Il était une fois un arbre

IMG_20160717_0001À chaque fois que j’ai dans la tête l’air du Vieux sapin, c’est à l’orme de notre vieille route que je pense. La chanson commence ainsi : « Que de fois au déclin de la vie, quand je songe aux beaux jours du passé… je reviens l’âme toute ravie, au nid charmant qui m’a tant bercé. » Tous ceux et celles qui ont grandi avec les Cahiers de La Bonne Chanson de l’abbé Gadbois, connaissent cette chanson. C’est une musique qu’on retient facilement et le refrain a juste assez de nostalgie pour qu’on s’y attarde… faisant ainsi des notes noires là où il y a des croches et des notes blanches où il y a des noires!

IMG_20160717_0006« Je revois la maison paternelle, le jardin, le vieux puits, la margelle, je revois sur le bord du chemin, l’arbre géant, le cher vieux sapin »… Quand je  pense à la maison  de ma jeunesse, l’arbre géant qui était au bord du chemin, sur le haut de la côte, était un orme. Le plus beau de tous ceux que j’ai connus. Maman disait que c’était lui qui tenait la côte. Il est vrai que ses racines s’étendaient certainement très profondément dans la terre, et très loin, traversant la route, jusqu’on ne sait pas où! Si aujourd’hui il faisait encore partie du paysage, en changeant quelque peu les paroles de la chanson, je pourrais lui fredonner les couplets : « Vieil orme à l’allure si fière, tu redis les vertus d’autrefois… Quand jadis, sous ta fraîche feuillée, près de toi la nombreuse nichée, grandissait comme en un coin des cieux, vivait en paix près de l’arbre ombreux. » Il était tellement grand, son feuillage s’étalait comme un immense parasol et il couvrait de son ombrage la route qui descendait jusque devant la vieille maison de pierre. Je crois qu’ils étaient aussi vieux l’un que l’autre. Ils se connaissaient depuis toujours…

IMG_20160717_0003« Vieil orme, dans ma mémoire, tu revis comme un arbre enchanté. Je te vois plein d’orgueil et de gloire, près du vieux gîte encore habité. Bien des soirs, sous la verte charmille, près de toi, réunis en famille, nous allions nous reposer un peu… et folâtrer sous le vieil orme ». Il en avait vu passer des gens, sur cette route qu’on appelait le chemin du roi, avant qu’on en construise un nouveau, moins abrupt et plus droit. Quand on montait la côte un peu vite, rendu au gros orme, on ralentissait le pas, pour souffler un peu, en profitant du magnifique point de vue sur le fleuve qui nous enchantait toujours!  Car voyez-vous, dans notre temps, il n’y avait que très peu d’arbres et seulement quelques chalets de chaque côté de la route du quai.

Puis un jour, plus personne ne se souvient à partir de quand, comme beaucoup de ses pareils, le gros orme a commencé à perdre sa bonne mine; il était malade, incurable! Ici et là, les branches séchaient et perdaient leurs feuilles… d’un printemps à l’autre, son feuillage s’amenuisait. Il était condamné. En contrebas, le champ qui séparait la vieille route de la nouvelle était marécageux. Au printemps, les grenouilles s’en donnaient à cœur joie sur ce terrain humide, et en hiver, comme il y avait un poulailler dans le coin, les renards  venaient chiper quelques poules effarées.  Et nous, quand nous étions enfants, en été, on y jouait au jeu qu’on appelait « en bas de la ville » et l’hiver, on glissait en  « traîne-fesse ».

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Mais il arriva ce qui devait arriver; le gros orme dépouillé rendit l’âme. Un promoteur ayant acheté le champ inutile dont personne ne voulait, coupa le vieil arbre, puis il remplit le terrain, qu’il divisa ensuite en lotissements. Quelques maisons s’élèvent maintenant où était jadis notre terrain de jeux!

Il était une fois un arbre… et je termine son histoire avec le refrain de ma chanson que je dois bien modifier un peu afin qu’il s’accorde avec les couplets : « Mon âme alors rayonne, et tout en moi chantonne… j’entends toujours le gros orme, qui redit son refrain… à la brise légère, il mêlait sa voix claire, et son hymne joyeux : c’était l’écho des aïeux! » Sans oublier le point d’orgue sur le mot « aïeux », pour une belle finale!

© Madeleine Genest Bouillé, 17 juillet 2016

N.B. Les photographies de la rue Johnson datent de 1956 et sont tirées de ma collection privée.

Image de printemps

Numériser0003La fabrication du savon.
Dans un grain de sel du printemps dernier, où je vous parlais du « grand barda du printemps », j’ai mentionné la fabrication du savon domestique. Sur la photo ci-jointe, on peut voir Madame Élise Proulx-Thibodeau, en train de brasser son savon. Elle avait plus de 80 ans, la photo datant de la fin des années 30; je n’ai malheureusement pas de précision à ce sujet. Madame Thibodeau était la mère d’Aurore Thibodeau, mariée à Lauréat Laplante en 1915, ils demeuraient dans la maison bâtie par les Thibodeau, au 215, Chemin du Roy. Une petite anecdote en passant… Quelques-uns des frères de Madame Thibodeau avaient, comme beaucoup de Québécois de cette époque, émigré aux États-Unis, dans les environs de Boston, à Lowell et Fall-River. Comme on le sait, quand « la visite des États » s’amenait, ils apportaient avec eux des anglicismes qu’ils étaient très fiers de parler devant la parenté. Ainsi, ils avaient anglicisé le nom de leur sœur; Élise était donc devenue Lyser… Et je me souviens, étant enfant, de la façon dont les gens rappelaient cette petite femme, qui avait paraît-il beaucoup de caractère; on la nommait « Memére Liseur ». Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai su son vrai prénom.

fete sucreLe temps des sucres.
La belle jeunesse de Deschambault, en 1944. Cette photo comme plusieurs de la même époque, me vient de Marie-Paule Laplante, fille des précédents, qui a demeuré à Trois-Rivières après son mariage en 1951. La fête avait lieu à la sucrerie de la famille Bouillé, étant donné que Marie-Paule était l’amie de Marie-Claire Bouillé, la deuxième fille de la famille de mon époux. D’ailleurs je reconnais quelques membres de cette famille, ainsi que Rolande Paré, fille de Louis. Quand je cherche une ou l’autre photo ancienne, je m’arrête toujours sur celle-ci. Le photographe qui a croqué cette scène a sans le savoir fixé dans le temps une image qui raconte un moment de vrai plaisir! C’est l’une de mes photos préférées.

IMG_20160313_0004Le printemps est arrivé!
Derrière cette photo, maman avait écrit « Le printemps est arrivé, mars 1950 ». C’était le premier printemps où nous demeurions dans la maison de la rue Johnson. Les deux jeunes, Georges et Fernand, portent encore manteau et chapeau d’hiver, mais il devait y avoir des signes de printemps déjà, car Florent ne porte pas de manteau et il est nu-tête. Florent était le météorologue de la famille. Dans les dernières années où il vivait, je lui avais rappelé cette photo et il m’avait confirmé que le mois de mars de cette année-là était particulièrement doux. Et si Florent l’a dit… c’est parce que c’était vrai!

IMG_20160209_0006Ah! la mode!
La mode a toujours eu de ces extravagances…. dans les magazines, on voit des choses que moi je ne trouve absolument pas portables. Mais il y a 50 ans et plus, la mode nous imposait aussi ses bizarreries. Par exemple, passé le 15 août, on rangeait les chapeaux de paille ainsi que les accessoires blancs, et cela même s’il faisait aussi chaud sinon plus qu’en juin. On sortait les chapeaux de velours ou de feutre et les accessoires noirs ou bruns. Au printemps, on faisait l’inverse. À Pâques, on sortait le tailleur de couleur pastel et un chapeau de paille, autant que possible avec profusion de fleurs, et cela même s’il gelait ou s’il neigeait! Vous voyez sur cette photo une image découpée dans la Revue Populaire d’avril 1946. Aimez-vous le chapeau, style « tarte »? C’était ça, la mode!

IMG_20160313_0005Ce qui arrive quand Pâques tombe en mars…
La photo date de 1955. Elle a été prise le jour de Pâques. Vous voyez ce que ça donne un chapeau de paille avec un manteau d’hiver! J’étrennais ce petit chapeau qui était rose. J’étais supposée le porter avec mon manteau de printemps qui était beige. Pâques tombait comme cette année à la fin de mars. Je sortais d’un de mes interminables rhumes… et maman avait dit : « Non! Tu mets ton manteau d’hiver, il fait pas assez chaud pour sortir ton manteau de printemps. D’ailleurs tout le monde est encore habillé en hiver! » Je boudais et je ne voulais pas que ma sœur prenne la photo. Pour me donner le bon exemple, elle s’était fait photographier avec son manteau gris – celui d’hiver, et son chapeau de paille blanc. Mais moi, je trouvais qu’avec le col en fourrure (du lapin ou je ne sais quoi), le chapeau de paille avait l’air incongru. Un de mes frères, qu’on ne voit pas… tente de me faire rire et je ne veux pas. En plus la photo a été prise après la messe, juste avant dîner; étant ainsi face au soleil, j’ai fermé les yeux… Pour moi, c’est une photo qui parle beaucoup!

On n’a pas fini de parler de Pâques… à bientôt!

© Madeleine Genest Bouillé, 13 mars 2016

Les passe-temps de Jeanne

Jeanne, ma mère, était une femme qui sortait peu de chez elle. Surtout à partir du jour où nous avons habité la vieille maison de pierre dans le rue Johnson, la vieille route. Elle s’y trouvait bien, elle vivait au milieu des gens et des choses qu’elle aimait. Vous ai-je dit que les paysages préférés de ma mère étaient justement ceux qui entouraient notre chez-nous? Les champs, les arbres, les vieilles clôtures de perches, les vaches broutant paisiblement. Elle trouvait cela reposant… elle aimait les alentours de sa maison autant que l’intérieur!

IMG_20160116_0003Malgré l’ouvrage qui ne manquait pas et sa grosse famille, elle se ménageait des moments de loisir, le soir surtout, quand les enfants étaient couchés ou sortis. J’ai déjà parlé des coussins qu’elle recouvrait de tissus décorés au gré de sa fantaisie. Souvent, aussi, maman dessinait; elle choisissait des petits motifs qu’elle trouvait dans des revues. Elle se procurait du papier à lettre dont elle ornait le haut des pages de ces petits dessins qu’elle reproduisait à l’encre de Chine et que, parfois, elle coloriait. Elle vendait ce papier à lettre au petit magasin de Mademoiselle Angela Dussault, qui demeurait au rez-de-chaussée de l’ancien bureau de poste, juste à côté de l’école du village.

Jeanne avait un autre passe-temps…dont j’ai hérité quelque peu. Elle était « ramasseuse ». En plus des modèles pour ses dessins, elle découpait des poèmes, des articles dans les journaux et les revues, des récits d’événements qui étaient survenus à Deschambault surtout. J’ai trouvé entre autres choses, un compte rendu paru dans l’Écho de Portneuf, il s’agit de la messe de minuit à Deschambault en 1928. Je vous livre cet article intitulé Noël à Deschambault  :

« La fête de Noël fut célébrée solennellement en notre paroisse. M. le curé Lepage officia à la messe de minuit et à la messe du jour et M. le vicaire fit le sermon de circonstance à la messe du jour. La chorale qui exécuta un très joli programme musical remporta un grand succès. En voici le programme

MESSE DE MINUIT
Entrée : Minuit Chrétiens
Messe en trois parties de Ste-Thérèse de T. la Hache
Offertoire : Adeste Fideles
À la fin de l’Évangile : Ça Bergers, assemblons-nous.

MESSE DE L’AURORE
Bergers, entendez-vous?
Les anges dans nos campagnes
Suspendant leur douce harmonie
Jésus de Nazareth
Dans le silence de la nuit
Nouvelle agréable
Dans cette étable
Il est né, le Divin Enfant

À la messe du jour, la chorale répéta la messe de Minuit et à l’offertoire, Puer Natus Es, en trois parties, par six voix. »

Il y a 88 ans de cela … et la messe de minuit à l’église de Deschambault attire toujours autant les foules!

Une pièce de théâtre ayant pour titre La Veillée du bon vieux temps avait été jouée les 6 et 7 février 1929. Cette pièce avait connu un immense succès. Le texte relatant cette soirée théâtrale a paru dans le numéro spécial du Phare en janvier 2000. Je vous en ferai part en décembre peut-être… si ça vous intéresse!

Julien et Jeanne, 1973.

Julien et Jeanne, 1973.

Dans la famille de mon grand-père, on s’intéressait aux élections et j’ai comme preuve, une copie de la liste électorale de l’Arrondissement no.1 – ce qui me semble être uniquement le « rang d’en bas » et le village – à l’élection du 24 août 1931. On y retrouve 248 noms, des hommes seulement, les femmes n’ayant pas encore le droit de vote. Un autre dossier assez volumineux contient des listes, soigneusement transcrites de la main de maman; on y trouve de tout : des mariages, des sépultures et combien d’autres. Sur l’une d’entre elles, sont inscrits les noms des élèves qui ont « marché au catéchisme » avec ma mère, du 26 mars au 26 avril 1920, alors qu’avait lieu la Profession de Foi.

Quand la journée de travail de Jeanne était terminée, elle avait toujours quelque chose à lire, quelque chose à écrire, un peu de couture à finir… Elle se couchait quand tout le monde était rentré – la plupart de ses enfants étant plutôt veilleux, alors seulement, elle se permettait d’aller dormir. Ma mère ne s’ennuyait jamais… moi non plus!

© Madeleine Genest Bouillé, 16 janvier 2016

Dessin de Jeanne.

Dessin de Jeanne.

C’était dans le temps du Jour de l’An!

Dans mes souvenirs, il me semble que papa était toujours en congé le premier jour de l’année. Jusqu’à cette nuit de fin décembre 1960, où il a été renversé par une auto, sur un coin de rue à Montréal. Il finissait son « chiffre » et devait prendre l’autobus le lendemain matin pour venir fêter le Jour de l’An. Nous avons commencé l’année 1961 sans lui… avec très peu d’espoir de le revoir vivant. Il a survécu; et ensuite, il a toujours été avec nous pendant les dix-neuf dernières années de sa vie, bien présent, mais cloué dans un fauteuil.

La famille Genest, en 1956.

La famille Genest, en 1956.

Je reviens au Jour de l’An de mon enfance… On allait d’abord à la messe, puis on se rassemblait pour la bénédiction que papa nous donnait solennellement. Ensuite, avant de passer à table, papa nous servait un « petit doigt » de vin rouge – du Saint-Georges – dans de minuscules verres en forme de baril. Je ne me souviens pas à quel âge on commençait à jouir de ce privilège. Mais c’est un souvenir qui m’est très cher. Ça nous donnait l’impression d’être aussi important que les grandes personnes.

Pendant longtemps, nous avons reçu nos cadeaux au Jour de l’An. Ça s’appelait alors des « étrennes ». Je ne me rappelle pas à quelle occasion cette coutume a changé, ni pourquoi. Maintenant, dans ma famille, une année sur deux, nous échangeons nos présents le premier de l’an et les plus jeunes reçoivent un « bas du Jour de l’An ». J’aime bien souligner ainsi le début de l’année. La fête des Rois n’étant plus célébrée le 6 janvier (souvent même, l’école est recommencée), alors dans bien des familles, le temps des Fêtes se termine le 1er janvier. Si vous déambulez dans les rues au cours des premiers jours de janvier, vous découvrirez plusieurs sapins dehors, déjà au rebut! Vous les reconnaîtrez à leur mine triste, arborant encore quelque décoration brillante, pour rappeler le rôle qu’ils ont joué un temps, hélas, trop court!

Maison de mon grand-père, Edmond "Tom" Petit, en 1903.

Maison de mon grand-père, en 1903.

Le Jour de l’An, c’était aussi le souper chez mon grand-père. La « petite route » n’était pas loin de la « vieille route », cependant, mon père préférait qu’on se rende en taxi, les plus jeunes étant encore petits. Comme il n’y avait pas de places pour toute la famille, les aînés se rendaient à pied. Mes parents avec les plus petits, prenaient le taxi de M. Frenette. Je me rappelle encore cette voiture fermée, tirée par un cheval pas trop pressé. Nous ne voyions strictement rien, les vitres étant gelées, il faisait noir et nous étions tassés comme des sardines. Le plus jeune de mes frères pleurait tout au long de la route… heureusement, la « maison du cordonnier » n’était pas loin!

J’ai le souvenir de l’arrivée chez mon grand-père… c’était peut-être après le décès de grand-maman, qu’on appelait « Memére ». Je nous revois, dans la maison pleine de monde; il faisait chaud, ça parlait fort, ça riait! En plus des oncles, tantes et cousins qui demeuraient dans cette maison, il y avait la famille de mon oncle Jean-Paul qui était venue de Saint-Basile. Je ne me rappelle pas des mets qu’on nous servait, mais je me revois encore à la tablée des enfants, il y avait un long banc appuyé au mur, on l’appelait « le banc des innocents », c’était pour nous! Ce dont je me souviens le plus, c’est de la chaleur du poêle, l’odeur de la nourriture, le plaisir évident qu’on avait tous à se retrouver, les rires, les boutades qui fusaient de part et d’autre… C’était ça, le Jour de l’An!

Et après, il y avait la veillée. Tante Rollande au piano ou à l’harmonium, car elle a possédé ces deux instruments, mon père était invité à chanter. Il entonnait tous les cantiques de Noël et nous reprenions les refrains en chœur. Ensuite, mon oncle Jean-Paul prenait son violon, tante Gisèle sa guitare, et alors se succédaient les chansons à répondre, dont certaines faisaient partie, si on peut dire, « des trésors de famille »! Je ne connais pas les vrais titres de ces chansons, il y avait entre autres : « J’ai mis des cordes dans mon zing-zing, j’ai mis des cordes dans mon violon »… « Mitaines et chaussons ». « Le démon sort de l’enfer pour faire le tour du monde ». Et combien d’autres! Des chansons dont nous ne comprenions pas le double sens, mais les rires des adultes étaient tellement communicatifs que nous avions autant de plaisir qu’eux! C’était ça aussi, le Jour de l’An!

Une soirée à St-Basile, en 1959.

Une soirée à St-Basile, en 1959.

Certaines années, au cours du temps des Fêtes, nous allions veiller chez mon oncle Jean-Paul. Personne n’avait encore d’auto dans la famille, mais il se trouvait toujours « une connaissance » dans l’entourage pour nous conduire. C’était un privilège d’être admis dans l’auto. Les automobiles de ce temps-là avaient l’avantage de posséder de longs sièges sur lesquels on pouvait aisément asseoir trois personnes à l’avant et quatre ou plus à l’arrière. Pour le plaisir d’aller veiller à Saint-Basile, on acceptait sans problèmes de se tasser un peu. Quelle belle soirée, encore une fois, pleine de rire et de musique! Ah! oui, vraiment… « c’était comme ça que ça se passait, dans le temps du Jour de l’An »!

© Madeleine Genest Bouillé, janvier 2016

Une veillée d'autrefois, illustration d'Edmond-J. Massicotte (Bibliothèque et Archives nationales du Canada).

Une veillée d’autrefois, illustration d’Edmond-J. Massicotte (Bibliothèque et Archives nationales du Canada).

Le temps des jeux

EnfantsjouantComme je l’ai déjà mentionné, notre famille comptait dix enfants. À l’époque où se situe cet épisode, il y avait « les grands » et « les plus jeunes », c’est-à-dire, les six derniers, dont je faisais partie, nés entre 1940 et 1947. Imaginez : cinq gamins, débordant d’énergie et d’imagination, qui s’amusaient avec tout ce qu’ils trouvaient, aussi bien au-dedans qu’au dehors de la maison. Il m’arrivait de participer à leurs jeux auxquels se joignait notre chien, Bruno, lequel se laissait habiller et photographier, sans broncher et sans rouspéter.

scenecombatTout ce que notre vieille maison recelait, y compris le hangar aussi vétuste, était utilisable pour les jeux des enfants. Tenez, jusqu’au gros tas de bois contre la maison, qu’on n’avait jamais fini de corder, et qui devenait un fort, d’où l’on pouvait surveiller au loin, c’est-à-dire au-delà de la grange, l’arrivée des Sioux. Les champs, délimités par des clôtures de perches dont il manquait des bouts, étaient à plusieurs endroits bordés de bosquets, composés surtout de cerisiers sauvages, de cenelliers et de trembles. Ils étaient de plus parsemés de grosses roches qui témoignaient que dans des temps immémoriaux, il y avait sans doute eu à cet endroit un lac ou un étang, comme en témoigne aussi la légère dépression du sol à cet endroit. Mais ce merveilleux décor était, vous en conviendrez, l’idéal pour les expéditions guerrières des pionniers contre les Sioux!

CowboysSiouxMon frère, le huitième, possédait un petit appareil photo, qu’il maniait avec déjà beaucoup d’adresse; et c’est grâce à ses albums que j’ai pu retracer maintes aventures de l’enfance et de l’adolescence de mes frères et de leurs amis. Les images où l’on voit d’abord les échanges commerciaux entre les « Visages pâles » et les Indiens, se changent très vite en scène de guerre, saisissantes de vérité! Les garçons qui participaient à ces jeux prenaient leur rôle très au sérieux, comme on peut le constater. Costumes plus ou moins typiques – on portait ce qu’on avait, bandeau garni de plumes, peintures de guerre… tout y était. Pour rendre plus réels les gestes et les expressions de leurs personnages, ils s’étaient inspirés des épisodes de la série télévisée The Lone Ranger, que mes frères allaient regarder chez leurs amis qui possédaient déjà un appareil, les chanceux! À l’époque, il était considéré comme normal que les garçons s’amusent avec des pistolets « à cap » comme on disait, pour désigner ces petits rouleaux de pétards qui « pétaient » comme une vraie arme à feu. Ces jeunes qui se tuaient mutuellement à longueur de journée durant les vacances, étaient les meilleurs amis du monde et sont devenus des adultes tout à fait pacifiques. Quelle que soit l’époque, les jeunes ont toujours aimé reproduire les gestes de leurs héros.

BrunotoutouNotre photographe avait aussi un sens de l’humour très particulier, c’est pourquoi il prenait souvent des photos de Bruno, le chien, habillé et coiffé d’un vieux chapeau de paille et posant soit avec nous ou encore avec les vieux toutous qui faisaient partie de la famille. Quelques années plus tard, il prit plaisir à créer des scènes navales qu’il photographiait sur le bord du fleuve avec des modèles réduits de bateaux qu’il avait fabriqués avec grand soin et beaucoup de patience.

orchestreAvec les années, les jeux ont évolué… Fini les films de cow-boys! Elvis Presley est arrivé et avec lui, l’époque du rock’n’roll. Combien de jeunes garçons ont alors commencé à jouer de la guitare en s’exerçant à reproduire les gestes et les mimiques de ce fameux chanteur américain! Mes jeunes frères n’ont pas échappé à cette influence et c’est alors que parmi les anciens cow-boys et Indiens, quelques-uns se sont retrouvés dans un orchestre rock! Pas très longtemps, car malheureusement, les études ont dispersés les copains et l’orchestre a manqué de musiciens!

glaceQuelquefois, les gars se retrouvaient pour faire des prouesses… qui resteront dans la mémoire, grâce aux photos. Ainsi, au printemps, quoi de plus amusant qu’une promenade en chaloupe au travers des glaces flottantes, c’est pourquoi une photo les montre, juchés sur une plaque de glace, pour le plaisir… parce que déjà, on a le goût de voyager sur le fleuve et, qui sait, y gagner sa vie! Au cours de l’été, avec les amis retrouvés, on faisait encore des ballades sur le fleuve et au vieux phare de l’îlot Richelieu. Était-ce juste par fanfaronnade ou dans le but de faire une belle photo ? Mais sur une des photos, on voit trois joyeux lurons qui posent fièrement sur l’une des bouées qui balisent le chenal des bateaux. Même en noir et blanc, vous admettrez que ça fait une belle image! C’était « Le temps des jeux », immortalisé dans quatre albums de photos, et qui s’étale de 1956 à 1963.

© Madeleine Genest Bouillé, octobre 2015 (Photos de © Fernand Genest)

guitare

Mon frère, Fernand, à qui revient le crédit de toutes ces images.

Les élections

Ben oui, on va avoir des élections! Ça fait longtemps qu’on le sait, me direz-vous. C’est vrai. Autrefois la campagne électorale était plus courte, sauf qu’elle était pas mal plus amusante! Il n’y avait pas la télévision et encore moins les réseaux sociaux; on se contentait des journaux, de la radio et surtout les candidats du comté se faisaient connaître dans les assemblées où ils étaient souvent plus populaires que leur chef. Chez mon grand-père, ça parlait d’élection, mes tantes adoraient ça! Chez nous aussi, on s’y intéressait, même si papa était très discret sur ses intentions de vote; selon lui, c’était quelque chose qu’il ne fallait pas divulguer, un peu comme le secret de la confession. Si je ne m’abuse, dans le temps où il travaillait à la Ferme du Gouvernement provincial, c’était préférable qu’il en soit ainsi…

"Pamphlet" du candidat du Parti LIbéral du Canada, le Dr Pierre Gauthier, en 1957.

« Pamphlet » du candidat du Parti LIbéral du Canada, le Dr Pierre Gauthier, en 1957.

Ma mère était souvent engagée pour tenir le poste de « greffière » le jour du scrutin, parce qu’elle avait « une belle main d’écriture », mais elle faisait ce travail seulement quand c’était le parti Libéral qui était au pouvoir, car c’était bien connu que les Petit votaient « rouge ». L’esprit de parti, ça se transmettait de génération en génération comme la forme du nez et les taches de rousseur. Maman aimait bien travailler aux élections; ça lui apportait un petit revenu qui n’était pas négligeable. Mais surtout, elle aimait cette journée passée à inscrire les voteurs et, le soir venu, participer au décompte des bulletins de votes. Les bureaux étaient toujours situés dans une maison privée, dont les propriétaires étaient reconnus pour être «  du bon bord »! Quand le gouvernement changeait de parti, le bureau de vote changeait de maison.

Verso du pamphlet du Dr Pierre Gauthier. À remarquer: la "promesse" réalisée du quai de Portneuf!

Verso du pamphlet du Dr Pierre Gauthier. À remarquer: la « promesse » réalisée du quai de Portneuf!

Dans mes souvenirs, la période préélectorale durait quelques semaines, mais ça « brassait », je vous l’assure, surtout quand il y avait des « parlements » et des assemblées contradictoires. Chez nous, on a commencé tôt à s’intéresser aux élections. D’abord, on en entendait parler dans la famille et de plus, le père de mes amies était organisateur pour « l’autre parti », ce qui causait parfois quelques quiproquos lors des « parlements », ces assemblées politiques où les candidats venaient haranguer les électeurs. Ces réunions se tenaient le dimanche après-midi, en plein air, quand la saison le permettait évidemment; il y avait des haut-parleurs, qui faisaient entendre de la musique entraînante et généralement, un petit kiosque était installé où l’on pouvait se procurer liqueurs douces, chips et chocolats. Il y avait toujours une nombreuse assistance; les hommes se donnaient des airs de conspirateur, ils parlaient fort, s’engueulaient un peu, beaucoup parfois. Les femmes portaient leurs belles toilettes… et les enfants quémandaient des sous pour s’acheter des petites douceurs. Une vraie grosse foire! La vente de boissons alcooliques étaient prohibées autant à la salle que sur les terrains avoisinant l’église, mais la politique étant ce qu’elle est, lors de ces assemblées, miraculeusement, la bière et le « fort » coulaient à flot! C’était sans doute pour réchauffer l’ambiance afin de mieux acclamer les orateurs! Cependant, quand j’allais avec mes amies dans les « parlements » à l’extérieur, j’étais un peu mal à l’aise d’avoir à acclamer le candidat adverse de ma famille, mais je n’avais pas tellement le choix. J’avoue que je me sentais un peu traître à ma patrie!

Jean Lesage

Jean Lesage

Lors des élections provinciales de juillet 1960, je n’avais pas encore atteint l’âge requis pour voter – qui était alors 21 ans. Jean Lesage se présentait pour le Parti Libéral avec comme slogan « C’est le temps que ça change ». Ce fut une victoire éclatante pour les libéraux. De nouveau en élection en 1962, Lesage était bien parti pour une autre victoire avec son célèbre « Maîtres chez nous! » Cette fois-là, il me manquait dix-sept jours pour avoir droit de vote. J’étais donc déçue! Mais j’avais quand même participé à la campagne électorale. D’abord, quand j’allais faire un bout de veillée chez mes tantes, ça parlait d’élections et pas à peu près! Ma tante Gisèle écrivait des chansons pour ridiculiser les adversaires des Libéraux. Elle ne manquait jamais d’inspiration, on avait tellement de plaisir à chanter ces refrains où elle mettait tout son cœur de libérale pure laine! Et que dire des « transformations » de pancartes! On profitait de l’obscurité pour décrocher les affiches des candidats « bleus » et on s’amusait avec tante Gisèle à les maquiller; on leur mettait des lunettes s’ils n’en avaient pas déjà, des moustaches, des barbes, de gros sourcils… Et plus tard, les gars allaient raccrocher les affiches. Ni vu, ni connu! Bien entendu, on se faisait barbouiller et arracher nos pancartes nous aussi, c’était de bonne guerre!

Mon grand frère qui avait alors son « char » se plaisait à courir les assemblées contradictoires. J’y allais parfois avec lui, car on rencontrait des amis, lesquels n’étaient pas toujours du même parti que nous! L’assemblée contradictoire, comme son nom l’indique, permettait aux deux candidats – il n’y avait alors que deux partis – de faire connaître leur programme électoral au public. Je me souviens que parfois ces soirées se déroulaient à l’Auberge de Lachevrotière. Vers la fin de la veillée, quand je cherchais mon frère pour revenir à la maison, je le retrouvais généralement dehors, en train de discuter, ou plutôt de disputer avec beaucoup d’ardeur ses opinions politiques. Quand nous rentrions à la maison, le grand frère avait souvent quelques égratignures, mais ça ne le dérangeait aucunement. Il disait : « Attends que je le repogne la prochaine fois, lui, le maudit bleu! » Ah! je vous le dis, dans mon jeune temps, les élections, c’était bien plus intéressant que maintenant!

© Madeleine Genest Bouillé, septembre 2015

Maison où a habité le député Pierre Gauthier, au cœur du village de Deschambault (construite par Côme Dufresne). Figure marquante de l'histoire de Deschambault, le Dr Gauthier fut député au provincial de 1927 à 1935, puis au fédéral de1936 à 1958.

Maison où a habité le député Pierre Gauthier, au cœur du village de Deschambault (construite par Côme Dufresne). Figure marquante de l’histoire de Deschambault, le Dr Gauthier fut député au provincial de 1927 à 1935, puis au fédéral de1936 à 1958.

La maison où j’ai grandi

Maison où j'ai grandi 1« Quand je me tourne vers mes souvenirs

Je revois la maison où j’ai grandi

Il me revient des tas de choses

Dans un jardin, je vois des roses… »

(Chanson de Françoise Hardy)

1955

La maison où j’ai grandi…

La maison où j’ai grandi n’est pas celle où je suis née. Je n’ai en fait que peu de souvenirs de la maison où je suis née; celle en face de l’école qui porte maintenant le numéro civique 249. Je me rappelle la porte-fenêtre qui donnait sur l’étroit perron en arrière; aussi l’escalier qui montait à l’étage où il y avait les chambres. Ce dont je me souviens vraiment, c’est d’abord la chambre de ma sœur, avec les poupées de papier étalées sur un meuble et auxquelles je ne devais pas toucher. Et aussi la chambre de maman, avec la chaise berçante en osier et la lucarne, placée trop haut; on devait monter quelques marches pour regarder par la fenêtre. Et le salon où il y avait le piano, je trouvais cette pièce très grande… Voilà, c’est à peu près tout. C’est que, voyez-vous, j’avais à peine trois ans quand j’ai commencé à « me faire garder » ailleurs (voir Aurore et moi, un de mes premiers textes).

La maison en pierre de taille au début des années 50, avec l'appentis à l'est. La cave de la maison, probablement plus vieille, ainsi que l'appentis en pierre des champs seraient les vestiges d'une ancienne poudrière.

La maison au début des années 50, avec l’appentis à l’est. La cave de la maison, probablement plus vieille, ainsi que l’appentis en pierre des champs seraient les vestiges d’une ancienne poudrière.

La maison où nous avons achevé de grandir – physiquement, parce que pour le reste, ce n’est jamais fini! – celle d’où nous sommes partis chacun vers notre destin, c’est celle de la rue Johnson, la vieille route, comme on disait. Une maison où enfin nous étions seuls, toute la famille, sans personne d’autre et pas non plus de voisins collés, une vieille maison en pierre, sombre, froide… que tous ensemble nous avons su rendre chaude et vivante! Cette maison est très vieille. On ne sait pas au juste quand elle a été construite. Quand nous avons emménagé en 1949, la cave était divisée par des murs de pierres très épais; on nous a dit que c’était jadis une poudrière. Lors de sa construction, cette bâtisse était, paraît-il, beaucoup plus longue. Toujours selon les dires, c’était la caserne de la milice, l’endroit où l’on stockait les munitions. Le petit appentis en pierre, accolé à la partie et qu’on appelait « la laiterie », est aussi très vieux.

Dans les premières années où nous avons vécu dans cette maison, nous n’en étions pas propriétaires. Mais pour nous, les enfants, cela ne faisait aucune différence. C’était chez nous. La porte en avant ouvre toujours sur la grande cuisine. Comme dans la plupart des maisons anciennes, c’est la pièce où l’on vit; en fait, tout se passe dans la cuisine! Les poutres énormes font paraître le plafond encore plus bas. La table entourée de multiples chaises occupe le centre de la pièce; près du mur, côté ouest, le poêle à bois trône tout près de la chaise berçante de maman. Le salon, c’est l’endroit où l’on va pour jouer du piano, écouter de la musique, lire ou causer tranquillement; jadis, je m’en souviens, j’y ai veillé avec mon amoureux… Autrefois, un escalier rudimentaire grimpait le long du mur de pierre jusqu’à l’étage qui n’était qu’un vaste grenier, dans lequel on avait construit une chambre, un peu comme une cabane. C’était la chambre de ma sœur; la pièce ayant une ouverture grillagée dans le plancher, elle était ainsi réchauffée par le poêle de la cuisine. La porte arrière de la maison donne sur le hangar. Quand nous sommes arrivés dans cette maison, au fond du hangar, il y avait encore ce qu’on appelait les « bécosses ». C’était ingénieux, au moins les gens n’avaient pas à sortir dehors en hiver… quoique, le hangar, c’était presque aussi froid que l’extérieur! Durant les premiers temps où nous l’habitions, elle n’était vraiment pas luxueuse la vieille maison des Morin… pour tout dire, elle manquait de commodités. On dit que « tout vient à point à qui sait attendre »… c’est ce qui est arrivé!

Mes frères Florent et Roger, et moi, vers 1955. La maison à l'arrière plan est celle de feu Jean-Yves Vézina

Mes frères Florent et Roger, et moi, vers 1955. La maison à l’arrière plan est celle de feu Jean-Yves Vézina (127, rue Johnson).

Graduellement, quoiqu’un peu en retard, le vingtième siècle est entré dans la maison. Salle de bain, escalier, deux autres chambres à l’étage, installation d’une fournaise dans la cave, réfection du toit, de la galerie. C’était devenu « notre » maison! Nous en aimions tout autant l’extérieur que l’intérieur. Quatre gros saules délimitaient la cour arrière, où on était si bien par les chaudes journées estivales. Quand maman sortait pour étendre sa lessive, elle s’arrêtait un peu à l’ombre des saules pour profiter de leur ombrage; elle s’y sentait bien! Plus loin à l’arrière, s’étalaient des champs où paissaient des vaches… il y avait aussi une grange, où l’on entassait le foin et encore un peu plus loin, coulait un petit ruisseau qui au printemps se gonflait et se prenait pour un torrent.

Que dire de plus? Cette maison nous a abrités, protégés des intempéries, elle nous a tenus au chaud durant les longs hivers, tandis qu’elle nous offrait sa fraîcheur par les journées torrides de l’été. Elle a entendu nos dires, nos rires et nos soupirs… sans jamais rien répéter. Ses vieilles pierres connaissent tous nos secrets… Comment ne pas l’aimer!

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

La vie était belle… dans les années 30

Mon père, Julien, à 21 ans.

Mon père, Julien, à 21 ans.

« La vie était belle,

Au temps joyeux des balalaïkas…

Dans l’air flottait un parfum de lilas

Que c’est loin tout ça »

Mon père ne jouait pas de la balalaïka, mais plutôt de la guitare, de la guitare hawaïenne, pour être plus précis. C’était très à la mode en ces années-là. Un soir, j’ai eu le plaisir d’entendre cette chanson, au cours d’un spectacle présenté par le regretté Yves Cantin, au Théâtre du Lac Beauport. Très rythmée, cette mélodie enlevante donne envie de remonter le cours du temps, de revivre cette époque où « la vie était belle ».

Hôtel de la Ferme en 1980.

Hôtel de la Ferme (Station de recherches agricoles, actuellement le CRSAD) en 1980.

En 1930, mon père avait vingt ans. Avec ses frères Léo et Maurice, il était arrivé à Deschambault et selon les dires de ma mère, ils pensionnaient à l’hôtel de la Ferme-école provinciale où ils avaient obtenu un emploi. Comment ces trois jeunes hommes en étaient-ils venus à se retrouver dans notre village, je l’ignore. Orphelins depuis leur jeune âge, ils avaient déjà pas mal bourlingué, chacun de leur côté tout comme les trois autres garçons de la famille Genest, Georges, Laurent et Gérard.

Mon père Julien, avec son frère Jean-Paul et un ami, 1930.

Mon père Julien, avec Jean-Paul et un ami, 1930.

Mon père était affable et il aimait la compagnie. Le frère de maman, Jean-Paul, travaillait lui aussi à la Ferme. Mon oncle a donc invité Julien et ses frères à venir veiller à la maison de mon grand-père où il y avait six filles, dont trois en âge de rencontrer un prétendant. C’était une maison très vivante que celle de mes grands-parents, une maison où il y avait de la musique et de la bonne humeur! Construite sur le haut de la côte en bordure du fleuve, cette maison défie depuis plus d’un siècle, le vent de nordet qui dans cette petite rue se déchaîne comme s’il voulait tout jeter par terre! Le vent de nordet? Et quoi encore! Maman racontait que, dans son enfance, la foudre était tombée dans la maison, entrée par une fenêtre pour ressortir par une autre. C’est tout ce que je sais de cette anecdote et je serais bien incapable de l’expliquer. Toujours est-il que mes grands-parents n’étaient pas des peureux! D’ailleurs ma grand-mère avait tout ce qu’il fallait pour contrer le mauvais sort : la croix de tempérance, les cierges de la Chandeleur, les rameaux bénits, l’eau de Pâques et cela, sans compter les images du Sacré-Cœur et de la Bonne Sainte-Anne. Mon grand-père, un homme qui ne s’énervait pas pour rien, travaillait dans sa boutique, tranquillement pas vite, en fumant sa pipe et en fredonnant une petite chanson à l’occasion. Tous ceux qui venaient dans la maison des Petit étaient bien accueillis, sans cérémonie comme c’était la coutume à cette époque!

Rangée du bas: une amie, tante Alice, ma mère Jeanne; rangée du haut: Jean-Paul, Léo et Julien.

Rangée du bas: une amie, tante Alice, ma mère Jeanne; rangée du haut: Jean-Paul, Léo et Julien.

Mon père et mes oncles ont ainsi fait leur entrée dans la maison du cordonnier. Léo a bien vite jeté son dévolu sur Alice, la plus jeune des trois filles  « en âge de se marier ». Maurice, de son côté, avait rencontré une jeune fille de Portneuf, Marguerite Couture, qui se trouvait être la nièce du curé; mon oncle Jean-Paul destinait donc son nouvel ami Julien à ma tante Thérèse, qui était joviale et qui aimait rire et danser. Mais comme on le sait, le petit dieu malin qu’on appelle Cupidon s’amuse parfois à déjouer les plans des humains. Julien, un garçon qui aimait les livres et qui écrivait des poèmes, s’aperçut qu’il avait plus d’affinités avec Jeanne, qui aimait aussi la lecture, la musique et la poésie. Jeanne ne dansait pas, mais elle jouait du piano et chantait. Elle avait aussi du talent pour le dessin. Jeune fille accomplie, elle était de plus excellente couturière. Comme elle avait eu son diplôme au couvent, elle avait « fait l’école » quelques années avant de travailler quelque temps au Central du téléphone

Mariage Julien JeanneDurant la belle saison, par les bons soirs, Julien allait voir Jeanne à bicyclette. En hiver, il se trouvait sans doute un bon samaritain avec un cheval et une voiture pour le conduire au village. Après le décès de notre père, nous avons retrouvé des cahiers où il avait conservé des bribes de poèmes qu’il composait pour sa bien-aimée au cours de leurs fréquentations, avec les réponses de Jeanne, en poésie comme il se doit. Quelle belle histoire! Enfin, Jeanne et Julien se sont mariés le 30 août 1932.

Quand Je regarde les photos qui illustrent le présent texte, j’entends dans ma tête ce refrain d’autrefois et je me dis que vraiment, « La vie était belle… au temps joyeux des balalaïkas ».

© Madeleine Genest Bouillé, août 2015

D’une époque à l’autre, de pique-nique en festin…

Souper communautaire lors du 300e anniversaire de Deschambault, 29 juin 2013.

Souper communautaire lors du 300e anniversaire de Deschambault, 29 juin 2013.

Existe-t-il une rencontre de famille, une fête, un évènement quelconque qui rassemble plusieurs personnes sans qu’il y ait un repas? Du déjeuner au 5 à 7, jusqu’au souper ou au réveillon, en passant par le brunch ou le pique-nique, quand on se réunit, on mange!

Pique-nique dans les années 40...

Pique-nique dans les années 40…

Curieusement, en faisant le tri de mes photos, je me suis demandée pourquoi on ne prend jamais de photo du réveillon de Noël. Car c’est un fait, je n’ai pas de photo de belle table de réveillon. Peut-être que, après la messe de Minuit, on a faim et on se « garroche » sur le festin au plus vite; on en oublie les photos! J’ai constaté aussi que les photos de tables bien garnies sont souvent mises de côté. Cela n’est pas joli, car on y voit évidemment des personnes qui mangent, des mains tendues vers la salière ou la corbeille à pain, quand ce n’est pas la bouteille de ketchup Heinz! Il y a aussi des assiettes à moitié vides et d’autres à moitié pleines. Et c’est ainsi que nos albums de photos manquent de réalisme…

30e anniversaire de mariage de mes parents.

30e anniversaire de mariage de mes parents.

Jour de l'An 1965 dans la famille Bouillé.

Jour de l’An 1965 dans la famille Bouillé.

Dans mes photos plus anciennes, il y a peu de photos où l’on mange. Il est vrai que les anciennes caméras exigeaient un temps d’exposition avant le déclic. Très malcommode au cours d’un repas. J’ai choisi quelques photos de pique-nique, dans les années quarante, où l’on remarque surtout l’emballage. Évidemment, il n’y avait pas de glacière, ni de contenants en plastique. On enveloppait la nourriture dans du papier ou des linges propres. On apportait une bouteille de thé froid, des verres, et on rangeait le tout dans des boîtes en carton. Ça faisait l’affaire!

80e anniversaire de Germaine St-Amant, ma belle-mère.

80e anniversaire de Germaine St-Amant, ma belle-mère.

25e anniversaire de mariage de ma sœur Élyane et son mari Odilon.

25e anniversaire de mariage de ma sœur Élyane et son mari Odilon.

Dans nos familles, tout est occasion de festoyer. Mariage, anniversaire de naissance ou de mariage, repas du temps des Fêtes. Ces souvenirs de belles tablées ont une place de choix dans les albums de photos, telle cette image, qui rappelle le 30e anniversaire de mariage de mes parents en 1962. Si je n’ai pas de photo de réveillon, voici une photo du souper du Jour de l’An en 1965 dans la famille Bouillé. On faisait tout d’abord manger les enfants et les adultes s’attablaient ensuite. Parce que, comme on sait, les grandes personnes, ça mange longtemps, étant donné que ça parle autant que ça mange! Et se succèdent les photos prises au Vieux Presbytère où ont eu lieu maintes fêtes de famille. On y trouve les Bouillé en 1981, pour les quatre-vingt ans de Germaine, la mère de cette grande et belle famille. En 1982, nous fêtions le vingt-cinquième anniversaire de mariage de ma grande sœur Élyane et son mari Odilon; toute une fête! C’était en août, et je me rappelle le soleil qui se levait quand nous sommes rentrés à la maison! Il y aurait un plein album de photos des rassemblements de la famille Genest au Vieux Presbytère dans le temps des Fêtes, avec des tables qui croulent sous les victuailles. Car on ne fait pas que souper; il doit rester assez de boustifaille pour le petit lunch de fin de soirée!

On m’a demandé l’an dernier, au cours d’un jeu de devinettes, quel était mon menu préféré. Je ne savais vraiment pas quoi choisir; en fait, l’important ce sont les personnes qui sont autour de la table. Je peux manger presque n’importe quoi avec plaisir si je suis en présence des gens que j’aime! Mais j’avoue que les épluchettes de blé d’Inde ont toujours eu pour moi un certain charme. Ça se passe généralement à la Fête du Travail; on célèbre donc la fin des vacances pour les uns et la reprise de l’école ou des multiples activités pour les autres. Et surtout, c’est le temps du blé d’Inde! On l’attend si longtemps ce légume dont la dégustation est une véritable fête! Voilà ce qui a guidé mon choix pour la dernière photo, prise en 2009, à la maison Genest.

© Madeleine Genest Bouillé, juillet 2015

Souper des Genest, en 2009, à la maison familiale dans la rue Johnson.

Souper des Genest, en 2009, à la maison familiale dans la rue Johnson.

Images d’été

IMG_20150714_0001Mon premier été… j’avais huit ou neuf mois, on m’avait assise dans l’herbe haute, comme on peut le constater. Nous n’avions pas de tondeuse à gazon et pas de gazon non plus, juste de l’herbe, ou du foin si vous préférez. Ça ne nous empêchait pas d’être heureux, loin de là! La photo a été prise en avant de la maison sise au 249, Chemin du Roy. C’est dans la partie est de cette maison qui a été rallongée que les six derniers enfants de la famille Genest sont nés. À l’époque, il y avait des arbres devant la maison, une clôture et assez de terrain pour jouer.

Numériser0007Une image que j’aime bien, c’est cette photo avec mon petit bicycle tout en bois! J’étais alors chez Lauréat et Aurore Laplante. Lauréat, qui était menuisier, m’avait fabriqué ce petit véhicule peint en rouge et bleu, avec lequel je m’amusais bien sagement dans la cour. Je n’allais pas encore à l’école, mais je ne m’ennuyais jamais. Il y avait le chien, Buster, un chat, quelques chèvres dans un petit enclos. J’en avais un peu peur, mais j’aimais quand même aller les regarder et leur donner à manger. J’ai eu une belle enfance, du moins c’est ce dont je me souviens… N’est-ce pas l’essentiel?

IMG_20150714_0006Cette photo prise vers 1960 me rappelle les étés où je rendais visite à ma sœur et sa famille à Longueuil; le samedi, quand il faisait beau, nous allions pique-niquer au Parc Roman, quelque part au bord du Richelieu. Je ne me souviens pas dans quelle municipalité était situé ce parc. C’était comme dans la chanson : « Sur la route de Longueuil, de Longueuil à Chambly »… Il y avait de beaux endroits ombragés avec des bancs de pierre que j’imaginais très vieux… peut-être ne l’étaient-ils pas. Parfois, au retour, nous arrêtions dans un ciné-parc pour regarder un film, mes deux petits neveux faisant dodo à l’arrière de la camionnette de mon beau-frère. Quand je travaillais au Central du téléphone, c’était mon voyage de vacances!

IMG_20150714_0005Une photo prise « aux trois roches », sur la grève, où nous allions nous baigner. Je l’ai choisie parce qu’on y voit notre chien Bruno. En fait, nous avons eu Bruno I et Bruno II, deux chiens identiques, des bâtards d’épagneul, pour le peu que j’en sais. Je me souviens moins bien du deuxième; il est entré dans la famille après mon mariage… pour lui, je n’étais pas quelqu’un de la maison! Sur cette photo, il s’agit de Bruno I; il se tient tranquille parce qu’il est avec papa. Notre père était un homme calme, souriant, il ne parlait pas fort; Bruno devait se trouver bien avec lui… comme nous d’ailleurs. Et ça me rappelle aussi les trois roches, où nous allions toujours pour nous baigner et pour pique-niquer… Une image qui représente tellement bien les plaisirs de nos étés.

IMG_20150714_0007Puis un jour, un marin d’eau douce est entré dans ma vie… pour n’en plus sortir! Cette photo date de 1962. Le bateau devait être à quai quelque part à Québec ou à Lanoraie, ou bien mon marin avait décidé de prendre une petite vacance et il me faisait la surprise d’une visite inattendue. Cette photo est une image de bonheur; elle est donc essentielle dans l’histoire de mes étés.

IMG_20150714_0019Nos pique-niques! Quelques membres de ma famille ont eu au cours des années 60 jusqu’en 92, une maison ou un chalet près du fleuve. Imaginez si on en faisait des pique-niques! Voici une de ces images d’été, une parmi tant d’autres. J’ai choisi celle-ci parce que souvent sur ce genre de photos, on voit plus de dos que de figures ou encore les personnes sont éparpillées un peu partout. Cette photo date du début des années 70. Au fil des années, les enfants grandissent, il en arrive d’autres, de nouveaux conjoints s’ajoutent, le décor change un peu, les modes aussi… Mais c’est l’image même des petits bonheurs de nos étés. Ces petits bonheurs qui, s’ajoutant les uns aux autres, forment la trame du bonheur tout court!

IMG_20150115_0004L’été ça passe vite. Un beau matin, sans qu’on sache comment c’est arrivé, c’est le mois d’août! Cette photo de mes grands-parents Blanche et Tom Petit a certainement été prise au mois d’août. D’abord, je dois préciser que la rue Saint-Joseph, qu’autrefois on nommait tout bonnement « la petite route », était et est toujours de par sa situation géographique, une espèce d’Eden où l’on trouve les plus beaux potagers du village! Tout particulièrement, le jardin de ma grand-mère Blanche, qui est devenu par la suite le jardin de ses filles, était sans contredit LE plus beau jardin. Sur cette photo, prise après le souper – le « serein » tombe vite en août –, mes grands-parents sont l’image même des gens heureux. Après une grosse journée (y en avait-il de petites?), Blanche se repose en mangeant un épi de blé d’Inde, pendant que Tom fume une pipée de tabac canadien, qu’il a sans doute récolté dans son jardin. Ils ont l’air si bien! C’est l’une de mes photos préférées, une image apaisante, qui me fait aimer le mois d’août.

© Madeleine Genest Bouillé, juillet 2015