Le docteur

Quand j’étais jeune, on n’allait pas chez le docteur… le docteur venait à la maison. Enfin, la plupart du temps. Et quand on le voyait s’amener avec sa sacoche noire gonflée d’instruments tous plus épeurants les uns que les autres et ses dizaines de petites fioles remplies de sirops écœurants, c’est parce qu’il y avait quelqu’un de TRÈS malade dans la maison!

Pour les maladies « ordinaires », rhume, indigestion, piqûre d’insecte, coupures ou « bleus », causés par des chutes ou des batailles en jouant, on avait tout ce qu’il fallait à la maison. On n’entendait jamais parler de commotion cérébrale, encore moins de traumatisme crânien. Les sinusites étaient de simples rhumes de cerveau… Quand des maladies comme les oreillons, la rougeole, la coqueluche ou la scarlatine couraient, on les attrapait. Nos parents disaient : « C’est mieux que ça passe quand les enfants sont jeunes! » Pour ma part, je me souviens d’avoir reçu la visite du docteur quand j’ai eu la rougeole; chanceuse, j’avais un « deux pour un », ayant déjà la coqueluche! Étant donné que j’avais la mauvaise habitude de saigner du nez, le fait d’avoir ces deux maladies en plus augmentait mes saignements de nez qui survenaient à toute heure du jour ou de la nuit. Le docteur m’avait alors fait une piqûre de je ne sais plus quoi. Ce traitement s’était avéré efficace, ou peut-être que la peur de la seringue avait eu un effet bénéfique!

Dans notre village, on avait un docteur pas comme les autres, il s’appelait Henri Roy. C’était un homme brillant, un excellent médecin, mais un original. Pas grand, trapu, toujours en mouvement, il parlait vite et il ne passait pas par quatre chemins pour dire ce qu’il avait à dire! Les gestes rapides et saccadés, il démarrait son auto en vitesse, arrêtait net et il repartait de la même façon. Quand il entrait quelque part, disons pour un accouchement, si c’était sa première visite, de ses yeux noirs et vifs, rapidement, il faisait le tour de la maison. Il demandait où était la chambre et alors il fonçait vers la future mère qui l’attendait, et souvent sans prendre la peine d’enlever son paletot, garrochant son chapeau sur la table ou sur une chaise. Puis, il s’occupait de sa patiente. Quand il était appelé dans la même famille pour la sixième ou la huitième fois, alors il connaissait les aires et il n’attendait même pas qu’on lui dise : « Gênez-vous pas, faites comme chez vous! » Il prenait le temps d’aller dans l’armoire, de sortir une tasse et de se verser du thé; la théière étant toujours prête à l’arrière du poêle à bois… S’il y avait une assiette de biscuits sur la table de la cuisine, il se servait tout naturellement, puis, il filait vers la chambre faire son travail, c’est-à-dire, recevoir un petit enfant, un de plus!

Après avoir vérifié que le nouveau-né était bien portant, il s’occupait de la mère, et si tout allait bien, il repartait aussi vite qu’il était entré!  Quand la situation l’exigeait, il se faisait parfois accompagner de l’infirmière, Garde Bélisle, une grande femme mince, mais surtout un ange gardien que Dieu avait dû égarer un jour sur terre, pour notre plus grand bien! Officiellement, c’était l’infirmière des « Unités sanitaires », elle visitait les nouvelles mamans et les bébés et elle allait aussi à l’école pour les vaccins contre les maladies infantiles. Jamais avare de ses bons conseils, elle était toujours prête à répondre aux questions, que ce soit de la part d’une jeune mère inexpérimentée ou de quelqu’un ayant des inquiétudes à propos de malaises inexplicables.

Mais je reviens à mon docteur… Quand, avant de quitter le foyer où venait de naître un nouveau bébé, il prenait le temps de parler au père en privé, c’était la plupart du temps parce que le travail avait été long, difficile, et alors il faisait au père la même recommandation qu’il avait faite à la mère : « Prenez donc votre temps avant d’en avoir un autre » et s’il jugeait la situation plus critique, il disait alors : « Ça serait préférable qu’il n’y en ait pas d’autre ». Il avait dit ça à ma mère, lors de son huitième… elle en a eu deux autres par la suite avant de mettre à exécution le conseil du docteur. Maman avait eu son premier bébé en 1933, le dixième et dernier, est né en 1947…

La famille du docteur Roy comptait quatre enfants; la deuxième, Lisette était du même âge que moi. J’ai parlé justement de Lisette dans un « grain de sel » en 2015. Elle est décédée accidentellement au cours de l’été 1952. Quelques années plus tard, une autre fille prénommée Lise est née dans la famille Roy. Mais le docteur ne s’était jamais consolé de la perte de Lisette… On disait qu’il avait « un ressort de cassé ». Même s’il avait le cœur malade, il continuait de travailler. À la fin des années 60,  je ne me souviens pas exactement de la date, il est décédé, prématurément. Il n’avait jamais eu le temps d’arrêter pour se reposer.

© Madeleine Genest Bouillé, 24 janvier 2017

Les remèdes de l’ancien temps

Dernièrement, au cours d’une conversation où l’on parlait un peu de tout, quelqu’un a abordé le sujet des multiples « bobos » d’enfant, et surtout des remèdes qu’on apportait autrefois à ces maladies plus ou moins sérieuses. Pour ce qui est des éraflures et coupures, je crois que le remède qui a subsisté le plus longtemps fut le fameux « mercurochrome ». On badigeonnait les blessures de ce beau liquide rouge, qui, contrairement à la teinture d’iode, ne brûlait pas quand on l’appliquait sur une plaie. Le mercurochrome (merbromine), qu’on appelait « le pansement des héros », a été créé en 1917, le brevet appartenait à la firme Juva Santé. Après plus de 80 ans de commercialisation, on a cessé la fabrication de ce populaire liquide rouge, car il présentait, paraît-il, des risques d’empoisonnement au mercure. Quand nos enfants étaient petits, mon époux avait plutôt l’habitude d’enduire les éraflures de gomme de pin, comme sa mère lui avait appris. Comme quoi, dans ce domaine comme dans bien d’autres, chaque famille avait ses remèdes de prédilection, et dans la plupart des cas, depuis plusieurs générations!

z1u7ve1oDans mon enfance, j’ai connu plusieurs remèdes, dont certains plutôt farfelus. Tout d’abord, il y avait une règle que tout le monde observait. Quand on attrapait une des nombreuses maladies infantiles, il fallait absolument administrer au patient une purgation. C’était la panacée. Il semblait important de «  nettoyer » l’organisme, alors on nous faisait prendre soit de l’huile de castor (huile de ricin), ou pire encore, du « sel à médecine ». C’était horrible! Comme je ne faisais jamais les choses à moitié, j’ai eu la rougeole et la coqueluche en même temps. J’ai donc dû passer plus d’un mois au lit, le store baissé, car on disait que si la rougeole tombait dans les yeux, on risquait de devenir aveugle. On était au printemps, il faisait chaud dans la petite chambre à l’étage et, quand les grandes personnes étaient occupées en bas, je me risquais à jeter un œil par la fenêtre, en soulevant le store, surtout à l’heure où les autres enfants s’en allaient à l’école. Une minute, pas plus!  Ça ne devait pas être si dangereux. Puis vint le jour de la purgation. On avait tenté par tous les moyens de me faire prendre le fameux sel à médecine.  Je pleurais, je me débattais « comme un diable dans l’eau bénite », je recrachais l’affreuse potion. J’ai quand même fini par en absorber un peu. Ne me demandez pas si le remède a agi…je ne m’en souviens plus!

smith-brothersPar la suite, je suis restée sujette aux rhumes. Dès qu’il en passait un, je l’attrapais, et ça durait! J’ai essayé tous les sirops, le plus efficace étant évidemment celui qui avait le plus mauvais goût, le sirop Buckley. Presqu’aussi pire que le sel à médecine! Par contre, j’adorais les pastilles Smith, surtout celles à la réglisse, qu’on pouvait se procurer les jours de « magasin » au couvent. Une journée par semaine, les Sœurs tenait un petit éventaire où elles vendaient des cahiers, crayons et aussi des pastilles pour la toux.  J’achetais donc presque chaque semaine une boite de pastilles… jusqu’à ce que la religieuse téléphone chez moi pour savoir si j’avais réellement toujours le rhume. Ce fut la fin de ma thérapie de pastilles! Lors d’un autre rhume particulièrement tenace, on m’avait administré une autre potion assez radicale; il s’agissait d’eau très chaude avec du miel et dans laquelle on avait mis quelques gouttes de térébenthine. Je ne me souviens plus du goût, ni non plus du degré d’efficacité!

Et que dire des « mouches de moutarde »! Quand je vous dis que j’ai testé tous les remèdes pour le rhume… Le cataplasme à la moutarde  était  simplement un morceau de flanelle sur lequel on étendait une pâte faite de moutarde en poudre avec un peu de farine, le tout délayé dans une petite quantité d’eau. On appliquait ce tissu sur la poitrine. Il ne fallait pas garder la « mouche » plus de 15 ou 20 minutes. Quand on l’enlevait, on devait étendre sur la peau de la poudre pour bébé ou du talc, pour éviter la brûlure. Je n’aimais pas non plus cette médecine, car l’odeur de la moutarde me piquait les yeux et me faisait pleurer.

17265787636_12dc9baa12_cIl existait des médicaments  pour tout. Pour le mal de dent, on utilisait de l’huile de clou de girofle. J’en aimais le goût, mais l’effet calmant ne durait pas longtemps. Pour la constipation, on nous faisait prendre du Castoria; ce nom laisse croire qu’il devait bien y avoir de l’huile de castor là-dedans! On frictionnait les foulures et les rhumatismes avec du liniment Minard ou de l’ Antiphlogistine. Pour la digestion, il y avait le lait de magnésie ou tout simplement, un peu de bicarbonate dans un verre d’eau. Comme vous pouvez le constatez, on ne dérangeait pas le docteur pour rien; on avait tout ce qu’il fallait à la maison!

En plus des rhumes, j’avais des saignements de nez intempestifs, fort dérangeants et qui duraient parfois assez longtemps. Quelqu’un avait affirmé que le remède le plus efficace consistait à ramasser au grenier ou à la cave une poignée de fils d’araignée poussiéreux et les appliquer sur le nez du patient ou de la patiente. Quand on a voulu essayer cela avec moi, je me suis évanouie… j’avais – et j’ai toujours – une peur bleue des araignées! Finalement, le meilleur remède est de diluer de l’alun râpé dans un peu d’eau tiède et de le respirer. C’est infaillible!  Mais ce que j’ai connu de mieux, c’était quand M. Lauréat Laplante arrêtait le sang. Il arrêtait aussi le mal de dent. Je n’ai jamais rien compris à cela, mais j’ai eu maintes fois l’occasion de bénéficier de ce don particulier. Décédé en 1967, ce brave homme est certainement au paradis… il l’a bien mérité!

© Madeleine Genest Bouillé, 14 septembre 2016