les travailleurs de la construction du chemin de fer, des  filles « engagères »,  comme on disait,  pour désigner les demoiselles qui étaient engagées comme bonnes ou pour un autre travail. Il y avait aussi des enfants qui, demeurant à l’extérieur du village, voulaient continuer leurs  études  au couvent ou à l’école « des grands », ou ceux qui pensionnaient le temps de « marcher au catéchisme ». Du temps où j’étais chez les Laplante, il y a eu aussi quelques orphelins qui ont été hébergés, le temps que le père, veuf,  puisse se « revirer de bord », selon l’expression en usage quand quelqu’un devait s’adapter très vite aux nouvelles circonstances de la vie.

Marie-Paule était une personne de bonne humeur, qui aimait s’entourer d’amis, garçons et filles. Après ses études au couvent, où en plus de son diplôme de fin d’études, elle avait obtenu le diplôme de sténo-dactylo, elle pouvait alors postuler pour un emploi de secrétaire. Mais presqu’en même temps, le central du téléphone étant installé chez le deuxième voisin, on cherchait une « opératrice ».  Marie-Paule suivit alors un court stage  avant de débuter dans ce métier, qu’elle a exercé jusqu’à son mariage en 1951.

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Moi à 4 ans… avec mes jambes croches! (Photo: coll. privée Madeleine Genest Bouillé)

Marie-Paule était adroite en tout… ou presque! Elle était habile couturière, bonne cuisinière, et elle ne dédaignait pas au besoin d’user de la scie et du marteau.  Elle avait comme maxime préférée : « Si j’ai les bons outils, pourquoi ne serais-je pas capable de faire du bon travail! » C’était une femme à l’esprit pratique, elle était ordonnée et ne voulait surtout pas dépendre de quelqu’un d’autre. Elle pouvait démontrer une grande patience, en autant qu’elle était certaine d’atteindre son but. J’ai comme souvenir les efforts qu’elle a déployés, dans les premières années où je me « faisais garder » chez elle, pour redresser mes jambes qui étaient vraiment croches… j’ai d’ailleurs une photo où c’est bien visible! Elle me faisait faire des exercices et me montrait à marcher comme Charlie Chaplin, en me plaçant les pieds tournés vers l’extérieur. Pour ne pas me rebuter avec ces exercices, elle en avait fait une sorte de jeu.

Après son mariage, elle est allée demeurer à Trois-Rivières… je me souviens de ce petit appartement, un troisième étage sur la rue Bonaventure, juste en face du poste de radio CHLN, où Jean-Louis et Marie-Paule sont demeurés plusieurs années. Plus tard, ils ont emménagé sur la même rue, mais dans un logement plus grand, où ils ont accueilli   Aurore, quand celle-ci a « cassé maison », comme on disait alors. Et un dernier déménagement les a conduits sur la rue Royale, où la « santé de fer » de Marie-Paule a commencé à décliner alors qu’en 1993, elle apprit qu’elle était atteinte de la SLA. Elle est décédée de cette terrible maladie le 22 juin 1996.

Après le décès de son épouse, Jean- Louis m’avait donné la plupart de ses bijoux. Comme elle ne jetait jamais rien, certains joyaux dataient du temps où elle était jeune. J’ai gardé tous les bijoux anciens qui me rappelaient de beaux souvenirs, alors que, toute petite, je m’amusais à fouiller dans ce que j’appelais le « coffre au trésor ». Parmi les trésors que contient ce coffre,  « le papillon  arc-en-ciel »  est sans contredit celui que je préfère.  C’est une broche délicate, colorée, un bijou fait pour l’été! Et il me rappelle en plus une femme qui a compté beaucoup pour moi dans ma jeunesse.

À bientôt pour d’autres  souvenirs…

© Madeleine Genest Bouillé, 23 juin 2016

Parties de plaisir…

Si on en juge par certaines photos, la vie autrefois n’était pas aussi austère qu’on le croit aujourd’hui. Il n’y avait pas de télévision, pas de téléphone intelligent, moins de loisirs organisés, mais les gens profitaient de tout ce que chacune des saisons leur offrait pour se distraire et s’amuser. L’hiver dernier, j’ai publié des photos de sports d’hiver; au printemps, il y avait les parties de sucre. J’ai sélectionné cette fois quelques photos d’été appartenant à une amie, une grande sœur presque, qui était née en 1923.

plaisirs d'été 1 @ coll. privée Mado GenestDeux des plus vieilles photos datent de 1934. Marie-Paule, la propriétaire de la photo, porte un drôle de béret à rayures. Sauf pour les vêtements, qui diffèrent quelque peu, la photo avec le petit garçon au ballon aurait pu être prise l’été dernier… C’est la même grève, au bord du même fleuve, et je connais des jeunes qui, par les jours de grande chaleur,  même s’ils ont une piscine, ne demandent pas mieux que de se retrouver au bord de l’eau, pour ramasser des coquillages, lancer des cailloux à l’eau en essayant de faire plusieurs ricochets!

plaisirs d'été 2 @coll. privée Mado GenestAu retour de cette équipée, ils ne manquent jamais d’arrêter manger une glace à la Crémerie. Quand nous avions été sages, il nous arrivait aussi de recevoir un cornet de crème glacée, que nous dégustions avec une joie sans pareille!  Les saveurs étaient moins variées que maintenant : vanille, fraise, érable et chocolat; moi, je préférais celle à la fraise. La photo du petit garçon a été prise au magasin de madame Adrienne Courteau-Savard, (au 208, chemin du Roy); elle vendait des friandises et des liqueurs douces. Et on dit que les temps changent…

plaisirs d'été 3 @coll. privée Mado GenestSur la troisième photo, Marie-Paule, alors âgée de 11 ans, est à gauche de la photo. Elle pose fièrement avec sa cousine, dans sa plus belle robe. On prenait moins de photos autrefois, alors quand on avait la chance de se faire photographier, généralement, on mettait les vêtements du dimanche et, face au soleil, on arborait son plus beau sourire…Une photo, c’est quelque chose qui dure! Celle-ci a quand même 82 ans!

 

plaisirs d'été 4 @coll. privée Mado GenestJ’aime beaucoup les photos suivantes, prises en 1940. Marie-Paule avait à l’époque son propre Kodak. Les photos ont été prises la même journée, si j’en juge par les vêtements.  Sur l’une des images, il est écrit « Partie de plaisir ». Les filles ont chacune une fleur dans les cheveux. C’était peut-être l’anniversaire de l’une d’elle…

 

 

plaisirs d'été 5 @coll. privée Mado GenestAu temps jadis, quand on voulait canoter, il fallait savoir ramer. La photo est prise de la grève. On voit au loin, une des « pointes » du bas du village. Jadis, il y avait trois pointes, chacune séparée par un ruisseau qui se jetait dans le fleuve. Évidemment, il n’y avait pas encore de constructions à cet endroit, qui était inondé à chaque printemps. Elles étaient quand même robustes, ces rameuses! Peut-être chantaient-elles « Partons la mer est belle »

 

plaisirs d'été 6 @coll. privée Mado GenestNul doute que nos belles de 1940 ont dû faire un pique-nique en revenant du fleuve. Le mobilier de jardin était plutôt rare, à part parfois un hamac, des balançoires à corde et quelques chaises de parterre. On était moins exigeant à cette époque. On étendait une nappe sur le gazon et s’il ventait, on mettait quelques roches aux quatre coins. On servait des sandwiches, des radis et des concombres du jardin, le repas était peut-être agrémenté  de liqueurs douces ou à tout le moins d’une bouteille de limonade ou de thé froid. Les jeunes filles devaient avoir confectionné des biscuits ou des gâteaux… Elles avaient toutes suivi les cours d’Économie Domestique au couvent! Pour remplacer la petite marche de digestion, pourquoi pas une promenade en voiture à cheval? Elles savaient toutes conduire, et il n’y avait pas grand risque d’accident!  Quand je regarde cette photo, il me semble entendre le rire de ces belles jeunesses, rythmé par le pas du cheval. Vraiment quelle belle finale pour « une partie de plaisir »!

© Madeleine Genest Bouillé, 10 mai 2016

Allo! Quel numéro désirez-vous?…

La maison d'Alred Petit, où était située le "Central" vers 1930.

La maison d’Alred Petit, où était situé le « Central » vers 1930.

En 1927, Jules-André Brillant, de Rimouski, était le propriétaire de la Corporation de Téléphone et de Pouvoir de Québec, qui deviendra par la suite, Québec-Téléphone, puis Telus. Même si je ne connais pas la date exacte à laquelle fut installée la première ligne téléphonique à Deschambault, quelques indications me portent à croire que le téléphone avait déjà fait son apparition au début des années 30. À cette époque, le « Central » du téléphone était installé dans la maison d’Alfred Petit, le frère de mon grand-père, car ma mère y a travaillé avant son mariage en 1932. J’ai appris depuis peu que mon grand-oncle n’était pas le premier à loger le central, cet important moyen de communication ayant été localisé quelque part ailleurs auparavant.

Le central fut relocalisé dans une partie du garage Mayrand, puis quelques années plus tard, dans la maison de Lauréat Laplante (la 3e vers la droite).

Le central fut relocalisé au garage Mayrand, puis quelques années plus tard, dans la maison de Lauréat Laplante (la 3e vers la droite).

Sur la photo de la maison d’A. Petit, l’agrandissement qui devint la Salle Saint-Laurent n’est pas encore construit. Il est plausible de penser que, suite à cette construction, le central a été déménagé pour être installé dans un logement à l’étage du Garage Mayrand. Ce logement où était situé le bureau du téléphone était alors occupé par la famille Talbot. C’est à cet endroit que Marie-Paule Laplante a commencé son métier de standardiste ou « opératrice », comme on disait plutôt à l’époque. Au début des années 40, le central déménage pour une troisième et dernière fois dans la maison de Lauréat Laplante et Aurore Thibodeau, où il finira son règne en septembre 1964, lors de l’avènement du téléphone « à cadran ».

Difficile de préciser combien de jeunes filles ont exercé le métier de téléphoniste entre 1930 et 1964. À l’époque, les opératrices quittaient leur emploi quand elles se mariaient. Du temps où le central était chez mon grand-oncle Alfred, il est probable que ses filles, Blanche et Joséphine, ont dû y travailler avant leur mariage. Du début des années 40 jusqu’en 1964, il y eut certainement une quinzaine de demoiselles surtout – et à ma connaissance deux dames – qui ont fait ce travail, soit comme permanente ou comme remplaçante.

Marie-Paule Laplante en 1945 (collection Madeleine Genest).

Marie-Paule Laplante en 1945 (collection Madeleine Genest).

À l’époque où Marie-Paule Laplante travaillait au central, il n’y avait pas de concours, ni d’entrevue, la procédure d’embauche se faisait par le bouche à oreilles, comme c’était la coutume en milieu rural. Il y avait seulement un poste de travail et l’opératrice devait se trouver une remplaçante. On ne demandait pas non plus de qualifications particulières. Un bon français, écrit et parlé, était important; une bonne élocution était un atout supplémentaire et il fallait faire preuve d’une certaine célérité.

La nuit, le central était équipé d’une sonnerie particulièrement détestable, qu’on appelait un « buzzer ». Vers 23 heures ou plus tard, l’opératrice n’avait qu’à actionner une petite manette, comme celles qui servaient pour opérer le central; ainsi elle pouvait somnoler en toute sécurité sur le divan, placé à côté du poste de travail. Aucun doute, si quelqu’un téléphonait, elle l’entendait! J’ignore de quand date l’engagement d’une deuxième téléphoniste permanente ainsi que la répartition du temps de travail, soit une semaine de jour et une de nuit en alternance, mais c’était ainsi au cours des années où j’y ai travaillé. La remplaçante était absolument nécessaire si on était malade ou si on voulait prendre un congé, surtout la semaine de nuit où l’on travaillait de 17 heures à 8 heures le lendemain. La semaine de jour, c’était l’inverse. Durant les trois dernières années au cours desquelles j’ai fait ce travail, nous avions une semaine de vacances payée par année. Pour les autres congés, nous devions payer la remplaçante à même notre salaire.

Moi et Marie-Paule devant la maison qui accueillit le central jusqu'à la fin de ce service (coll. Madeleine Genest).

Moi et Marie-Paule devant la maison qui accueillit le central jusqu’à la fin de ce service (coll. Madeleine Genest).

J’entends déjà la question : « Est-ce que vous écoutiez les conversations? » D’abord, je dois dire que nous devions vérifier fréquemment la durée des appels, pour libérer les lignes dès que les communications étaient terminées, surtout en ce qui concernait les appels interurbains, lesquels étaient facturés. Au cours de la journée et durant la soirée jusqu’à une certaine heure, nous n’avions pas vraiment le temps d’écouter les conversations… surtout que de l’une à l’autre, cela risquait de ressembler à un superbe coq-à-l’âne! Mais si par hasard ou autrement on saisissait des bribes d’échanges entre les abonnés, nous étions évidemment dans l’obligation de respecter la règle de la confidentialité. Pour ma part, quand la soirée était tranquille, j’écoutais la radio de CHRC, qui diffusait une émission appelée Blue Sky, au cours de laquelle on faisait tourner toutes les chansons à succès que j’aimais. Avec un bon roman Marabout Mademoiselle et un Coca-cola, je ne risquais pas de m’ennuyer! À ce propos, je me demande si quelqu’un se souvient de la série des Sylvie, de l’auteur René Philippe, dans la collection Marabout Mademoiselle…

J’ai débuté ce travail comme remplaçante en 1958 et je suis devenue permanente en 1960, à la suite du départ d’une des deux opératrices. Les deux dernières années, je gagnais 0.55 $ l’heure. J’ai aimé mon emploi, même si les derniers temps, le matériel étant devenu désuet. Souvent des lignes étaient défectueuses et comme il y avait de plus en plus d’abonnés, les journées étaient passablement épuisantes. J’ai quitté mon emploi le 15 mai 1964 pour une excellente raison : je me mariais le 24 juin!

© Madeleine Genest Bouillé, juin 2015

Moi au central, peu avant mon mariage... et la fin de mon travail! (coll. Madeleine Genest).

Moi au central, peu avant mon mariage… et la fin de mon travail! (coll. Madeleine Genest).