Nos pionniers

En faisant du ménage dans mes nombreux papiers – ménage qui ne sera sans doute jamais terminé, à savoir : les documents que je veux garder, ceux que je dois jeter et, les plus nombreux, ceux dont je ne parviens pas à décider si je les garde ou si je m’en débarrasse –, je suis tombée sur des notes que j’avais prises, en octobre 1994. À l’occasion d’un brunch-conférence en septembre, nous avions reçu au Vieux Presbytère Serge Goudreau, natif de Deschambault et spécialisé en ethnologie, qui pour l’occasion nous avait entretenu de nos pionniers. Je me suis dit qu’il y avait là de quoi faire un « grain de sel » intéressant… jugez-en vous-mêmes.

Cette activité qui répondait exactement à la vocation culturelle et patrimoniale de la Société du Vieux Presbytère avait été très appréciée. Je me souviens que Serge nous avait tout d’abord appris que les Français n’étaient pas tous emballés par l’aventure de la colonisation de ce nouveau monde. Comme preuve à l’appui, il nous apprenait que, durant le Régime français, sur les 30 000 colons qui sont venus voir de quoi avait l’air cette contrée sauvage, 20 000 sont repartis pour diverses raisons. À mon avis, ils n’avaient pas dû aimer l’hiver! Il serait donc resté à peine 10 000 personnes pour défricher le pays.

Ceux qui font faire leur arbre généalogique savent que nos pionniers venaient en grande majorité des régions de l’ouest de la France : Normandie, Poitou, Anjou, en fait, près des grands ports : La Rochelle, Brest, Cherbourg. Plus rarement, on constate que quelques-uns venaient des régions du sud; tel mon ancêtre Genest, prénommé Géraud, qui était originaire de Toulouse. On s’est toujours demandé ce qui avait motivé notre aïeul à quitter le sud de la France; il devait avoir vraiment une bonne raison!

Nous avons appris également que parmi les premiers arrivants, il y avait quatre fois plus d’hommes que de femmes, et surtout des célibataires. Ce qui est tout à fait plausible, étant donné qu’il fallait être plutôt intrépide pour entreprendre cette aventure qui n’était pas particulièrement un voyage de plaisir. La plupart des hommes faisaient partie du régiment de Carignan-Sallières, ou encore ils avaient signé un contrat avec un artisan, tel un meunier, un charpentier ou autre.

Comme chacun sait, il est venu aussi des missionnaires. Ces religieux, en plus d’avoir comme mission de convertir les Indiens, avaient à cœur l’établissement des Français au pays. Et pour cela, il fallait faire venir de France ces femmes qu’on a appelées « Filles du Roy », pour fonder des familles avec les colons. Ces demoiselles ou veuves, sans enfant, de 800 à 1 000, arrivées au pays entre 1660 et 1670, étaient pour la plupart des orphelines ou des jeunes filles sans fortune. Le roi de France leur avait donné une dot pour les inciter à épouser des colons en Nouvelle-France. Sauf pour les familles d’aristocrates, ces femmes sont les aïeules de beaucoup de nos familles québécoises.

Carte de Gédéon de Catalogne de 1712-1715.

Quand on parle des pionniers, on parle évidemment des colons venus tout droit de la mère patrie. Cependant à mesure que le défrichement progressera, vers le milieu du XVIIIe siècle, de nouvelles concessions seront défrichées par des colons nés au pays, puis plus tard, par la deuxième génération et ainsi de suite.

Nous savons qu’au début, il y eut d’abord la seigneurie de Chavigny, puis celle de La Chevrotière. Le peuplement de Deschambault s’est fait en gros, de 1680 à 1713. Le seigneur du temps, Monsieur d’Eschambault, assumait son rôle qui était d’accorder des terres à des colons. Ceux qui ont visité les kiosques des familles souches lors du 300e anniversaire de la paroisse en 2013, ont appris que les premières familles étaient les Naud et les Grolo, originaires d’Anjou. Au début de 1690, on retrouve les Mayrand qui deviennent les voisins de la famille Naud. Le conférencier, Serge Goudreau, se documentait beaucoup dans les archives judiciaires, ce qui donnait à sa causerie plus de vécu et nous éclairait davantage sur la vie et le caractère de nos pionniers. Il semblerait que les relations entre voisins n’étaient pas toujours de tout repos.

Toujours entre 1690 et 1700, on voit arriver Arcand, de la région de Bordeaux, Perrot, du régiment de Carignan, Delisle, canadien de la 3e génération, Gauthier, Paquin, Delomé, Benoît-dit-Abel, St-Amant (de son vrai nom, Mathurin Robert) et Germain-dit-Bélisle.  De 1710 à 1725, arrivent les Montambault, venus de l’Ile d’Orléans, Perron, Gariépy, venu de Ste-Anne-de-la-Pérade, puis un Girodeau, célibataire qui passait pour être très querelleur, ayant fait de la prison à quelques reprises, on le retrouve plus tard marié et assagi!

En 1725, les familles pionnières sont installées à Deschambault sur une quarantaine de terres. Vers 1730 commence le peuplement du 2e Rang avec l’arrivée des Létourneau, Frenette et Marcotte; ces deux derniers venus de Cap-Santé. Certains noms ont changé d’orthographe avec le temps, tel est le cas de Rodriguez, un espagnol qui deviendra Rodrigue et Dépiteau, qui deviendra Desputeaux.

En 1760, après la guerre qui mit fin au Régime Français, le seigneur, M. de La Gorgendière revint chez lui et amena avec lui plusieurs compagnons d’armes à qui il offrit des terres.  M. de La Gorgendière était marié à une Acadienne, Athalie Boudreau et parmi les officiers du seigneur, on voit Jean Boudreau, Charles Raymond et Jean Bouillé, également mariés à des Acadiennes. Jean Bouillé était un armurier au service du roi de France, en Acadie pendant la guerre. À la même époque, on retrouve un Arcand-dit-Boulard, qui n’est pas le même que le Arcand de 1690.  Arcand-dit-Boulard s’était établi en face de la Halte routière; de là sans doute l’appellation de « Barre à Boulard », pour désigner la barre rocheuse qui, dans le chenal, marquait jadis le commencement des Rapides du Richelieu.

Jusqu’à l’ouverture des registres de la paroisse de Deschambault, en 1713, le territoire était desservi par des missionnaires; ceci explique qu’avant cette date, beaucoup de registres ont été perdus. C’est pourquoi il est parfois difficile de retracer le lieu d’origine des ancêtres de certaines familles.

J’espère que ces quelques pages de notre histoire sauront vous intéresser… J’ai donc bien fait de garder ces documents!  Il ne faut rien jeter avant d’y regarder deux, trois et même quatre fois!

© Madeleine Genest Bouillé, 28 mars 2017

Mon village

IMG_20160428_0004Mon village m’appartient. Il n’appartient pas qu’à moi, c’est bien sûr. Mais j’y suis attachée et je crois que rien ne pourrait m’en défaire. J’ai toujours vécu à Deschambault. Toutes ces années, ce sont autant de matins, de couchers de soleil, de clairs de lune. Des printemps fous, des étés odorants, des automnes lumineux, des Noëls magiques et des hivers emmitouflés. Chaque événement de ma vie est inscrit dans le décor de ce village; c’est le théâtre où s’est déroulée mon histoire et c’est ici que je voudrais qu’elle se termine.

Je suis née à Deschambault et j’y ai des racines. Pas du côté paternel cependant. À l’inverse du vieux dicton qui disait « Qui prend mari, prend pays », c’est mon père qui, en prenant épouse, y a pris aussi pays! Mes racines dans ce village me viennent de la famille de ma mère, alors qu’en 1774, Augustin Petit partait de Cap-Santé pour venir s’établir à Deschambault avec son épouse Marie-Josèphe Godin. Le 20 août 1799, son fils Nicolas épousait Angélique Marcotte en l’église de Deschambault, et depuis ce jour, la famille Petit a tenu « feu et lieu » comme on disait alors, dans notre patelin. Dans un précédent grain de sel, où je parlais de mes ancêtres, j’ai mentionné que ma grand-mère maternelle, Blanche Paquin avait épousé son cousin Edmond Petit en 1903. On sait que la famille Paquin est l’une des familles-souche de Deschambault. L’ancêtre Nicolas avait d’abord épousé Marie-Anne Perreault de qui il a eu plusieurs enfants. Devenu veuf, il s’est remarié à Thérèse Grosleau; c’est donc de cette deuxième épouse que descend notre parentèle du côté Paquin. Autrefois à Deschambault, l’arbre des Paquin portait plusieurs branches; tenez, en 1900, on comptait dix-sept familles portant ce nom, dont plusieurs n’étaient apparentées que du coin gauche de la fesse gauche. C’est vous dire! À cette époque, on retrouvait beaucoup de familles portant le même nom, en plus des Paquin, il y avait les Gauthier, les Mayrand, les Delisle, les Gariépy, et combien d’autres. Souvent, on identifiait les familles du même nom, en y ajoutant le prénom de l’ancêtre, ou encore on donnait des surnoms. Ah! C’est qu’il y en avait des surnoms! Certains étaient parfois cocasses : Minou, Mignon, Cârisse, La Blague, La Palette, La Misère. Il serait bien difficile aujourd’hui de retrouver l’origine de tous ces « petits noms ».

Photo de Fernand Genest, 1977.

Photo de Fernand Genest, 1977.

Mon village est vieux. Mieux que vieux, je dirais qu’il est vénérable. Tout le monde sait – ou doit savoir – que tout a commencé par une seigneurie concédée en 1640,  puis une autre un peu plus tard, puis en 1713, c’est enfin devenu une paroisse. C’était bien avant qu’on parle de municipalité. Cette désignation est venue plus tard, avec les Anglais.  Après que les habitants eurent défriché toutes les terres longeant le fleuve, ils ont ouvert un deuxième, puis un troisième, puis un quatrième rang… peut-être bien aussi un cinquième, je ne sais plus.  Ces rangs ont fini par devenir une paroisse, Saint-Gilbert, puis d’autres paroisses ont été fondées à mesure que les bois reculaient pour faire place aux maisons des colons.

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Photo de Patrick Bouillé, 2015.

Beaucoup de vieilles maisons témoignent de la vie autrefois. Et si on compte maintenant plusieurs nouvelles familles, il demeure que les noms des anciens sont encore bien vivaces, même si les descendants n’habitent pas toujours sur le bien des ancêtres.  Comme dans la plupart des vieux villages, de nouvelles rues ont été tracées et de nouvelles résidences y ont été construites. C’est bon qu’il y ait du sang neuf, ça empêche de s’étioler.  L’important, c’est la vie qui continue avec les enfants qui vont à l’école, qui déambulent à vélo durant la belle saison et qui, l’hiver venu, construisent des bonhommes de neige qui saluent les passants!

Si mes aïeuls revenaient, ils seraient étonnés et sans doute aussi amusés de voir le nombre toujours croissant de touristes qui débarquent sur le cap Lauzon chaque été, et même en automne. Ces gens provenant de tous les coins de la planète – comment une planète ronde peut-elle avoir des coins?… Mais passons! Je disais donc que ces gens venus d’un peu partout viennent admirer le fleuve, la rue de l’Église et le magnifique point de vue qu’on a justement du haut du cap.  En fait, il n’est pas très haut ce cap. C’est surtout cette façon qu’il a de s’avancer dans le fleuve comme par exprès, pour faire admirer les bâtisses anciennes qui y sont situées, comme une coquette qui veut attirer l’attention.

Église Deschambault - Extérieur - nb - 010K1 845Autrefois, le cap était couvert de pins qui formaient  comme un rempart faisant  face aux grands vents qui s’engouffrent du nordet et qui font gronder les vagues sur les cailloux de la grève.  Quand ces vents s’accompagnent de pluie ou de neige, c’est une vraie furie! C’est alors qu’on les trouve accueillantes comme jamais, nos chères vieilles bâtisses en pierre : l’église, le couvent, les vieux presbytères sans curé…Du temps de ma mère, le cap, c’était le lieu de rendez-vous du dimanche après-midi. Plusieurs vieilles photos de l’album de famille montrent de joyeux groupes de filles et de garçons endimanchés posant sur le cap. Qu’ils ont l’air heureux ces belles jeunesses des années trente! On pouvait paraît-il aller cueillir des framboises, des mûres, faire des pique-niques, se promener tout au long de petits sentiers tortueux et même descendre sur la grève.  L’autre endroit de prédilection des jeunes du village était le quai, là encore, maintes photos rappellent les beaux moments  de cette époque.

Photo de Patrick Bouillé, 2016.

Photo de Patrick Bouillé, 2016.

Il y a toujours un quai; on peut aller s’y promener et admirer la vue incomparable qu’on a de la petite rue Saint-Joseph et du cap Lauzon avec ses édifices séculaires. Et sur le cap,  même s’il n’y a plus de grands pins pour retenir le vent, on a retracé les sentiers d’autrefois, on les a bordés de fleurs. Alors les amoureux d’aujourd’hui peuvent, comme jadis mes parents, se conter fleurette en admirant les splendeurs que leur offre la nature.  Il y a même un escalier pour aller près du fleuve, avec des paliers qui permettent de souffler quand on n’est plus aussi alerte et qu’on veut se ménager.

photos jacmado 270809 149Mon village m’appartient, mais je lui appartiens également. Je l’aime tout le long et tout le tour. J’aime la vieille route maganée qui passe à côté de chez moi et où je me promène par les beaux jours. J’aime le murmure de la rivière, les champs qui changent de toilette au gré des saisons. Et j’aime le fleuve forcément. C’est lui qui donne le ton, lui qui dessine le relief, qui met la couleur, le mouvement. La route principale chemine près du fleuve sur la plus belle partie de son parcours, soit qu’elle le surplombe ou qu’elle le frôle; les deux ne se quittent jamais bien longtemps. Quel que soit l’endroit où vous habitez à Deschambault, le fleuve n’est jamais loin.  Vous ne le voyez peut-être pas, mais souvent vous le sentez et les goélands qui font la course en criant jusqu’au bout des terres, annoncent sa présence.

Je le dis parce que j’en suis convaincue : même si j’avais la possibilité de faire le tour du monde,  je sais que le seul endroit où je veux vivre, c’est dans ce village qui m’a vu naître et grandir, qui a abrité ma jeunesse, mes amours, ma famille, et qui bercera, je l’espère,  ma vieillesse jusqu’à la fin!

(Paru dans Récits du Bord de l’eau, 2008.)

© Madeleine Genest Bouillé, 29 avril 2016